Alcool, conduite et licenciement

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Boisson, conduite et licenciementL’alcool n’est pas seulement néfaste pour la santé, il l’est aussi pour la conduite automobile. Ceux qui ont besoin de leur permis de conduire pour exercer leur métier savent qu’il suffit que celui-ci soit suspendu pour conduite sous emprise de l’alcool pour être licencié, même si le constat d’ivresse au volant a été fait en dehors des heures de travail. Il leur arrive donc de cacher ce type de mésaventures à leur employeur et de trouver un moyen pour continuer leur activité.

Pour sauver son emploi, le délégué régional d’un « fournisseur de style de vie », dont le permis avait été suspendu pour conduite en état d’ivresse, a fait appel à d’anciens collaborateurs pour le conduire chez ses clients avec son véhicule de fonction. Après s’en être rendu compte, son employeur l’a licencié en raison des incidences professionnelles de l’infraction routière (impossibilité de travailler et atteinte portée à l’image de l’entreprise). Mais comme pour que des faits commis dans le cadre de la vie privée puissent entraîner un licenciement, il faut que, par leur nature, ils se rattachent à la vie professionnelle ou qu’ils créent un trouble objectif à la vie de l’entreprise, les prud’hommes et la cour d’appel de Toulouse avaient condamné l’entreprise pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ils estimaient que l’employé était « en mesure de poursuivre l’exécution de son contrat de travail dès lors que deux anciens salariés de l’entreprise avaient accepté de conduire son véhicule pendant ses déplacements professionnels ».

La chambre sociale de la Cour de cassation, dans une décision du 22 septembre 2009 (nº de pourvoi : 08-42304) n’a pas suivi les conclusions de la cour d’appel. Pour la Cour de cassation, « le salarié dont le permis de conduire avait été suspendu ne pouvait plus remplir, par ses propres moyens, les missions inhérentes à sa fonction » et l’employeur n’était pas tenu d’accepter que des tiers conduisent un véhicule de l’entreprise.

Boire ou conduire, il est plus que jamais nécessaire de choisir…

Responsabilité pénale de la personne morale

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Dirigeant d'entreprise ou d'association et responsabilité pénaleIl n’est pas rare qu’un professionnel de santé soit en charge d’une société ou qu’il occupe les responsabilités de président d’une association ayant une personnalité morale au sens juridique. C’est pour ces raisons que la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation (nº de pourvoi 08-83843), parue au bulletin d’information de cette même cour nº 709 du 15 octobre 2009, est intéressante. Il y est question de la différence qui peut être faite entre la responsabilité pénale d’une personne morale et celle de son dirigeant.

« Il résulte des articles 121-2 et 121-3 du code pénal que les personnes morales sont responsables pénalement de toute faute non intentionnelle de leurs organes ou représentants ayant entraîné une atteinte à l’intégrité physique, alors même qu’en l’absence de faute délibérée ou caractérisée au sens de l’article 121-3, alinéa 4, dudit code, la responsabilité pénale de ces derniers, en tant que personnes physiques, ne pourrait être recherchée.
Justifie, dès lors, sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer une société coupable d’homicide involontaire, après avoir relaxé son dirigeant, relève, notamment, que l’accident a eu lieu en raison d’un manquement aux règles de sécurité relatives à l’environnement de travail. »

Si la responsabilité pénale du dirigeant de la personne morale ne peut pas être mise en cause sans qu’une faute délibérée ou caractérisée n’ait été constatée, la personne morale, elle-même, peut se voir poursuivie et condamnée au pénal, même en cas de faute non intentionnelle, un manquement caractérisé aux règles de sécurité pouvant être considéré comme telle.

Accident du travail, arrêt maladie et congés annuels d’un salarié

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Arrêt maladie, congés annuels et CJCEEn juin 2008, le Juzgado de lo Social nº 23 de Madrid a posé une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) pour une affaire opposant l’employé d’une société de fourrière automobile à son entreprise. Ce salarié, victime d’un accident du travail peu de jours avant la période de congés annuels que lui avait signifié son employeur, a bénéficié d’un arrêt maladie couvrant une très grande partie de ses congés. De retour à son poste, il a demandé à son patron une nouvelle période de congés payés correspondant à la période durant laquelle il était en congé maladie et n’avait pu jouir pleinement de ses congés payés. L’employeur n’a pas souhaité donner suite à cette demande, estimant sans doute que le salarié avait eu des congés, peu importe qu’ils fussent dus à l’accident du travail ou simples vacances. L’employé, mécontent de cette fin de non-recevoir, a décidé de porter plainte. Le Juzgado de lo Social nº 23, hésitant sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, a demandé son avis à la CJCE (n° C-277/08).

Pour la Cour, « un travailleur qui est en congé de maladie durant une période de congé annuel fixée au préalable a le droit, à sa demande et afin qu’il puisse bénéficier effectivement de son congé annuel, de prendre celui-ci à une autre époque que celle coïncidant avec la période de congé de maladie. La fixation de cette nouvelle période de congé annuel, correspondant à la durée du chevauchement entre la période de congé annuel initialement fixée et le congé de maladie, est soumise aux règles et aux procédures de droit national applicables pour la fixation des congés des travailleurs, tenant compte des différents intérêts en présence, notamment des raisons impérieuses liées aux intérêts de l’entreprise. »

La Cour a eu aussi à se prononcer sur les éventuelles dispositions nationales relatives à ce type d’affaires. La CJCE conclut que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions nationales ou à des conventions collectives prévoyant qu’un travailleur qui est en congé de maladie durant la période de congé annuel fixée dans le calendrier des congés de l’entreprise où il est employé n’a pas le droit, après son rétablissement, de bénéficier de son congé annuel à une autre période que celle initialement fixée, le cas échéant en dehors de la période de référence correspondante.

 

Confidentialité des soins et agent du service pénitentiaire

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Secret médical et soins en prisonTout individu incarcéré a le droit au respect de sa dignité, tout particulièrement lorsqu’il est amené à recevoir des soins. Il a aussi droit au secret médical. C’est sur ces principes qu’un détenu a demandé, après avoir subi une première endoscopie en présence d’un agent du service pénitentiaire dans un établissement hospitalier, « qu’il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice d’examiner le dispositif de sécurité à mettre en place à l’hôpital, permettant d’assurer la réalisation de l’endoscopie programmée dans le respect du secret médical et du droit au respect de la vie privée, de rappeler au personnel de l’escorte pénitentiaire l’obligation de respecter la confidentialité des soins, et à ce qu’il soit enjoint de prendre toute mesure conservatoire qui se révèlerait indispensable à la préservation de la confidentialité des soins et du droit au respect de la dignité humaine ». Le juge des référés ayant rejeté sa requête, le prisonnier s’est pourvu en cassation.

Le Conseil d’État, dans une décision du 24 juillet 2009 (nº 324555), a confirmé qu’il appartient à l’administration pénitentiaire de définir au vu du profil pénal du prévenu des modalités adaptées tant en terme de respect de la confidentialité des soins médicaux lors que des mesures de sécurité destinées à prévenir tout incident. La disposition des lieux dans lesquels doivent se dérouler un examen peut, par exemple, justifier la présence d’un surveillant, dès lors que la confidentialité des soins est respectée, sans qu’il puisse être considéré que cela porte atteinte à la dignité du patient emprisonné ou que cela soit de nature à provoquer un traitement inhumain et dégradant en méconnaissance de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Dans le Bulletin de l’ordre de médecins de mai 2008, le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) s’inquiétait de La grande misère de la médecine pénitentiaire et rappelait qu’ « un détenu est un patient comme un autre : il bénéficie des droits inscrits dans le code de déontologie médicale et dans la loi du 4 mars 2002. Au regard du médecin, il ne doit faire l’objet d’aucune discrimination en raison de sa détention ou de ses causes. » Que ce soit dans un établissement hospitalier où il est conduit ou dans les locaux de la médecine pénitentiaire au sein de la prison, le détenu doit pouvoir se confier au médecin en étant assuré que sa confiance ne sera pas trahie. Situation difficile dans un milieu carcéral « où tout se sait » comme cela est expliqué dans un document de 2000 intitulé Soignants et malades incarcérés : « Les dérogations à l’intimité de la relation soignante à l’hôpital restent coutumières, les extractions étant paradoxalement l’occasion d’un secret médical plus exposé qu’en prison et d’un colloque singulier moins respecté, les surveillants assistant régulièrement aux consultations. » Presque dix ans plus tard, le problème est toujours d’actualité…

Dans le cadre des prochains « Entretiens Droit et Santé », l’Institut Droit et Santé accueille
Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté sur le thème de
« La protection de la santé dans les lieux de privation de liberté »
le mardi 22 septembre, de 18h00 à 19h 30, salle du Conseil de l’Université Paris Descartes,
12, rue de l’École de Médecine, 75006 Paris.
S’inscrire

Maladie et rupture du contrat de travail

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Arrêt maladie et licenciementS’il n’est pas suffisant qu’un employé soit malade pour le licencier, une entreprise peut néanmoins rompre le contrat de travail sous certaines conditions, comme l’a rappelé la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 24 juin 2009 (n° de pourvoi 07-44803).

La Cour précise que les absences prolongées pour maladie, ou les absences répétées, peuvent justifier la rupture du contrat de travail, à l’expiration de la période de garantie d’emploi lorsque celle-ci est prévue par la convention collective, si elles ont entraîné des perturbations dans le fonctionnement de l’entreprise et la nécessité de pourvoir au remplacement définitif du salarié concerné. Même lorsqu’un salarié se plaint de harcèlement moral et que le médecin de famille prolonge l’arrêt de travail sur une longue période (plus d’un an dans le cas de cette jurisprudence), il peut être important qu’il informe le patient sur le risque de licenciement encouru et qu’il en ait conscience lui-même.
Le médecin doit aussi savoir que seuls des faits constatés par lui-même et ne reposant pas simplement sur l’appréciation personnelle du patient peuvent être utiles pour alléguer du harcèlement moral.

Si l’employeur finit par décider de remercier le salarié, la lettre de licenciement doit expressément mentionner, outre la perturbation du fonctionnement de l’entreprise, la nécessité du remplacement du salarié absent en raison de son état de santé. Le juge doit vérifier le caractère définitif de ce remplacement sous peine de violer la loi.

Éthylomètre, alcoolémie et pouvoir d’appréciation du juge

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Boire ou conduireLa loi reconnaît aux éthylomètres une marge d’erreur pour mesurer l’alcoolémie des conducteurs. Ce n’est pas pour autant qu’un individu contrôlé peut se prévaloir de cette marge d’erreur pour échapper aux poursuites judiciaires et ne pas se voir condamné, si l’on en croit une décision du 24 juin 2009 de la chambre criminelle de la Cour de cassation (nº de pourvoi 09-81119).

Un automobiliste a été poursuivi pour avoir conduit un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique après que l’éthylomètre dans lequel les autorités lui ont demandé de souffler a révélé la présence dans l’air expiré d’un taux d’alcool à 0,28 mg par litre. La limite autorisée était à l’époque des faits de 0,25 mg par litre et le contrevenant s’est donc retrouvé devant le tribunal qui l’a condamné à 350 euros d’amende et à 14 jours de suspension de son permis de conduire. Or l’article 3 du décret du 31 décembre 1985 définit une marge d’erreur de 0,032 mg par litre pour ce type d’appareil, l’automobiliste a sollicité sa relaxe au bénéfice du doute en soutenant que ses résultats se situaient dans la marge d’erreur.
La cour d’appel de Poitiers a néanmoins condamné le conducteur au motif que les marges d’erreur prévues par les dispositions réglementaires visent les mesures prises au cours des vérifications périodiques des éthylomètres et non lors de contrôles effectués dans le cadre de la constatation des infractions pénales.

La Cour de cassation n’a pas suivi la cour d’appel et elle a décidé que les marges d’erreur peuvent bien s’appliquer à une mesure effectuée lors d’un contrôle d’alcoolémie. Par contre, elle n’a pas cassé l’arrêt de la cour d’appel pour autant en expliquant que « l’interprétation des mesures du taux d’alcoolémie effectuées au moyen d’un éthylomètre constitue pour le juge une faculté et non une obligation ». C’est donc au juge d’apprécier, suivant les circonstances, si la marge d’erreur doit être appliquée ou non. La décision est laissée à sa discrétion…

Complication médico-chirurgicale et perte de chance

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Retard de chance et diagnostic d'une complication médico-chirurgicaleRéagir promptement lorsqu’une complication chirurgicale est possible doit être un réflexe pour les praticiens. Se donner quelques jours avant d’éliminer un évènement indésirable post opératoire peut amener le chirurgien à voir sa responsabilité recherchée pour perte de chance. Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas d’une jurisprudence récente dont il est question, mais d’une décision de la cour d’appel de Montpellier du 6 juin 2007 (nº 06-05124) qui fait toujours jurisprudence.

Le lendemain d’une exploration endoscopique rétrograde cholédoco-pancréatique, une patiente a ressenti des douleurs abdominales. Le gastro-entérologue n’a pas estimé nécessaire de faire réaliser un scanner à ce moment et a attendu deux jours avant de demander la réalisation de cet examen qui a mis en évidence une perforation du canal cholédoque ayant entraîné de graves complications. Alors que l’expertise a montré que le médecin avait utilisé une technique appropriée à l’état de la patiente et qu’il n’avait commis aucune faute au cours du geste endoscopique, la cour d’appel a condamné le praticien et son assureur in solidum pour perte de chance de ne pas avoir fait subir ces complications à la patiente. La faute du gastro-entérologue n’a pas été de causer des dommages, mais d’attendre 48 heures avant de mettre en œuvre les moyens diagnostics permettant de diagnostiquer la rupture du cholédoque. En agissant ainsi, le médecin a commis une faute à l’origine de la « sévérité des complications retropéritonéales et infectieuses ». Ce retard de diagnostic est considéré comme une perte de chance de ne pas subir les complications survenues dans toute leur sévérité.

À un moment où les praticiens subissent de toute part des pressions pour réduire les dépenses de santé et renoncer le plus souvent possible aux examens complémentaires sous peine d’être sanctionnés, le médecin ne doit pas pour autant hésiter pendant 48 heures à faire pratiquer un scanner s’il est possible qu’une complication médico-chirurgicale soit survenue à la suite d’un acte qu’il a réalisé sans commettre de faute. La pratique de la médecine est décidément un art bien délicat…

Notice du vaccin contre l’hépatite B et sclérose en plaques

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Sclérose en plaques et notice du vaccin contre l'hépatite B Si rares sont ceux qui lisent la notice du vaccin qu’ils vont se faire injecter, elle a pourtant son importance si l’on s’en réfère à la décision de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 9 juillet 2009 (pourvoi nº 08-11073).

En juillet et en août 1997, une patiente se fait vacciner contre l’hépatite B. En octobre 2007, elle commence à présenter des troubles neurologiques qui conduisent au diagnostic de sclérose en plaques (SEP) en avril 2001. La patiente décide alors de rechercher la responsabilité du fait d’un produit défectueux du laboratoire fabriquant le vaccin utilisé pour l’immuniser. Le laboratoire pharmaceutique est déclaré responsable de la SEP survenue chez cette femme et condamné à réparer les préjudices par la cour d’appel de Lyon en novembre 2007. Il se pourvoit alors en cassation.

La Cour de cassation va confirmer la condamnation du laboratoire pour deux raisons :
— Au moment où la patiente a reçu l’injection, la notice du vaccin ne mentionnait pas dans les effets indésirables la possible survenue d’une sclérose en plaques. « […] la cour d’appel a constaté que le dictionnaire médical Vidal, comme la notice actuelle de présentation du vaccin, fait figurer au nombre des effets secondaires indésirables possibles du produit la poussée de sclérose en plaques, quand la notice de présentation du produit litigieux ne contenait pas cette information ; qu’elle en a exactement déduit que le vaccin présentait le caractère d’un produit défectueux au sens de ce texte [l’article 1386-4 du code civil relatif à un produit défectueux, NDLR]. » ;
— Ce n’est pas parce que le laboratoire verse au dossier des études ne mettant pas en évidence une augmentation statistiquement significative du risque relatif de sclérose en plaques ou de démyélinisation après vaccination contre l’hépatite B avec son produit que cela exclut, pour autant, un lien possible entre cette vaccination et la survenance d’une démyélinisation de type sclérose en plaques. Dans ces conditions, face à des premières manifestations de la sclérose en plaques moins de deux mois après la dernière injection du produit ; étant donné qu’aucun membre de la famille de la patiente n’avait souffert d’antécédents neurologiques, et que dès lors aucune autre cause ne pouvait expliquer cette maladie ; avec le témoignage du médecin traitant affirmant que « le lien avec la vaccination relevait de l’évidence », la cour d’appel, qui a souverainement estimé que ces faits constituaient des présomptions graves, précises et concordantes, a pu en déduire un lien causal entre la vaccination et le préjudice subi par la patiente.

À quelques semaines de la sortie du vaccin contre la grippe A(H1N1), cette décision de la Cour de cassation ne peut qu’encourager les patients à lire et à conserver la notice du produit qui leur sera injecté, ainsi que tous les documents qui pourront leur être remis. Juste au cas où…

Une clinique doit s’assurer de la compétence de ses chirurgiens

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

La clinique doit s'assurer des compétences du chirurgien qu'elle emploieDans un arrêt du 11 juin 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision favorable à une patiente qui reprochait à un établissement de santé privé de ne pas lui avoir fourni du personnel qualifié pour l’opérer lors d’une intervention de chirurgie esthétique (pourvoi nº 08-10642). Il n’est pas question dans cette affaire d’une panseuse ou d’un brancardier, mais bien du chirurgien qui a pratiqué l’opération…

En 2003, la patiente décide de subir une opération de chirurgie esthétique en vue de la mise en place de prothèses mammaires dans une clinique du Pas-de-Calais. Elle s’adresse pour cela à un chirurgien généraliste, spécialiste du cancer du sein et gynécologique, exerçant au sein de cet établissement. Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur des espérances de la patiente qui décide alors de traîner devant les tribunaux pour rechercher la responsabilité de la clinique et du chirurgien. Elle reproche à l’établissement « un manquement à son obligation générale d’organisation laquelle lui imposait de fournir un personnel qualifié », car le chirurgien n’était inscrit au tableau de l’ordre que comme « chirurgien généraliste » et qu’il n’avait aucune compétence ni spécialité dans le domaine de la chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique. Les arguments de l’établissement basés sur l’expérience et la pratique du chirurgien, sur le recours à un cabinet de recrutement ayant vérifié les diplômes du médecin ainsi que sur l’examen du contrat le liant au praticien par le conseil de l’ordre n’ont pas suffi à convaincre la Cour de cassation. Pour cette dernière,  la clinique a manqué à ses obligations à l’égard de la patiente en laissant un chirurgien pratiquer des opérations relevant de la chirurgie esthétique, sans vérifier s’il disposait des compétences requises en ce domaine, nonobstant le fait que l’exercice de la chirurgie esthétique n’ait été restreint à une liste déterminée de spécialistes que postérieurement aux faits litigieux, par décret du 11 juillet 2005.
La Cour relève aussi « qu’en vertu du contrat d’hospitalisation et de soins le liant à son patient, l’établissement de santé privé est tenu d’une obligation de renseignements concernant les prestations qu’il est en mesure d’assurer, de procurer au patient des soins qualifiés, et de mettre à sa disposition un personnel compétent ».

Consentement et information du patient : le médecin et l’État responsables en Europe

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Responsabilité du médecin et devoir d'information en EuropeLa Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu un arrêt le 2 juin 2009 riche en enseignements. Une citoyenne roumaine, avocate, « alléguait en particulier, sous l’angle des articles 6 et 8 de la Convention, la durée excessive et l’inefficacité de la procédure tendant à engager la responsabilité du médecin qui lui avait fait subir une intervention de chirurgie plastique aux paupières sans demander valablement son consentement et sans l’informer sur les possibles conséquences »1.

En 1996, après avoir subi diverses interventions réalisées par un chirurgien plasticien dans un hôpital municipal en Roumanie, dont une au niveau des paupières appelée blépharoplastie, la patiente se rend compte qu’elle ne peut plus fermer les paupières correctement. Ce problème, appelé lagophtalmie, pouvant mettre en danger l’intégrité oculaire, de nouvelles interventions des paupières sont pratiquées par le même chirurgien. Malheureusement, la patiente finit par présenter une paralysie faciale et d’autres séquelles nécessitant un traitement médical. Après plusieurs expertises aux conclusions différentes, il est admis que des erreurs chirurgicales ont été commises, ce qui aboutit à ce que la patiente porte plainte au pénal avec constitution de partie civile contre le médecin qui l’a opérée. Elle allègue « avoir souffert d’une atteinte à l’intégrité corporelle » dont elle garde « une infirmité permanente. »
En première instance, fin 2000, le médecin obtient un non-lieu en raison d’un nouveau rapport d’expertise et « au motif que la plainte pénale était tardive, compte tenu de ce que les faits dénoncés devraient être qualifiés d’atteinte involontaire à l’intégrité corporelle ». Ce n’est qu’en 2003 que l’appel de la patiente est accepté, mais un nouveau non-lieu intervient en 2004 « au motif que la prescription de la responsabilité pénale du médecin était intervenue ». Cette décision est, bien entendu, contestée par la plaignante, mais rien n’y fait. Le tribunal conseille, néanmoins, à la requérante de poursuivre ses prétentions par la voie d’une action en responsabilité civile délictuelle.
Elle assigne le chirurgien et l’hôpital et demande la réparation du préjudice. Son action est accueillie en 2005. Un appel et une cassation plus tard, le tribunal retient « que la requérante gardait des séquelles des opérations chirurgicales défectueuses réalisées par le docteur B., à savoir une souffrance physique permanente et une apparence inesthétique de nature à entraver ses relations personnelles et professionnelles habituelles, compte tenu aussi du fait qu’elle était avocate ». Le tribunal réaffirme « que le médecin avait commis des erreurs médicales et retint qu’il aurait dû obtenir le consentement par écrit de la requérante pour les opérations de chirurgie plastique qui étaient une pratique nouvelle à l’époque où elles avaient été réalisées et aussi l’informer au sujet des risques encourus ». Le médecin est condamné à réparer le préjudice, mais il va s’avérer qu’il s’est arrangé pour ne plus être solvable à la fin des différents recours en 2007. Il n’en fallait pas plus pour que l’avocate victime saisisse la CEDH.

La Cour, après examen du dossier, a estimé que la durée globale de la procédure était de plus de neuf ans et demi et jugé « que la cause de la requérante n’a pas été entendue dans un délai raisonnable » en violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Pour elle, il y a eu aussi violation de l’article 8, car la CEDH rappelle qu’entrent dans le champ de l’article 8 de la Convention les questions liées à l’intégrité morale et physique des individus, à leur participation au choix des actes médicaux qui leur sont prodigués ainsi qu’à leur consentement à cet égard. Les États ont l’obligation d’adopter des mesures réglementaires propres à assurer le respect de l’intégrité physique des patients en les préservant « autant que faire se peut, des conséquences graves que peuvent avoir à cet égard les interventions médicales. » Elle rappelle de plus que « l’imposition d’un traitement médical sans le consentement du patient s’il est adulte et sain d’esprit s’analyserait en une atteinte à l’intégrité physique de l’intéressé pouvant mettre en cause les droits protégés par l’article 8 § 1 » selon l’arrêt Pretty. Si le médecin travaille dans un établissement public et qu’il ne se respecte pas son devoir d’information, l’État « peut être directement responsable sur le terrain de l’article 8 du fait de ce défaut d’information ».
Dans le cas de cette patiente, le fait que le médecin se soit rendu volontairement insolvable pour ne pas indemniser la patiente et que la passivité des autorités judiciaires ait bénéficié à ce dernier n’a pas joué en faveur de la Roumanie.

Cette jurisprudence est donc particulièrement intéressante au moment ou le droit du patient européen est en pleine construction.

 

 


1 – Affaire Codarcea c. Roumanie, nº 31675/04, Strasbourg, 2 juin 2009.