Concurrence et collaboration salariée des professionnels de santé

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Le Conseil de la concurrence a été consulté au sujet des dispositions du nouveau code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes concernant les collaborateurs salariés. Ses réponses sont très éloignées des craintes des différents ordres sur les risques d’exercer une profession de santé comme un commerce. Voici des extraits de son avis no 08-A-15 du 29 juillet 2008 relatif au projet de décret portant code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes.

 

 Extraits de l’avis no 08-A-15 du Conseil de la concurrence

 

85. Enfin, le Conseil de l’Ordre invoquait un dernier argument justifiant la limitation du nombre de collaborateurs salariés, fondé sur le risque de voir se développer une «logique purement financière» de la profession, en favorisant l’assistanat salarié. Le rapport précité de l’Inspection Générale des Finances montre au contraire que le développement de différentes formes de collaboration peut présenter des avantages indéniables sur un plan économique et sur celui d’une meilleure qualité des soins. En effet, les formules de rémunération mixtes fondées sur une multiplicité de méthodes de paiement (paiements à l’acte, à la capitation et salariat) permettent un meilleur contrôle de la dépense et sont, lorsqu’elles sont appliquées à un groupe de praticiens, porteuses d’une optimisation des soins.

86. Cela résulte du fait que les modalités de rémunération des praticiens influent sur la manière dont ces derniers peuvent mettre à profit l’avantage informationnel dont ils disposent par rapport à leurs patients. L’existence d’une asymétrie d’information entre le patient et le médecin entraîne un effet de demande induite de soins et le fait que des actes plus nombreux et plus coûteux que nécessaire sont réalisés. Dans un contexte de paiement à l’acte, le praticien peut être incité à réaliser davantage d’actes qu’il ne serait nécessaire ou à pratiquer des actes plus sophistiqués et donc plus chers. En revanche, lorsqu’il est payé à la capitation ou qu’il est salarié, l’incitation est inverse puisqu’il reçoit la même rémunération quel que soit son niveau d’effort et le risque est alors celui d’une sous- production de soins. Des formes de rémunération mixtes permettent donc de contrebalancer ces effets contradictoires.

87. Outre ces considérations financières, il est important de rappeler que le salariat peut constituer un mode d’accession à l’exercice d’une profession libérale. C’est le cas s’agissant des vétérinaires, des experts-comptables et des architectes. Les professionnels libéraux qui ont le projet de s’installer hésitent souvent à le faire d’emblée et éprouvent le
besoin d’acquérir une expérience aux côtés d’un professionnel déjà installé. Dans ce contexte, les modalités juridiques qui encadrent l’exercice de la profession peuvent constituer des barrières non négligeables pour les nouveaux entrants. Or, en ce qui concerne les masseurs-kinésithérapeutes, ces trois modalités d’acquisition d’une expérience pratique de l’exercice d’une profession libérale que sont le salariat, le remplacement et le statut de « collaborateur libéral » font l’objet d’un encadrement strict.

[…]

89. Le Conseil de la concurrence est donc favorable à la suppression dans le texte de l’article R 4321-133 des dispositions relatives à la limitation du nombre de collaborateurs salariés ou non.

Pour le Conseil de la concurrence, il n’est pas question de limiter le nombre de collaborateurs salariés au sein d’un même cabinet. À part pour les chirurgiens-dentistes pour qui l’article R 4127-276 du code de la santé publique prévoit qu’ils ne peuvent travailler qu’avec un seul collaborateur ou assistant, les autres professionnels de santé n’ont pas cette contrainte. Il en est d’ailleurs de même pour les collaborateurs libéraux.

Il est aussi intéressant de relever un autre élément du même avis du Conseil de la concurrence. Rien n’interdit à un professionnel de santé de salarier un autre professionnel de santé, même s’il n’exerce pas la même profession ou la même spécialité que lui.

 91. Il faut noter enfin que la disposition de l’article R 4321-111 du projet de code, bien qu’elle ne limite pas expressément la possibilité de collaboration, dans un cadre de salariat ou de subordination, de membres d’autres professions médicales auprès des masseurs-kinésithérapeutes, subordonne néanmoins cette collaboration à l’accord de la section départementale de l’Ordre. Cette rédaction étant quelque peu différente de celle prévue par la disposition législative susmentionnée et qui prévoit une communication des contrats à l’Ordre afin qu’il puisse veiller au respect des règles de déontologie, le Conseil de la concurrence est d’avis de la modifier en remplaçant la soumission pour accord par une communication.

Le Conseil de la concurrence ne se contente pas de rappeler à l’ordre les instances ordinales, il remet en cause l’État en lui remémorant ses obligations européennes.

 88. Par ailleurs, même si les services de soins de santé sont exclus de la directive européenne Services relative aux libertés d’établissement des prestataires de services et libre circulation des services dans le marché intérieur du 12 novembre 2006, les évolutions en cours au niveau européen montrent que la Commission européenne se satisfait de moins en moins des arguments relatifs à la spécificité du secteur médical français. En effet, il faut rappeler qu’en avril 2006, à la suite d’une plainte d’un groupe financier, la Commission européenne a mis en demeure le Gouvernement français de mettre fin à l’incompatibilité de la loi française relative aux Sociétés d’Exercice Libéral (SEL) avec la liberté d’établissement prévue par les traités européens. En octobre 2007, le même groupe financier a porté plainte contre l’Ordre des pharmaciens et l’Etat français pour violation du droit communautaire de la concurrence dans le domaine de la biologie médicale.

Voilà qui pourrait donner à réfléchir aux ordres qui voudraient faire pression sur leurs membres au nom de principes d’un autre âge…

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