Relations médecins – cliniques : disparition du droit social ?

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

rupture contrat médecin clinique à l'AssembléeLe gouvernement a déclaré, le 22 octobre 2008, l’urgence sur le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires. C’est lors des débats à l’Assemblée nationale, le 12 février 2009, que les députés ont adopté un amendement et un sous-amendement sacrifiant le droit social des médecins libéraux exerçant en établissements privés de santé.

Ayant accepté la fermeture de la plupart des hôpitaux de proximité après avoir voté pendant de nombreuses années la diminution du nombre des médecins, dépeuplant ainsi les établissements publics et les cabinets isolés situés à la campagne, les députés se sont trouvés face au mécontentement de leurs électeurs. Il leur faut donc rapidement compenser la carence d’offre de soins qu’ils ont créée dans de nombreux territoires ruraux, mais aussi dans les cités difficiles que les médecins ont désertées, las de se faire agresser ou de n’y plus trouver des services comme la Poste, une gendarmerie de garde, une perception ou des services de l’équipement aptes à déneiger les routes secondaires où ils sont censés porter secours à leurs patients.
L’une des solutions trouvées par les députés consiste à transférer les missions de service public aux établissements privés de santé. Les cliniques vont pouvoir (ou plutôt être contraintes à) assumer des missions de service public. Mais voilà, si les moyens de pression sur les établissements privés mis à la disposition des administrations publiques sont nombreux, ils l’étaient jusque-là beaucoup moins à l’égard des médecins libéraux travaillant dans ces structures. Or, que faire d’une clinique forcée d’assurer un service de garde si les praticiens, liés par un contrat qui ne prévoit pas cela à cet établissement, peuvent de ce fait refuser de les assurer ? Rien de plus simple : permettre aux cliniques de rompre le contrat sans indemnités !

Difficile à croire ? Les discussions en séance publique du 12 février 2009 sont là pour en témoigner, dont voici quelques extraits.

Présidence de M. Danièle Hoffman-Rispal, vice-présidente

[…]

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 830, qui fait l’objet d’un sous-amendement n° 1560 du Gouvernement.

La parole est à M. Yves Bur, pour soutenir l’amendement.

M. Yves Bur. Cet amendement vise à ce que, lorsqu’un établissement de santé privé s’engage à assumer des missions de service public, les contrats qui le lient aux médecins libéraux exerçant en son sein puissent être rompus, sans que cette rupture entraîne une quelconque conséquence financière à la charge dudit établissement.
Le Gouvernement entend compléter ce dispositif en précisant que ni l’établissement ni le praticien concerné ne peuvent être lésés. Nous aboutirons donc à une rupture à l’amiable, en quelque sorte, qui n’aura de conséquence ni pour les uns ni pour les autres. C’est un bon équilibre, qui permettra à ces établissements de santé privés de participer aux missions de service public qui leur sont proposées par l’ARS.

Mme la présidente. La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, pour défendre le sous-amendement n° 1560.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Ce matin, nous avons largement abordé ce débat, au cours duquel un certain nombre d’explications ont déjà été données. À cette occasion, j’ai dit que les difficultés seraient levées par l’amendement que M. Bur vient de défendre. J’y suis donc favorable, sous réserve de l’adoption du sous-amendement n° 1560, qui vise à compléter l’alinéa 47 – une fois amendé – par les mots « ou du praticien ». Voilà qui permettra de préciser qu’aucune des parties, comme l’a dit M. Bur, ne pourra réclamer d’indemnisation financière lorsqu’un contrat d’exercice est rompu par refus d’assumer des missions de service public. Il s’agit donc un sous-amendement de précision et d’équilibre.
[…]

M. Jean-Marie Le Guen. […] Lorsqu’un établissement privé – qui, somme toute, est une entreprise comme une autre – décide d’investir, non pas par philanthropie – personne ne le lui demande, d’ailleurs – dans une mission de service public… […] Pourquoi, dans ce cas, doit-il y avoir absence de rémunération du praticien ? C’est bien cela que dit l’exposé des motifs de l’amendement n° 830 : il s’agit de prévoir que la rupture du contrat qui interviendrait suite au refus d’un médecin d’en renégocier les conditions, ne peut entraîner d’indemnisation. Nous y sommes ! Pourquoi, dès lors que l’entreprise a décidé d’assumer une nouvelle tâche – et c’est son droit – ne pas laisser s’appliquer le droit civil ? Pourquoi faire intervenir la loi dans les ruptures de contrat entre un salarié ou un contractant et l’entreprise ? Laissez donc faire le droit commun ! Pourquoi prévoir une exemption qui protège l’établissement privé ? Je ne comprends pas : le droit commun existe, et régit les contrats.
En l’occurrence, vous allez, d’une façon ou d’une autre, exonérer les établissements de leur responsabilité au regard du contrat qu’ils ont signé avec un praticien. Il n’y a aucune raison d’agir ainsi !
[…]
Il faut expliquer concrètement de quoi nous parlons. La loi permettra, par exemple, à des établissements privés de créer un centre de santé ou une nouvelle clinique dans un lieu particulièrement isolé. Si, six mois après qu’un médecin a rejoint cette structure, l’établissement décide de participer à la permanence des soins et veut imposer à ce dernier une garde, un soir sur trois, vous voudriez qu’en cas de refus du médecin pour raisons personnelles, qu’on peut juger critiquables, l’établissement puisse se contenter de lui dire : « Dommage ! Votre contrat est rompu, vous n’avez droit à aucune indemnité. » Mais où sommes-nous ? Est-ce parce qu’on est médecin que le droit social ne s’applique pas ?
Lorsqu’un salarié ou un contractant libéral a signé un contrat de travail, son départ, s’il est motivé par la modification substantielle du contrat, doit donner lieu à versement d’indemnités ; un point c’est tout ! Il s’agit d’une donnée de base du droit social. Au nom des intérêts des établissements privés, vous interdisez finalement l’exercice du droit social, et même du droit des contrats. Vous instaurez un absolutisme qui donne tout pouvoir à ces établissements. C’est incroyable !
[…]

Mme Michèle Delaunay. Quand la direction d’un établissement privé choisit d’assumer une ou des missions de service public, on pourrait imaginer qu’elle fasse preuve d’un état d’esprit correspondant à celui du service public et qu’elle respecte les règles qui le régissent – on ne lui en demandera pas tant. Mais tout de même, si elle doit rompre un contrat avec un médecin ou toute autre personne, on s’attend à ce que le droit commun s’applique. Pourquoi introduire, dans ce cas, des exceptions au droit général ? Pourquoi ouvrir une telle faille ? Les médecins ont déjà assez de responsabilités et d’obligations ; ils ne doivent pas vivre dans un état de non droit.

(Le sous-amendement n° 1560 est adopté.)

(L’amendement n° 830, sous-amendé, est adopté.)

Sachant que Jean-Marie Le Guen, député socialiste, n’est pas connu pour être un ardent défenseur des médecins libéraux, il faut une situation exceptionnelle pour qu’il en arrive à de tels propos. Il évoque même une « prolétarisation » des médecins et parle de « médecins Kleenex ». Pour mieux comprendre de tels propos, il faut lire l’intégralité des débats.

Adopter un tel amendement ne résout qu’en partie le transfert des missions de service public aux établissements privés de santé. Reste le problème des honoraires lors de ces gardes imposées à des médecins « libéraux ». Dans un hôpital de proximité, le patient ne faisait pas l’avance des frais et les médecins salariés ne pouvaient prétendre à des dépassements d’honoraires. Non contents d’imposer des gardes privées de substitution au service public, les députés ont décidé de leur appliquer des tarifs sans dépassement d’honoraires.

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 865.

La parole est à M. Jean-Luc Préel.

M. Jean-Luc Préel. Dans certains territoires, il existe une offre de soins à tarif opposable trop limitée. Le présent amendement vise à donner au directeur général de l’agence régionale de santé des outils permettant de garantir à la population la possibilité d’un accès à des soins respectant le tarif opposable, au moins pour les soins les plus lourds et coûteux, qui sont délivrés en établissements.
Ainsi, un nouvel article L. 6161-5 du code de la santé publique précisera qu’afin de remédier à une difficulté d’accès aux soins constatée par l’agence régionale de santé, un établissement de santé peut être assujetti, par son contrat pluriannuel à garantir, pour certaines disciplines ou spécialités et dans une limite fixée par décret, une proportion minimale d’actes facturés sans dépassement d’honoraires. L’établissement de santé pourra modifier, le cas échéant, les contrats conclus pour l’exercice d’une profession médicale.
[…]

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé. Sur le plan des principes, je suis d’accord avec l’amendement de M. Préel, même si je partage le constat du rapporteur concernant les imprécisions de sa rédaction et les difficultés opérationnelles que son adoption entraînerait.
Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée nationale.
[…]

M. Jean-Luc Préel. Je souhaiterais apporter deux précisions. Tout d’abord, je suis conscient, comme nous tous, que les dépassements d’honoraires peuvent entraver l’accès aux soins. Or il nous paraît essentiel que des soins de qualité puissent être accessibles à des tarifs opposables sur l’ensemble du territoire. C’est pourquoi nous proposons que le directeur de l’ARS puisse imposer aux établissements de santé une proportion minimale d’actes facturés à des tarifs opposables.
Certes, ainsi que l’a indiqué Yves Bur, cet amendement ne concerne que les établissements de santé, c’est-à-dire une partie seulement de notre système de soins. Mais cela s’explique par le fait que l’article 1er porte uniquement sur ce secteur.
Par ailleurs, M. le rapporteur a jugé notre amendement imprécis. Or il est prévu que la limite soit fixée par décret. Je n’ai pas voulu préciser dans l’amendement que la proportion minimale d’actes facturés sans dépassement d’honoraires devait être fixée à 40 % ou 50 %,…

Jean-Marie Le Guen.
70 % !
[…]

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé. S’agissant des dépassements d’honoraires, je veux rappeler les mesures qui ont été prises, qu’il s’agisse de certaines dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale ou de mesures réglementaires.
Tout d’abord, nous avons voulu rendre effective l’obligation d’affichage, dont il faut bien reconnaître qu’elle n’est pas respectée. Par ailleurs, nous avons imposé l’obligation d’information pour tout honoraire dépassant quatre-vingts euros et contenant un dépassement d’honoraires et nous avons publié un décret sur le tact et la mesure pour le définir de façon claire. Nous ne sommes donc pas restés inertes : en 2008, nous avons pris un certain nombre de dispositions réglementaires très fortes pour juguler les dépassements d’honoraires.

Mme la présidente. Monsieur Préel, acceptez-vous, comme l’a suggéré le rapporteur, que votre amendement porte sur l’article L. 6161-4-1 et non plus sur l’article L. 6161-5 ?

M. Jean-Luc Préel. Tout à fait !

(L’amendement n° 865, tel qu’il vient d’être rectifié, est adopté.)

Il serait intéressant de savoir comment les députés envisagent de demander aux médecins de choisir quels sont les patients qui devront bénéficier des soins avec ou sans dépassements. Le malade devra-t-il présenter son avis d’imposition ? Le patient devra-t-il, sur le principe de la couverture médicale universelle, présenter une attestation ? À coup sûr, une médecine à deux vitesses, mais pas comme on l’entend : celle des foyers assujettis à l’impôt sur le revenu et payant des charges sur le fruit de leur travail pour le bon fonctionnement du système de santé et le maintien de l’assurance-maladie, qui ne seront pas exonérés des dépassements d’honoraires, et celle des autres…

De telles dispositions montrent que la volonté des députés et du gouvernement est très claire : obtenir la disparition du secteur à honoraires libres à brève échéance tout en imposant aux médecins de nouvelles missions de service public. Le choix d’une médecine de qualité ?

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