Cellules souches, embryon et Cour de justice de l’Union européenne

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Cellules totipotentesBien qu’elles ne présument en rien de la décision que prendra au final la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), il est toujours intéressant de se pencher sur les conclusions de ses avocats généraux qui interviennent habituellement quelques mois avant la conclusion d’une affaire. Il en est ainsi de celles d’Yves Bot concernant les cellules totipotentes, les pluripotentes et l’embryon utilisés à des fins industrielles ou commerciales.

Selon l’avocat général, comme l’explique le communiqué nº 18/11 de la CJUE, « les cellules totipotentes qui portent en elles la capacité d’évoluer en un être humain complet doivent être qualifiées juridiquement d’embryons humains et doivent, de ce fait, être exclues de la brevetabilité.
Un procédé utilisant des cellules souches embryonnaires différentes, dites cellules pluripotentes, ne peut non plus être breveté lorsqu’il requiert, au préalable, la destruction ou l’altération de l’embryon. »

C’est à la demande de la Cour fédérale allemande (le Bundesgerichtshof) que la CJUE va devoir se prononcer sur la notion d’« embryon humain » et sur les enjeux commerciaux qui s’y attachent. Très loin de toutes considérations philosophiques, éthiques ou religieuses, la bataille juridique qui s’est engagée sur l’embryon et les cellules souches va avant tout servir à savoir comment vont être répartis les immenses profits que laissent espérer les recherches dans ce domaine. Le président du LEEM (organisme regroupant un très grand nombre d’entreprises du médicament) a beau insisté sur l’aspect altruiste, voire même philanthropique, de la recherche financée par l’industrie pharmaceutique, les actes de cette dernière laissent penser que la décision de la CJUE pourrait avoir un impact sur la politique d’investissement des fabricants. Si les procédés issus de la recherche sur les cellules souches peuvent être couverts par des brevets, gage de retour sur investissement et de substantiels profits, l’industrie financera la recherche ; dans le cas contraire, elle préférera sans doute s’intéresser aux compléments alimentaires ou aux coupe-faim. Motifs invoqués : préserver l’emploi des 100 000 personnes qui travaillent pour elle en France ou continuer à créer « 550 emplois nouveaux par an » pour un chiffre d’affaires de 50 milliards d’euros. Dans un pays qui comptait plus de 2,7 millions de chômeurs en février, on comprend que certains n’hésitent pas à s’interroger sur le poids d’un tel argument dans les nombreuses décisions prises par les politiques en faveur de cette industrie.

C’est dans ce contexte difficile qu’interviennent donc les conclusions de l’avocat général de la CJUE dans une affaire opposant Greenpeace à un détenteur de brevet portant sur « des cellules précurseurs neurales isolées et purifiées produites à partir de cellules souches embryonnaires humaines utilisées pour traiter les maladies neurologiques » ayant déjà des implications cliniques dans le traitement de la maladie de Parkinson. Le détenteur du brevet ayant fait appel de la décision du tribunal fédéral des brevets allemand ayant constaté la nullité du sien « dans la mesure où il porte sur des procédés permettant d’obtenir des cellules précurseurs à partir de cellules souches d’embryons humains. » Pour la CJUE, « il s’agit de savoir si l’exclusion de la brevetabilité de l’embryon humain concerne tous les stades de la vie à partir de la fécondation de l’ovule ou si d’autres conditions doivent être satisfaites, par exemple qu’un certain stade de développement soit atteint. »
Pour l’avocat général, il faut se tenir à la lettre de la directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques qui, dans son article 5 paragraphe 1, prévoit que « le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables ». Selon le communiqué de la CJUE relatif aux conclusions d’Yves Bot, « donner une application industrielle à une invention utilisant les cellules souches embryonnaires reviendrait à utiliser les embryons humains comme un banal matériau de départ ce qui serait contraire à l’éthique et à l’ordre public.
En conclusion, l’avocat général estime qu’une invention ne peut être brevetable lorsque la mise en œuvre du procédé requiert, au préalable, soit la destruction d’embryons humains, soit leur utilisation comme matériau de départ, même si, lors de la demande de brevet, la description de ce procédé ne fait pas référence à l’utilisation d’embryons humains.
L’avocat général rappelle toutefois que la brevetabilité des utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales n’est pas interdite, en vertu de la directive, lorsqu’elle concerne les seules inventions ayant un objectif thérapeutique ou de diagnostic qui s’appliquent à l’embryon humain et lui sont utiles – par exemple pour corriger une malformation et améliorer ses chances de vie. »

Il faut maintenant attendre la décision des juges de la CJUE qui n’est pas tenue par ces conclusions, la mission des avocats généraux consistant à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l’affaire dont ils sont chargés. La balance de la justice penchera-t-elle en faveur d’un financement public, donc modeste, de la recherche sur les cellules souches et l’embryon qui servira au plus grand nombre ou donnera-t-elle raison aux arguments de l’industrie quitte à privilégier les intérêts de ceux qui ont les moyens d’investir et de payer pour ces traitements ? La réponse dans quelques mois.

Tags :, , , , , , , , , , , , , , , ,

Trackback depuis votre site.



Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.