Nouvelle mission du pharmacien : ajuster le traitement du patient

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Choisir un médicamentNouvel épisode des transferts d’activités ou d’actes de soins entre professionnels de santé et de la réorganisation de leur intervention auprès du patient prévus par l’article 51 de la loi nº 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) devenu article L 4011-1 du code de la santé publique (CSP), les missions des pharmaciens d’officine correspondants viennent d’être officialisés par un décret paru au Journal officiel du 7 avril 2011.

La notion de « pharmacien d’officine correspondant » est apparue elle aussi avec la loi HPST et a été introduite à l’article L 5125-1-1-A du code de la santé publique. Selon cet article, « les pharmaciens d’officine : […] Peuvent, dans le cadre des coopérations prévues par l’article L 4011-1 du présent code, être désignés comme correspondants au sein de l’équipe de soins par le patient. À ce titre, ils peuvent, à la demande du médecin ou avec son accord, renouveler périodiquement des traitements chroniques, ajuster, au besoin, leur posologie et effectuer des bilans de médications destinés à en optimiser les effets ». Aux côtés du médecin traitant prend donc place le pharmacien d’officine correspondant…

Grâce à ce texte entrant en vigueur dès maintenant, le pharmacien d’officine peut donc se voir confier de nouvelles missions dans le cadre d’un protocole de coopération avec un médecin portant sur un traitement chronique. Il peut « renouveler le traitement et en ajuster la posologie. » Plus besoin de l’avis du médecin pour que le pharmacien dise au patient d’augmenter ou de réduire le nombre de comprimés ou de gélules qu’il doit prendre chaque jour, il suffit pour cela d’une prescription médicale rédigée dans le cadre du protocole qui précise, notamment, les posologies minimales et maximales et la durée totale du traitement comprenant les renouvellements.

En plus de pouvoir « proposer des conseils et prestations destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes » comme n’importe quel autre pharmacien d’officine, celui qui aura été désigné comme « correspondant » par le patient se voit accordé le droit de réaliser un « bilan de médication » qui comprend « l’évaluation de l’observance et de la tolérance du traitement ainsi que tous les éléments prévus avec le médecin pour le suivi du protocole. Dans ce bilan, le pharmacien recense les effets indésirables et identifie les interactions avec d’autres traitements en cours dont il a connaissance. Il s’assure du bon déroulement des prestations associées. »

À la lecture de ce décret, bien que la durée totale du traitement et de son renouvellement ne puisse excéder douze mois, des questions se posent tout de même concernant le libre choix du patient. Quid du malade qui souhaite changer de pharmacien correspondant ou du patient qui change de médecin traitant ? Ne va-t-il pas être captif d’un système dont la lourdeur (mise en place d’un protocole entre les professionnels) l’empêchera d’exercer son libre choix à tout moment ?
Qu’en sera-t-il des patients qui ont un médecin prescripteur (qui peut être différent du médecin traitant) et un pharmacien correspondant qui ne réussissent pas à s’entendre pour signer un protocole ? Verra-t-on demain apparaître un texte contraignant tout médecin ou tout pharmacien à accepter la signature d’un tel protocole si le patient le souhaite ? À l’inverse, il pourrait être tentant pour le médecin de « conseiller » le patient sur le pharmacien susceptible d’accepter un protocole et vice-versa.

Des questions se posent aussi sur la tenue à jour du dossier médical du patient. Certes le décret précise que le bilan de médication et l’ajustement de posologie sont transmis au médecin prescripteur, mais qu’en sera-t-il vraiment dans les faits ? On sait la valeur d’une telle disposition dans la pratique quotidienne : rares sont les opticiens qui, ayant adapté la correction portée par un patient dans le cadre de l’article L 4362-10 du CSP, adressent à l’ophtalmologiste un courrier pour l’informer comme la loi les y oblige pourtant.
Même si le décret prévoit que le pharmacien doit mentionner le renouvellement de la prescription sur l’ordonnance et, en cas d’ajustement de la posologie, préciser sur une feuille annexée à l’ordonnance datée et signée, et comportant le timbre de la pharmacie, le nom du médicament qui donne lieu à un ajustement de la posologie ainsi que la nouvelle posologie ou le nom du produit concerné associé éventuellement à une prestation, feuille dont il doit indiquer la présence sur l’ordonnance, que se passera-t-il quand le patient aura oublié son ordonnance au moment de sa consultation ? Pour un médicament faisant l’objet d’un protocole, en cas d’effets indésirables graves nécessitant une hospitalisation, le centre de secours ou le service des urgences devra-t-il, en plus du médecin prescripteur, appeler le pharmacien d’officine correspondant pour s’assurer de la dose quotidienne réellement prise par un patient ?
Enfin, il va être intéressant de savoir si les assureurs en responsabilité civile professionnelle des pharmaciens et des médecins vont prendre en compte ce nouveau risque. Ajuster une posologie, même sous couvert d’une prescription, n’a rien d’anodin. Comment les juges apprécieront-ils le degré de responsabilité du pharmacien d’officine correspondant et du médecin prescripteur liés par un protocole en cas de problème grave ? Des questions qui semblent être pour l’instant sans réponse.

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Commentaires (2)

  • STAMRAD Ali

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    A force de nous laisser marcher sur les pieds, il ne faut plus s’étonner de rien. Nous avons mis le doigt dans un engrenage qui va finir par nous écraser. Cessons notre individualisme légendaire et disons stop à tous ceux qui veulent s’approprier nos prérogatives sans en avoir les compétences. Et puis quand même balayons devant notre porte. Nous acceptons la division entre MG et spé; nous râlons en sourdine sur les paperasseries dont nous sommes submergés; nous acceptons la dévalorisation financière de notre métier; nous nous plions aux diktats des CPAM…. Nos syndicats n’ont l’air de s’intéresser qu’au pactole de la FMC et semlent de plus en plus loins de nos préoccupations quotidiennes. Internet a permis sous d’autres cieux de démettre des dictateurs sanguinaires et omnipotents. Ne pourrait-il pas nous servir de lien pour agir efficacement. Je propose que ceux qui s’y connaissent créent un site réservé aux professionnels de santé où nous pourrons au moins exprimer notre mal-être.

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  • Maria

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    C’est une bonne chose, on verra les actes de consultation chez le généraliste diminués, moins de remboursement de l’assurance maladie, on rebouchera au moins une petite fissure !!! Avec d’autre petites choses… Petit à petit on va bien y arrivé !! ??? 🙂

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