Conflits d’intérêts et médicaments : la Slovaquie devrait légiférer

Écrit par Radoslava Dvorska le . Dans la rubrique Evolution

Des médicaments et des eurosAlors que les assises du médicament, annoncées par Xavier Bertrand suite à l’affaire Mediator, ont déjà commencé leurs travaux et que la gestion de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) n’en finit pas de faire des remous dans l’Hexagone, le ministre de la santé de la République slovaque, Ivan Uhliarik, vient d’annoncer qu’il allait soumettre au parlement de son pays un projet de loi visant à en finir avec les “liens d’amitié” pouvant exister entre les médecins exerçant en Slovaquie et l’industrie pharmaceutique.

Cette déclaration d’Ivan Uhliarik fait suite aux révélations du premier groupe privé d’assurance santé slovaque selon lesquelles des praticiens semblaient faire preuve d’une préférence difficilement justifiable pour les produits d’un laboratoire plutôt que pour ceux des autres. C’est en analysant les prescriptions des médecins qui ont passé un contrat d’affiliation avec elle que la compagnie Dôvera (confiance, en slovaque) a mis en évidence de troublantes coïncidences. Un exemple : les 3/4 des médicaments présents sur les ordonnances de certains de ces praticiens avaient un seul et unique fabricant…
Pour Alžbeta Arvaiová, responsable de la politique du médicament au sein de cet assureur santé, les médecins seraient encouragés à prescrire les produits d’un laboratoire plutôt que ceux d’un autre à l’aide de cadeaux, de voyages ou d’invitations à des congrès.

Ce n’est pas un hasard si cette compagnie d’assurance privée dénonce ces pratiques : elle estime que ces médicaments sont souvent plus chers que des produits fabriqués à partir du même principe actif. En Slovaquie, comme ailleurs, les organismes privés d’assurance santé ont tout intérêt à ce que ce soit les génériques qui soient prescrits plutôt que le médicament princeps. Et comme ailleurs, plutôt que de parler du surcoût lié au remboursement de ces produits néfaste à leurs bénéfices, les responsables de ces compagnies préfèrent mettre en avant la somme que doit débourser le patient au moment où il se rend chez le pharmacien et ce qui est susceptible de rester à sa charge en fonction du contrat qu’il a souscrit.
Sensible à ce discours, Ivan Uhliarik a donc décidé de rédiger un projet de loi obligeant les médecins à n’indiquer sur leurs prescriptions que le nom du principe actif, charge au patient de choisir avec le pharmacien parmi les médicaments correspondants celui qu’il désire acheter. « Cela devrait régler le problème », selon la porte-parole du ministre de la santé Katarína Zollerová.

Un avis que ne partage pas la présidente de l’association de protection des droits des patients, Eva Madajová. En effet, elle s’interroge sur la façon dont s’effectuera le choix du patient en compagnie du pharmacien, surtout quand le malade est déjà habitué à un produit. Comment garantir aux patients qu’au lieu d’être soumis aux liens d’intérêts des médecins, leur choix ne sera pas influencé par ceux du pharmacien ? Le patient devrait pouvoir consulter chez le pharmacien la liste des produits les moins chers correspondant à la prescription qu’il présente, liste qui devrait aussi être disponible en ligne sur le site du ministère de la santé.

Les mesures annoncées ne sont pas sans rappeler le droit de substitution entre médicaments génériques et princeps accordé aux pharmaciens par la loi de financement de la Sécurité sociale du 23 décembre 1998 et l’incitation faite aux médecins de prescrire en DCI (dénomination commune internationale) en France depuis 2002.

Forte des résultats de son enquête, la compagnie Dôvera prévoit de résilier le contrat qui la lie à 170 médecins, estimant que ces praticiens font des prescriptions qui ne répondent pas au mieux aux intérêts financiers des ses assurés. « Nous informerons les patients que nous avons rompu le contrat avec le médecin pour qu’ils puissent en trouver un autre », a expliqué Miroslav Žilinek, l’un des représentants de Dôvera. Selon ses calculs, en procédant ainsi, la compagnie d’assurance pourrait ainsi faire une économie de 22 millions d’euros, somme dont personne ne sait si elle bénéficiera d’une façon ou d’une autre aux assurés…
En Slovaquie, comme en France, les médecins n’ont pas l’obligation d’être agréés par l’assurance-maladie publique, ce qui équivaut au conventionnement hexagonal. Les médecins peuvent consulter hors de tout agrément avec une assurance publique ou privée, mais ils peuvent aussi décider de passer un accord avec un assureur santé privé. En signant un contrat avec une compagnie privée, un praticien sait que cette société imposera à ses assurés de le consulter lui plutôt qu’un autre pour être remboursés. Cela garantit au praticien de voir plus de patients avec à la clé plus de revenus, même si cet accord s’accompagne souvent d’une clause imposant au médecin un tarif choisi par l’assureur quand il prend en charge un malade couvert par cette compagnie. Perdre ce contrat peut donc avoir des conséquences non négligeables pour un médecin.

L’autre grande compagnie privée d’assurance santé — Union — n’envisage pas quant à elle une résiliation massive de contrats avec des médecins avec qui elle travaille, bien qu’elle soit confrontée au même problème. Elle préfère négocier avec les intéressés au cas par cas, selon son porte-parole Judita Smatanová.
La Caisse d’assurance-maladie générale, organisme public, prévoit pour sa part de présenter un rapport sur la question la semaine prochaine ayant elle aussi constaté ce type de prescriptions tendancieuses.

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