Responsabilité médicale et faute du patient

Écrit par Georges Lacoeuilhe, Hannah Chéreau le . Dans la rubrique Actualités, Jurisprudences

 

« Sur la responsabilité du centre hospitalier de Troyes :

  • 4. Considérant que Madame A a été prise en charge, le 31 janvier 2005, par le centre hospitalier de Troyes, pour une blessure de la face palmaire des 4e et 5e doigts de la main droite avec section des tendons fléchisseurs ; qu’il résulte de l’instruction, et notamment de l’expertise ordonnée en première instance, que seul le tendon profond de l’annulaire a été suturé et qu’en méconnaissance des règles de l’art, le praticien n’est intervenu ni sur le tendon superficiel du 4e doigt ni sur le tendon profond du 5e doigt ; que, par ailleurs, l’immobilisation des doigts mise en place après l’intervention était inadaptée tant dans sa position que dans sa durée ; que les fautes, au demeurant non contestées, ainsi commises dans la prise en charge de Madame A sont de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;
  • 5. Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expertise, que les erreurs commises dans la prise en charge de la patiente ont permis un lâchage des sutures et ainsi entraîné une perte de chance, pour la patiente, d’obtenir une consolidation satisfaisante de son état ; que, toutefois, compte tenu de sa gravité, la blessure initiale présentée par Madame A aurait, dans tous les cas, laissé des séquelles à la requérante ; que les conséquences dommageables de la blessure ont également été aggravées par l’attitude de Madame A, qui n’a pas respecté les consignes strictes d’immobilisation des doigts préconisées par le chirurgien ; qu’il sera, dans ces conditions, fait une juste appréciation de la part de responsabilité du centre hospitalier de Troyes en la fixant à 40 % des préjudices subis par l’intéressée […] »

 

L’arrêt rendu le 13 juin 2013 par la cour d’appel administrative (CAA) de Nancy aurait pu passer inaperçu s’il n’avait pas été rendu en matière de responsabilité médicale.

©Les faits sont simples : suite à une blessure de la main, Madame A. est prise en charge par le centre hospitalier de Troyes. Les soins qui lui sont délivrés s’avèrent à la fois insuffisants et inadéquats, ce que révéleront par la suite les opérations d’expertise administratives diligentées. En dépit des fautes techniques certaines commises par l’établissement de soins, le tribunal administratif de Nancy1 fixait à 30 % seulement la part de responsabilité lui incombant. En effet, l’attitude postopératoire de la patiente, qui n’avait pas respecté les consignes strictes d’immobilisation des doigts données par son chirurgien, avait largement contribué à l’aggravation de son dommage.

La caisse primaire d’assurance maladie de la Haute Marne interjetait appel de cette décision, suivie par la patiente qui formait un appel incident sur la question de l’exonération partielle de responsabilité dont avait bénéficié le centre hospitalier.

Sur ce point, la cour administrative d’appel confirmait sans équivoque l’analyse des juges du premier degré et élevait simplement la part de responsabilité du centre hospitalier à 40 % au lieu des 30 % retenus en première instance.

À l’aune des principes jurisprudentiels traditionnels régissant la responsabilité pour faute, cette solution pourrait hâtivement être jugée classique. Elle ne fait qu’appliquer une cause d’exonération reconnue par le juge administratif, mais également par le juge judiciaire : la faute de la victime, exonératoire de responsabilité, dès lors qu’elle contribue partiellement ou totalement au dommage.

Pourtant, et alors même que la jurisprudence fourmille de décisions minorant la responsabilité du praticien ou de l’établissement de soins au regard de faits exonératoires commis par des tiers, force est de constater la frilosité des juges quant à la reconnaissance d’une faute du patient comme cause d’exonération.

Liberté de choix du patient, principe d’inviolabilité du corps humain, nombreux sont les arguments allant à l’encontre du caractère exonératoire que peut revêtir le comportement du patient dans son parcours de soin.

Toutefois, cette décision courageuse apparaît aussi légitime que salutaire : suffisamment respectueuse des principes généraux de responsabilité, elle s’inscrit dans un mouvement louable de revalorisation de la relation médecin-malade, redonnant ses lettres de noblesse au terme générique de « contrat de soin ».

 

De l’application justifiée et encadrée des principes généraux de responsabilité en matière médicale

C’est en appliquant strictement une des solutions les plus classiques du droit commun de la responsabilité administrative et judiciaire que la cour administrative d’appel de Nancy s’est démarquée : la faute de la victime, en lien causal admissible avec son préjudice, est une cause d’exonération y compris en matière de responsabilité médicale.

De l’appréciation pragmatique et raisonnable d’une faute du patient

–     Sur l’élément constitutif de la faute du patient

En droit administratif, la faute de la victime est reconnue comme une cause d’exonération de nature à limiter ou exclure la responsabilité de l’administration2. Le Juge administratif fait régulièrement application de ce principe, dans des contentieux particulièrement divers (exonération partielle de la responsabilité d’une université envers une enseignante3, comportement imprudent du skieur limitant la responsabilité de la commune4, non-respect délibéré du règlement intérieur d’une piscine municipale par l’usager exonérant partiellement la responsabilité communale5, etc.).

En droit privé, la faute de la victime est également une cause d’exonération traditionnelle de droit commun. Les mêmes conditions sous-tendent là encore cette exonération : la caractérisation d’une faute de la victime, et la détermination d’une incidence causale reliant cette faute, en tout ou en partie, au dommage subi6.

Pourtant, en matière de responsabilité médicale, rares sont les décisions administratives comme judiciaires ayant reconnu le rôle du patient dans l’avènement du dommage7. La Haute Juridiction de l’ordre judiciaire a pourtant, dans un arrêt du 17 janvier 2008, posé sans équivoque le principe d’application de cette cause d’exonération en matière de responsabilité médicale : « Seule une faute du patient peut exonérer, totalement ou partiellement, le praticien de sa responsabilité.8 ».

Ce constat, à l’évidence multifactoriel, s’explique notamment par la difficulté des juges administratifs et judiciaires à apprécier le comportement du patient, considéré sous le seul prisme de son rôle de créancier premier du contrat de soin.

Sur ce seul point, l’arrêt de la cour d’appel de Nancy présente un intérêt certain. Par un considérant de principe laconique, mais non lacunaire, la Cour précise que la négligence du patient, qui s’abstient de suivre des consignes postopératoires, est de nature à exonérer l’hôpital d’une partie de sa responsabilité si elle a contribué à aggraver le dommage subi. Le non-respect de prescriptions thérapeutiques est ainsi érigé en comportement fautif du patient.

–     Sur la caractérisation de la faute du patient

Le juge administratif délivre ici une appréciation pleine de bon sens de la faute du patient : à la diligence de l’établissement de soins (ou du praticien si l’on devait raisonner en terme d’exercice libéral) doit répondre une observance du patient, conformément au processus thérapeutique mis en place.

La décision est d’autant plus intéressante au regard des faits de l’espèce. En effet, la CAA retient le caractère fautif du non-respect des consignes d’immobilisation alors même qu’au nombre des erreurs commises par le centre hospitalier, le Juge recense également le caractère inadapté de l’immobilisation mise en place9.

Ainsi, et même si l’immobilisation préconisée était source de défauts préjudiciables, la patiente devait la respecter compte tenu du risque d’aggraver d’autant plus le dommage initial. Cette décision n’est pas surprenante dans la mesure où le patient ne saurait se substituer au soignant dans l’appréciation de la thérapie qu’il convient d’adopter. En outre, et à supposer inadaptées les modalités d’immobilisation prescrites, le principe même d’une immobilisation postopératoire était légitime et ne pouvait pas être négligé par la soignée.

Enfin, la qualification fautive de la négligence du patient dans le suivi des prescriptions médicales qui lui sont données reste conditionnée à une exigence de fond aux conséquences évidentes sur le plan probatoire : la parfaite connaissance par le patient de ces prescriptions, de leurs modalités et de leur visée. La cour administrative d’appel de Nancy utilise à ce titre le terme de « consignes strictes ».

Ainsi, il reviendra à l’établissement de soins ou au praticien concerné d’attester de la bonne délivrance de ces consignes strictes. Le dossier médical du patient aura alors toute son importance pour établir qu’une information précise, mais également personnalisée10, lui a bien été délivrée (fiche d’information, ordonnances, compte-rendu de consultations, etc.).

D’un lien causal admissible entre la faute du patient et le préjudice

Dans le droit chemin des principes généraux de responsabilité, l’exonération totale ou partielle de la responsabilité du praticien ou de l’établissement de soins assurant la prise en charge d’un patient ne peut être admise que si la faute de celui-ci a une incidence causale sur le dommage survenu. L’exonération sera ainsi totale si la faute du patient est à l’origine du dommage, et partielle si, cumulée à d’autres faits générateurs, elle participe à la survenue du dommage.

L’arrêt commenté, à l’instar de celui rendu par la Cour de cassation le 17 juin 2008, se prononce sur un cas de figure particulier : la faute du patient susceptible d’exonérer partiellement la responsabilité du praticien est uniquement en lien avec l’aggravation d’un dommage originel causé exclusivement par le praticien ou l’établissement hospitalier.

–     Le respect certain du principe de réparation intégrale du dommage

En premier lieu, les détracteurs de cette solution pourraient arguer du principe de réparation intégrale du dommage qui régit tant les relations de droit public administré-administration que les relations contractuelles de droit privé, avec, concernant ces dernières, la notion de « dommage prévisible » au sens de l’article 1150 du Code Civil11.Ciseaux et ligne pointillée

Toutefois, ce principe de réparation intégrale du préjudice ne nous semble aucunement altéré par l’arrêt commenté. La réparation intégrale du préjudice s’entend en effet de la réparation intégrale des préjudices réparables juridiquement, ou, autrement dit, de ceux en lien causal direct et certain avec la faute du débiteur.

À ce titre, juge administratif et juge judiciaire reconnaissent le rôle causal des pathologies préexistantes du patient, dans la survenue comme dans l’aggravation de son dommage . Admettre cette incidence causale, mais réfuter le rôle causal d’une faute commise par le patient dans l’aggravation de son dommage12 confinerait à un déséquilibre injustifié.

Comprise dans une conception non juridique, mais factuelle, la réparation intégrale et automatique du préjudice par le responsable du dommage initial reviendrait à nier l’ensemble des imbrications émaillant l’évolution de l’état de santé d’un patient, et au compte desquelles le comportement du patient doit être recensé au même titre que d’autres faits générateurs.

D’ailleurs, n’est-ce pas le sens même de l’existence des causes exonératoires de responsabilité, dont la caractéristique première est, en droit public comme en droit privé, de créer une rupture ou une altération du lien causal entre la faute du débiteur et le préjudice telle que le dommage n’apparaisse plus prévisible. La cour administrative d’appel de Nancy s’appuie, en toile de fond, sur la prévisibilité du risque : le chirurgien de l’établissement hospitalier ayant donné des consignes strictes d’immobilisation, l’aggravation du dommage par le non-respect délibéré de ces consignes constitue un évènement imprévisible pour l’établissement de santé qui ne peut dès lors en être tenu à réparation.

–     L’absence d’obligation de minimiser ses dommages et ses contradictions en matière médicale

En second lieu, les détracteurs de l’arrêt commenté pourraient, par une lecture trop hâtive de cette décision, objecter qu’il ne pèse pas sur la victime d’obligation de minimiser son dommage, conformément au principe d’indifférence du comportement de la victime posée par les célèbres arrêts rendus par la 2e chambre civile le 19 juin 200313 et à la doctrine classique du droit public14.
Il convient toutefois de ne pas confondre « obligation de ne pas aggraver son dommage » avec « obligation de minimiser son dommage ». L’arrêt commenté se prononce sur la première question, répondant à juste titre aux principes d’équité et d’indemnisation du seul dommage prévisible rappelés supra. Enfin et à supposer que la nuance entre ces deux obligations paraisse ténue pour certains, une question mérite d’être soulevée : l’obligation de minimiser le dommage n’aurait-elle pas vocation à être reconnue dans la relation soigné-soignant ?

En effet, le refus du droit français à reconnaître un devoir de minimiser son dommage se justifie aisément : l’intérêt pécuniaire du débiteur tenu à indemnisation n’a pas, pour des raisons éthiques indiscutables, à être pris en compte par la victime. Cependant, en matière médicale, n’y a-t-il pas avant tout un devoir personnel, ou à tout le moins un intérêt personnel du patient à minimiser son dommage ?

Le patient, même créancier d’une faute technique, reste acteur de sa santé. Sur ce point, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy revêt un intérêt quasi pédagogique, en ce qu’il souligne indirectement l’intérêt d’une autonomisation et d’une responsabilisation du patient dans son processus thérapeutique. Il est d’ailleurs intéressant de souligner qu’en amont des arrêts de 2003 précités, dont l’un est rendu en matière de dommage corporel15, la Cour de cassation reconnaissait, dans certaines décisions, une faute de la victime pour refus de soin16. En substance, un refus fautif de se soumettre à des soins pouvait justifier que la victime supporte seule les conséquences de cette attitude créatrice d’une aggravation du dommage initial. Les critères de détermination du caractère fautif du refus de soins opposé par la victime ont notamment fait l’objet de plusieurs décisions par la suite qui permettaient d’encadrer d’une part, la nature des soins dont le refus pouvait être qualifié de fautif17, et d’autre part, l’appréciation in concreto qui devait en être faite18.

Ainsi étaient esquissés les contours d’une participation nécessaire de la victime à l’amélioration de son préjudice corporel, dans les limites certaines et raisonnables de ce qu’il lui était possible in concreto de faire. L’arrêt de 2003 rendu par la Cour de cassation a de façon regrettable mis à mal une reconnaissance encadrée du devoir de minimiser son dommage corporel.

En matière de responsabilité médicale, ce refus de principe se comprend d’autant moins que les arrêts fondateurs de 2003 ont été rendus en matière d’accident de circulation, sous l’égide du droit commun de la responsabil
ité délictuelle.

Est-il véritablement légitime d’appliquer le même raisonnement en matière contractuelle, et partant, au contrat de soin établi entre le soignant et le soigné ? Force est de constater que cette question porte à controverses. Certains auteurs se dressent en effet en farouches défenseurs d’une obligation de minimiser le dommage en matière contractuelle19. Cette position est d’autant plus défendable que celle-ci est retenue par le droit positif dans la vente internationale20 et le droit européen des contrats21, certainement inspirés du principe anglo-saxon de mitigation of damages22. Dans le même esprit et cette fois-ci en droit interne, le Code des assurances fait peser sur l’assuré une obligation de contribution au sauvetage des avaries en matière de transport maritime23.

Dans la mesure où la relation soignant-soigné est une relation contractuelle qui porte sur des dommages corporels, n’y a-t-il pas lieu de reconnaître au patient, en sus de l’obligation de ne pas aggraver son dommage, le devoir d’en limiter les conséquences, sous la réserve évidente d’une marge de manœuvre appréciée in concreto ?

 

Du rééquilibrage salutaire des rôles dans la relation médecin-patient

La reconnaissance prétorienne de la faute du patient comme cause exonératoire de responsabilité du praticien est sous-tendue, in fine, par l’appréciation d’un comportement attendu du patient dans la gestion thérapeutique.

Ainsi, en exonérant partiellement l’établissement de santé, la cour administrative d’appel de Nancy esquisse, en filigrane d’une décision pragmatique et raisonnable, le comportement “standard” du patient, et s’inscrit à ce titre dans un courant salutaire de responsabilisation du soigné au profit d’une refonte plus équilibrée de sa relation avec les soignants.

De l’autonomisation et responsabilisation progressive du patient

Nonobstant la réticence des tribunaux à retenir une participation parfois fautive du soigné dans sa gestion thérapeutique, il ressort de diverses décisions l’esquisse de devoirs mis à sa charge à divers stades du contrat de soins.

–     L’esquisse jurisprudentielUn médecin serre la main d'un patientle d’obligations contractuelles à la charge du patient

En premier lieu, à l’obligation d’information et de juste indication thérapeutique mises à la charge du praticien, répond une obligation de transparence du patient dans les éléments qu’il lui indique, à l’instar, le parallèle n’est pas anodin, de l’obligation de déclaration préalable du risque auquel un assuré est tenu à l’égard de son assureur.

Ainsi, dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 21 février 1967, était retenue l’exonération totale de la responsabilité du médecin auprès duquel le malade avait à tort déclaré n’avoir suivi aucun traitement antérieur, ce qui avait empêché le praticien de prévoir les conséquences éventuelles du traitement qu’il ordonnait. Dans le prolongement de ce raisonnement, la cour administrative d’appel de Nantes estimait, dans un arrêt du 21 décembre 1995, que la patiente ayant subi un dommage consécutif à une vaccination avait commis une faute en omettant de mentionner ses antécédents allergiques24.

En second lieu, le patient peut parfois être tenu de respecter des consignes au stade même de l’acte de soin. Il en avait été jugé de la sorte dans un arrêt du 9 novembre 199925 rendu par la Cour de cassation. Les faits d’espèce étaient simples. Au décours d’un examen radiologique, une patiente s’était blessée en descendant sans aide de la table d’examen. La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, avait retenu pour écarter la responsabilité du praticien, d’une part, que la table ne comportait aucune anomalie, et d’autre part, que la patiente avait pris l’initiative de descendre sans l’aide et l’autorisation du médecin.

Plus récemment, la cour d’appel de Paris se prononçait sur l’indemnisation des conséquences du passage massif d’un produit de contraste dans les espaces méningés de la tête du patient lors d’une myélographie. Afin d’éviter ce passage de produit toxique aux conséquences particulièrement lourdes, le praticien était tenu de veiller à la mise en œuvre de mesures de sécurité tenant à la position surélevée de la tête du patient pendant l’acte. Bien qu’elle rejetait en l’espèce les moyens exposés par le praticien afin de s’exonérer de sa responsabilité, la Cour de cassation énonçait : « Qu’il ne peut s’exonérer de cette responsabilité qu’en prouvant que le dommage est survenu alors que le personnel avait reçu les consignes de sécurité nécessaires et n’était plus sous son contrôle ou encore qu’il est lié à une faute du patient qui, dûment informé de la position à garder, n’a pas observé les recommandations données »26 . La faute du patient n’est pas caractérisée dans les faits, mais nous notons la reconnaissance d’une obligation d’observance du patient dont le non-respect peut être exonératoire.

Enfin, s’agissant des consignes postopératoires, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy semble s‘inscrire dans une série d’arrêts, peu nombreux, mais appréciables, esquissant là encore le comportement attendu du patient.

Dans un arrêt du 26 octobre 2004 non publié au Bulletin27, la première chambre civile confirmait l’arrêt de la cour d’appel d’Agen qui avait écarté la responsabilité d’un chirurgien orthopédiste dans la mesure où la déformation du tibia constatée en post opératoire était due exclusivement au non-respect par la patiente des consignes strictes de port d’une genouillère et d’appui à l’aide de cannes. La faute de la patiente a ici un caractère exonératoire total de la responsabilité du chirurgien et résulte bien d’un manquement à son obligation d’observance. Une décision similaire avait déjà été rendue en 2001 : le patient qui s’était livré prématurément, après une arthroscopie du genou, à des activités contre-indiquées, n’a pas pu engager la responsabilité du praticien à la suite de l’apparition d’une arthrite septique28.

–     La sauvegarde légitime de la liberté de choix du patient

Au regard de ces décisions, une question se pose cependant : l’esquisse d’une obligation d’observation peut-elle être considérée comme antinomique avec le principe d’inviolabilité du corps humain, et le principe corollaire de liberté de choix du patient ?

Ce dernier bastion en faveur d’une indulgence absolue à l’égard des fautes du patient est également battu en brèche.

En effet, et en premier lieu, le devoir d’observance qui s’évince des différentes jurisprudences citées et notamment de l’arrêt commenté n’est pas une obligation juridique au sens littéral du terme, qui induirait en conséquence, une obligation de réparation en cas de manquement qui lui serait fait. L’émergence d’un comportement “standard” du patient est, et restera, un outil dans l’appréciation de la responsabilité du débiteur du contrat de soin : le praticien ou l’établissement de soins public ou privé.

L’engagement de leur responsabilité doit être regardé en fonction des moyens de défense dont ils bénéficient à juste titre : les causes d’exonération, dont la faute de la “victime”, en font partie. À ce titre, la liberté du patient est parfaitement préservée, dès lors qu’elle ne saurait se confondre en une impunité absolue : si au titre de cette liberté, une faute est commise par le soigné, il est légitime qu’elle joue un rôle d’exonération, évalué par le juge, dans l’indemnisation due par le co-responsable…

Enfin, l’objectif de soin ne peut pas être sacrifié sur l’autel des grands principes de la liberté du patient. L’arrêt commenté, comme les autres décisions susmentionnées, atteste d’une reconnaissance mesurée et équitable de la faute du patient comme cause d’exonération. L’obligation d’observance est ainsi circonscrite à des consignes strictes et justifiées, le juge restant garant de l’appréciation in concreto qu’il convient d’en être donné.

De la gérance paternaliste à la cogestion thérapeutique : une évolution bénéfique de la relation médecin-malade

Nous le savons : les deux dernières décennies ont été marquées par une profonde mutation de la relation médecin-malade. Loin est le temps de la sacralisation inconsciente de la parole du médecin par son patient, tributaire d’un langage et d’une technicité qu’il ne maîtrisait et n’entendait pas, au demeurant, questionner…

Affaires du sang contaminé, de l’hormone de croissance, infections sérielles en établissement de soins, etc. . Bien plus que les célèbres satires de Molière ou Jules Romains, la crise sanitaire de la fin du siècle précédent a mis à mal la confiance pérenne qui liait la personne malade aux professionnels de santé.

C’est dans ce contexte de drames de la santé publique que s’inscrivait en réponse salvatrice, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, opérant une refonte structurelle du droit de la santé, conformes aux avancées jurisprudentielles : clarification des droits des malades, redéfinition des fondements de la responsabilité des professionnels de santé, mise en place de nouveaux systèmes d’indemnisation, etc. .

La loi du 4 mars 2002 érigeait à l’égard des praticiens de nouvelles obligations, ou précisait celles préexistantes.

Mais en définitive, l’esprit de cette loi était, bien plus que son verbe, à l’origine d’une mutation fondamentale du contrat de soins liant le praticien à son patient.

En effet, la reconnaissance de la place centrale du patient dans le système de santé a eu l’effet pervers d’aboutir à une nouvelle asymétrie de la relation médecin-patient, fondée sur une judiciarisation croissante des affaires de responsabilité médicale, et décrite comme suit par le professeur A. Laude : « Dans une certaine mesure, la loi a donc compensé une asymétrie qui mettait tout le pouvoir du côté du médecin par une asymétrie qui met du pouvoir et notamment juridique du côté du patient. Le législateur a donc ainsi opéré une translation de l’asymétrie de base »29.

Allant de Charybde en Scylla, la défiance originelle est désormais inversée entre médecin et patient, conservant in fine intact le malaise de leur relation.

Pourtant, l’amélioration du système de santé tout entier passe, en premier lieu, par l’amélioration du rapport liant la personne malade à son médecin. L’impératif de santé ne peut pas être parasité par l’anticipation de litige potentiel d’une part, envisagé, et d’autre part, redouté.

À ce titre, il y a un intérêt fondamental à rappeler les fondements de la loi du 4 mars 2002, et d’éviter la perpétuation de ses effets pervers : la notion de partenariat est au cœur du contrat de soin, et la bonne exécution de celui-ci suppose le respect par chacun de ses droits, mais également de ses devoirs.

L’autonomisation et la responsabilisation du patient comme cogérant de sa thérapie ne peuvent être efficientes que si elles sont attachées à des conséquences dans l’exécution du contrat de soins.

 

Georges Lacoeuilhe, Hannah Chéreau — Avocats au barreau de Paris

 

 


1— Arrêt du 28 juin 2012, no 0902137.
2— J. Moreau, L’influence de la situation et du comportement de la victime sur la responsabilité administrative, LGDJ, 1957, p. 229.
3— Conseil d’État, 23 août 2006, requête no 273902 : « Il résulte toutefois de l’instruction que Mme A a, en faisant preuve d’une attitude difficile à l’égard de ses collègues, contribué à cette situation et commis ainsi une faute de nature à exonérer l’université de la moitié de sa responsabilité ».
4— CAA Lyon, 23 juin 2009, no 06LY01813 ; CAA Bordeaux, 20 juin 2006, no 03BX01373 ; CAA Nancy, 14 décembre 2006, no 05NC01012.
5— CAA Paris, 22 décembre 2006, no 03PA03066.
6— « Le fait non imprévisible ni inévitable de la victime ne constitue une cause d’exonération partielle pour celui qui a contracté une obligation déterminée de sécurité que s’il présente un caractère fautif » — Cour de cassation, chambre civile 1, 31 janvier 1973, no de pourvoi 71-12953 : Bull. Civ. I, no 41 ; R. 1972-1973 p. 55 ; D. 1973. 149, note Schmelck ; JCP 1973. II. 17450 (1re esp.), note Starck ; RTD Civ. 1973.576, obs. Durry.
« Lorsqu’il existe à la fois faute du créancier et faute du débiteur, il n’y a exonération partielle du débiteur que si le fait de la victime constitue, quelle que soit la nature de l’obligation contractuelle, une faute relativement grave. » — Ph. Malaury, L. Aynes, Ph. Stoffel Munck, Les obligations, Défrenois 2004, no 958.
7— Notons toutefois l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Nantes, du 6 mars 2008, no 07NT00827, limitant la responsabilité d’un établissement hospitalier eu égard à la négligence du patient qui, s’abstenant de réaliser un cliché postopératoire demandé par son médecin, avait empêché l’ablation immédiate d’une compresse oubliée et contribué ainsi à la survenue d’une complication ultérieure.
8— Cour de cassation, chambre civile 1, 17 janvier 2008, no de pourvoi 06-20107, F-BP+B, G. c/B. : JurisData no 2008-042306.
9— « […] Qu’il résulte de l’instruction, et notamment de l’expertise ordonnée en première instance, que seul le tendon profond de l’annulaire a été suturé et qu’en méconnaissance des règles de l’art, le praticien n’est intervenu ni sur le tendon superficiel du 4e doigt ni sur le tendon profond du 5e doigt ; que, par ailleurs, l’immobilisation des doigts mise en place après l’intervention était inadaptée tant dans sa position que dans sa durée (…) ».
10— Au sens de l’article R 4127-35 du Code de la Santé publique : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. »
11— Un dommage est prévisible, au sens de l’article 1150, lorsqu’il peut être normalement prévu par les contractants au moment de la conclusion de la convention. Cour de cassation, chambre civile 1, 25 janvier 1989 : D/1989. IR 47.
12— Rappelons sur ce point qu’il appartient successivement à l’expert, “juge” de l’imputabilité médicale, puis au juge, sur la base des indications fournies par l’expert, de distinguer dans l’évaluation des préjudices ce qui est lié ou non au dommage causé par le soignant.
13— L’auteur d’un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables et la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable — Cour de cassation, chambre civile 2, 19 juin 2003, no de pourvoi 01-13289 : Bull. Civ. II no 203 (arrêts no 1 et no 2).
14— Maryse Deguergue, L’obligation de minimiser son propre dommage existe-t-elle en droit public français ?, Petites Affiches, 20 novembre 2002, no 232, p.61.
15— 2d arrêt : en l’espèce, les soins refusés par la patiente consistaient en une « rééducation orthophonique et psychologique ».
16— Ainsi, dans un arrêt du 30 octobre 1974 portant sur le refus d’une transfusion sanguine par un témoin de Jéhovah atteint d’une hémorragie interne à la suite d’un accident de circulation, la Haute Juridiction avait reproché aux juges du fond de n’avoir pas recherché « si la victime avait pu par sa faute se priver d’une chance de survie en n’acceptant pas sciemment les soins que nécessitait son état » alors qu’« une telle faute [devait] être retenue pour la réparation du préjudice subi lorsque ce refus a concouru à la réalisation du dommage. »
17— « Il résulte de l’article 16-3 du Code civil que nul ne peut être contraint, hors les cas prévus par la loi, de subir une intervention chirurgicale. » Cour de cassation, chambre civile 2, 19 mars 1997, no de pourvoi 93-10914 : Bull. Civ. II, no 86 ; RTD Civ. 1997. 675, obs. P. Jourdain. Une exégèse simple de cette solution permet d’affirmer qu’a contrario, le refus de la victime de se soumettre à des soins autres que chirurgicaux en vue de minimiser son dommage peut être considéré comme fautif.
« […] les tribunaux apparaissaient particulièrement prudents et sages. Ils ne reprochaient généralement son refus à la victime que si les soins étaient ni dangereux, ni douloureux, ni aléatoires dans leurs résultats. » dans La condamnation par la Cour de cassation de l’obligation de minimiser le dommage — Stephan Reifergeste, Petites affiches, 17 octobre 2003, no 208, p. 16.
18— Sur la prise en compte de la personnalité de la victime : Tribunal de Grande instance Paris, 13 mai 1981, JCP 1982. 11. 1987, note F. Chabas, jugeant légitime le fait, pour l’intéressé de refuser de se soumettre à une intervention « subjectivement inquiétante ».
19— « La condamnation par la Cour de cassation de l’obligation de minimiser le dommage / III — Ce que nous espérons : la consécration de l’obligation de minimiser le dommage en matière contractuelle » — Stephan Reifergeste, Petites affiches, 17 octobre 2003, no 208, p. 16.
« Il nous semble en effet que, dans certains cas, la victime ne peut impunément rester passive et laisser s’aggraver son dommage au détriment du responsable. Son comportement doit pouvoir être sanctionné à chaque fois qu’il peut être jugé fautif. Le fait que, en droit français, le juge se place au jour où il statue pour évaluer le dommage, lui permet utilement de tenir compte de la faute de la victime qui aurait contribué à son aggravation ou aurait empêché de le réduire, dans un souci de responsabilisation de celle-ci. On ajoutera d’ailleurs qu’en matière contractuelle, l’obligation de bonne foi dans l’exécution représente une autre illustration de l’exigence de modération, avec ses sanctions propres. » — Patrice Jourdain dans La Cour de cassation nie toute obligation de la victime de minimiser son propre dommage, RTD Civ. 2003, p. 716.
20— Convention de Vienne du 11 avril 1980, article 77 / article 7.4.8 des Principes Unidroit : « Le débiteur ne répond pas du préjudice dans la mesure où le créancier aurait pu l’atténuer par des moyens raisonnables ».
21— Principes européens du droit des contrats, article 9.505, alinéa 1er : « Le débiteur n’est point tenu du préjudice souffert par le créancier pour autant qu’il aurait pu réduire son préjudice en prenant des mesures raisonnables. »
22— Selon ce principe, le débiteur peut opposer au créancier sa conduite postérieure au dommage, afin de diminuer le montant des dommages et intérêts qu’il doit lui verser.
23— Article L 172-23 du Code des assurances : « L’assuré doit contribuer au sauvetage des objets assurés et prendre toutes mesures conservatoires de ses droits contre les tiers responsables. Il est responsable envers l’assureur du dommage causé par l’inexécution de cette obligation résultant de sa faute ou de sa négligence. »
24— CAA Nantes, 21 décembre 1995, no 94NT00321.
25— Cour de cassation, chambre civile 1, 9 novembre 1999, pourvoi no 98-10010.
26— Cour d’appel de Paris, Chambre 1, Section B, 31 octobre 2008, no 04/05859.
27— Cour de cassation, chambre civile 1, 26 octobre 2004, no de pourvoi 02-20747.
28— Cour de cassation, chambre civile 1, 27 mars 2001, no de pourvoi 99-17672.
29— Le patient, un nouvel acteur de santé, Dalloz 2007, p. 1151.

 

 

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