Un médecin doit-il négocier le prix de la consultation avec le patient ?

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

En cette période de crise, la presse écrite n’est pas avare de “bons” conseils censés permettre à ses lecteurs d’améliorer leur pouvoir d’achat. Négocier, tel est le leitmotiv de bon nombre de ces articles. Tout y passe. Enfin presque tout, car il faut bien ménager ses annonceurs… Le tarif des actes médicaux n’échappe pas à cette règle. Le médecin doit-il céder à cette pression ? Est-il inhumain de refuser ?

« N’hésitez pas à demander un prix à votre médecin ou à votre dentiste », peut-on lire à droite et à gauche, « surtout s’il pratique des honoraires libres », agrémenté de témoignages de soi-disant patients ayant obtenu 50 % de rabais sur leur chirurgie…

Ces articles semblent ignorer qu’un médecin conventionné secteur 1 n’a pas le droit de modifier le tarif des actes remboursés par la Sécurité sociale. Ils semblent aussi oublier l’article 24 du code de déontologie médicale (art. R 4127-24 du code de la santé publique) qui interdit au praticien tout acte de nature à procurer au patient un avantage matériel injustifié ou illicite ou toute ristourne en argent ou en nature, toute commission à quelque personne que ce soit. Seuls les médecins secteur 2, aux honoraires dits “libres”, les praticiens secteur 1 à dépassement permanent peuvent jouer sur le montant de leur dépassement. Pour ce qui est des actes non pris en charge par l’assurance-maladie, réalisés par les médecins conventionnés ou non, les tarifs peuvent aussi être variables.

Pourquoi ne voit-on écrit nulle part de négocier le tarif de l’abonnement à un journal ou le prix du quotidien vendu en kiosque, si l’on ne lit pas la presse dite “gratuite” ? Les journalistes considèrent-ils que ce n’est pas une bonne façon de gagner du pouvoir d’achat ? Un peu comme en médecine, il existe plusieurs tarifs pour la presse. Pourquoi ne pas se demander si, comme les médecins à honoraires libres, la presse écrite payante a encore lieu d’être ? Grâce aux très nombreuses publicités envahissant ses pages, il existe une presse “offerte”, hypocritement appelée “gratuite”, tout comme l’on dit des soins donnés à l’hôpital ou aux patients bénéficiant de la couverture médicale universelle (CMU) qu’ils sont “gratuits”. Cela nuit-il à la qualité du contenu rédactionnel et à la prétendue indépendance des journalistes ? C’est possible, mais cela n’empêche pas les grands quotidiens payants de se tourner vers Internet pour tirer bénéfice de ce modèle économique qui n’a rien d’honteux.

En quoi l’argent gagné par un médecin est-il honteux ?

Bernard Arnault, grand capitaine d’industrie, explique qu’il n’y a jamais de soldes chez Vuitton pour préserver l’image de qualité. Tout le monde paye le même prix à n’importe quel moment pour un même service, puisque l’on offre de la même qualité toute l’année, à tout le monde. Négocier le prix donne l’impression au patient que l’acte est un bien commercial, au même titre qu’une voiture ou un canapé en cuir. Or, il est interdit au médecin de pratiquer la médecine comme un commerce.
Négocier ou non le tarif de la consultation du médecin ?Nombre sont ceux qui veulent pourtant voir en la médecine diverses dérives commerciales. Des dérives qui viendraient, par exemple, de la concurrence dans le domaine des soins esthétiques. Il est vrai que les publicités qui fleurissent un peu partout apporte de l’eau à leur moulin et encouragent les clients, qui ne sont plus vraiment considérés comme des patients par les praticiens eux-mêmes, à négocier. Mais ces pratiques sont l’exception et non la règle dans les soins de tous les jours. L’immense majorité des praticiens soignent, écoutent et prennent en charge tous les patients. Ils leur offrent des services. En quoi serait-il honteux de faire payer un service de santé qui a un coût, surtout s’il est de qualité, la santé fut-elle un droit ?

Ces articles semblent ignorer que le patient a le choix du secteur conventionnel du médecin qu’il va consulter. Pas un mot sur le fait que le patient est dans un système de santé où les spécialistes secteur 1 voient leurs honoraires bloqués depuis de nombreuses années du fait de tarifs imposés par les gouvernements successifs. Rien n’oblige un patient à choisir un médecin pratiquant des honoraires libres (secteur 2)… Oui, mais dans certaines régions, les médecins secteur 1 se font rares. N’est-ce pas dans les régions où le coût de la vie est plus cher qu’ailleurs et où les charges sont aussi plus lourdes ? Comment s’étonner que des villes comme Paris et Lyon, ou des régions du sud de la France, aient une densité de médecins en secteur 1 plus faible alors que les charges y sont les plus élevées (loyer des locaux professionnels, impôts locaux, coût de la vie, etc.) ?
Rien sur l’augmentation des primes d’assurance qu’un médecin est légalement obligé de payer. Pas plus sur le prix du matériel dans lequel le médecin est obligé d’investir pour répondre à son obligation de moyens ou aux nouvelles contraintes imposées suite à des affaires politico-économiques comme celle du sang contaminé. Le coût de ces investissements a fortement progressé ces dernières années, car ses appareils doivent eux aussi se conformer à de nombreux règlements imposant un surcoût de fabrication.
Silence complet sur les horaires de travail de ces médecins présentés comme des nantis, alors qu’ils ne sont qu’un reflet, malgré une très forte pression fiscale, du principe selon lequel il faut travailler plus, pour gagner plus, cher au président de la République. Celui-là même qui fustige les médecins à honoraires libres au prétexte qu’ils gagnent trop bien leur vie en cette période de crise. Si le président n’a pas hésité à comparer son salaire à ceux des autres chefs d’État pour justifier sa forte augmentation, pourquoi ne compare-t-il pas les revenus des médecins français avec ceux des praticiens des autres pays développés pour constater que ceux-ci sont loin d’être les plus élevés ? S’il est de bon ton de tirer la rémunération d’un chef de l’État vers le haut, il n’en est pas de même quand il est question de la rémunération des autres citoyens. S’il est indispensable de réduire les dépenses publiques, en particulier à l’hôpital, pourquoi payer plus un président qui fera de toute façon fortune une fois ses mandats terminés, à l’image de Bill Clinton ?

Le discours démagogique d’une santé “gratuite”

Ce discours démagogique n’est pas l’apanage du président. De nombreux députés, tout comme la presse, s’en font l’écho. Des élus qui votent régulièrement de nouvelles contraintes pour les médecins en oubliant que les déserts médicaux ne sont que la résultante d’une politique votée par une Assemblée de toutes couleurs politiques au fil des ans. Il fallait réduire l’offre médicale pour empêcher les Français de consommer, d’où une diminution drastique du numerus clausus… Ces mêmes politiciens qui se battent pour un fauteuil qu’ils s’empressent de déserter au point de ne voter les lois qu’à une dizaine, trop pressés de retourner dans leur circonscription, auprès de leurs électeurs, pour ne pas dire de leur famille. Si la permanence des soins est une obligation légale, la présence des députés sur leur lieu de “travail” n’a pas les mêmes contraintes. Si un député qui n’est pas à l’Assemblée est en train de travailler ailleurs, pourquoi en serait-il autrement d’un praticien qui n’est pas à son cabinet ?

Est-ce vraiment au pouvoir d’achat des Français que pensent ces articles ? En plus de reprendre le discours politique qui convient, la presse fait le jeu des complémentaires santé en incitant le patient à négocier les tarifs du médecin. Ces assurances privées ont vu leurs profits fondre avec la crise qu’elles ont contribué à générer au même titre que les banquiers.Médecin et acte gratuit Sous couvert de défendre l’assurance-maladie, qui ne rembourse pas plus une visite chez un médecin à honoraires “libres” que chez un médecin limité au tarif de base, ce sont des intérêts privés qui sont en jeu. En parallèle d’un portail en ligne permettant aux patients de comparer les tarifs des médecins, pourquoi la Sécurité sociale n’a-t-elle pas mis en place un service donnant la possibilité à ses assurés de faire jouer la concurrence en matière de mutuelles et de complémentaires santé ?

Personne ne nie qu’il puisse exister des excès ou des médecins malhonnêtes. La grande majorité des médecins appellent de leurs vœux des contrôles basés sur un modèle de santé publique. Tous rejettent une inquisition menée dans un esprit purement économique servant à donner l’illusion qu’une politique sociale démagogique et fondée sur l’assistanat est la seule voie possible. Tous refusent des tarifs imposés qui ne tiennent pas compte des coûts réels des soins (amortissement du matériel qui évolue sans cesse, charges liées au personnel employé ou aux locaux qui n’ont de cesse d’augmenter, frais engagés pour répondre à des normes tous les jours plus exigentes, simple répercussion du coût de la vie qui progresse dans des proportions bien supérieures aux chiffres officiels, etc.).
Malgré cela et depuis bien longtemps, de très nombreux praticiens libéraux adaptent leur honoraires en fonction des difficultés sociales des patients lorsqu’ils en ont connaissance. Malheureusement, les résultats du système permettant de quantifier le nombre d’actes gratuits en France sont inutilisables, car les médecins, las des contraintes administratives, ne prennent pas le temps de remplir une feuille de soins ou de télétransmettre lorsqu’ils ne font rien régler au patient. Et quand bien même, certains employés de la Sécurité sociale reconnaissent sous couvert d’anonymat qu’ils arrivent régulièrement que les feuilles “acte gratuit” ne soient pas prises en compte. Personne n’évoque cette activité médicale bien réelle.

Des praticiens qui font du social depuis bien plus longtemps que les politiques

Les médecins n’ont pas attendu la CMU pour faire du social, mais cette générosité n’a jamais été médiatisée. Il faut dire qu’elle a des inconvénients aux yeux des politiques : à l’inverse de la CMU, ils ne peuvent s’en prévaloir. Elle a un autre “défaut”, c’est qu’il est possible qu’elle soit discriminante. Non pas dans un sens péjoratif, teinté de racisme et de choix iniques, mais plutôt dans un esprit positif. Le médecin est proche des patients ; il est reçu chez eux, confronté à leur intimité et il est bien souvent leur confident. Il est bien placé pour cibler les indigents. Mais les actions sociales de ce type ne sont pas populaires : seuls ceux qui en ont réellement besoin en bénéficient et, là encore, les élus ne gagnent pas de voix. Grâce aux actes gratuits ou à la modulation spontanée de son tarif, le médecin respecte son serment d’Hippocrate bien plus souvent qu’on ne le croit. Il le fait naturellement, sans contrainte. En imposant un système d’aide sociale politiquement correct, mais très mal adapté au secteur privé, les praticiens se sont braqués. Ils ont la très nette impression d’être le seul élément du dispositif à se voir imposer des obligations, avec la sensation, en plus, de devoir assumer parfois une part financière non négligeable de ce même système.

Absurdité du système, les médecins hospitaliers ne sont pas autorisés à pratiquer des actes gratuits et se voient réprimandés par l’administration s’ils le font. La générosité des services publics et le salariat, même si le médecin est censé exercer en toute indépendance, ont leurs limites. Nombreux sont pourtant ceux qui rêvent d’une disparition de la médecine salariale pour la voir remplacée uniquement par des praticiens salariés, en théorie moins onéreux et plus facilement corvéables. Là encore, c’est mal connaître l’histoire des systèmes de santé qui ont fait ces choix. Baisse de la qualité, chute de la motivation, développement d’un système parallèle, y compris sous des régimes qui pensaient que les sanctions et l’autorité éviteraient ce type de dérives. Même en France, l’hôpital public n’est pas reconnu comme un exemple lorsqu’il est question de qualité ou d’efficacité par rapport aux coûts des soins.

Vouloir un travail justement rétribué n’est pas manquer d’humanité

Que les médecins libéraux aient une sensation d’écoeurement face au système qu’on leur impose ne veut pas dire pour autant qu’ils aient perdu leur envie d’aider et de secourir toujours plus. Ils préfèrent s’investir dans des missions humanitaires et ils sont nombreux à répondre de façon anonyme et discrète à l’appel d’associations non gouvernementales venant pallier les aides officielles…

Ne pas négocier doit-il être considéré comme un manque d’humanité ? Comme une volonté irascible de faire des profits ? N’est-ce pas plutôt le souhait de rester indépendant, de s’opposer à une pression sociale orchestrée par ceux qui cherchent à faire oublier qu’ils en sont les principaux responsables ? Un désir de pouvoir maintenir une qualité de soins ? La possibilité de continuer à investir pour une meilleure prise en charge des patients ? Le choix de jouer la carte de la santé publique, plutôt que celle du commerce ?

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