La Cour des comptes souhaite que l’on forme moins de médecins

Écrit par Thomas Rollin le . Dans la rubrique Evolution

Dans son rapport sur la Sécurité sociale 2011, publié le 8 septembre 2011, la Cour des comptes demande une réduction du numerus clausus des médecins et souhaite voir disparaître la liberté d’installation des libéraux. Ces mesures doivent être prise, selon elle, afin d’éviter que le nombre de médecins ne soit trop important dans quelques années et que les banlieues difficiles, les zones rurales isolées et les régions où le soleil se fait rare soient moins riches en praticiens que les autres. Ce souhait va à l’encontre de l’idée suivant laquelle la démographie médicale va s’aggraver dans les années qui viennent, conduisant à une augmentation régulière du nombre de postes offert en fin de première année de médecine ces dernières années.Calculer


Pour la Cour des comptes, « il n’y a jamais eu autant de médecins en France et leur nombre augmentera de nouveau après un creux d’ampleur et de durée plus limitées qu’on ne le croit. La régulation d’ores et déjà des flux de formation apparaît souhaitable pour éviter une surmédicalisation à terme, qui pèserait sur l’assurance maladie sans régler les inégalités de répartition territoriale aujourd’hui constatées et dont la correction exige des mesures nettement plus fortes que celles jusqu’ici mises en œuvre. »

Le nombre de médecins ne cesse de croître, selon la Cour. Il serait passé de 59 000 en 1968 à 216 000 en 2011, soulignant à cette occasion qu’il n’est pas facile de savoir exactement combien la France compte de praticiens en raison du retard pris dans la mise en place du répertoire partagé des professionnels de santé initialement prévu en 2004. L’évolution du nombre de médecins est même plus “dynamique” que celle de la population générale (119 praticiens pour 100 000 habitants en 1968, 335 en 2009). Mais ce constat semble toutefois être l’arbre qui cache la forêt, car la Cour reconnaît que la profession vieillit et se féminise, avec à la clé un changement des habitudes de travail. « Le souhait partagé par l’ensemble des médecins de libérer du temps pour leur famille ou d’autres activités personnelles se traduit par une progression du temps partiel. À l’hôpital, les contraintes réglementaires entraînent une diminution sensible de la durée effective de travail. »
Les praticiens, voulant sans doute échapper au burn-out, semblent faire plus attention qu’avant à leur qualité de vie tout en continuant à prodiguer des soins aux patients. Alors que certains acteurs sociaux regrettent l’abnégation dont faisaient preuve les médecins de campagne il y a encore quelques années, d’autres expliquent ce changement de mentalité par le manque de reconnaissance croissant dont ont eu à souffrir les praticiens et surtout à l’augmentation incessante des contraintes, tant dans le domaine médical qu’administratif. Sans compter ceux qui choisissent de réduire leur activité pour soulager une pression fiscale qu’ils estiment trop forte comparée au travail fourni et dont il n’est pas politiquement correct de parler.

Plus de médecins qu’avant, mais qui travaillent différemment

Le rapport précise que « l’exercice libéral reste dominant : il concerne en 2009, 59 % des médecins, 30 % étant en fonctions à l’hôpital et 11 % salariés dans d’autres structures. Cependant, sa part décroît depuis 1990 où elle était de 62,6 %. Ce déclin semble devoir s’accélérer, seul un médecin sur dix s’établissant en libéral (hors remplaçants) à la sortie de ses études, même si les choix d’un mode d’installation définitif se font sans doute plus tard que dans le passé, ce qui peut conduire à relativiser ce constat.
Ces mutations structurelles affectent tout particulièrement la médecine générale. Les généralistes sont ainsi devenus minoritaires alors qu’ils font l’objet d’attentes particulièrement fortes pour l’optimisation du parcours de soins. Une des raisons est le développement, au sein des omnipraticiens, des modes d’exercice particulier (MEP) comme l’homéopathie, l’acupuncture, la médecine du sport, etc., à la place de la médecine générale. Les MEP permettent notamment de demander une exemption à la participation à la permanence des soins (PDS).
Ainsi, parmi les 61 300 omnipraticiens libéraux recensés par la CNAMTS [caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, NDLR], seuls 53 700, qui représentent 46 % du total des médecins libéraux, sont effectivement des généralistes, c’est-à-dire en mesure de se consacrer entièrement à la médecine de premier recours.
Cette évolution en faveur des MEP continue de se renforcer parmi les omnipraticiens libéraux : les effectifs de MEP ont crû de 17 % entre 2000 et 2009 tandis que ceux des généralistes ont légèrement diminué (-1 %). »

La France ne manque pas de médecins

Concernant la répartition territoriale des médecins, il est intéressant de noter que la Cour explique que « selon une étude de la DREES [Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, NDLR] publiée en 2010 sur le niveau d’adéquation entre la localisation des professionnels de santé libéraux et celle de la population en France métropolitaine, les médecins généralistes libéraux constituent le 3e des 137 équipements et services pour lesquels l’adéquation avec la population est actuellement la meilleure, après les pharmacies (1er rang) et les salons de coiffure (2e rang) et avant les boulangeries (4e rang).Médecin avec une loupeEn fait, pour les généralistes libéraux, 90 % des inégalités de répartition s’observent entre les bassins de vie d’une même région et seulement 10 % des inégalités sont entre régions. Pour les spécialistes en ophtalmologie, les inégalités sont même à 95 % intrarégionales. » Il n’y aurait donc pas pénurie de médecins et seule la répartition des zones déficitaires pose problème, de grandes disparités se marquant « entre pôles urbains et zones rurales isolées, ainsi qu’entre les centres des villes et certaines banlieues difficiles. »

Pour ce qui est du nombre de médecins dans les années qui viennent, « si une baisse de la démographie médicale est ainsi attendue dans la prochaine décennie » en raison de nombreux départs à la retraite, « une hausse devrait en effet avoir lieu aussitôt après (les entrées et les sorties se compensant) et déboucher à terme sur un nombre de médecins largement supérieur à celui actuellement constaté ». Volià qui justifie la nécessité de réduire le nombre de médecins en formation. Le principe voulant qu’en diminuant le nombre de praticiens, on réduit l’offre et on limite ainsi les dépenses de santé en obligeant les patients à s’adresser à leur pharmacien, à leur opticien ou à leur infirmier, tout cela sans nuire à la qualité du système, est donc toujours d’actualités.

Les limites de la politique du numerus clausus et de l’ECN

La Cour estime pourtant que le numerus clausus n’est pas un moyen un bon moyen de régulation démographique et d’orientation géographique des installations, tant il présente de nombreuses limites.
La disparition du concours de l’Internat au profit d’une épreuve classante nationale (ECN) n’a pas non plus tenu ses promesses. 94,5 % des postes non pourvus en 2010 concernaient, par exemple, la médecine générale. Les étudiants de 6e année préfèrent redoubler plutôt que de prendre une poste dans ce qui est pourtant devenu une spécialité médicale. Il est intéressant de noter que cette pratique est qualifiée de « redoublement de complaisance » et qu’un décret est en cours d’élaboration pour rendre obligatoire la validation par les étudiants de leur 6e année de médecine avant de disposer des résultats de l’ECN, afin de les empêcher d’agir ainsi.
Autre élément, les diplômes d’études spécialisées complémentaires (DESC) sont surtout vus par la Cour comme un moyen « d’échapper » à l’exercice de la médecine générale de premier recours.

Des aides financières à l’installation mal connues

« Il existe ainsi en faveur des médecins dans les zones déficitaires une multiplicité d’aides financières, mais très peu connues des intéressés et loin d’être toutes évaluées. Quand elles le sont, elles se révèlent inefficaces, car ne répondant pas aux freins à l’exercice en zone démédicalisée exprimés par les médecins, à savoir l’isolement et la difficulté pour le conjoint d’y trouver du travail », selon la Cour.

Pour une suppression de la liberté d’installation

Après s’en être pris au dispositif cumul emploi-retraite, la Cour des comptes estime dans son rapport que des mesures contraignantes doivent être mises en place quant à l’installation des médecins. De telles mesures devraient obliger les médecins à aller s’installer dans les banlieues difficiles, les zones rurales isolées, ainsi que dans les régions qui manquent de soleil et la solution tendant à conditionner tout nouveau conventionnement au départ préalable d’un médecin déjà conventionné semble être privilégiée par la Cour.
Il est aussi question de moduler la prise en charge des cotisations sociales des médecins en fonction de la répartition territoriale des praticiens, une disposition qui doit s’appliquer à « l’ensemble des médecins, généralistes comme spécialistes, ceux déjà installés aussi bien que ceux sortant de formation, de telle façon que ces derniers n’aient pas à porter seuls des contraintes désormais nécessaires au regard des enjeux de santé publique. »

Les solutions proposées par la Cour sont déjà connues, y compris celle insistant sur la nécessité du transfert des tâches. Seule la diminution du numerus clausus est un élément nouveau au regard des problèmes de démographie médicale. Une idée qui a le mérite de ne pas s’attacher à la seule gestion à court terme.
Supprimer la liberté d’installation semble être le remède à tous les maux si l’on en croit ce rapport, mais pas un mot sur les inconvénients de cette méthode qui a les faveurs des médecins déjà installés dans les régions ayant un fort pouvoir d’attraction. Après avoir connu les années fastes de la médecine, ces praticiens voient là un bon moyen de monnayer leur “clientèle” au moment de leur départ en retraite. Pas un mot sur le fait qu’une telle pratique va décourager encore un peu plus les jeunes médecins à s’installer en libéral. Car on l’a compris, c’est maintenant leur qualité de vie qui prime sur leur mode d’exercice. Pas une allusion aux inégalités que ferait naître un tel système, permettant aux étudiants issus des familles aisées de racheter un cabinet sans trop de difficultés pendant que les autres s’endetteront sur de nombreuses années plutôt que d’aller exercer dans une banlieue désertée par les services publics et les forces de l’ordre. Rien sur le fait qu’une clientèle en milieu rural sous doté ne vaudra rien, puisque l’installation pourra s’y faire sans reprendre la suite d’un confrère, pénalisant ainsi les médecins de campagne qui ont pourtant exercé dans des conditions difficiles de par la fréquence des gardes et les difficultés du terrain. Pas une ligne enfin, sur le risque de voir de jeunes médecins s’installer « hors convention » plutôt que de devoir subir de nouvelles contraintes après leurs nombreuses années d’études.

Réduire les libertés et augmenter les taxes : rien de bien nouveau en quelque sorte…

 

[Source : Rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale 2011]

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Commentaires (1)

  • Bernard Labadens

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    Très surpris que ce rapport ne parle pas des 10 000 médecins étrangers qui viennent travailler en France, des étudiants français qui partent faire leurs études médicales en Roumanie ou en Belgique(et qui reviendront exercer en France) et de l’incohérence des analyses statistiques. Ce n’est pas par région que les statistiques doivent s’analyser mais par département. Par exemple, la région midi-pyrénées est bien pourvue mais c’est la haute garonne qui reçoit les médecins alors que les 7 autres départements tous ruraux manquent énormément de médecins. Cordialement.

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