Moins de médecins devant les tribunaux qu’il y a dix ans

Écrit par Bertrand Hue le . Dans la rubrique Evolution

La judiciarisation croissante de la santé est une idée reçue : c’est ce que vient de prouver une étude d’Anne Laude, de Jessica Pariente et de Didier Tabuteau, membres de l’Institut droit et santé (IDS) dépendant de l’université Paris Descartes, publiée sous la forme d’un ouvrage intitulé La judiciarisation de la santé aux éditions Éditions de santé.

poupée vaudou et courbe statistique

Pour ceux qui ne s’attachaient pas aux discours péremptoires des assureurs ou au ressenti de quelques experts, la question de l’évolution de la judiciarisation de la santé se pose depuis plus de quarante ans. Les professionnels de santé sont-ils de plus en plus souvent mis en cause ? Qu’en est-il de l’explosion à l’américaine dont tous les médecins ont entendu parler ? Jusque-là seules des statistiques, qui allaient d’ailleurs à l’encontre d’une augmentation du nombre de sinistres, étaient disponibles et aucun travail fondé sur la jurisprudence n’existait. C’est donc sur les données jurisprudentielles de 50 000 décisions rendues sur dix ans (1999 — 2009), couplées à des statistiques judiciaires et assurantielles, que les chercheurs de l’IDS ont basé leur étude afin de savoir s’il y avait, ou non, une augmentation du contentieux. La pression juridictionnelle n’a pas été la seule à être étudiée, la pression conflictuelle a aussi fait l’objet d’une analyse grâce aux statistiques sur les litiges sur lesquels a eu à statuer le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) ou aux données concernant les règlements à l’amiable des commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI).

La période étudiée n’a pas été choisie au hasard. En effet, les années 2003 — 2004 sont une étape charnière dans l’histoire du droit de la santé et de la responsabilité civile des professionnels de santé, car elles ont vu l’application, en pratique, de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Étudier la fréquence des litiges, selon les professions ou spécialités, leurs modes de règlement, contentieux ou amiable, et le montant des indemnisations était donc un bon moyen d’apprécier l’impact de cette loi et l’évolution de la judiciarisation dans ce laps de temps.

Les résultats sont sans appel : la situation est restée stable, voire même s’est améliorée sur les dix années étudiées ! Un exemple : le nombre de référés, mode d’entrée classique dans une procédure impliquant un professionnel de santé, est passé de 2 800 à 3 000, soit une augmentation de 7 % sur cette période, mais une fois rapportée à l’augmentation de l’activité médicale sur ces mêmes années, c’est une stabilisation qui est mise en évidence.
Autre exemple : si le nombre de condamnations a augmenté jusqu’en 2003 — 2004, les chercheurs ont constaté une baisse de celui-ci depuis. La loi du 4 mars 2002 a rempli son office. Elle a été d’autant plus efficace qu’elle a basculé la majorité des affaires vers une transaction amiable avec la mise en place des CRCI, de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) et de l’indemnisation de l’aléa thérapeutique par la solidarité nationale.
Le nombre de plaintes pénales contre les médecins a été divisé par plus de deux sur 10 ans.
Si le type des procédures engagées contre les professionnels de santé a changé, leur nombre est stable.

Qu’en est-il de l’indemnisation ? Là encore, l’analyse de la jurisprudence et des statistiques, y compris celles fournies par les assureurs, ne montre pas de réelle augmentation au fil du temps. L’idée qui veut que les indemnisations aient fortement augmenté est fausse.

Dans ces conditions, pourquoi une majorité de professionnels de santé pensent-ils qu’ils sont plus exposés qu’avant ? Tout d’abord, à cause du retentissement médiatique de quelques grandes affaires. Ensuite, parce que les professionnels de santé ont l’impression que le droit ne leur est plus favorable, surtout depuis le vote de la loi du 4 mars 2002 (obligation d’information, accès direct au dossier) et suite à l’inversion de la charge de la preuve (c’est au professionnel de prouver qu’il n’a pas commis de faute et, non plus, au patient d’apporter la preuve que le professionnel en a commis une). Enfin, même si les chercheurs ne peuvent l’admettre, parce que ce sentiment d’insécurité n’est pas dénoncé par les assureurs qui ont continué ainsi à engranger des provisions, en augmentant les primes tout en diminuant les risques couverts, sans prendre réellement en compte les versements qu’ils ont été amenés à faire sur cette période. Une politique pour le moins discutable, même après une affaire comme celle du Mediator ®, au regard de l’étude menée par l’IDS. Pour Didier Tabuteau, au regard des résultats obtenus, rien ne laisse d’ailleurs présager une quelconque dérive des condamnations ou des transactions amiables dans les années à venir.

 

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Commentaires (1)

  • shackleton

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    Essayez de faire comprendre à un expert médical qu’un CHU s’essuie les pieds sur la loi Kouchner … Pour moi, ça fait 5 ans de douleurs inutiles, niées par un expert qui a écarté les preuves les plus gênantes pour instruire à décharge du CHU … Hélas, interdiction d’enregistrer les expertises, sinon je pense que certains experts auraient du souci à se faire !

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