Remise en question des experts médicaux

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Logo de la République françaiseLe Pôle santé du médiateur de la République arrive à point nommé dans de nombreux domaines où le pouvoir politique souhaite engager des réformes sans en avoir l’air. Le monde de l’expertise médicale fait partie de ceux-là. Après le fiasco d’Outreau et d’autres affaires où les experts médicaux ont été montrés du doigt, il aura suffi de moins d’une dizaine de plaintes 1 depuis la création de ce pôle en janvier 2009 pour que le médiateur de la République ait dans ses cartons une proposition de réforme de l’expertise médicale judiciaire. Ce document, publié début juillet 2009, montre avec quelle rapidité les services du médiateur ont réagi aux toutes premières plaintes. Quelle efficacité… D’autant qu’il est des domaines où le médiateur de la République reçoit plusieurs centaines de réclamations par an et pour lesquels des propositions n’ont vu le jour qu’après quelques années.

Passée un peu inaperçue au moment de sa sortie estivale, la proposition de réforme de l’expertise médicale judiciaire a trouvé de nouveaux échos dans les médias en ce début octobre. La chaîne de télévision M6 et le journal Le Figaro ont servi de vitrine à ce travail qui devrait être soumis fin octobre par le médiateur aux ministres de la justice et de la santé.
Alors que le reportage 2 de M6 remet en cause les qualifications et le sérieux du travail de toutes les catégories d’experts, c’est bien aux seuls experts médicaux qu’est destinée cette future réforme et ce qu’elle propose ne va pas manquer de faire s’agiter les intéressés.

Plus question de voir des médecins retraités améliorer leurs fins de mois grâce aux expertises, par exemple. Le médiateur de République insiste pour que l’inscription ou la réinscription sur une liste ne puisse se faire que si le candidat exerce toujours l’activité médicale au titre de laquelle il revendique sa qualité d’expert. La formation des candidats pourrait être mieux encadrée et la liste des diplômes permettant d’accéder au titre d’expert judiciaire mieux définie.
Le juge pourrait ne plus être le seul à avoir son mot à dire dans la désignation de l’expert, mais les parties pourraient elles aussi avoir voix au chapitre.

Dans le domaine de l’indépendance des experts et de l’impartialité des expertises, la réforme pourrait s’articuler autour de quatre axes. « Exiger de l’expert qu’il déclare préalablement à chaque désignation l’absence de tout conflit d’intérêts et qu’il confirme sa compétence dans le domaine médical concerné par la mission ». On comprend l’urgence de la démarche du médiateur de la République quand on lit cette proposition. Comment imaginer qu’un expert ne puisse être impartial et compétent ? Il semblerait malheureusement que ce ne soit pas le cas actuellement. Cette situation que beaucoup pensent défavorable au patient peut, au contraire, leur rendre service. En raison de l’hyper spécialisation de certains médecins, il n’est pas rare que le praticien mis en cause par un patient soit bien plus compétent dans le domaine qui fait l’objet du litige que l’expert, par exemple. Même grâce à la bibliographie ou en interrogeant d’autres spécialistes, il est rare que l’expert puisse acquérir un niveau de connaissances suffisant pour donner un avis circonstancié. Faute d’expérience, l’expert rendra un rapport défavorable pour le médecin sur lequel ne manquera pas de s’appuyer l’avocat du plaignant et qui servira à la décision du juge.
« Prévoir des règles de délocalisation (conduisant à faire appel à un expert en dehors de la juridiction de jugement) à la demande motivée d’une des parties. » Le nombre de médecins tendant à diminuer et les experts judiciaires en leur sein n’étant pas légion, il est fréquent que les uns et les autres se connaissent, surtout au sein d’une ville ou d’une région. Ces relations confraternelles exacerbées, voire même d’amitié, peuvent sembler nuire à l’intérêt du patient quand deux experts doivent travailler pour des parties différentes ou quand l’expert est proche du confrère mis en cause. En proposant de délocaliser les expertises, ce travail montre à quel point le médiateur de la République pense que la confraternité est nuisible à l’expression de la vérité et à l’objectivité, une confraternité pourtant sans cesse renforcée et encouragée par le code de la santé publique.
« Instaurer une incompatibilité légale entre les fonctions de médecin expert judiciaire et de médecin-conseil d’une société d’assurance. » Voilà qui devrait bouleverser le monde de l’expertise médicale. Les médecins experts, peu nombreux comme il a été expliqué, travaillent très souvent pour la justice, mais aussi pour les compagnies d’assurance. Il est inconcevable pour le médiateur de la République que l’on puisse garder son intégrité en travaillant pour deux parties, l’un public et l’autre privé. Pourquoi le législateur n’applique-t-il pas un tel principe aux attachés hospitaliers ? Pourquoi avoir autorisé les internes à effectuer une partie de leur formation dans le privé alors qu’ils sont au service du privé ? Pourquoi, enfin, les pouvoirs publics ne voient pas d’inconvénients à ce que des médecins signent des contrats avec les sociétés d’assurance lorsqu’il est question de réseaux de soins ? N’y a-t-il pas là aussi un risque que le praticien perde son intégrité au profit de celui, autre que le patient, avec qui il a une relation contractuelle ?
Les expertises judiciaires sont très mal rémunérées, surtout si on les compare à celles demandées par les assureurs. Si les médecins ne savent pas faire la part des choses, il y a fort à craindre qu’ils ne choisissent, en très grande majorité, d’exercer pour les sociétés d’assurance… De nombreux médecins secteur 1 trouvent dans cette activité un complément de revenus qui leur permet d’investir encore dans leur cabinet faute d’avoir vu leurs honoraires revalorisés. Le médiateur de la République s’est d’ailleurs intéressé aux honoraires et il propose que le juge soit en mesure de vérifier l’adéquation des honoraires demandés avec la diligence de l’expert et la complexité de l’expertise.
« Favoriser la collégialité de l’expertise dans les cas complexes ». La collégialité est l’exception dans le nouveau code de la procédure pénale. Le médiateur de la République souhaite qu’elle devienne le principe. Une telle décision, en plus d’alourdir les frais de procédure, risque de ne pas être aisée à mettre en pratique. La collégialité ne signifiant pas gain de temps, il faudra plus d’experts judiciaires si elle est mise en place.

Les experts pourraient se voir soumis à un contrôle qualité et le magistrat épaulé par des conseillers techniques. Les parties pourraient enfin demander à un service judiciaire de contrôle des expertises une évaluation d’un rapport d’expertise final, alors même qu’elles auraient eu la possibilité d’obtenir un rapport d’étape pouvant être discuté de façon contradictoire.

Depuis 2004, une formation initiale et continue, une période probatoire de deux ans, puis une réinscription sur les listes tous les cinq ans sont imposées aux médecins experts. Les témoignages semblent pourtant être nombreux de Français insatisfaits. L’expertise médicale, qu’elle soit faite pour la justice ou pour les assureurs, pose un véritable problème de confiance. Une crise de confiance qui n’affecte pas seulement les médecins, mais aussi la justice et le pouvoir politique. D’autres sujets de réflexion pour le médiateur de la République ?

 

 


1— Extrait de l’article « Santé : les petits arrangements entre experts » du journal Le Figaro du 6 octobre 2009 : « Depuis la création du Pôle santé, en janvier dernier, une dizaine de plaintes ont été adressées à ce service qui travaille auprès du médiateur de la République. “Mais on s’aperçoit que dans un nombre très important de dossiers, l’expertise médicale est une source de doutes”, indique Loïc Ricour, directeur du Pôle. Selon lui, les victimes se plaignent de délais excessivement longs, de conclusions incohérentes et non motivées ou encore d’une absence d’écoute. »

2— Enquête exclusive — Indemnisations, accidents, procès : les experts sur la sellette. Diffusé par M6 le 4 octobre 2009.

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Commentaires (3)

  • Expert souhaitant rester anonyme

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    ayant une vingtaine d’années d’expérience d’expertise judiciaire, (activité marginale représentant moins de 10% de mon activité de soins), je ne suis pas sûr que ces mesures diminueront le nombre de plaintes au niveau du médiateur.En effet une large majorité des expertises judiciaires représentent des procédures civiles après échec d’une expertise amiable, dont les conclusions sont confirmées le plus souvent par l’expertise judiciaire. Les patients sont donc déçus de la procédure judiciaire dans la mesure où elle ne leur sont pas favorables, et poursuivent leur parcours judiciaire en saisissant le médiateur ….
    Je ne suis donc pas sûr que le problème se situe réellement au niveau de la compétence de l’expert, mais plus au niveau de celle des conseils des patients, qui les poussent dans des procédures irréalistes.

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  • apro06

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    Contrairement à ce qui est dit dans le commentaire N°1 et malgrè la vingtaine d’années d’expérience d’expertise judiciaire de ce médecin.
    Ce qui n’est pas dit au sujet des victimes d’accident, tout les médecins experts sont inféodés aux compagnies d’assurances et se connaissent tous, il sont à la fois juges et parties et ne se contredisent jamais. Ils ne portent que des jugements partiaux en faveur des assurances qui les rémunèrent.
    Ils ont le beau rôle et leur parole fait loi.
    Reste aux victimes qui ne sont pas médecins, à démontrer que les lésions subies lors d’ un accident sont imputables à celui-ci.
    N’en déplaise à cette corporation , il et temps que les choses changent et qu’enfin la parité soit établie.

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    • victime51

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      un expert CRCI ,expert national et un expert judiciaire ont donné raison au chirurgien responsable de l’allongement de mon membre de 2,5 cm (pas de planification)et de l’importante atteinte du territoire neuro musculaire de mon territoire sciatique poplité externe(territoire qui ne faisait pas partie du site opératoire),le chirurgien parti en vacances durant toute la durée de mon hospitalisation a été diligent et apporté des soins consciencieux et réguliers(par télépathie), l’expert judiciaire attribue aux infirmières l’examen du chirurgien de garde et fait ainsi disparaitre son existence son absence d’investigations ,il créé un chirurgien imaginaire pour la surveillance en remplacement du chirurgien en vacances.L’expert judiciaire fait contrôler l’inégalité de membres par une radio debout,l’inégalité est double,qu’a cela ne tienne,l’expert choisit la mesure minimale de la radio faite allongée.L’expert a été clair, il ne changera rien à l’expertise de son confrère…alors oui,on comprend pourquoi une large majorité d’expertises CRCI sont confirmées par l’expertise judiciaire.

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