Éthique, recherche, malchance et industrie pharmaceutique ?

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

VirusIl n’est pas un jour sans que l’industrie pharmaceutique ne se voie à la Une des médias. S’il s’agissait d’articles la couvrant de lauriers pour des découvertes permettant de révolutionner la prise en charge d’une maladie, n’importe qui ne pourrait que s’en féliciter. Malheureusement, c’est bien plus fréquemment, pour ne pas dire exclusivement, pour lui reprocher ses agissements. Lorsque l’on voit de combien ont augmenté les primes d’assurance des simples praticiens en raison de rares affaires médiatisées, on peut s’interroger sur la capacité des fabricants de médicaments à s’assurer si leurs primes évoluaient selon les mêmes critères. Une étude comparative de l’augmentation des primes dans ces deux secteurs d’activité liés à la santé pourrait être intéressante.

Plusieurs informations ont retenu l’attention de Droit-medical.com ces derniers jours.

Ce n’est pas un vaccin contre l’hépatite B qui, cette fois, fait parler de lui, mais un vaccin contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) à l’origine du syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA). Ce produit expérimental, développé par un grand laboratoire pharmaceutique et basé sur une souche de virus du rhume, a été arrêté en 2007. Malgré un fort battage médiatique à l’origine de grands espoirs pour les patients et, surtout, pour les investisseurs, ce vaccin, testé dans de nombreux pays, dont l’Afrique du Sud, n’a pas fait preuve d’efficacité. Rien de choquant jusque-là : c’est le propre de la recherche et des essais cliniques d’éliminer les produits inefficaces, même s’il est tentant de présenter une thérapeutique comme révolutionnaire, avant même de l’avoir testée, pour obtenir des fonds ou des autorisations pour passer de l’animal à l’homme… Là où le bât blesse, c’est qu’une équipe de l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier a publié des travaux qui montrent, selon eux, que ce vaccin expérimental a favorisé l’infection des cellules servant à défendre l’organisme des participants à l’essai par le virus du SIDA. Au lieu de protéger le patient, le vaccin expérimental l’a rendu plus vulnérable. Y aura-t-il une incidence médico-légale à cette triste constatation ? Se dirige-t-on vers un procès retentissant malgré les consentements éclairés vraisemblablement signés par les patients ? L’histoire nous le dira.
Comment une telle chose est-elle possible à une époque où les contraintes administratives sont censées éviter de tels fiascos ? Il est loin le temps où Pasteur, pas médecin lui-même, pouvait se permettre d’injecter son remède contre la rage à un enfant. Cette audace ou cette folie a permis de révolutionner une large part des connaissances médicales du siècle dernier. L’industrie pharmaceutique n’existait pas, l’administration s’en tenait à des activités liées à l’État et les patients avaient confiance dans les hommes de science. 

Justice et intérêts économiques

Qu’en sera-t-il de l’indépendance de la justice américaine face à un autre problème ? Une musicienne du Vermont, région située au nord-est des États-Unis, souffrait de très fortes migraines accompagnées de nausées. Son médecin, pour la soulager, utilisait un produit injectable pour diminuer ses envies de vomir. Après avoir utilisé le produit par voie intramusculaire sans succès, il a décidé de passer à la voie intraveineuse. Mal lui en a pris, puisque une partie du produit a été injecté en intra-artériel et a entraîné une nécrose de la main et du poignet de la patiente, suivie d’une gangrène. La jeune femme a dû être amputée de l’avant-bras droit. Le praticien, ayant commis une faute, a été condamné à payer plus de sept millions de dollars à la patiente. Mais celle-ci ne s’est pas arrêtée là. Elle a porté plainte contre le laboratoire américain fabriquant le produit qui lui a été injecté, car la notice du médicament n’interdit pas son utilisation par voie intraveineuse, mais précise simplement qu’il est préférable de l’administrer par voie intramusculaire. Au regard des risques encourus dont la jeune musicienne est la preuve, elle estime que les bénéfices pour un patient sont ridiculement faibles et de se poser la question de la responsabilité du laboratoire, même si la Food and drug administration (FDA) a, elle aussi, admis cet usage du produit.Un tribunal du Vermont a condamné le fabricant en première instance à dédommager la victime pour plus de six millions de dollars. Cette décision a été confirmée par la cour suprême de cet État.Dieu dollar L’affaire a donc été portée devant la Cour suprême des États-Unis. Malgré des débats très critiques vis-à-vis du laboratoire, il est peu probable que la citoyenne obtienne gain de cause en raison du précédent que créerait une telle affaire et qui impliquerait une ruée vers les tribunaux de nombreux autres patients mécontents, à tort ou à raison, du rapport bénéfices/risques retenu pour telle ou telle spécialité pharmaceutique. Les répercussions économiques seraient énormes et il pourrait s’en suivre des milliers d’enquêtes qui risqueraient de déstabiliser les industriels et les médecins qui travaillent pour eux… Dans un tel cas, le judiciaire rejoint le politique. Et si cette action se déroulait en France et qu’elle en soit arrivée à un tel niveau, que se passerait-il ? La Cour de cassation condamnerait-elle le fabricant ? Si tel était le cas, une modification législative ne mettrait sans doute pas longtemps à être votée pour protéger l’industrie… Cela offrirait une nouvelle excuse aux assureurs pour augmenter les primes des médecins et peut-être même un peu celles des laboratoires pharmaceutiques.

La recherche coûte cher et les fonds publics sont rares, malgré quelques effets de manche pour faire bonne figure. Or, la logique de la recherche privée n’est plus de dépenser de l’argent en recherches pour trouver, mais de placer des capitaux pour obtenir un fructueux retour sur investissements et donc des ventes. Envisager que les médecins et l’industrie puissent travailler sans aucun rapport les uns avec les autres paraît utopique. Certains estiment que tous les médecins sont les valets de l’industrie et qu’il suffit d’être payé, d’une façon ou d’une autre, par quelqu’un pour perdre toute indépendance et tout sens critique. N’est-ce pas excessif ? Par qui sont payés ceux qui affirment cela ? Par l’État ? Par l’assurance-maladie ou les patients ? Par des organismes indépendants ? Ont-ils pour autant perdu leur sens critique ?
Le fait qu’un médecin puisse travailler comme consultant pour un laboratoire, apportant son expérience clinique, n’est pas choquant. L’interdire serait estimer qu’il n’est pas possible de faire confiance aux médecins et que l’éthique est une notion vide de sens. Comment se faire soigner dans ces conditions ?

Éthique, objectivité et versements discrets

Y a-t-il des dérives ? C’est possible, pour ne pas dire probable. Le British medical journal (BMJ) a publié récemment deux articles sur le sujet. C’est surement celui 1 qui annonce que le laboratoire GlaxoSmithKline va limiter ses versements individuels à 150 000 dollars par an aux médecins, leader d’opinion dans leur spécialité aux États-Unis avec lesquels il travaille, qui devrait être le plus commenté dans l’Hexagone. Ce chiffre peut paraître choquant, surtout si on le compare aux revenus de la majorité des médecins français et que l’on tient compte des charges qui s’y associent. Mais ces chiffres sont à rapporter aux salaires et aux honoraires, ainsi qu’au niveau d’imposition, des médecins aux États-Unis. Il faut aussi tenir compte de différences culturelles majeures. Récompenser quelqu’un pour son expérience et son travail n’est pas considéré comme honteux de ce côté de l’Atlantique. Ce chiffre pourrait laisser croire qu’un médecin favorisera le produit du laboratoire qui lui verse une telle prime. C’est oublié que les leaders d’opinion peuvent être rémunérés comme consultant par plusieurs laboratoires concurrents…
Plus troublant, en fait, est le deuxième article publié par le BMJ 2 qui montre le manque de transparence qui entoure les versements de l’industrie aux médecins. Même dans les Ètats américains, comme le Vermont, qui ont adopté des lois obligeant les laboratoires à une plus grande clarté n’arrivent pas à avoir des données fiables à ce sujet. Malgré la loi, 61 % des versements de l’industrie pharmaceutique ne sont pas rendus publics comme ils le devraient et 75 % de ceux qui le sont ne permettent pas d’identifier le destinataire du paiement. Certes, c’est toujours mieux que l’absence totale de données, comme en France. Ces pratiques d’un autre âge pourraient presque s’assimiler aux financements de certaines campagnes électorales. On peut s’étonner que les médecins concernés ne soient pas ennuyés par ce manque de transparence, à moins qu’ils n’aient quelque chose à cacher ?

Il faut espérer que ce qui motive encore la recherche soit la volonté de trouver des thérapeutiques pour améliorer la prise en charge des patients et que ce qui motive les médecins soit le désir de soulager les souffrances et de guérir le plus grand nombre de malades.

 

 


1GlaxoSmithKline to limit payments it makes to US doctors to $150 000 a year ; BMJ 2008;337:a2315.

2Drug company payments to doctors still hard to access despite disclosure laws ; BMJ 2007;334:655.

 

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