Mieux encadrer la mobilité d’emploi des professionnels de santé
« La mobilité internationale des professionnels de santé : quels enjeux pour le système de soins français ? », tel est le titre de la note d’analyse de décembre 2012 du Centre d’analyse stratégique (CAS). Une note qui mérite que l’on s’y intéresse puisque ce centre est présenté comme « une institution d’expertise et d’aide à la décision placée auprès du Premier ministre » et qu’« il a pour mission d’éclairer le Gouvernement dans la définition et la mise en œuvre de ses orientations stratégiques en matière économique, sociale, environnementale ou technologique. Créé par décret en date du 6 mars 2006, il succède au Commissariat général du Plan. Il préfigure, à la demande du Premier ministre, les principales réformes gouvernementales. »
À la lecture de ce document, difficile d’imaginer que la libre circulation au sein de l’Union européenne et la reconnaissance mutuelle des qualifications vont encore faire partie des principes qui permettront aux professionnels de santé d’exercer là où bon leur semble en Europe dans les années à venir. Au prétexte de « mieux encadrer la mobilité d’emploi des professionnels de santé », les propositions visant à rendre plus difficile la mobilité sont au programme. Parmi ces propositions, deux sont emblématiques : « Fixer un délai au Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) pour publier les référentiels de compétences de toutes les spécialités afin de clarifier les critères de sélection retenus lors de la procédure d’autorisation d’exercice » et « Rendre obligatoire le suivi d’une formation complémentaire de français, durant leur première année d’exercice, pour tous les professionnels de santé diplômés dans l’Union européenne et reconnus aptes à exercer en France, sauf dérogation pour ceux parlant déjà couramment le français ». Il est vrai que plutôt qu’une reconnaissance automatique des diplômes ou des qualifications en fonction d’un niveau d’études, principe qui s’applique actuellement, l’intérêt des patients pourrait être à une harmonisation de la qualité des soins grâce à des compétences pratiques réellement équivalentes pour un professionnel de santé où qu’il ait été formé au sein de l’Union. Il est aussi vrai que la communication étant un élément clé de la relation soignant-soigné, il est difficile d’envisager de continuer à laisser s’installer des professionnels de santé ne maîtrisant pas les bases de la langue des patients qu’ils sont censés prendre en charge. Mais est-ce là ce qui motive ces propositions ?
Il est possible d’en douter à la lecture du document. En effet, le premier enjeu cité par cette analyse stratégique est une vision économique bien connue : « Dans les pays receveurs, la mobilité d’emploi renforce les services, mais accroît potentiellement les dépenses en fragilisant la maîtrise de l’offre. » En France, pour certains, autoriser plus de professionnels de santé à exercer, c’est creuser le déficit de la Sécurité sociale. Selon eux, moins ces professionnels sont nombreux, plus l’offre de soins est pauvre et plus faible est le montant des remboursements. Une idée que l’on aurait pu croire abandonnée, surtout à l’époque des déserts médicaux, mais qui sous-tend encore bon nombre de décisions au plus haut niveau.
Autre élément de l’analyse qui laisse présager d’une politique moins libérale pour tous au prétexte d’un encadrement de la mobilité des médecins à diplôme étranger : « un manque de régulation de la répartition géographique et des difficultés à anticiper les besoins en santé » concourent au recrutement de médecins étrangers dans l’Hexagone comme « variable d’ajustement ». De quoi voir la liberté d’installation comme un fléau ? Comme une variable à ôter de l’équation permettant de « s’attaquer en profondeur à la planification des ressources humaines et à reconsidérer la répartition des missions entre acteurs de santé » ? Actuellement, peu de diplômés en France ont tendance à émigrer, alors que le pays est considéré comme économiquement attractif par ceux qui obtiennent leurs qualifications hors de ses frontières. La remise en question de la liberté d’installation de tous les médecins a-t-elle pour but d’inverser les flux ?
« Le nombre de professionnels de santé à diplôme étranger exerçant en France augmente. Ces flux concernent avant tout les médecins. Entre 2007 et 2010, le nombre de médecins de nationalité étrangère inscrits au Conseil de l’Ordre a crû de 20 %. Plus d’un quart des médecins nouvellement inscrits en 2011 étaient titulaires d’un diplôme étranger. […] Chez les médecins, les diplômes algériens, roumains puis belges sont les plus représentés. Ils sont plutôt espagnols et belges pour les infirmiers. » Cette immigration des professionnels de santé à diplôme étranger n’en fait pas pour autant une composante importante des personnels de santé d’où l’idée qu’« elle ne fragilise pas les politiques françaises de régulation de l’offre et de la maîtrise des dépenses reposant sur l’instauration de quotas et de numerus clausus. »
Pour les zones où la densité des professionnels de santé est faible, le personnel à diplôme étranger n’est pourtant pas la solution, semble-t-il. Ce type de recrutement est présenté comme « complexe et onéreux pour les établissements ». Sans compter que « les professionnels étrangers ont tendance à préférer les mêmes disciplines et lieux d’exercice que leurs confrères. Par ailleurs, les médecins non formés en France optent majoritairement pour le salariat. Ils sont employés à 64 %, contre 41 % pour les médecins français, et n’exercent en libéral qu’à 25 %. Le plus souvent, ils ne sont donc pas une ressource adéquate pour les collectivités locales en quête de médecins généralistes, ne pouvant ou ne désirant pas investir dans une structure de soins reposant sur le salariat. »
Si d’autres propositions sont faites pour réguler l’immigration de médecins formés dans et hors de l’Union européenne, comme d’agréer des agences pour recruter des professionnels de santé à l’étranger dans le cadre d’appels d’offres de collectivités et d’établissements de santé, c’est l’aspect économique qui semble toujours primer. Ce n’est pas un hasard si faire baisser le coût du recrutement, qui peut aller jusqu’à 40 000 euros par praticien, est un argument mis en avant par les analystes.
Les contournements du numerus clausus sont aussi évoqués dans cette note d’analyse. « Un bon nombre, pour échapper aux systèmes de régulation de l’offre instaurés dans la majorité de l’Union européenne, se forment à l’étranger. Par exemple, beaucoup d’Allemands n’ayant pas été sélectionnés en faculté de médecine (sélection à la sortie du lycée, sur les notes du baccalauréat) étudient en Autriche ou en Lettonie. De même, une part croissante d’étudiants français ayant échoué au concours de fin de première année de médecine se tournent vers l’étranger pour revenir, une fois formés, pratiquer en France. La Belgique et la Roumanie sont les deux premières destinations. Depuis son entrée dans l’Union européenne, la Roumanie a en effet développé des cursus dédiés aux étudiants étrangers, dont plusieurs filières francophones. Le pays s’est d’ailleurs lancé dans l’évaluation de ses facultés afin d’en démontrer le bon niveau. À l’été 2011, sept cents Français y étaient inscrits en médecine.
Ces flux posent la question de la maîtrise de l’offre, car ils biaisent le seuil fixé annuellement. Si certains pensent que les médecins ainsi formés amélioreront l’accès aux soins en France, il n’y a, en l’état actuel de la liberté d’installation, aucune raison d’espérer que les diplômés s’installent dans les zones sous-dotées. »
Difficile d’en vouloir à ces étudiants motivés quand on sait qu’en 2002, « le ministère de la Santé, en coopération avec l’Office des migrations internationales et les fédérations d’employeurs publics et privés, a mis en place un dispositif de recrutement d’infirmiers et de kinésithérapeutes espagnols. » Une initiative qui peut expliquer que d’autres solutions soient proposées aujourd’hui, comme cet établissement privé portugais, installé à Toulon, proposant aux étudiants de leur faire obtenir un diplôme portugais de pharmacien, de chirurgien-dentiste, d’orthophoniste ou de nutritionniste, valable en France par le jeu de la reconnaissance mutuelle des diplômes européens. De quoi permettre à des étudiants qui n’ont pas réussi à être sélectionnés au sein des universités françaises, malgré une dizaine de fois pour certains, de tout de même poursuivre dans la voie dont ils rêvent. Formés par des enseignants français, en collaboration avec la Faculté de Toulon et du Var, la sélection se fait sur dossier. Il suffit ensuite aux étudiants de débourser environ 10 000 euros par an pour finir par obtenir son diplôme.
Si les enjeux de la mobilité internationale des professionnels de santé sont multiples, ce sont les questions économiques qui seront principalement mises en avant pour les encadrer par les services du Premier ministre si l’on en croit cette note d’analyse. Les chantres des économies de santé sont une nouvelle fois à l’œuvre, avec les mêmes conceptions qui ont fait se dégrader le système de soins en quelques dizaines d’années.
Les citoyens seront-ils gagnants si la liberté de circulation est restreinte ou si la liberté d’installation est supprimée ? La dégradation du système de soins sera-t-elle enrayée ? Rien n’est moins sûr…
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