Responsabilité du médecin : prodiguer des soins conformes aux règles de l’art ne suffit pas

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Bilan radiologiqueExercer la médecine n’est pas chose simple. Un arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 25 novembre 2010 (nº de pourvoi 09-68631) en est un parfait exemple.

En mars 2000, une enfant profite d’une éclaircie pour aller faire du vélo. C’est avec un grand sourire qu’il enfourche son destrier mécanique et part pour une aventure qui va tourner au drame. En effet, quelques tours de pédales et le voilà hurlant de douleur après une lourde chute sur son avant-bras droit. Les parents affolés arrivent à son secours et s’empressent de le conduire aux urgences de la clinique la plus proche. C’est un médecin généraliste qui assure l’accueil dans ce service, comme c’est le cas dans de nombreux établissements privés en France. Des radiologies sont réalisées et le diagnostic est fait : fracture simple du cubitus droit. Le praticien prodigue alors des soins conformes aux règles de l’art en matière de fracture classique et l’enfant rentre chez lui. Le médecin n’imagine pas à cet instant que l’histoire est loin d’être terminée.

En fait, l’enfant présente une fracture plus complexe et plus rare appelée « fracture de Monteggia », associant une fracture cubitale à une luxation de la tête radiale, dont la prise en charge thérapeutique est différente d’une fracture simple. Pour les parents, cette erreur de diagnostic est donc à l’origine d’un traitement inadapté et d’un retard dans la prise en charge de l’état de leur enfant et il décide de rechercher la responsabilité du praticien devant les tribunaux pour le faire condamner à leur payer diverses sommes en réparation des préjudices subis par leur fille.

Après avoir pris en compte l’avis des experts, la cour d’appel déboute les parents. Si un premier expert reconnaît que le médecin généraliste, bien que non-urgentiste, était bien responsable du service des urgences de la clinique et aurait dû faire le diagnostic, un second expert a dû demander l’aide d’un sapiteur spécialiste en orthopédie et traumatologie pédiatrique pour diagnostiquer cette fracture peu courante et très loin d’être visible au premier coup d’oeil, surtout pour un médecin généraliste. Pour la cour d’appel, l’argument suivant lequel le praticien avait prodigué des soins consciencieux et conformes à ses connaissances de médecin généraliste suffit pour qu’il n’y ait pas de faute. Pas question pour les parents d’en rester là : un pourvoi en cassation est introduit.

Pour la Cour de cassation, « le médecin généraliste, n’avait pas la qualité de médecin urgentiste pour l’exonérer de sa responsabilité quand il est fait déontologiquement obligation à tout praticien de s’abstenir, sauf circonstances exceptionnelles, d’entreprendre ou de poursuivre des soins, ou de formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose », selon l’article 70 du code de déontologie médicale alors applicable, devenu l’article R 4127-70 du code de la santé publique. La Cour précise aussi que « commet une faute le médecin généraliste assurant les permanences d’accueil d’une clinique qui, au lieu d’orienter le patient victime d’une fracture vers le service de traumatologie compétent, interprète de façon inexacte les lésions clairement visibles sur les radiographies réalisées et pose ainsi un diagnostic erroné au regard des données acquises de la science », se rangeant ainsi à l’avis de l’expert le plus favorable aux plaignants.
Autre élément important à prendre en compte pour les généralistes qui assurent une permanence d’accueil : s’ils ne disposent pas d’un diplôme de médecine d’urgence, la décision de la Cour de cassation montre qu’il leur faut être particulièrement prudents quant aux diagnostics qu’ils portent et que leur reconnaissance d’omnipraticien est fragile. Il est précisé que la cour d’appel ne pouvait pas se fonder sur la qualité de médecin généraliste du praticien mis en cause inopérante au regard des compétences requises pour exercer les fonctions qu’il avait choisi d’assumer au sein du service des urgences de la clinique. Cette décision semble donc donner à la capacité de médecine d’urgence (Camu) et à la notion de « médecin urgentiste » une valeur juridique plus forte que celle qu’elle pouvait avoir jusque-là. En effet, ce n’est que depuis 2004 qu’un diplôme d’études spécialisées complémentaire en médecine d’urgence existe et parler de médecin urgentiste avant cette date ne peut faire référence qu’à la Camu. Exercer dans un service d’urgences sans disposer de ce diplôme semble donc accroître le risque de voir sa responsabilité engagée pour les praticiens.

Ce rappel à l’ordre d’un médecin généraliste, à un moment où l’on fait du médecin traitant le pivot de la médecine de proximité et d’un système de soins plus économe, est intéressant. Pas question pour l’omnipraticien de surestimer ses compétences s’il ne veut pas tomber sous le coup de l’article 70 du code de déontologie médicale. Prend aussi un risque le médecin généraliste qui va déléguer à un professionnel de santé un examen qu’il n’a pas les moyens de réaliser lui-même et pour lequel il n’a pas reçu de formation spécifique, sachant qu’aux vues des résultats de cet examen réalisé par un autre, il va engager sa responsabilité en rédigeant une prescription ; l’exemple du généraliste signant des ordonnances de lunettes qui lui sont soufflées par un opticien ou un orthoptiste est souvent cité pour illustrer une telle situation.

Faut-il voir là une obligation de résultat pour les médecins spécialisés en médecine générale ou une volonté d’indemniser à tout prix le patient victime d’une erreur ? Ce n’est pas certain. Il faut surtout y voir un rappel donné aux praticiens par la Cour de cassation de bien connaître leurs limites et de ne pas les dépasser. Des limites que les pouvoirs publics semblent inciter chaque jour ces mêmes médecins à franchir au prétexte de réaliser des économies de santé…

Vaccination contre l’hépatite B, sclérose en plaques, responsabilité du laboratoire et nouvelle jurisprudence

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Vaccin et lien de causalitéSerait-ce le début d’une nouvelle ère dans la jurisprudence concernant le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques ? La première chambre civile de la Cour de cassation dans une décision du 25 novembre 2010 (pourvoi nº 09-16556) a estimé qu’une cour d’appel pouvait souverainement considérer qu’en l’absence de consensus scientifique en faveur d’un lien de causalité entre la vaccination et les affections démyélinisantes, le fait qu’une patiente ne présente aucun antécédent personnel ou familial et le fait que les premiers symptômes apparaissent quinze jours après la dernière injection ne constituent pas des présomptions graves, précises et concordantes en sorte que n’est pas établie une corrélation entre l’affection de la patiente et la vaccination. Très clairement, même si l’injection immunisante ne date que de quelques semaines quand le patient développe une sclérose en plaques (SEP) et même s’il n’a eu aucun signe avant d’être vacciné ou qu’aucun membre de sa famille n’a eu cette maladie, le vaccin contre l’hépatite B n’est plus systématiquement mis en cause : la seule présomption d’un lien de causalité ne suffit plus à faire pencher la balance de la justice du côté du malade.
La jurisprudence du 25 novembre 2010 rappelle aussi que si le lien de causalité n’est pas établi, le patient ne peut se prévaloir du droit relatif à un produit défectueux.

Il s’agit bien là d’un changement dans l’approche que peuvent avoir les juges de ce problème. Dans une affaire récente, la première chambre civile de la Cour de cassation avait suivi le jugement d’une cour d’appel estimant que l’absence de certitude scientifique, des études concluant à l’absence de lien de causalité, et le fait qu’un patient ne présente pas d’antécédent personnel ou familial de SEP, en plus d’un défaut d’information sur la notice du produit, suffisaient à faire reconnaître la responsabilité du fabricant de vaccins. Quelques mois plus tard, dans une affaire concernant un militaire, le Conseil d’État, quant à lui, estimait qu’une cour d’appel avait eu raison de juger que « le délai qui s’était ainsi écoulé entre la dernière injection et les premiers symptômes constituait un bref délai [4 mois, NDLR] de nature à établir le lien de causalité entre la vaccination et l’apparition de la sclérose en plaques ».

Faut-il y voir là une victoire de la puissante industrie pharmaceutique ? Est-ce une décision qui arrive à point nommé pour protéger l’État d’éventuelles indemnisations en raison de graves effets secondaires liés à un vaccin, qu’il soit destiné à immuniser contre l’hépatite B ou la grippe, par exemple ? Ou est-ce tout simplement le triomphe de la raison et la reconnaissance d’études scientifiques concordantes sur un sujet polémique ? Face à la détresse de ceux qui cherchent à trouver une raison aux malheurs qui les frappent, la question est aussi de savoir s’il faut à tout prix indemniser cette souffrance quand la responsabilité des uns ou des autres est discutable.
Face à des scandales sanitaires comme ceux de l’amiante, du sang contaminé, de l’hormone de croissance ou plus récemment du Mediator, montrant à quel point les enjeux économiques sont puissants face à la santé publique, il est facile de comprendre les doutes des patients et de leur famille. Justice et vérité ne vont pas forcément de pair…

Ne pas respecter le règlement intérieur d’un hôpital peut valoir une condamnation pour homicide involontaire

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Panneau hôpitalRares sont les médecins qui s’intéressent de près au règlement intérieur de l’établissement hospitalier au sein duquel ils travaillent. À leur décharge, les tâches administratives auxquelles ils sont de plus en plus souvent soumis font qu’ils préfèrent consacrer leur temps restant à assurer leur formation continue, sans pour autant négliger la prise en charge des malades. Une jurisprudence du début de l’année 2010 montre qu’ils feraient néanmoins mieux de relire ce règlement intérieur et de le respecter.

Un soir de février 2003, une jeune femme de 35 ans chute lourdement sur sa terrasse dans le sud de la France. C’est suite à ce traumatisme qu’elle est admise en urgence, dans la nuit, dans une antenne du centre hospitalier universitaire de sa région. À son arrivée au service des urgences, seul un interne est présent, le médecin senior de cette unité de soins n’est pas là. Comme c’est d’usage, ce dernier ne se déplace qu’à la demande du service. Nombreux sont les services qui fonctionnent ainsi et le médecin senior a l’autorisation de son chef de service pour agir de la sorte. Habituellement tout se passe bien, l’interne prend en charge le patient, prescrit les examens complémentaires, fait le diagnostic, instaure le traitement et oriente le patient vers le service où il sera hospitalisé. Mais en cet hiver 2003, les choses ne se passent pas de cette façon…
À son arrivée au service des urgences, la jeune femme n’est pas dans un état préoccupant et il n’est donc pas fait appel au médecin senior. Elle est envoyée en radiologie par l’interne. À son retour aux urgences, après la prise des clichés, malgré des signes d’hémopneumothorax (du sang et de l’air dans des régions du thorax où l’on ne devrait pas en trouver), l’interne ne juge toujours pas nécessaire d’appeler le médecin senior. Erreur d’appréciation ou peur de se faire rabrouer par son supérieur comme c’est parfois le cas, il gère seul la situation alors que le pronostic vital de la jeune femme est en jeu. Le protocole adéquat n’est pas mis en place et la patiente décède deux jours plus tard d’un arrêt cardiocirculatoire. Tout le monde s’accorde à dire que « cette faute patente est la cause indirecte et certaine du décès ».

C’est sur le règlement intérieur de l’hôpital que s’est appuyée, le 9 mars 2010 (pourvoi nº 09-80543), la Cour de cassation pour confirmer l’arrêt de la cour d’appel ayant déclaré coupable le centre hospitalier du délit d’homicide involontaire. Pour la Cour, il y a eu défaillance dans l’organisation de l’établissement. Cette défaillance consiste en l’absence de médecin senior dans ce service alors que le titulaire était autorisé à s’absenter par son supérieur hiérarchique, responsable de toutes les unités des services des urgences, et ce, en infraction au règlement intérieur de l’établissement qui impose la seniorisation dans chaque unité sectorisée de ces services ainsi que l’accueil par un médecin senior de chaque patient à charge pour lui, éventuellement, sous sa responsabilité d’attribuer le suivi de ce patient à un interne ou faisant fonction. Cette désorganisation fautive n’a pas permis de prendre, dès l’arrivée de la patiente, les mesures appropriées qu’un médecin senior aurait dû mettre en oeuvre, mais surtout dès le retour de cette dernière du service des radiographies puisque c’est à ce moment-là que le processus vital s’est enclenché pour défaut de mise en place d’un protocole adéquat qui aurait permis d’éviter l’arrêt cardiocirculatoire alors que l’existence de la pathologie majeure était révélée.

C’est la responsabilité pénale du centre hospitalier en tant que personne morale qui a ainsi été reconnue. C’est bien le non-respect du règlement intérieur qui, pour les juges, est à l’origine de la faute directement responsable du décès de la patiente. Mieux vaut donc prendre quelques minutes pour relire ce règlement si l’on est amené à intervenir dans un établissement de soins…

Un seul collaborateur libéral par médecin, dentiste ou sage-femme

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Face à faceLe Conseil d’État a tranché : « il n’est loisible à tout médecin que de conclure un seul contrat de collaborateur libéral avec un confrère ». Et le Conseil d’État va même plus loin, puisque cette limitation à un seul contrat de collaborateur libéral s’impose aussi aux autres professions médicales (chirurgien dentiste, sage femme) : « la réglementation de la profession de médecin, ainsi d’ailleurs que celle des autres professions médicales, justifie légalement de limiter le nombre de collaborateurs libéraux dont le praticien peut s’entourer » comme l’explique une décision du 11 octobre 2011 (nº 330296).

Dans cette affaire, un praticien avait trouvé deux confrères souhaitant travailler à temps partiel au sein du cabinet, en parallèle de sa propre activité. Disposant, à cette époque, d’un remplaçant pour ses périodes de congés ou de formation continue, il n’était nullement pour lui question de laisser en d’autres mains les patients qui désiraient être suivis par lui, simplement d’offrir de nouvelles possibilités d’accès aux soins dans une région considérée comme sous médicalisée dans la spécialité qui est la sienne. Pour des raisons pratiques, les collaborateurs libéraux étaient intégrés à une société d’exercice libérale (SEL).
Mais le conseil de l’ordre des médecins ne l’a pas entendu de cette oreille et a refusé le recours à deux collaborateurs libéraux au motif qu’un contrat de collaboration libérale doit être conclu dans le respect des règles régissant la profession aux termes de l’article 18 de la loi nº 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises et que, selon les principes du code de déontologie, le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle, l’exercice de la médecine est personnel, la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce, tout compérage entre médecins est prohibé et qu’il est interdit à un médecin de faire gérer son cabinet par un confrère.
Des principes qui semblaient compatibles ou très éloignés de l’esprit de la loi du 2 août 2005, comme pouvaient le laisser penser les conclusions du rapporteur public du Conseil d’État. Pour ce dernier, aucune disposition de l’article 18 de la loi du 2 août 2005, ni de l’article R 4127-87 du code de la santé publique ne permettait de limiter le recours à plus d’un collaborateur libéral par praticien ou société de praticiens, ce qui paraissait somme toute logique à la lecture de l’article Un seul collaborateur libéral par cabinet médical ? Pas selon la loi… publié en février 2009. De plus, le rapporteur public estimait que le risque d’atteinte aux principes déontologiques par le recours à deux collaborateurs libéraux n’était pas plus élevé que dans le cadre d’un exercice en société. Une telle limitation constituait même, selon lui, une atteinte à la liberté contractuelle dont seul le législateur pouvait décider.

Le Conseil d’État qui n’est pas lié aux conclusions de son rapporteur public en a donc décidé autrement et a reconnu le bien-fondé de la décision du conseil national de l’ordre des médecins selon laquelle un médecin ne peut recourir aux services que d’un seul collaborateur libéral aux motifs que le cumul de contrats de collaboration serait constitutif d’une gérance de cabinet et d’un exercice de la médecine comme un commerce, sur le fondement de l’article R 4127-91 du code de la santé publique.

Une décision surprenante, d’autant plus qu’elle est susceptible de s’appliquer à toutes les professions médicales, quand on sait que le décret nº 2009-168 du 12 février 2009 portant modification de diverses dispositions du code de la santé publique relatives à l’exercice de la profession de chirurgien-dentiste, publié au Journal officiel du 14 février 2009 a assoupli la restriction à un seul collaborateur qui pesait sur les chirurgiens-dentistes. Une décision qui laisse aussi songeur à un moment où l’on encourage les praticiens à travailler en équipe au sein de maisons médicales ou à développer le principe du travail aidé en collaborant avec des professionnels paramédicaux.
Les arguments retenus laissent penser que le cumul de contrats de collaboration salariée serait aussi constitutif d’une gérance de cabinet ou de l’exercice de la médecine comme un commerce pour le secteur libéral. Deux pas en avant, trois pas en arrière ?

Le retard d’hospitalisation en cas de grippe est une perte de chance

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Trouver le bon équilibreHors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés au code de la santé publique, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. C’est ce que prévoit l’article L 1142-1 de ce même code. Un tribunal va donc s’évertuer à rechercher la faute d’un praticien lorsque la responsabilité de ce dernier est mise en cause par un patient ou sa famille, mais il ne doit pas pour autant négliger les autres éléments du dossier…

Si la grippe est une affection le plus souvent bénigne, malgré la présentation qui en a pu être faite à l’occasion de la pandémie survenue en 2009, il arrive parfois qu’un patient soit atteint d’une forme maligne de cette maladie. C’est ce qui est arrivé à une femme en décembre 2003, sans que rien ne laisse présager pour autant que son état de santé allait se dégrader brutalement et qu’elle décéderait d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë. La famille a porté plainte contre le médecin qui n’a pas hospitalisé la malade pensant que tout allait rentrer dans l’ordre rapidement.

Dans un premier temps, la cour d’appel a débouté la famille de sa demande en responsabilité du médecin. Certes si le praticien avait délivré à la patiente des soins consciencieux, attentifs et diligents, son hospitalisation serait intervenue plus tôt, mais que rien ne dit pour autant que l’évolution de la pathologie eût été différente ; l’administration de l’antibiothérapie aurait été avancée mais aucun élément médical ne permettait de dire que cela aurait évité la dégradation brutale de l’état de santé de la malade et son décès, dans la mesure où la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë dont elle était décédée n’avait pu être déterminée, de sorte qu’il n’était pas établi que la faute du médecin eût fait perdre à la patiente une chance de survie.

Mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 octobre 2010 (pourvoi nº 09-69195), ne l’a pas entendu de cette façon. Pour cette dernière, la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable, de sorte que ni l’incertitude relative à l’évolution de la pathologie, ni l’indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entraîné le décès n’étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par le médecin, laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de la patiente, et la perte d’une chance de survie pour cette dernière. En hospitalisant plus tôt la patiente pour sa grippe, le praticien ne lui aurait pas fait perdre une chance de survivre, peu importe que ce soit ou non cette maladie qui soit à l’origine de son décès…

La réalité juridique est parfois très éloignée du discours de terrain. D’un côté, les médecins sont de plus en plus encouragés, pour ne pas dire contraints, économies de santé obligent, à ne pas hospitaliser des patients pour des maladies qui sont, chez la très grande majorité des patients, peu sévères, surtout si ces maladies sont virales ou infectieuses afin d’éviter de contaminer inutilement les services de soins. De l’autre, les praticiens se retrouvent avec une véritable épée de Damoclès au dessus de la tête, le plus petit retard d’hospitalisation en cas d’aggravation brutale et imprévisible de la maladie chez un patient ne présentant pas de facteur de risque particulier suffisant à les faire condamner pour faute. Pas facile de travailler sereinement, chaque jour, à l’aplomb d’un précipice…

Pas question d’exposer des cadavres à des fins commerciales

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Crâne plastinéLa société Encore Events a organisé dans un local parisien, en février 2009, une exposition appelée « Our Body, à corps ouvert » présentant des cadavres humains « plastinés », ouverts ou disséqués, installés, pour certains, dans des attitudes évoquant la pratique de différents sports, et montrant ainsi le fonctionnement des muscles selon l’effort physique fourni. Cette technique développée depuis la fin des années 70 par un médecin allemand, Gunther von Hagens, permet la conservation des tissus humains à l’aide de polymères. Des restes de personnes décédées traités à l’aide de ce procédé ont été exposés pour la première fois en 1995 et, depuis, des évènements du même type ont été organisés un peu partout dans le monde. Lyon et Marseille ont d’ailleurs déjà accueilli les corps plastinés. Rien ne laissait donc présager les mésaventures qu’ont eu à subir les organisateurs de l’exposition parisienne.

Deux associations, alléguant que un trouble manifestement illicite au regard du code civil, du code de la santé publique et du code pénal, et soupçonnant par ailleurs au même titre un trafic de cadavres de ressortissants chinois prisonniers ou condamnés à mort, ont demandé en référé la cessation de cette manifestation. Cette procédure s’est soldée par une interdiction de poursuivre l’exposition des corps et pièces anatomiques litigieuse, bien que les associations n’aient pu faire la preuve de l’origine illicite des corps utilisés.

Pour la société mise en cause, l’exposition avait pour objet d’élargir le champ de la connaissance, notamment grâce aux techniques modernes, en la rendant accessible au grand public de plus en plus curieux et soucieux d’accroître son niveau de connaissances. Un parallèle avec les momies a été fait et pour celle-ci aucune différence objective ne peut « être faite entre l’exposition de la momie d’un homme qui, en considération de l’essence même du rite de la momification, n’a jamais donné son consentement à l’utilisation de son cadavre et celle, comme en l’espèce, d’un corps donné à voir au public a des fins artistiques, scientifiques et éducatives ».

Après un passage par la cour d’appel, c’est la Cour de cassation qui a eu à se prononcer sur cette affaire (pourvoi no 09-67456), le 16 septembre 2010. Plutôt que de s’intéresser aux momies ou à la licéité, la Cour en est restée au respect du code civil. Pour elle, « aux termes de l’article 16-1-1, alinéa 2, du code civil, les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence », cette exposition de cadavres à des fins commerciales méconnaissait donc bien cette exigence.

Le même jour, le comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé a rendu public son avis no 111 sur les problèmes éthiques posés par l’utilisation des cadavres à des fins de conservation ou d’exposition muséale. Pour ce comité : « Le consentement d’une personne à donner son corps à la science après son décès (pour des raisons anatomiques et pédagogiques) ne saurait être confondu avec un cautionnement de sa mise en scène post-mortem à des fins commerciales. Il n’y a pas d’éthique sans consentement mais le consentement ne suffit pas à donner à une action sa légitimité éthique. La dignité du défunt vaut d’être prise en considération.[…]
La mise en avant d’une visée soi-disant anatomique et pédagogique peut s’interpréter comme une tentative de minimisation de la dimension lucrative et médiatique de ce type d’exposition. Elle constitue une forme d’exploitation du corps des morts à visée commerciale qui contrevient à l’esprit de la loi française.
La régulation des pratiques en matière d’exposition du corps des morts doit intervenir autant dans le domaine des expositions publiques que privées. Si l’utilisation des corps au motif d’un prélèvement d’organes ou d’une autopsie est indispensable et répond à des attentes sociales fortes et légitimes, en revanche, à quelque degré que ce soit, l’exhibition du corps d’un mort relève d’une tradition révolue. »
Si cet avis est tranché pour ce qui est de la plastination, des têtes maories ou des ossements préhistoriques, il semble beaucoup plus évasif concernant les momies conservées au Louvre. Si le peuple égyptien demandait leur restitution pour pouvoir les replacer dans des sépultures, et non pour les exposer dans un musée, on voit mal les arguments que pourraient invoquer le musée ou les autorités de tutelle pour refuser à la lecture de l’avis du CCNE.

Une chose est sûre : les cadavres plastinés ne sont pas près de trouver le repos en France.

Infection nosocomiale et devoir d’information

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Boîte de PetriConformément à l’article L 1111-2 du code de la santé publique, toute personne a le droit d’être informée, préalablement à toute investigation, tout traitement ou toute action de prévention qui lui est proposé, sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent. Si une infection nosocomiale n’est pas de survenue fréquente, elle n’en est pas moins souvent grave, surtout à une époque où des germes multirésistants aux antibiotiques se répandent de par le monde. Mais il est vrai qu’il arrive à un praticien qui intervient depuis parfois plusieurs dizaines d’années, qui a traité des milliers de patients sans aucun problème de cette nature, qui a toujours fait preuve de la plus grande rigueur quand il est question de désinfection et d’asepsie, peut inconsciemment minimiser l’importance d’informer le patient de ce risque, à tel point qu’il ne l’évoque pas systématiquement avec chacun des malades qu’il doit prendre en charge.

Ne pas informer ne veut pas dire être négligent au moment du geste médical ou chirurgical. C’est ce que tend à prouver l’affaire qu’a eu à examiner la 1re chambre civile de la Cour de cassation en avril 2010 (pourvoi no 08-21058, paru au bulletin de cette même cour du 15 septembre 2010) : alors qu’un patient ayant subi une infiltration intra-articulaire au niveau d’un genou a présenté une arthrite septique, reconnue comme infection nosocomiale, aucune preuve d’un défaut fautif d’asepsie imputable au praticien dans la réalisation de l’acte médical n’a pu être mise en évidence par le patient. Il n’y a rien d’étonnant à cela : une contamination peut intervenir après le geste, au moment des soins de pansement ou à l’occasion de l’application d’un traitement complémentaire au niveau local effectués par du personnel paramédical ou le patient lui-même. Pour la cour d’appel, cette absence de faute était suffisante pour qu’il ne puisse être reproché au praticien de n’avoir pas informé son patient d’un risque qui n’était pas lié à l’intervention préconisée. Mais la Cour de cassation a décidé qu’il n’en était pas ainsi : pour elle, « il incombe au médecin, tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son patient, de prouver qu’il a exécuté cette obligation ; qu’en conséquence, en cas de litige, il appartient au médecin d’établir que les complications qui sont survenues et dont il n’avait pas préalablement informé son patient du risque, sont sans lien avec l’acte médical qu’il a pratiqué ». Pas question de faire peser sur le patient, pour apprécier les contours de l’obligation d’information du médecin, la charge de prouver que l’infection nosocomiale était en lien avec l’intervention pratiquée.

Pour la Cour de cassation, en vertu de l’article L 1111-2 du code de la santé publique, « une cour d’appel ne peut retenir qu’il ne saurait être reproché à un médecin ayant pratiqué sur un patient une infiltration du genou, à la suite de laquelle ce dernier avait contracté une arthrite septique, de ne pas l’avoir informé du risque d’infection nosocomiale scientifiquement connu comme étant en rapport avec ce type d’intervention, au seul motif qu’aucune faute d’asepsie n’était intervenue dans la réalisation de l’acte ».

Avant tout acte médical ou chirurgical, qu’il s’agisse de prévention, de diagnostic ou de traitement, le praticien doit informer le patient d’un risque d’infection nosocomiale. Que le médecin estime qu’une infection nosocomiale est imprévisible et dépend de multiples facteurs importe peu : il doit informer le patient et, surtout, être en mesure de prouver qu’il en a bien parlé au patient au cours de l’entretien individuel prévu à cet effet par la loi, la bonne foi et la parole du médecin ne suffisant plus depuis bien longtemps.

Être arrêté ou incarcéré peut nuire gravement à la santé

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

La santé derrière les grillesIl ne fait pas bon fréquenter les commissariats de police et les prisons dans les anciens pays du bloc de l’Est. Tout du moins, c’est ce que laissent à penser deux jurisprudences récentes de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Avant d’examiner les jurisprudences dont il est question, un petit rappel de ce qu’est l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales peut être utile. Cet article interdit la torture : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Il faut savoir que ce principe fait l’objet de nombreuses jurisprudences de la CEDH qui sont loin d’être l’apanage des pays de l’Est, la France elle-même ayant été condamnée à plusieurs reprises à ce titre dans des affaires mettant en cause ses services de police ou son administration pénitentiaire.

La première affaire oppose la République moldave à l’un de ses citoyens de 44 ans répondant au charmant prénom de Tudor. La Moldavie, petit pays coincé entre la Roumanie et l’Ukraine, ne fait pas partie de l’Union européenne. Cela ne l’a pas empêché pour autant de ratifier la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En 2000, Tudor travaille pour Social Amnesty, une organisation qui apporte un soutien juridique aux personnes incarcérées. Deux jours après être sorti de l’hôpital suite à une intervention chirurgicale loin d’être bénigne pour un problème de santé sans rapport avec ses activités, il est arrêté par la police. Suspecté de fraude, il est conduit dans un commissariat. Il explique avoir alors été suspendu à une barre de fer et frappé à coups de mitraillettes et de matraques en caoutchouc. Ces coups ont rouvert sa cicatrice de son intervention chirurgicale. Malgré cela, il a été placé dans une petite cellule au poste de police, sans lit, matelas ou couvertures et sans accès à des sanitaires. Il a dû dormir sur le sol en béton. Ce n’est que six jours plus tard, alors qu’il est toujours retenu prisonnier au poste de police, qu’il est examiné par un médecin qui constate que la plaie est béante et a recommandé qu’il soit immédiatement admis à l’hôpital. Mais rien n’y fait, l’agent de police qui en a la garde refusé son transfert dans un établissement de soins. Ce n’est que dix jours plus tard, que Tudor est conduit en prison et placé dans une unité médicalisée… C’est pour toutes ces raisons que cet homme engage des procédures à l’encontre des autorités. Après un combat acharné et plusieurs rejets de ses plaintes, une cour d’appel moldave finit par reconnaître que des éléments du dossier corroborent les dires de Tudor et lui concède des dommages et intérêts pour un montant de 100 lei, la monnaie locale, soit l’équivalent de 6 euros à l’époque… Autant dire que le plaignant est loin d’être satisfait, il se pourvoit en cassation devant la Cour suprême. Cette dernière, constatant qu’il n’existe aucun texte dans la législation moldave prévoyant d’indemniser une telle situation même si les plaintes sont fondées, se base néanmoins sur l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des jurisprudences de la CEDH pour majorer les dommages et intérêts qui cumulés atteignent un montant de 10 210 lei, soit 612 euros. Toujours pas satisfait, Tudor se tourne vers la CEDH.
La Cour européenne des droits de l’Homme, dans un jugement du 20 juillet 2010 (n° 7481/06) a reconnu que la somme allouée était bien insuffisante au regard de sa jurisprudence, permettant ainsi au plaignant de continuer à se prévaloir d’une violation de l’article 3 de la Convention, et lui accorde au total 5 000 euros. Elle confirme que « le refus d’un traitement médical combiné aux conditions de détention, qui ont aggravé l’état de santé du requérant, a bien constitué un traitement inhumain en violation de l’article 3 de la Convention. » Elle rappelle aussi sa jurisprudence constante : lorsqu’un individu est placé en garde à vue en bonne santé, mais qu’il se trouve être blessé au moment où on le libère, il incombe à l’État de fournir une explication plausible sur la façon dont les blessures ont été causées, faute de quoi une question se pose clairement en vertu de l’article 3 de la Convention.

La seconde affaire oppose la Pologne à l’un de ses ressortissants. Ce dernier « se plaint en particulier d’une violation de l’article 3 de la Convention, en raison de son incarcération poursuivie par les autorités en dépit de son état de santé, malgré l’absence de traitement médical approprié et contrairement aux avis médicaux concluant à son incapacité à être incarcéré. » Suite à une lourde intervention de chirurgie vasculaire, le plaignant, incarcéré en raison plusieurs condamnations, doit suivre une rééducation appropriée. Or le traitement dont cet homme a besoin ne peut lui être dispensé en temps requis en milieu carcéral, d’après le tribunal d’application des peines local. En effet, le service de rééducation récemment créé au sein de la prison a une capacité d’accueil très restreinte (neuf détenus) et en outre la durée d’attente en vue d’admission y est considérable (environ un an et demi). Un congé pénal lui est accordé, suivi de nombreux autres en raison de maux « incurables, de caractère évolutif et constituant un danger sérieux pour sa santé et même pour sa vie », son état s’étant aggravé. Un expert cardiologue confirme même que la poursuite de l’incarcération du requérant comporterait un risque énorme pour ce dernier et qu’elle pourrait lui être fatale, car aucun établissement pénitentiaire ne serait adapté au suivi médical d’un tel patient. Malgré cela et en raison de la lenteur avec laquelle la justice traite son dossier, l’homme est réincarcéré et une suspension de ses peines lui est refusée. Il en finit par saisir la CEDH.
Dans un jugement du 20 juillet 2010 (n° 15952/09), « La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé d’un requérant » et que « Pour qu’une peine et le traitement dont elle s’accompagne puissent être qualifiés d' »inhumains » ou de « dégradants », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peines légitimes ». La Cour rappelle aussi qu’« eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis » et que « Le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 ». Ce n’est pas pour autant qu’on peut « déduire de l’article 3 l’obligation générale de remettre en liberté ou bien de transférer dans un hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner », même si « La Cour estime que lorsque les autorités nationales décident de placer et de maintenir une personne infirme en prison, elles doivent veiller avec une rigueur particulière à ce que les conditions de sa détention répondent aux besoins spécifiques découlant de son infirmité ».
Dans cette affaire, il y a bien violation de l’article 3 de la Convention et le plaignant a obtenu 10 000 euros au titre du préjudice moral.

Après tout ça, pas question de dire que la prison, c’est la santé…

Interdiction d’exercice d’un médecin ou d’un dentiste, collaborateur et remplaçant

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Interdiction d'exercice et remplacementIl peut arriver pour des raisons diverses qu’il soit interdit à un médecin ou à un chirurgien-dentiste de donner des soins aux assurés sociaux pour une période donnée. Lorsqu’il exerce en libéral, une telle sanction équivaut à la perte de ses revenus pendant le temps que dure l’interdiction, sans pour autant que les lourdes charges sociales, mais aussi celles liées au fonctionnement du cabinet et aux investissements effectués ne cessent de devoir être payées. Il peut aussi s’agir des charges relatives à une association au sein d’une société d’exercice libéral ou d’un autre type. C’est pour cette raison que l’intéressé peut être tenté de faire appel à un remplaçant ou à un collaborateur pour la durée de la sanction. Le Conseil d’État, dans une décision du 18 décembre 2009 (no 333873), a rappelé que cela n’était pas autorisé par la loi, même par le biais d’un contrat entre la société au sein de laquelle exerce le praticien et un remplaçant.

Dans cette affaire, un chirurgien-dentiste s’est vu refusé par le conseil de l’ordre, puis par la justice la possibilité de faire appel à un remplaçant pendant laquelle il lui avait été interdit de donner des soins aux assurés sociaux par la section des assurances sociales de son conseil de l’ordre régional, dans un premier temps, puis par celle du conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes (CNOCD), dans un second. Le praticien a accepté la sanction, mais a décidé de ne pas en rester là.
Sachant qu’il ne pouvait pas se faire remplacer directement, il a eu recours à un montage plus subtil. Le chirurgien-dentiste a signé au nom de la SELARL un contrat de remplacement libéral avec un confrère remplaçant. Comme la loi l’y oblige, il a transmis ce contrat au président du conseil départemental du conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes. Bien que le contrat ait prévu que le versement de tous les honoraires perçus à la SELARL pendant la période de remplacement et la rémunération du remplaçant sous forme de vacation en pourcentage des honoraires encaissés, le président de ce conseil départemental a informé le dentiste « de ce qu’il était interdit de se faire remplacer pendant les périodes de sanction d’interdiction de donner des soins et de prendre un collaborateur et a déclaré nul et non avenu le contrat qui lui avait été transmis », interdisant de ce fait le remplacement. Mécontent, le chirurgien a porté l’affaire devant le juge des référés pour qu’il annule cette décision, mais pour ce dernier le refus d’approuver le contrat organisant le remplacement n’était entaché d’aucune illégalité pour en déduire qu’aucune urgence ne s’attachait à l’organisation du remplacement du praticien. Contestant ce jugement, le chirurgien-dentiste a déposé un pourvoi au Conseil d’État demandant l’annulation de l’ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif avait rejeté sa demande et afin que cette haute juridiction ordonne qu’il puisse recourir à un remplaçant durant sa période d’interdiction de donner des soins.

Pour le Conseil d’État, même si « Considérant qu’aux termes de l’article R 4113-17 du code de la santé publique : En cas d’interdiction temporaire d’exercer ou de dispenser des soins aux assurés sociaux, sauf à être exclu par les autres associés (d’une société d’exercice libéral) […], l’intéressé conserve ses droits et obligations d’associé, à l’exclusion de la rémunération liée à l’exercice de son activité professionnelle », le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en estimant qu’il était interdit au chirurgien-dentiste de « percevoir une rémunération liée à l’exercice de sa profession alors qu’elle était sous le coup d’une interdiction d’exercer » et de relever que la suspension temporaire de l’activité professionnelle prononcée à titre de sanction à l’encontre du dentiste impliquait que celui-ci s’abstienne durant la période de suspension de percevoir des revenus tirés de son activité et non pas seulement qu’il s’abstienne de pratiquer des actes de sa propre main.

Un médecin ou un chirurgien-dentiste qui fait l’objet d’une interdiction temporaire ou définitive d’exercice, même s’il exerce en association sous une forme ou sous une autre et hors de conditions particulières d’urgence, ne peut donc pas se faire remplacer ou prendre un collaborateur le temps de sa sanction. Reste néanmoins à apprécier ce qu’un juge pourra estimer être une “urgence” à l’organisation d’un remplacement face à l’évolution démographique au sein de certaines spécialités médicales ou dans des régions où priver la population du seul praticien restant équivaut à la priver de soins. Peut-être serait-il bon de commencer à réfléchir à des solutions permettant de sanctionner le fautif sans pour autant pénaliser les patients ?

Trois interventions, deux chirurgiens, une infection nosocomiale

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Plusieurs chirurgiensLes infections nosocomiales sont une source de jurisprudences intarissable à notre époque. La décision de la première chambre de la Cour de cassation du 1er juillet 2010 (pourvoi no 09-69151) en est un nouvel exemple.

Tout commence en avril 1989. Une patiente se fracture la cheville et doit subir une intervention orthopédique pour cette raison. Elle est prise en charge à cet effet par un chirurgien qui l’opère dans une clinique proche de la capitale. Malheureusement pour elle, les suites ne sont pas simples et une deuxième intervention est réalisée en juillet de la même année. Son état n’étant toujours pas satisfaisant, elle doit subir une troisième opération en septembre 1989 pour laquelle elle s’adresse à un autre chirurgien, professeur de son état, intervenant dans une clinique du 16e arrondissement de Paris. Tout aurait pu s’arrêter là si un staphylocoque doré n’avait pas été mis en évidence à l’occasion d’un prélèvement, signant ainsi une infection nosocomiale. Ce n’est que six ans plus tard, en 1995, qu’il a pu être mis fin aux nombreux traitements qu’a nécessités l’éradication de ce germe.
Estimant avoir subi un préjudice, la patiente a demandé réparation au chirurgien ayant initialement réparé sa fracture. Estimant ne pas être responsable de l’infection qui « n’était ni présente ni en incubation » aux dires des experts après ses deux interventions, ce dernier a mis en cause la clinique dans laquelle avait eu lieu la troisième opération.
La cour d’appel, allant dans le sens de ce que faisait valoir le premier chirurgien et sans se prononcer sur la responsabilité de celui-ci le mettant ainsi hors de cause, a condamné la clinique parisienne où l’infection nosocomiale a été contractée.

La Cour de cassation ne l’a pas entendu de cette oreille. Pour elle, « lorsque la faute d’un médecin dans la prise en charge d’une personne a rendu nécessaire une intervention au cours de laquelle celle-ci a contracté une infection nosocomiale dont elle a demandé réparation à la clinique où a eu lieu l’intervention, au titre de son obligation de résultat, cette dernière, obligée à indemniser la victime pour le tout, est fondée à invoquer la faute médicale initiale pour qu’il soit statué sur la répartition de la charge de la dette ». Rien n’interdit donc à une clinique mise en cause de rechercher la responsabilité d’un chirurgien étant préalablement intervenu dans un autre établissement en cas d’infection nosocomiale.

La Cour a aussi pris en compte que « le caractère nosocomial de l’infection étant établi, la circonstance qu’une faute, commise antérieurement, ait rendu nécessaire l’intervention au cours de laquelle celle-ci a été contractée, si elle est susceptible, le cas échéant, de faire retenir la responsabilité de son auteur à l’égard de la victime, ne saurait, dès lors qu’il n’est pas allégué qu’elle aurait rendu l’infection inévitable, constituer une cause étrangère, seule de nature à exonérer l’établissement des conséquences de la violation de son obligation de résultat ». Ce n’est pas parce qu’une intervention est inévitable à la suite d’une erreur commise dans un autre établissement, que la clinique qui prend en charge un patient peut s’exonérer de son obligation de sécurité de résultat en matière d’infection nosocomiale en arguant d’une « cause étrangère », seul motif lui permettant de ne pas être condamnée.

Dernier élément intéressant de cette jurisprudence : la patiente est décédée en 2005, pour des raisons étrangères à cette infection nosocomiale bien entendu, mais c’est sa fille, unique héritière, qui a repris l’instance et c’est à elle que sera versée la somme en réparation du préjudice.