L’irrecevabilité de l’action récursoire de l’ONIAM fondée sur un défaut d’information du médecin

Écrit par Georges Lacoeuilhe, Hannah Chéreau le . Dans la rubrique Actualités, Jurisprudences

L’action récursoire de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) peut-elle avoir pour fondement un défaut d’information du patient ?

Telle était la question récemment posée à la 1re chambre de la Cour de cassation laquelle, dans son arrêt du 18 décembre 2014 (n°13-21.019), a répondu par la négative.©

En l’espèce, un jeune homme de 20 ans avait, au cours d’une intervention réalisée en 2003 par un chirurgien orthopédiste, contracté une infection nosocomiale. Particulièrement virulente, cette infection entrainait le décès du jeune homme 7 jours seulement après l’intervention.

Suite aux opérations d’expertise judiciaire qui confirmaient le caractère nosocomial de l’infection contractée, les ayants droit du patient assignaient l’ONIAM devant le tribunal de grande instance de Quimper afin d’obtenir la réparation intégrale de leur préjudice, sur le fondement de l’article L 1142-1-1 1° du Code de la santé publique[1].

Action récursoire, faute du praticien à l’origine du dommage et obligation d’information

Toutefois, l’ONIAM appelait en cause le chirurgien du patient décédé afin d’exercer son action récursoire laquelle, aux termes de l’article L 1142-21 du Code de la santé publique, est conditionnée à la réalisation par le praticien d’ « une faute à l’origine du dommage[2] ». L’ONIAM se fondait sur le manquement du chirurgien à son obligation d’information, à l’origine d’une perte de chance devant être réparée.

Les juges du fond n’accueilleront pas la demande de l’ONIAM, le tribunal de grande instance estimant que l’action en réparation découlant d’un manquement du praticien à son devoir d’information devait être réservée au destinataire de cette information, c’est-à-dire le seul patient. La cour d’appel confirmera le jugement, mais sur un fondement différent, à savoir que l’action récursoire « n’était pas fondée dans la mesure où cette faute [le défaut d’information, NDLR] n’est pas à l’origine du dommage indemnisé par l’ONIAM, mais seulement à l’origine d’une possibilité de l’éviter »[3].

C’est dans ces conditions que l’ONIAM formait un pourvoi devant la Cour de cassation, aux termes duquel il arguait que la cour d’appel avait violé la loi en limitant le champ de l’action récursoire aux seuls cas de fautes à l’origine certaine, directe et exclusive du dommage.

Dans son arrêt du 18 décembre 2014, la Cour de cassation va rejeter le pourvoi, mais en substituant un motif de pur droit à celui critiqué : « Il n’appartient pas à l’ONIAM, tenu en vertu de l’article L 1142-1-1 du Code de la santé publique, d’indemniser les victimes d’infections nosocomiales, de se prévaloir lorsqu’il exerce à l’égard d’un professionnel de santé l’action récursoire prévue par l’article L 1142-21 du même code, de la méconnaissance du droit, reconnu aux patients par l’article L 1111-2, d’être informés des risques des traitements qui leur sont proposés. »

Pour la Cour de cassation, ce n’est donc pas le caractère direct ou indirect, certain ou incertain du lien causal, qui détermine la recevabilité de l’action récursoire de l’ONIAM.

Pas de qualité à agir pour l’ONIAM en cas de défaut d’information

C’est la qualité à agir de l’ONIAM sur le fondement d’un défaut d’information que la Cour de cassation parait refuser, au prix d’une lecture stricte de la loi.

©A noter que les termes de cet arrêt ressemblent fort à ceux de l’arrêt du Conseil d’Etat rendu le 28 novembre 2014 dans un cas similaire[4].

Mais le Conseil d’Etat s’était montré plus précis puisque, en excluant le recours de l’ONIAM sur le fondement d’un défaut d’information, il avait cependant précisé que « le législateur n’a pas entendu exclure l’exercice de cette action lorsqu’une faute établie à l’origine a entrainé la perte d’une chance d’éviter l’infection nosocomiale ou d’en limiter les conséquences ».

Cette précision aurait mérité de figurer dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation pour ne pas laisser le moindre doute sur le fait que la seule notion de perte de chance ne prive pas l’ONIAM de l’exercice de sa subrogation.

Une telle solution, et c’était celle curieusement retenue par la cour d’appel de Rennes, aboutirait à priver l’ONIAM de son recours subrogatoire dans des proportions que le législateur n’avait certainement pas envisagées.

C’est bien dans le cas d’un défaut d’information, et dans ce seul cas, que la subrogation sera interdite à l’ONIAM, dans la mesure où il n’est pas personnellement créancier de l’obligation d’information pesant sur les professionnels de santé.

Automatiquement, l’action en réparation découlant de ce droit ne peut être exercée que par son seul titulaire.

Ces deux arrêts, rendus à vingt jours d’intervalle par les deux plus hautes juridictions françaises, illustrent la conception actuelle du droit à l’information, qui peut être considéré comme un droit de la personnalité[5].

Droit à l’information : un droit de la personnalité

Quelle peut être la portée de cette solution ?

Dans le cas sur lequel la Cour de cassation a été amenée à se pencher, l’ONIAM exerçait une action récursoire sur le fondement des dispositions de l’article L 1142-21 du Code de la santé publique.

Or, ces dispositions visent une configuration procédurale spécifique, celle où un patient ou ses ayants droit auraient décidé de demander réparation de leur préjudice à l’encontre de l’ONIAM directement devant le juge, sans avoir préalablement saisi la Commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales compétente d’une demande d’indemnisation amiable.

Cependant, l’ONIAM dispose d’une action récursoire dans deux autres cas de figure prévus aux articles L 1142-15 et L 1142-17 du Code de la santé publique.

L’article L 1142-15 offre à l’ONIAM une action subrogatoire à l’encontre de l’assureur du professionnel de santé qui contesterait l’avis de la Commission l’invitant à faire une offre d’indemnisation au patient en raison d’une faute. Compte tenu de la défaillance de cet assureur, l’ONIAM, après avoir procédé à l’indemnisation du patient, est subrogé dans ses droits et actions à l’encontre du praticien.

L’article L 1142-17 prévoit, quant à lui, la possibilité pour l’ONIAM d’agir à l’encontre d’un tiers qu’il estimerait responsable totalement ou en partie des dommages que la Commission l’avait pourtant invité à indemniser au titre de la solidarité nationale.

Dans la mesure où la Cour de cassation semble exclure, aux termes de son arrêt du 18 décembre 2014, la qualité de l’ONIAM pour agir sur le fondement d’un défaut d’information dans le cadre de sa subrogation, nous pensons que cette solution a logiquement vocation à être étendue aux recours qu’il exerce dans les cas prévus aux articles L 1142-15 et L 1142-17 précités du Code de la santé publique, à savoir ceux prévus dans les suites d’une procédure amiable devant une commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI) compétente.

Aucune raison objective ne justifierait en effet que la transmission du droit à l’information et de l’action en réparation qui en découle soit admise dans ces deux cas, et exclue dans le cas du recours subrogatoire de l’ONIAM lorsque l’indemnisation au titre de la solidarité nationale est recherchée directement par voie judiciaire sur le fondement de l’article L 1142-21 du Code de la santé publique.

Cette solution nous parait également devoir être étendue aux cas des ayants droit d’un patient décédé qui viendraient réclamer devant les tribunaux réparation du défaut d’information. Ceux-ci n’ont, en effet, pas plus que l’ONIAM, qualité pour demander réparation de l’inexécution, réelle ou supposée, d’un droit dont ils ne sont pas subjectivement titulaires.

L’extension de cette solution apporterait une limitation heureuse, de notre point de vue, à la tendance à une patrimonialisation systématique et artificielle des droits et actions.

 

Georges Lacoeuilhe, Hannah Chéreau — Avocats au barreau de Paris

 


[1] L’article L 1142-1-1 1° du Code de la santé publique prévoit expressément l’indemnisation par l’ONIAM des préjudices en lien avec une infection nosocomiale, si celle-ci a entrainé le décès du patient.

[2] L’article L 1142-21 I du Code de la santé publique, dans son 2nd alinéa prévoit en effet « Lorsqu’il résulte de la décision du juge que l’office indemnise la victime ou ses ayants droit au titre de l’article L. 1142-1-1, celui-ci ne peut exercer une action récursoire contre le professionnel, l’établissement de santé, le service ou l’organisme concerné ou son assureur, sauf en cas de faute établie à l’origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. (…) »

[3] Cour d’appel de Rennes, arrêt du 13 mars 2013, RG n° 11/05735

[4] Conseil d’État, arrêt du 28 novembre 2014, n° 366154 : «  le législateur n’a pas entendu permettre à l’office, dans le cadre de son action récursoire dirigée contre l’établissement de santé, de se prévaloir de la méconnaissance du droit que l’article L 1111-2 du Code de la santé publique reconnaît aux patients d’être informés des risques des traitements qui leur sont proposés (…) »

[5] S. Hocquet-Berg, Les sanctions du défaut d’information en matière médicale, Gaz. Pal. 1998, doctr. p. 1121, n° 21 et s.

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