Un médecin poursuivi en diffamation après avoir critiqué un produit amaigrissant

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Le poids dans la balance de la justiceAlors que l’affaire du Mediator bouleverse le landernau français, Ken Harvey, un médecin australien militant pour un marketing éthique des médicaments et autres produits pour la santé continue à être poursuivi en justice pour diffamation par la société commercialisant un produit amaigrissant, le SensaSlim, qu’il a osé critiquer sur Internet et dénoncer auprès des autorités sanitaires. La cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud a décidé, le 14 juin 2011, de le faire comparaître en août pour juger l’affaire au fond en refusant de rejeter de la plainte dont il fait l’objet. S’il est condamné, il risque une amende de 590 000 €.

Selon les dirigeants de la société vendant le SensaSlim, ils ont engagé des poursuites contre le docteur Harvey afin de protéger leurs intérêts et de faire respecter leurs droits. Ils contestent les conclusions des études défavorables à leur produit mises en ligne par cet universitaire à la retraite et estiment qu’il a agi de façon déloyale, portant ainsi atteinte à l’image de leur entreprise. Pour le porte-parole de la société, il n’est pas question d’interdire à ce médecin de critiquer leur ligne de produits amaigrissants, mais de l’empêcher de continuer à dénoncer sur Internet la publicité qu’il présente comme mensongère pour le SensaSlim sans avoir laissé le temps à cette société de se défendre devant les tribunaux comme la loi l’y autorise. « Il ne s’agit pas bâillonner le Dr Harvey. Nous continuerons à poursuivre notre droit de protéger nos franchisés et leur investissement dans notre produit », ce dernier étant vendu en pharmacie, salons de beauté et dans le commerce sans ordonnance. Il est vrai que cette contre-publicité risque de compromettre l’argumentaire de cette société quand elle promet un bénéfice pouvant aller jusqu’à quinze millions de dollars à ceux qui deviendraient ses distributeurs exclusifs de par le monde.

Pourtant cette affaire ressemble bien à une nouvelle attaque contre un médecin dénonçant un produit amaigrissant et rappelle le combat qu’a eu à mener Irène Frachon contre le laboratoire Servier et le Mediator. Un combat auquel l’agence gouvernementale de santé locale, The Australian Therapeutic Goods Administration, équivalent de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), semble préférer ne pas être mêlée. Si elle reconnaît avoir reçu plusieurs plaintes à l’encontre du SensaSlim, y compris celle de Ken Harvey, elle explique ne pas pouvoir donner un avis tant que la justice ne s’est pas prononcée. La plainte en diffamation et l’enquête qui s’en est suivi bloqueraient l’action de l’agence de santé, selon sa porte-parole dans une déclaration au BMJ. Pour les médecins qui ont signalé la campagne publicitaire et dénoncé les arguments scientifiques servant à promouvoir le SensaSlim, il s’agit là d’une aberration du système de vigilance nécessitant qu’il soit réformé. On comprend facilement leur demande quand on sait que le Dr Capehorn, médecin qui avait scientifiquement cautionné la campagne publicitaire pour l’amaigrissant, a depuis peu reconnu ne jamais avoir pris connaissance des études cliniques censées prouver l’efficacité du produit promise par son fabricant. Comment accepter qu’un produit amaigrissant, vendu dans dix-sept pays de l’hémisphère nord et ailleurs sur la planète, puisse continuer à induire en erreur les consommateurs ?
Certes, il ne s’agit pas là d’effets indésirables graves mettant en jeu la vie des patients, mais il est tout de même question d’intérêts financiers, de santé et d’intimidation pour faire taire ceux qui dénoncent un produit au mieux inefficace et au pire dangereux…

Une association australienne, Australian Skeptics, connue pour lutter contre ceux qui usent d’arguments pseudoscientifiques ou paranormaux pour faire la promotion de leurs produits ou de leurs méthodes thérapeutiques, a pris parti pour le docteur Harvey. Elle collecte actuellement des fonds pour lui permettre d’assurer sa défense dans les meilleures conditions possible.

 

En France, l’Afssaps vérifie « chaque année pour plus de 10 000 dossiers le contenu des messages promotionnels des firmes. […] La publicité de produits présentés comme bénéfiques pour la santé prévus à l’article L 5122-14 du code de la santé publique, à savoir les produits autres que les médicaments présentés comme favorisant le diagnostic, la prévention ou le traitement des maladies, des affections relevant de la pathologie chirurgicale et des dérèglements physiologiques, le diagnostic ou la modification de l’état physique ou physiologique, la restauration, la correction ou la modification des fonctions organiques » fait l’objet d’un contrôle a priori dénommé visa PP.

Et si on fermait les Urgences à 22 h ?

Écrit par Radoslava Dvorska le . Dans la rubrique Evolution

Malade en fauteuil roulantPourquoi ne pas fermer l’accès direct aux services d’urgence à l’hôpital après 22 h ? C’est la question qu’a posée aux députés de son pays le ministre de la santé slovaque, Ivan Uhliarik, en leur soumettant un projet de loi allant dans ce sens. Plus question de pousser directement la porte des Urgences après dix heures du soir si le texte est adopté, les patients devront appeler un centre de régulation hospitalier ou un service d’ambulances s’ils veulent être admis.

Selon Ivan Uhliarik, les services d’urgence dans les hôpitaux slovaques ne sont pas suffisamment fréquentés la nuit pour qu’ils soient jugés rentables, mieux vaut donc renvoyer une partie du personnel chez lui et réguler les appels de ceux qui estiment devoir être vus rapidement. Jusque-là, quand ils en ont besoin, les Slovaques sont habitués à être accueillis aux Urgences le soir, le week-end et les jours fériés. Même si les services hospitaliers d’urgence ne sont pas engorgés par des consultations médicalement non justifiées, contrairement à un phénomène qui se développe en France où le taux de ces consultations peut atteindre 20 %, les malades slovaques pourraient bien devoir montrer patte blanche avant de voir aux Urgences une blouse de la même couleur à partir de janvier 2012.

Eva Madajova, présidente de l’association pour la protection des droits des patients, s’insurge contre cette proposition. Pour elle, la fréquentation des services d’urgence est suffisante pour justifier qu’ils soient ouverts la nuit. Elle estime que la population est attachée à ce fonctionnement et qu’il serait préjudiciable de le réformer.
Un avis que ne partage pas Ladislav Pazstor, président de l’association des médecins libéraux, pour qui cet ajustement des horaires d’ouverture des services d’urgence à l’hôpital ne fait que mettre le droit slovaque en conformité avec la directive européenne sur le temps de travail dans le secteur de la santé publique. Il explique par ailleurs que les cas les plus graves seront pris en charge par les médecins libéraux de garde et les services d’aide médicale urgente (SAMU).

En France, l’idée de mettre en place des plateformes téléphoniques complétant les services offerts par le 15 ou le 112 pour réguler les urgences est lancée depuis plusieurs années, mais à l’inverse de la Slovaquie, c’est pour lutter contre la saturation des services hospitaliers que des propositions sont faites, pas pour les fermer faute de fréquentation. L’état de santé de la population slovaque serait-il meilleur que celui de la population française ? Pas vraiment. Autres lieux, autres moeurs…

Un nouveau protocole pour la sécurité des professions de santé

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Evolution

Agressions des professionnels de santéCe ne sont pas moins de trois ministres, celui de l’intérieur, celui de la justice et celui de la santé, qui étaient réunis place Beauvau à Paris, le 20 avril 2011, pour signer un protocole national pour la sécurité des professions de santé. Pendant pour les professionnels de santé libéraux du protocole santé sécurité signé en 2005 qui avait pour but d’améliorer la sécurité des établissements hospitaliers publics et privés, ce document n’a été signé par les ordres professionnels, seuls les principaux syndicats ayant répondu à cet appel. Il ne faut pas y voir là un désintérêt des Ordres pour la sécurité des professions de santé, comme le montrent des actions telles que l’observatoire de la sécurité des médecins mis en place par le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) depuis 2004, mais bien un nouvel épisode de la lutte de pouvoir que se livrent Ordres et syndicats et dont savent fort habilement tirer partie les pouvoirs publics.

On ne peut que regretter qu’il ait fallu attendre que les résultats 2010 de l’observatoire de la sécurité des médecins montrent une hausse sans précédent des actes de violence à l’égard des médecins, tout comme d’autres études ont fait état de constatations identiques pour les professionnels de santé dans leur ensemble, et que les médias consacrent quelques reportages au phénomène pour que des mesures soient annoncées. Ne s’agit-il d’ailleurs pas là que d’un simple effet d’annonce lorsque l’on sait que le protocole signé pour les établissements de santé en 2005 n’a pas empêché la forte augmentation des déclarations des médecins et des autres personnels de soin exerçant dans ces lieux ? C’est à l’usage et au quotidien que les libéraux jugeront ces mesures diverses et variées.

Il est question d’une « boîte à outils adaptée aux réalités du terrain » et de de « solutions surmesure pour chaque type de situation » si l’on en croit les déclarations officielles : mise en place d’interlocuteurs dédiés au sein des commissariats et des brigades de gendarmerie, policiers et gendarmes pouvant réaliser à la demande des professionnels des diagnostics de sécurité, procédures de signalement simplifiées (comme des boîtiers de géolocalisation) sont au nombre des solutions proposées.

Plus que des mesures visant à empêcher les agressions, il semble surtout qu’il s’agit de donner l’impression aux professionnels de santé qu’ils pourront être secourus quand celles-ci auront eu lieu, ou que leurs auteurs pourront être poursuivis, comme en témoigne l’incitation faite aux élus locaux par le ministre de l’intérieur « à développer leur système de vidéoprotection de manière à couvrir, autant que possible, les abords des cabinets médicaux et paramédicaux ou des pharmacies ».
Plus qu’aux professionnels de santé auprès duquel les ministres ont voulu faire passer un message, c’est auprès des forces de l’ordre qu’il est souhaitable que l’information soit transmise. Entre les discours prononcés dans les salons feutrés parisiens et la réalité sur le terrain, il y a bien souvent un manque de corrélation. Lorsque le ministre de l’intérieur insiste « sur la nécessité de porter plainte systématiquement en cas de malveillance ou de violence en soulignant que c’est la plainte qui déclenche l’enquête et rend possible les poursuites judiciaires » et qu’il explique que « considérant l’utilité publique des professions de santé, il était possible, dans leur cas, de procéder à des prises de plainte sur rendez-vous ou à domicile », on aimerait le croire. Dans la pratique, les professions de santé qui ont passé du temps, parfois des heures, dans des commissariats au lieu d’être au chevet des patients pour s’entendre dire qu’une simple « main courante » pouvait faire l’affaire ne manqueront pas de sourire en prenant connaissance de ses propos.

Outre la sécurité des professionnels de santé, c’est la désertification médicale et le maillage du territoire qui sont en jeu pour le ministre de la santé. Il est vrai que l’on peut se demander quelles actions peuvent avoir des mesures incitatives à l’installation dans des zones de non-droit. Sans parler des mesures coercitives évoquées par certains, au prétexte de soigner les personnes âgées dans les départements ruraux, mais élaborées en fait pour obliger les professionnels de santé à visser leur plaque dans certains déserts médicaux, quand on sait que les membres des forces de l’ordre ne pénètrent dans ces mêmes zones qu’armés et à plusieurs ?
Certains regretteront sans doute que ce thème sécuritaire soit mis en avant. Peut-être est-ce parce qu’ils n’ont jamais été victimes d’une agression alors qu’ils allaient porter secours ou prodiguer leurs soins à un patient ?

 

Signature du protocole national pour la sécurité des professions de santé,
une vidéo réalisée par les services du ministère de l’interieur.

Ostéopathie et chiropraxie : un pas en avant, deux en arrière sur la durée minimale de la formation

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Manipuler le squeletteAlors que le syndicat national des ostéopathes de France (SNOF) et de nombreux acteurs de ce secteur se félicitaient du vote de l’article 64 relatif à la durée minimale de formation en vue de l’obtention du diplôme d’ostéopathe au sein de la loi nº 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), venant ainsi compléter la reconnaissance officielle du diplôme obtenue à l’article 75 de la loi nº 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, il aura fallu attendre un an et demi pour que le Conseil constitutionnel rende une décision annulant ce qui était considéré comme un progrès.

C’est à la demande du Premier ministre que le Conseil constitutionnel s’est penché sur la nature juridique des mots « qui doivent être au minimum de 3 520 heures » ajoutés en 2009 au premier alinéa de l’article 75 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002. L’institution a estimé dans une décision du 3 février 2011 (nº 2011-223) que cette durée minimale de formation avait un caractère réglementaire. De ce fait, elle n’a pas à figurer au sein d’un article de loi, mais doit émaner d’un décret. La modification intervenue suite à l’adoption de la loi 2009-879 ne peut donc pas être prise en considération.

C’est que vient d’officialiser le décret nº 2011-390 du 12 avril 2011 modifiant l’article 75 de la loi nº 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, paru au Journal officiel du 14 avril 2011. Ce texte supprime la durée minimale de formation en ostéopathie et en chiropraxie ajoutée à la loi de 2002, dite loi Kouchner, et rétablit que la durée minimale de formation en ostéopathie reste fixée à 2 660 heures conformément aux dispositions du décret nº 2007-437 du 25 mars 2007 relatif à la formation des ostéopathes et à l’agrément des établissements de formation et doit encore être fixée pour la chiropraxie.

En attendant un nouveau décret, la durée minimale de formation pour les ostéopathes reste donc indéterminée pour les chiropracteurs et repasse à trois ans au lieu de quatre pour les ostéopathes. Un contretemps qui n’est pas fait pour arranger les affaires de professions souvent en mal de reconnaissance.

Nouvelle mission du pharmacien : ajuster le traitement du patient

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Choisir un médicamentNouvel épisode des transferts d’activités ou d’actes de soins entre professionnels de santé et de la réorganisation de leur intervention auprès du patient prévus par l’article 51 de la loi nº 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) devenu article L 4011-1 du code de la santé publique (CSP), les missions des pharmaciens d’officine correspondants viennent d’être officialisés par un décret paru au Journal officiel du 7 avril 2011.

La notion de « pharmacien d’officine correspondant » est apparue elle aussi avec la loi HPST et a été introduite à l’article L 5125-1-1-A du code de la santé publique. Selon cet article, « les pharmaciens d’officine : […] Peuvent, dans le cadre des coopérations prévues par l’article L 4011-1 du présent code, être désignés comme correspondants au sein de l’équipe de soins par le patient. À ce titre, ils peuvent, à la demande du médecin ou avec son accord, renouveler périodiquement des traitements chroniques, ajuster, au besoin, leur posologie et effectuer des bilans de médications destinés à en optimiser les effets ». Aux côtés du médecin traitant prend donc place le pharmacien d’officine correspondant…

Grâce à ce texte entrant en vigueur dès maintenant, le pharmacien d’officine peut donc se voir confier de nouvelles missions dans le cadre d’un protocole de coopération avec un médecin portant sur un traitement chronique. Il peut « renouveler le traitement et en ajuster la posologie. » Plus besoin de l’avis du médecin pour que le pharmacien dise au patient d’augmenter ou de réduire le nombre de comprimés ou de gélules qu’il doit prendre chaque jour, il suffit pour cela d’une prescription médicale rédigée dans le cadre du protocole qui précise, notamment, les posologies minimales et maximales et la durée totale du traitement comprenant les renouvellements.

En plus de pouvoir « proposer des conseils et prestations destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes » comme n’importe quel autre pharmacien d’officine, celui qui aura été désigné comme « correspondant » par le patient se voit accordé le droit de réaliser un « bilan de médication » qui comprend « l’évaluation de l’observance et de la tolérance du traitement ainsi que tous les éléments prévus avec le médecin pour le suivi du protocole. Dans ce bilan, le pharmacien recense les effets indésirables et identifie les interactions avec d’autres traitements en cours dont il a connaissance. Il s’assure du bon déroulement des prestations associées. »

À la lecture de ce décret, bien que la durée totale du traitement et de son renouvellement ne puisse excéder douze mois, des questions se posent tout de même concernant le libre choix du patient. Quid du malade qui souhaite changer de pharmacien correspondant ou du patient qui change de médecin traitant ? Ne va-t-il pas être captif d’un système dont la lourdeur (mise en place d’un protocole entre les professionnels) l’empêchera d’exercer son libre choix à tout moment ?
Qu’en sera-t-il des patients qui ont un médecin prescripteur (qui peut être différent du médecin traitant) et un pharmacien correspondant qui ne réussissent pas à s’entendre pour signer un protocole ? Verra-t-on demain apparaître un texte contraignant tout médecin ou tout pharmacien à accepter la signature d’un tel protocole si le patient le souhaite ? À l’inverse, il pourrait être tentant pour le médecin de « conseiller » le patient sur le pharmacien susceptible d’accepter un protocole et vice-versa.

Des questions se posent aussi sur la tenue à jour du dossier médical du patient. Certes le décret précise que le bilan de médication et l’ajustement de posologie sont transmis au médecin prescripteur, mais qu’en sera-t-il vraiment dans les faits ? On sait la valeur d’une telle disposition dans la pratique quotidienne : rares sont les opticiens qui, ayant adapté la correction portée par un patient dans le cadre de l’article L 4362-10 du CSP, adressent à l’ophtalmologiste un courrier pour l’informer comme la loi les y oblige pourtant.
Même si le décret prévoit que le pharmacien doit mentionner le renouvellement de la prescription sur l’ordonnance et, en cas d’ajustement de la posologie, préciser sur une feuille annexée à l’ordonnance datée et signée, et comportant le timbre de la pharmacie, le nom du médicament qui donne lieu à un ajustement de la posologie ainsi que la nouvelle posologie ou le nom du produit concerné associé éventuellement à une prestation, feuille dont il doit indiquer la présence sur l’ordonnance, que se passera-t-il quand le patient aura oublié son ordonnance au moment de sa consultation ? Pour un médicament faisant l’objet d’un protocole, en cas d’effets indésirables graves nécessitant une hospitalisation, le centre de secours ou le service des urgences devra-t-il, en plus du médecin prescripteur, appeler le pharmacien d’officine correspondant pour s’assurer de la dose quotidienne réellement prise par un patient ?
Enfin, il va être intéressant de savoir si les assureurs en responsabilité civile professionnelle des pharmaciens et des médecins vont prendre en compte ce nouveau risque. Ajuster une posologie, même sous couvert d’une prescription, n’a rien d’anodin. Comment les juges apprécieront-ils le degré de responsabilité du pharmacien d’officine correspondant et du médecin prescripteur liés par un protocole en cas de problème grave ? Des questions qui semblent être pour l’instant sans réponse.

Fin du parcours de soins en Slovaquie

Écrit par Thomas Rollin le . Dans la rubrique Evolution

Parcours du maladeEn Slovaquie, habituée à un système de santé étatisé hérité de son passé au sein de l’ancien « bloc de l’Est », il n’était pas question jusque-là pour un patient d’aller voir directement un médecin spécialiste s’il voulait être remboursé par l’assurance-maladie publique. Quant aux patients disposant d’une assurance privée complémentaire, c’est vers un médecin agréé qu’ils avaient l’obligation de se tourner pour que les dépenses engagées soient prises en charge. C’est à ce parcours de soins coordonnés, présenté en France comme une source d’économies de santé ces derniers temps, que le gouvernement slovaque vient de renoncer. Plutôt que de rembourser deux consultations (une chez le généraliste et une chez le spécialiste) et d’obliger les malades à perdre plusieurs heures dans la salle d’attente d’un médecin surchargé au risque de voir la propagation des virus et autres germes facilitée, les autorités slovaques ont décidé de modifier leur loi relative à l’assurance-maladie afin que l’accès direct au spécialiste puisse être pris en charge sans restriction.

Le ministre de la santé, Ivan Uhliarik, a justifié cette décision en expliquant que le parcours de soins coordonnés était une exigence absurde, pouvant conduire parfois des patients à renoncer à se faire soigner faute de pouvoir perdre une demi-journée entre le cabinet du généraliste, puis celui du spécialiste. Le gouvernement slovaque a choisi de faire confiance aux patients en leur permettant, en fonction des symptômes qu’ils présentent, de s’orienter directement vers le spécialiste qui leur semble être le mieux à même de les prendre en charge.

En France, le parcours de soins coordonnés a été instauré ces dernières années afin de « rationaliser les différentes interventions des professionnels de santé pour un même assuré », comme le précise la Direction de l’information légale et administrative. « Le respect de ce dispositif par l’usager de la santé conditionne la prise en charge normale de ses dépenses de santé par la sécurité sociale ». À part pour quelques spécialités, comme l’ophtalmologie, et sous certaines conditions (pour des problèmes de santé bien précis et non pour toutes les pathologies, comme le patient le croit parfois), l’accès direct aux spécialistes par le patient, pourtant libre de choisir son médecin, implique qu’il est moins bien remboursé. Il est obligé de passer par son médecin spécialisé en médecine générale afin que ce dernier l’adresse à un médecin spécialisé en autre chose… Une logique très loin d’être évidente quand on prend la peine d’étudier les arguments de ceux qui dénigrent ou, au contraire, qui défendent le parcours de soins coordonnés. Une pratique qui a toutefois conduit le système de soins anglais au bord du gouffre, obligeant les pouvoirs publics britanniques à revoir en profondeur la prise en charge des patients.

Rationalisation des soins ou libre choix du patient ? Reconnaissance du rôle fondamental du médecin spécialisé en médecine générale ou démagogie des pouvoirs publics à l’égard des généralistes pour mieux contrôler une profession tout entière ? Excellent moyen de faire des économies de santé ou subtile façon de décourager des malades à consulter ? Qu’en pensez-vous ?

Cellules souches, embryon et Cour de justice de l’Union européenne

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Cellules totipotentesBien qu’elles ne présument en rien de la décision que prendra au final la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), il est toujours intéressant de se pencher sur les conclusions de ses avocats généraux qui interviennent habituellement quelques mois avant la conclusion d’une affaire. Il en est ainsi de celles d’Yves Bot concernant les cellules totipotentes, les pluripotentes et l’embryon utilisés à des fins industrielles ou commerciales.

Selon l’avocat général, comme l’explique le communiqué nº 18/11 de la CJUE, « les cellules totipotentes qui portent en elles la capacité d’évoluer en un être humain complet doivent être qualifiées juridiquement d’embryons humains et doivent, de ce fait, être exclues de la brevetabilité.
Un procédé utilisant des cellules souches embryonnaires différentes, dites cellules pluripotentes, ne peut non plus être breveté lorsqu’il requiert, au préalable, la destruction ou l’altération de l’embryon. »

C’est à la demande de la Cour fédérale allemande (le Bundesgerichtshof) que la CJUE va devoir se prononcer sur la notion d’« embryon humain » et sur les enjeux commerciaux qui s’y attachent. Très loin de toutes considérations philosophiques, éthiques ou religieuses, la bataille juridique qui s’est engagée sur l’embryon et les cellules souches va avant tout servir à savoir comment vont être répartis les immenses profits que laissent espérer les recherches dans ce domaine. Le président du LEEM (organisme regroupant un très grand nombre d’entreprises du médicament) a beau insisté sur l’aspect altruiste, voire même philanthropique, de la recherche financée par l’industrie pharmaceutique, les actes de cette dernière laissent penser que la décision de la CJUE pourrait avoir un impact sur la politique d’investissement des fabricants. Si les procédés issus de la recherche sur les cellules souches peuvent être couverts par des brevets, gage de retour sur investissement et de substantiels profits, l’industrie financera la recherche ; dans le cas contraire, elle préférera sans doute s’intéresser aux compléments alimentaires ou aux coupe-faim. Motifs invoqués : préserver l’emploi des 100 000 personnes qui travaillent pour elle en France ou continuer à créer « 550 emplois nouveaux par an » pour un chiffre d’affaires de 50 milliards d’euros. Dans un pays qui comptait plus de 2,7 millions de chômeurs en février, on comprend que certains n’hésitent pas à s’interroger sur le poids d’un tel argument dans les nombreuses décisions prises par les politiques en faveur de cette industrie.

C’est dans ce contexte difficile qu’interviennent donc les conclusions de l’avocat général de la CJUE dans une affaire opposant Greenpeace à un détenteur de brevet portant sur « des cellules précurseurs neurales isolées et purifiées produites à partir de cellules souches embryonnaires humaines utilisées pour traiter les maladies neurologiques » ayant déjà des implications cliniques dans le traitement de la maladie de Parkinson. Le détenteur du brevet ayant fait appel de la décision du tribunal fédéral des brevets allemand ayant constaté la nullité du sien « dans la mesure où il porte sur des procédés permettant d’obtenir des cellules précurseurs à partir de cellules souches d’embryons humains. » Pour la CJUE, « il s’agit de savoir si l’exclusion de la brevetabilité de l’embryon humain concerne tous les stades de la vie à partir de la fécondation de l’ovule ou si d’autres conditions doivent être satisfaites, par exemple qu’un certain stade de développement soit atteint. »
Pour l’avocat général, il faut se tenir à la lettre de la directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques qui, dans son article 5 paragraphe 1, prévoit que « le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables ». Selon le communiqué de la CJUE relatif aux conclusions d’Yves Bot, « donner une application industrielle à une invention utilisant les cellules souches embryonnaires reviendrait à utiliser les embryons humains comme un banal matériau de départ ce qui serait contraire à l’éthique et à l’ordre public.
En conclusion, l’avocat général estime qu’une invention ne peut être brevetable lorsque la mise en œuvre du procédé requiert, au préalable, soit la destruction d’embryons humains, soit leur utilisation comme matériau de départ, même si, lors de la demande de brevet, la description de ce procédé ne fait pas référence à l’utilisation d’embryons humains.
L’avocat général rappelle toutefois que la brevetabilité des utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales n’est pas interdite, en vertu de la directive, lorsqu’elle concerne les seules inventions ayant un objectif thérapeutique ou de diagnostic qui s’appliquent à l’embryon humain et lui sont utiles – par exemple pour corriger une malformation et améliorer ses chances de vie. »

Il faut maintenant attendre la décision des juges de la CJUE qui n’est pas tenue par ces conclusions, la mission des avocats généraux consistant à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l’affaire dont ils sont chargés. La balance de la justice penchera-t-elle en faveur d’un financement public, donc modeste, de la recherche sur les cellules souches et l’embryon qui servira au plus grand nombre ou donnera-t-elle raison aux arguments de l’industrie quitte à privilégier les intérêts de ceux qui ont les moyens d’investir et de payer pour ces traitements ? La réponse dans quelques mois.

Les recommandations de bonne pratique en médecine ne sont pas données

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Il est recommandé d'aller dans la bonne direction.En plus de s’être intéressé à la façon dont les liens d’intérêt peuvent influencer la rédaction des recommandations de bonne pratique en médecine, Roger Collier, journaliste au Canadian Medical Association Journal (CMAJ), a publié dans le numéro du 22 février 2011 de cette revue un article intitulé Clinical practice guidelines as marketing tools (Les recommandations de bonne pratique clinique comme outils marketing) sur lequel il peut être intéressant de se pencher.

Si, en France, la majorité des recommandations de bonne pratique est élaborée sous l’égide de la Haute Autorité de santé et financée par celle-ci, ce n’est pas le cas pour celles qui sont publiées chaque semaine un peu partout dans le monde. Être réalisées à l’aide de fonds publics pourrait donner l’impression que les recommandations hexagonales ne sont pas biaisées par l’industrie pharmaceutique, mais il faut comprendre que les travaux étrangers servent bien souvent de sources aux experts français, faisant ainsi d’eux, consciemment ou non, des relais d’une information sous influence. S’il est admis que les résultats d’essais cliniques tendent à favoriser ceux qui les financent, cet impact est rarement mis en avant lorsqu’il est question de recommandations de bonne pratique alors qu’elles sont largement utilisées par les médecins, quand elles ne leur sont pas tout simplement imposées. Elles jouent donc un rôle particulièrement important dans la prise en charge des patients.

Publier des recommandations de bonne pratique de qualité n’est pas chose aisée. Il s’agit souvent d’un processus long et coûteux, comme l’explique Roger Collier, processus qui oblige les auteurs qui se lancent dans l’aventure à trouver un financement pour mener à bien leurs travaux et y consacrer le temps nécessaire (de 18 mois à 3 ans, habituellement). En fonction du sujet traité, les besoins ne seront pas les mêmes, mais il arrive souvent que les promoteurs des recommandations soient contraints de se tourner vers l’industrie pour obtenir les fonds suffisants, surtout dans le cas de projets ambitieux portant sur la prise en charge globale de pathologies comme le diabète ou l’hypertension artérielle.

À quoi sert cet argent ? Il faut tout d’abord identifier de façon précise ce sur quoi vont porter les recommandations et identifier les priorités en tenant compte de l’avis des personnes concernées qu’il conviendra de cibler (médecins, patients, administratifs, etc.), effectuer un examen approfondi et systématique de la littérature scientifique sur le sujet choisi en remontant parfois sur plusieurs décennies, évaluer et faire la synthèse des preuves scientifiques ainsi recueillies, convoquer un groupe d’experts pour examiner ces preuves et formuler des recommandations cliniques, présenter ce travail à des experts “indépendants”, publier les recommandations et trouver les moyens de les diffuser pour qu’elles soient prises en compte par le plus grand nombre. Tout ceci a un coût.
Quand on est un médecin salarié et que cela ne pose pas de problèmes à l’organisation dans laquelle on travaille, il est aisé de participer à de tels travaux. Quand on travaille en libéral, le temps consacré à participer à des réunions de ce type est un manque à gagner. Si le promoteur des recommandations n’a pas prévu d’indemnisation, cela peut avoir un retentissement sur le recrutement des participants, voire même sur le fait qu’ils soient tentés d’accepter un financement extérieur pour participer tout de même à ces travaux. Doivent aussi être financés les coûts générés par la bibliographie qui peut nécessiter que l’on fasse appel à du personnel qualifié ; les déplacements et l’hospitalité offerts aux experts lors des indispensables réunions ; l’impression et la reliure des recommandations.

Pour le docteur Valerie Palda, directeur médical du comité consultatif relatif aux recommandations d’une organisation médicale indépendante canadienne, interrogée par Roger Collier, « L’édition n’est pas ce qui coûte le plus cher. Ce qui est le plus onéreux, c’est la revue systématique de la littérature et les réunions ». Pour elle, utiliser l’argent de l’industrie pour ça est acceptable si des garanties sont prises pour éviter les biais liés à ce financement. « Ce n’est pas trop de savoir si l’on peut accepter une aide financière de l’industrie qui importe, mais de savoir si on peut en atténuer l’impact ».

Des médecins, en toute bonne foi, pensent qu’il est possible de mettre ces garanties en place. Selon eux, il suffirait pour cela de bien encadrer l’élaboration des recommandations, de poser une question claire à laquelle on doit s’attacher de répondre sans s’écarter de cette problématique, publier la méthodologie afin que d’autres équipes puissent reproduire les travaux réalisés, de soumettre les recommandations cliniques à des experts indépendants de plusieurs spécialités et à de nombreux organismes de santé pour qu’ils les critiquent et les valident et, enfin, les publier dans des revues, comme le CMJA, spécialisées dans l’édition de ce type de travaux.
D’autres reconnaissent que le meilleur moyen d’éviter toute influence des laboratoires pharmaceutiques, c’est de trouver d’autres sources de financement. Mais cela serait plus facile à dire qu’à faire, s’empressent-ils d’ajouter…

Un nouveau rapport sur la responsabilité civile professionnelle des disciplines médicales

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Pas d'assuranceSi leur responsabilité civile professionnelle (RCP) assure les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes, elle est loin de les rassurer. Ce n’est pas tant l’augmentation quasi incessante du montant des primes pour des garanties régulièrement revues à la baisse que les limitations de leurs contrats qui inquiètent ces professionnels. Ils ont pour la plupart une véritable épée de Damoclès au-dessus de leur tête à l’origine d’un malaise profond chez ces praticiens qui préfèrent de plus en plus renoncer à certaines activités ou à leur exercice libéral plutôt que de mettre en danger leur avenir et celui de leurs ayant-droits. C’est dans ce contexte qu’une mission sur le sujet a été confiée à Gilles Johanet, devenu président du Comité économique des produits de santé quelques jours avant de rendre le rapport faisant la synthèse de ses travaux au ministre de la santé, le 24 février 2011.

On imagine à quel point le sujet est sensible quand on sait qu’il aura fallu près de 2 ans et demi à Gilles Johanet pour mener à bien sa mission. Un temps relativement long comparé à celui accordé à Élisabeth Hubert pour remettre celui sur l’avenir de la médecine de proximité ou à l’Inspection générale des affaires sociales pour faire la lumière sur l’affaire du Mediator. Pourtant, ce haut fonctionnaire habitué de la Cour des comptes connaît bien le monde de la santé. C’est lui qui a démissionné de son poste de Directeur de la Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), dans lequel était prévu le conventionnement sélectif des médecins en fonction des besoins géographiques, quand celui-ci a été refusé. C’est aussi un homme qui connaît bien le monde de l’assurance puisqu’il a dirigé le pôle santé pour la compagnie AGF pendant plusieurs années, période durant laquelle il a proposé « une réduction de la cotisation à l’assurance santé maison contre des preuves d’achat du yaourt Danacol™ de Danone, et une complémentaire santé dite Excellence santé à 12 000 € par an et par personne, donnant accès aux meilleurs médecins de France. »

Ce rapport rappelle que cette mission avait notamment pour objectif « de définir les conditions et les modalités de mise en place, d’une part, d’un dispositif de mutualisation plus large par l’assurance de la responsabilité médicale permettant une amélioration des garanties et, d’autre part, d’un dispositif de solidarité entre plusieurs professions de santé pour la prise en charge des primes ».

À la lecture du rapport, on comprend très vite la problématique à laquelle sont confrontés les professionnels médicaux : « si l’assureur est naturellement libre de fixer le montant de la prime, la garantie qu’il accorde est limitée, alors que le juge est libre de fixer le montant de l’indemnisation. Il en résulte ce qu’il est convenu d’appeler des « trous de garantie », affectant la durée d’exposition du professionnel de santé au risque de réclamation (« l’expiration »), ou la couverture du sinistre par la garantie (« l’épuisement »). » Les plafonds des garanties, fixés à 3 millions d’euros, au-delà desquels les professionnels sont redevables sur leurs fonds propres et la garantie subséquente limitée à 10 ans après la fin du contrat alors que le professionnel ou ses ayants droit peuvent être mis en cause au-delà de cette période. Un médecin retraité depuis plus de 10 ans, peut ainsi se voir condamné à payer plusieurs millions d’euros d’indemnités à un plaignant alors qu’il n’est plus couvert par son ancien contrat de RCP.
Autre élément clé de ce secteur, Gilles Johanet explique qu’il n’est pas facile de légiférer à ce sujet, car ne représentant qu’un marché de niche pour les compagnies d’assurance, elles n’hésitent pas à s’en détourner quand les pouvoirs publics cherchent à les contraindre à y faire quelque chose. N’ayant déjà pas hésité à le faire par le passé, le marché se trouve ainsi concentré sur l’offre de 15 assureurs ou mutuelles, dont deux en situation de quasi-monopole en fonction des spécialités, par exemple. Cette offre réduite a entraîné une hausse des primes, loin de refléter l’augmentation de la sinistralité comme ce rapport n’est pas le premier à le faire remarquer.

Alors que depuis 2002, des outils ont été mis en place pour tenter de savoir ce qu’il en est vraiment de la sinistralité et de son coût pour les assureurs, il faut bien constater un manque complet de transparence concernant ce coût, même si ces derniers n’hésitent pas à provisionner pour des risques pas toujours évidents. « Sans passé utile, éclatée dans l’espace, avec un futur aveugle, l’indemnisation crée une imprévisibilité majeure.
Il est logique, dans ces conditions, que les assureurs se soient d’abord attachés à constituer des provisions à l’aune de ces incertitudes. Le montant des primes augmente donc en fonction du provisionnement et non de la sinistralité, ce qui est source d’incompréhension voire de défiance de la part des professionnels de santé. »

Chose étonnante, ce rapport, alors qu’il a tendance à montrer que le discours basé sur une sinistralité en augmentation, la fameuse « dérive à l’américaine », depuis plus de vingt ans, est inexact, il estime qu’à l’avenir cette augmentation sera bien réelle… On sent qu’il n’est pas question de fâcher les assureurs et de leur ôter l’argument leur servant à justifier l’incessante inflation du montant des primes.
Intéressante aussi la notion selon laquelle il existe « un manque d’organisation des soins particulièrement aigu en France, où la dispensation relève encore largement de l’art et de l’artisanat » et que « puisqu’il est reconnu internationalement que le risque trouve sa source majeure dans les carences organisationnelles, notre pays peut être sur exposé au risque. » Il est aussi question du fait que « le mythe du risque zéro se nourrit de l’inorganisation de notre système de soins : la faiblesse de la politique d’éradication des risques évitables occulte l’existence de risques inévitables et rend inaudible tout discours de reconnaissance de ces risques. L’exigence croissante des patients n’est donc qu’en partie bénéfique et sa part d’illusions conduit logiquement les praticiens à développer ce qu’il est convenu d’appeler une médecine défensive, caractérisée par l’existence d’actes et prescriptions de précaution, dont la balance bénéfice /risque pour le patient est incertaine et le coût certain pour les assurances maladie obligatoire et complémentaire. »

En conclusion, Gilles Johanet fait onze propositions pour sortir de la situation insatisfaisante qui est celle qui prévaut actuellement. Trois exemples : « étendre la limitation à 10 ans de la mise en jeu de la responsabilité à l’ensemble des professionnels de santé libéraux conventionnés et à l’ensemble de leur activité de soins » ; « […] adoption d’un barème médical unique et d’un barème unique de capitalisation des rentes » ; « étudier la redéfinition du champ de la responsabilité civile des professionnels de santé », tout particulièrement dans le domaine du devoir d’information.

La balle est maintenant dans le camp des politiques qui devront savoir s’ils préfèrent satisfaire les professionnels de santé qui délaissent petit à petit certaines spécialités et l’exercice libéral, ou les assureurs, sachant qu’en terme de lobbying et de moyens de pression, l’avantage est très nettement en faveur des compagnies d’assurance.

Recommandations de bonne pratique et conflits d’intérêts

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Evolution

Tout le monde ne jure plus que par les recommandations de bonne pratique… Non content de faire fi de la spécificité de chaque patient, ces guides donnent l’impression qu’il suffit de suivre un protocole, comme un ordinateur suit un programme, pour soigner tous les malades de la même façon. Gros avantage de ces préconisations « à la mode », ils flattent l’ego de ceux qui sont chargés de les rédiger et ils sont devenus un outil idéal pour contraindre les praticiens à « faire des économies ». Bien plus efficaces et bien plus simples à mettre en place qu’un développement professionnel continu qui ne cesse de patiner, ces directives ont les faveurs des pouvoirs publics. Plutôt que d’imposer à un médecin de répondre à ses obligations de formation continue et de lui réapprendre à faire preuve de sens critique et d’objectivité, beaucoup semblent penser, y compris au sein de cette profession, qu’il est préférable de donner des solutions toutes faites aux professionnels de santé. Pas besoin de réfléchir pour les uns, il suffit de s’en remettre aux recommandations pour traiter ; un bon moyen d’imposer ce qui doit être prescrit pour les autres. Que les recommandations ne soient remises que tous les 5 à 10 ans ne choque personne, puisque l’intérêt du patient n’est pas toujours ce qui prime malgré les beaux discours. Qu’un praticien soit sanctionné parce qu’il n’a pas respecté les recommandations n’émeut pas grand monde non plus : pourquoi diable un médecin devrait-il se mettre à réfléchir alors que des leaders d’opinion dédommagés par la Haute Autorité de santé l’ont fait pour lui ? Sans compter que quand des médecins réfléchissent, ils risquent de créer une revue comme Prescrire, de dénoncer des campagnes de prévention controversées ou de ne pas conseiller aux patients de se faire vacciner contre la grippe A(H1N1) au grand dam de la ministre de la santé de l’époque qui suivait les “recommandations” du même type d’experts…Extraire le savoir

L’industrie pharmaceutique a compris depuis longtemps qu’il était vital pour elle de faire entendre sa voix, même sous forme de murmures, dans les réunions où les recommandations de bonne pratique se décident. Influencer des groupes de réflexion, voire même les créer en les finançant, est une chose qu’elle est habituée à faire. Rien de mieux pour cela que de nouer des liens avec les leaders d’opinion qui vont servir d’experts à cette occasion. C’est tout du moins ce que l’on peut penser à la lecture d’un article publié dans le Canadian Medical Association Journal du 22 février 2011, intitulé Clinical guideline writers often conflicted. Roger Collier, un journaliste de cette revue appréciée de ceux qui publient (impact factor de 7,3), y explique qu’il n’y a pas une semaine sans que de nouvelles recommandations de bonne pratique ne paraissent sur la planète. Un fait qui doit avoir son importance puisque le gouvernement américain finance un programme destiné à recenser tous ces guides de bonne pratique de par le monde il n’y en aurait pas moins de 360 en cours de rédaction. On peut s’étonner qu’un état finance un tel programme. Pas vraiment si l’on considère l’intérêt qu’il peut avoir pour la santé publique, mais surtout les enjeux stratégiques et économiques qui peuvent s’y attacher. Publier un référentiel de bonne pratique, c’est se donner la possibilité de voir ce travail devenir la référence pour les milliers de médecins d’un pays, voire même les millions de praticiens qui parlent la langue dans laquelle est rédigé le document. C’est aussi une façon de voir les groupes d’experts des autres nations utiliser ce travail comme base à leurs propres réflexions. D’où l’importance d’une telle veille pour une administration qui a pour objectif de maintenir les États-Unis au plus haut niveau dans tous les domaines.
Un enjeu que des sociétés savantes ont elles aussi compris : la Société américaine de radiologie, par exemple, à une trentaine de ces recommandations de bonne pratique actuellement sur le feu. Des associations de médecins qui sont bien souvent encouragées à agir ainsi par l’industrie, les pouvoirs publics ou les assureurs.

Le docteur Niteesh Choudhry, professeur adjoint à l’université de médecine Harvard de Boston, s’est intéressé aux lignes en petits caractères, censées informer le lecteur sur les liens d’intérêt des auteurs, qui figurent parfois en bas de page de ses recommandations de bonne pratique, au moins de celles publiées dans de grandes revues qui exigent de telles déclarations. Après un examen attentif de ces éléments, il en est arrivé à la conclusion qu’il existait un nombre extrêmement important de rédacteurs de ces recommandations ayant des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. Il cite en exemple les recommandations de la Société canadienne de thoracologie sur la gestion de l’asthme chez les adultes et les enfants de 6 ans et plus financées par trois des plus grands laboratoires vendant des médicaments à cet effet dans ce pays.

Pour le médecin « de base », la tâche n’est pas aisée. Déjà occupé à soigner les patients, il n’a souvent d’autres choix que de se fier à ces recommandations. « Compte tenu de la quantité d’informations dans un domaine particulier, aucun médecin ne peut toutes les connaître », explique le docteur Joel Lexchin, professeur à l’université York de Toronto. Que des déclarations de liens d’intérêt soient obligatoires et figurent dans les documents est une bonne chose pour la transparence, mais elles n’empêchent pas les biais. N’étant pas un expert, comment le médecin de famille peut-il apprécier l’impact que peut avoir le lien d’intérêt déclaré ? Il peut n’en avoir aucun, comme il peut être énorme…

Faut-il systématiquement jeter la pierre aux leaders d’opinion ou aux experts qui participent à la rédaction des recommandations de bonne pratique ? Pour Niteesh Choudhry, ils sont nombreux à sous-estimer l’influence que peuvent avoir leurs liens avec l’industrie sur ces recommandations.
Dans une étude publiée dans le JAMA, le docteur Choudhry et ses collaborateurs ont montré de 87 % des auteurs de ces recommandations avaient des liens avec l’industrie et plus particulièrement avec des sociétés dont l’usage des produits était recommandé dans les recommandations auxquels ils avaient contribué dans 59 % des cas. « Nous nous demandons si les universitaires et les médecins sous-estiment l’impact de ces relations sur leurs actions parce que la nature même de leur profession est la recherche d’une information impartiale et objective », indique le document. « Malheureusement, le biais peut se produire à la fois consciemment et inconsciemment, et par conséquent, son influence peut passer inaperçue. »

Niteesh Choudhry s’empresse toutefois de préciser qu’interdire à toute personne ayant des liens d’intérêt avec les laboratoires de prendre part à la conception de recommandations de bonne pratique n’est pas réaliste. Sans compter que l’on peut avoir un lien d’intérêt sans être partial pour autant et que si l’on est un expert, on fait souvent partie de ceux qui sont obligés d’avoir le plus de liens avec l’industrie…
L’idéal serait de pouvoir apprécier quel impact peut avoir un lien déclaré sur la recommandation qui va être faite. Une espèce de recommandation de bonne pratique sur la façon de gérer les liens d’intérêt déclarés par les auteurs de ces recommandations, sans doute…