Un autre regard sur l’Eneis 2009

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Graphique compliquéAlors que les résultats de l’enquête nationale sur les événements indésirables graves associés aux soins (ENEIS) 2009 ont été présentés en avant-première au Colloque « Événements indésirables associés aux soins et politique de réduction des risques », le 24 novembre 2010, et sont maintenant disponibles en ligne, il peut être intéressant d’y porter un regard exempt de tout sensationnalisme.

Il faut d’abord rappeler qu’en France l’expérience de ce type d’étude est très limitée puisque la seule et unique enquête nationale identique remontait jusque-là à 2004. Il semble, par exemple, difficile de savoir si des progrès ont été réalisés entre 2004 et 2009 concernant les évènements indésirables graves (EIG) associés aux soins. Les auteurs de l’enquête expliquent, en effet, que « La stabilité des indicateurs sur la période étudiée ne permet toutefois pas de conclure à l’absence de changements en termes de culture de sécurité et de comportements des acteurs du système de santé, lesquels ne sont pas mesurés par les indicateurs. Elle ne signifie pas non plus absence de résultats des actions entreprises : d’une part, les indicateurs utilisés ne sont pas adaptés pour mesurer l’impact d’actions sectorielles ; d’autre part, l’évolution des modes de prises en charge (complexité des actes) et de prescription sur la période étudiée aurait en effet pu augmenter les risques et la fréquence des EIG. »
Peu de publicité est faite sur la différence entre les échantillons testés entre 2004 et 2009 et sur une méthode de tirage au sort ayant été modifiée entre les deux périodes étudiées… Sans compter que « Lors de la première enquête, il n’y avait pas eu de correction de la non-réponse. Avec la seconde édition de l’enquête, cette étape était indispensable pour mener une analyse en évolution. Les estimations 2004 ont été recalculées selon une méthodologie identique à celle de 2009 et ne correspondent donc plus exactement aux estimations initialement publiées. »

Même si l’article L 1413-14 du code de la santé publique prévoit que « Tout professionnel ou établissement de santé ayant constaté une infection nosocomiale ou tout autre événement indésirable grave lié à des soins réalisés lors d’investigations, de traitements ou d’actions de prévention doit en faire la déclaration au directeur général de l’agence régionale de santé », ces dispositions s’entendant sans préjudice de la déclaration à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé des événements indésirables liés à un produit de santé et que le nombre de jours d’hospitalisation, en France, doit pouvoir être connu, ce n’est que sur un petit nombre d’établissements et de services que porte l’enquête. Nouvel élément surprenant de la méthodologie de l’enquête, les établissements ont été tirés au sort avant que leur accord ne leur soit demandé quant à une éventuelle participation à l’enquête… Des établissements, puis des services, tirés au sort pour constituer l’échantillon ont dont été exclus secondairement, car refusant de participer. « Sur les 114 établissements tirés au sort dans les 31 départements retenus, 81 ont accepté de participer à cette étude, soit un taux de participation de 71,1 %. Parmi les 251 unités tirées au sort dans ces 81 établissements, 18 ont refusé de participer (9 dans les CHU-CHR en chirurgie, 8 dans les CHU-CHR en médecine et 1 dans les établissements privés en chirurgie) et ont toutes été remplacées. Les 8 269 patients inclus ont été suivis en moyenne pendant 3,8 jours, ce qui représente 31 663 jours d’observation au total. » Il est intéressant de noter que les services de CHU-CHR ont été les plus nombreux à refuser de participer.

Sur l’échantillon testé, c’est une densité d’incidence qui a été calculée, en raison de la méthodologie retenue. Elle est en moyenne de 6,2 pour 1 000 jours d’hospitalisation pour les EIG survenus en cours d’hospitalisation, dont 2,6 d’EIG évitables (ce qui correspond à 87 évènements pour 2009). Ce sont les services de chirurgie qui sont significativement plus concernés (9,2 ‰), et parmi eux les services des CHU (centres hospitaliers universitaires), plutôt que ceux des cliniques privées ou d’autres établissements hospitaliers, des différences qui disparaissent quand il s’agit d’EIG évitables.
Si 8 patients sont morts des suites d’un EIG, sur les 8 269 étudiés, leur âge était compris entre 76 et 87 ans et leur fragilité particulièrement importante. Pour l’ensemble des patients, « Pour 146 des 214 EIG repérés, des éléments permettaient de penser que l’événement clinique aurait pu survenir compte tenu de l’évolution prévisible de la maladie ou de l’état du malade. Pour 98 des 214 EIG, l’événement aurait pu survenir même en l’absence des soins concernés. »
Autre élément à prendre en compte, 20 % des EIG sont dus au comportement du patient lui-même qui n’a pas suivi le traitement prescrit correctement ou qui a refusé des soins.

Pour les EIG causes d’hostipalisations, c’est en médecine que le taux est le plus élevé, cette fois. Les produits de santé sont le plus souvent à l’origine de ces événements indésirables graves, notamment les médicaments. À noter aussi qu’une remarque est intéressante : l’augmentation entre 2004 et 2009 des infections du site opératoire liées à des interventions lors d’hospitalisations antérieures pourrait être due à un séjour écourté dans l’hospitalisation précédente avec une identification de l’infection au domicile du patient, ou une prise en charge non optimale de la plaie opératoire en médecine ambulatoire. Un temps d’hospitalisation raccourci, cheval de bataille des acteurs qui veulent imposer des économies de santé ou une meilleure rentabilité des établissements, n’aurait donc pas que des avantages…

Dernier point troublant : comment expliquer que seuls les chiffres estimant le nombre d’EIG qui surviendraient chaque jour en France ont été retenus pour faire la Une des journaux, alors que les auteurs de l’enquête reconnaissent qu’ils ne sont pas fiables, faute de pouvoir s’assurer d’un phénomène de saisonnalité ? Faire peur aux patients et alimenter la suspicion à l’égard des médecins ou des établissements de soins seraient-ils de bons moyens pour faire grimper l’audimat ou retenir l’attention des lecteurs ? On pourrait être tenté de le croire…

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Commentaires (1)

  • JD Flaysakier

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    La dernière partie de votre analyse très pertinente est l’illustration même de ce qu’est le monde médiatique par rapport au monde scientifique. Là où la science émet des hypothèses et exprime ses doutes, la presse favorise le conflit et se nourrit de certitudes.
    Comme il n’y a pas de structure capable de produire une analyse solide susceptible de corriger le tir rapidement, le sensationnel reste la règle.
    Et, en tant que journaliste, je sais, hélas ! de quoi je parle.

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