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Lutte contre le tabagisme et gesticulation

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Panneau interdiction de fumerLa lutte contre l’épidémie de tabagisme, comme l’appelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est un échec en France. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à la circulaire du 3 août 2011 relative aux mesures de lutte contre le tabagisme prévues par la loi nº 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires dans laquelle le ministre de la santé, Xavier Bertrand, se sent obligé de justifier les consignes qu’il adresse aux préfets et aux directeurs généraux des agences de santé afin de ne pas mécontenter tous ceux qui tirent profit de la vente du tabac, au premier desquels figure l’État. Le constat est pourtant édifiant : « Avec 60 000 morts attribuables par an, le tabac reste dans notre pays la première cause de mortalité évitable. C’est aussi la première cause de cancer et l’une des principales des maladies cardiovasculaires. […] Cependant, la France reste, avec environ 30 % de fumeurs réguliers, loin de l’objectif d’une prévalence inférieure à 20 %, tel que défini par l’OMS pour la région Europe. » À quoi bon expliquer que « l’offensive contre le tabac conduite dans le double cadre stratégique du plan cancer 2003-2008 et de la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 (y compris le renforcement de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif), a eu des effets durables, notamment sur les publics-cibles que sont les jeunes et les femmes », lorsque le baromètre santé 2010 de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé, publié en octobre de cette même année, a montré que le nombre de fumeurs a augmenté dans l’Hexagone depuis 2005 ? À rien, si ce n’est à gesticuler…

À quelques mois des élections présidentielles, le temps des consensus est venu. Il faut réussir à trouver des axes d’action qui ne fâchent personne, qui peuvent être facilement relayés dans les médias et qui vont dans le sens des sondages. « Prévenir l’entrée dans le tabagisme des plus jeunes » en est un parfait exemple. Qui oserait contester une telle action ? Certainement pas les députés de tous bords, y compris ceux qui ont proposé récemment que les sanctions pour non-respect des textes antitabac soient assouplies pour peu qu’une caméra ou un micro traîne dans les parages… D’autant que la circulaire du 3 août 2011 ne fait que rappeler ce qui est prévu par la loi et qu’elle reprend tout ce qui peut exonérer les buralistes de leurs responsabilités : soit beaucoup de bruit pour rien, puisque tout le monde s’accorde à dire que les textes actuels ne sont que très rarement appliqués par les vendeurs et qu’à la moindre infraction constatée la mobilisation des lobbies et les pressions des élus locaux obligent immédiatement les autorités à faire machine arrière.
Il est par ailleurs intéressant de noter que même les mesures antitabac de la loi HPST sont en trompe-l’oeil puisque « le relèvement de l’âge de vente des produits du tabac permet, par ailleurs, à la France de se conformer à l’article 16 de la convention-cadre de lutte antitabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), premier traité international en matière de santé, ratifiée par la France dès octobre 2004. » Il aura donc fallu sept ans pour que les élus de la République mettent la législation française en conformité avec les engagements pris, alors même qu’il est question de la santé des plus jeunes…

La circulaire rappelle aussi aux préfets et aux directeurs généraux des agences de santé l’interdiction de vente des cigarettes aromatisées en leur expliquant que « des enquêtes de terrain ont mis en lumière le fait que de très jeunes adolescents (13 ans) consomment régulièrement des cigarettes au goût sucré, dont des études internationales publiées ont montré qu’elles sont clairement commercialisées en direction d’un public jeune. La douceur du goût et le style des paquets ont un effet rassurant sur les collégiens et les lycéens qui croient que les cigarettes parfumées sont “moins dangereuses que les autres”.
Pourtant ces cigarettes contiennent autant, sinon davantage, de nicotine et de goudron que les cigarettes classiques. Les arômes sucrés (vanille ou chocolat) permettent d’effacer l’âpreté des premières cigarettes et favorisent donc la dépendance à la nicotine.
Or, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a montré que plus le tabagisme est précoce, plus le risque de dépendance est élevé. » Ces explications, plutôt que d’être destinées aux préfets et aux directeurs d’ARS sont là pour mieux faire passer une éventuelle baisse des ventes de l’un des produits du tabac.
Alors que « le style des paquets » est reconnu par le ministre de la santé comme ayant un effet rassurant auprès des consommateurs, la question que l’on peut se poser est : pourquoi les pouvoirs publics n’ont-ils toujours pas uniformisé les paquets ? Difficile d’imaginer qu’une telle mesure soit difficile à mettre en place puisque des pays comme l’Australie ont réussi à l’imposer.

Viennent ensuite les rappels concernant l’interdiction d’implantation de lieux de vente de tabac dans les zones protégées et dans dans les galeries marchandes des hyper et supermarchés des départements d’outre-mer (DOM). L’article L 3511-2-2 du code de la santé publique vise à interdire l’implantation de lieux de vente de tabac manufacturé dans les zones dites « protégées » qui existent actuellement pour les débits de boissons à consommer sur place. L’article L 3335-1 du même code prévoit qu’il appartient au préfet de prendre des arrêtés pour déterminer, sans préjudice des droits acquis, les distances auxquelles les débits de boissons à consommer sur place ne peuvent être établis autour de certains édifices et établissements au rang desquels figurent les cimetières et les bâtiments affectés au fonctionnement des entreprises publiques de transport. Ces arrêtés doivent obligatoirement être pris s’agissant des « Établissements de santé, maisons de retraite et tous établissements publics ou privés de prévention, de cure et de soins comportant hospitalisation ainsi que les dispensaires départementaux » et des « Stades, piscines, terrains de sport publics ou privés ».
« L’extension de cette mesure aux lieux de vente de tabac manufacturé est de nature à réduire l’offre de tabac et semble particulièrement pertinente autour des établissements d’enseignement, de santé ou de sport », selon le ministre. Mais, comme pour l’alcool, il est probable que certains usent et abusent des quelques dérogations permettant d’installer un débit de boissons là où les ventes risquent d’être les plus fructueuses, les préfets devront alors se montrer ferme : « Le dernier alinéa de l’article L 3335-1 vous réserve par ailleurs le droit, dans les communes où il existe au plus un débit de boissons à consommer sur place, d’autoriser, après avis du maire, l’installation d’un tel commerce dans une zone protégée, lorsque les nécessités touristiques ou d’animation locale le justifient. Cette même disposition est applicable par parallélisme aux lieux de vente de tabac.
Nous vous demandons toutefois de veiller à ce que l’installation d’un lieu de vente de tabac manufacturé à proximité des établissements scolaires et de formation ou de loisirs de la jeunesse ne se trouve pas autorisée au titre de ce dernier alinéa. » Pas d’inquiétude pour les buralistes déjà installés près d’une école ou d’un centre sportif : leurs « droits acquis » ne seront pas remis en cause. De toute façon, dans les communes où il existe au plus un débit de boissons à consommer sur place, le problème se pose rarement s’agissant d’une école puisque la dernière classe y a souvent été supprimée depuis longtemps, même chose pour l’établissement public de soins et tous les autres services gérés par l’État… Priver les habitants de bars-tabacs est bien plus mal vu que de les priver d’hôpitaux de proximité au nom d’un argument qui prête à sourire dans un tel cas : il faut préserver les lieux « de vie ». En matière d’alcool et de tabac, la France n’en est pas à une hypocrisie près au non de sa ruralité et de ses traditions…

Concernant les contrôles, la circulaire est claire : les représentants de l’autorité publique devront être pédagogues et contrôler plus tard de préférence. « Pour une plus grande efficacité, les actions de prévention et de sensibilisation méritent d’être menées parallèlement avec des opérations de contrôle, lesquelles doivent concilier pédagogie et sanctions des infractions.
Nous vous demandons ainsi dans un premier temps de vous rapprocher des instances représentatives au niveau local des professions les plus concernées par les mesures exposées (débitants et revendeurs de tabac, débitants de boissons concernés par l’interdiction de fumer…) afin d’expliquer la réglementation et d’insister sur la nécessité de sa bonne application.
Passée cette phase de sensibilisation, qui a en partie déjà eu lieu dans le cadre des réunions que vous avez eu à organiser à l’automne 2009, il vous appartiendra de concevoir et mettre en œuvre un plan de contrôle de nature à assurer le respect des dispositions rappelées dans la présente circulaire. »
Il y a des textes de loi et des règlements qui semblent plus longs et difficiles à comprendre et surtout à accepter que d’autres. Les pouvoirs publics semblent savoir faire preuve de mansuétude en fonction des professionnels concernés. Pour preuve, la façon dont sont ignorés le décret nº 2006-1386 du 15 novembre 2006 fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, dit « décret Xavier Bertrand », et la circulaire DGS/MC2/2008/292 du 17 septembre 2008 sur les terrasses de cafés ou de restaurants et les arguments mis en avant par les professionnels du secteur pour justifier cette attitude. Si c’est avec la même vigueur que les pouvoirs publics entendent faire respecter les mesures de lutte contre le tabagisme prévues par la loi HPST, on comprend aisément pourquoi il est question de gesticulation…

Le conseil national de l’ordre infirmier en sursis

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Infirmière d'un autre âgeÀ peine a-t-il vu le jour que le conseil national de l’ordre des infirmiers (CNOI) est passé à deux doigts de la cessation de paiement, incapable de rembourser ses dettes à la Bred, banque auprès de laquelle il a souscrit un emprunt. Après avoir longtemps refusé de surseoir à l’exigibilité des sommes dues en août au titre du crédit consenti, l’établissement bancaire a fini par offrir un répit à l’ordre des infirmiers, lui évitant ainsi une déclaration de cessation de paiement. L’instance ordinale n’est pas tirée d’affaire pour autant puisqu’il va lui falloir présenter son plan de restructuration au banquier à la rentrée et trouver près de 50 000 nouveaux cotisants, alors que l’ordre ne compte actuellement qu’un peu plus de 58 000 membres sur les 520 000 infirmiers en exercice selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES).

C’est la loi 2006-1668 du 21 décembre 2006 portant création d’un ordre national des infirmiers qui avait permis à ce dernier de voir le jour. Après des élections départementales puis régionales, c’est en janvier 2009 que le bureau national de l’ordre a été élu. Suite à une éclatante victoire, près de 85 % des voix alors que trois autres candidats étaient en lice, Dominique Le Boeuf, cadre infirmier, a pris sa tête sans imaginer à quel point la tâche serait ardue.

Alors que la loi prévoit qu’ « il est institué un ordre national des infirmiers groupant obligatoirement tous les infirmiers habilités à exercer leur profession en France, à l’exception de ceux régis par le statut général des militaires », il aura suffi d’une cotisation jugée excessive par une partie de la base pour que cette instance chargée d’assurer la défense de l’honneur et de l’indépendance de la profession d’infirmier, ainsi que sa promotion, subisse la tempête. Très vite lâché par les pouvoirs publics craignant de mécontenter des soignants proches de la population peu de temps avant de grandes échéances électorales, l’ordre infirmier a aussi dû lutter contre divers syndicats hospitaliers voyant d’un mauvais oeil ce nouvel interlocuteur des autorités de santé. Rivalités entre libéraux et salariés des établissements de soins, mais aussi différents sur l’élaboration du code de déontologie, ont fini par porter le coup de grâce à cet organisme de droit privé que l’État n’a pas voulu financer tout en donnant raison à ceux qui ne voulaient pas payer leur cotisation, interdisant ainsi tout équilibre financier. Rendue responsable de tous les maux et accusée d’avoir engagé des dépenses que l’ordre ne pouvait honorer faute de cotisants, Dominique Le Boeuf a préféré démissionner le 8 juillet 2011, échappant ainsi de peu à une possible révocation.
Son successeur, David Vasseur, président par intérim, cadre formateur infirmier de bloc opératoire diplômé d’État (IBODE), n’a pu faire mieux. Après avoir compris qu’il n’obtiendrait pas le soutien du ministre de la santé, il a lui aussi préféré démissionner le 29 juillet 2011. C’est un infirmier normand qui a pris sa suite, Didier Borniche, issu lui aussi du bureau élu en 2009. Ce changement de présidence a semble-t-il suffi pour que la Bred accepte de donner un sursis au bureau décimé du CNOI et que Xavier Bertrand estime que ce dernier avait encore un avenir.

On aurait pu croire que la déontologie n’avait pas de prix, surtout à l’heure où les problèmes de transparence et de conflits d’intérêts ont montré les dégâts qu’ils étaient susceptibles de faire. L’exemple de la cotisation de l’ordre des infirmiers prouve que les pouvoirs publics ne voient pas les choses ainsi. Sachant qu’ils ne seront pas interdits d’exercice, pourquoi les infirmiers céderaient-ils ? Faut-il leur en vouloir de refuser de cotiser pour un ordre qui finira, à l’image des autres ordres des professions de santé, par leur imposer de nouvelles contraintes, sous peine de sanctions, en fonction des desiderata politiques du moment ? Quant à la justice ordinale, chacun sait qu’elle est bien souvent “surprenante” et que sa transparence mériterait d’être grandement améliorée, ceci expliquant sans doute aussi que des milliers d’infirmiers, trop éloignés des cercles d’initiés, n’aient pas envie d’y être soumis.

Nombreuses sont les professions de santé qui n’ont pas encore de code de déontologie et d’ordre professionnel, la création chaotique de celui des infirmiers n’est vraisemblablement pas l’exemple à suivre…

Tout un pays non-fumeur…

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Fumer tueAlors que la France a été à deux doigts, ces derniers jours, de voir sa législation sur le tabac assouplie sur le modèle électoraliste de ce qui a été fait pour le permis à points ces derniers mois, avec sans doute la même augmentation du nombre de décès à la clé, un pays a le courage de faire des choix de santé publique loin d’être démagogiques en matière de tabagisme : La Nouvelle-Zélande.

Réputée pour ses joueurs de rugby et ses moutons, la Nouvelle-Zélande, située à quelques encablures de l’Australie, est un pays fort de plus de quatre millions d’habitants où des sujets peuvent tout de même la quasi-unanimité au sein de la classe politique : tel est le cas de la lutte contre le tabagisme. C’est en effet le 14 juillet 2011 avec 119 voix sur 122 qu’un projet de loi interdisant les présentoirs de paquets de cigarettes et autres tabacs vient d’y être adopté par ses députés. Principalement visés, les présentoirs qui tapissent les murs des épiceries, des stations-service ou des supermarchés, autorisés à vendre du tabac dans ce pays, même si les buralistes ne sont pas en reste. Tous les magasins vendant des cigarettes ont douze mois pour les faire disparaître de la vue de leurs clients et doivent aussi faire disparaître toute référence à une marque de tabac afin d’éviter les moyens détournés utilisés par l’industrie de ce secteur pour attirer l’attention des clients. Pour la secrétaire d’État à la santé, Tariana Turia, il s’agit là de combler un vide juridique que les cigarettiers avaient mis à profit pour capter une clientèle toujours plus jeune. « Mettre des présentoirs de cigarettes à côté de ceux des confiseries au quotidien, c’est un excellent moyen d’attirer les plus jeunes pour en faire des fumeurs », a-t-elle déclaré. Ces présentoirs n’encouragent pas seulement les jeunes gens à essayer la cigarette, ils rendent aussi les choses plus difficiles à ceux qui arrêtent de fumer, selon Tariana Turia.

Autre mesure votée par le parlement néo-zélandais, l’augmentation de la valeur des amendes encourues en cas de vente de produits du tabac à une personne de moins de 18 ans qui s’échelonnent maintenant de 2 000 $ à 5 000 $ pour un particulier et vont jusqu’à 10 000 $ NZ (presque 6 000 euros) pour une entreprise. Sachant qu’il existe là-bas une véritable police antitabac, ces sanctions sont fortement dissuasives d’autant que le contrevenant pourra maintenant être verbalisé directement par les agents plutôt que de devoir attendre d’être condamné par un tribunal.

Les parlementaires néo-zélandais ne vont pas s’arrêter là. Il est déjà prévu que leur soit soumis un projet de loi rendant totalement neutres les paquets de cigarettes, comme cela se fait déjà en Australie. En France, une telle mesure avait été proposée par Roselyne Bachelot en 2010, mais très vite abandonnée face aux pressions de l’industrie et de la filière du tabac.
Les distributeurs automatiques de cigarettes devraient aussi être interdits.

Les trois députés qui n’ont pas voté la loi ont argué de la liberté individuelle et du choix rationnel que chacun pouvait faire. L’un de leurs collègues leur a répondu qu’en matière de tabac, il n’y avait rien de rationnel puisqu’il s’agissait d’une véritable addiction.

La Nouvelle-Zélande n’en est pas à son coup d’essai dans la lutte contre le tabagisme puisque ce pays a été parmi les premiers dans le monde à interdire de fumer dans les bars et les restaurants, par exemple. Depuis le 1er juillet 2011, afin de préserver la santé des personnels pénitentiaires et des détenus non-fumeurs, toutes les prisons du pays sont devenues des espaces où le tabac est interdit, y compris lors dans les cours de promenade : une décision courageuse lorsque l’on sait que trois quarts des prisonniers néo-zélandais étaient fumeurs d’après une enquête de 2005 et qui semble être couronnée de succès puisque presque tous les détenus se sont engagés dans un plan de sevrage.
D’autres initiatives voient le jour, comme celle de la ville d’Auckland qui voulait interdire de fumer dans la rue, proposition qui a pour le moment été rejetée par son conseil municipal.
Même si les recettes fiscales liées au tabac sont importantes et malgré le mécontentement des buralistes et autres vendeurs de tabac, la Nouvelle-Zélande a décidé de poursuivre dans cette voie. La route est encore longue, mais grâce à ce consensus politique, le pays pourrait être un espace totalement non-fumeur en 2025.

Mediator : premier procès en 2012

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Evolution

Statue de la justiceLa justice se fait moins docile aux politiques au fil du temps et la décision prise par la Cour de cassation, contre l’avis du parquet, le 15 juin 2011 dans l’affaire du Mediator en est un nouvel exemple. Au nom de la « bonne administration de la justice », la Cour a rejeté le souhait du parquet de voir le dossier ouvert à Nanterre, suite à des citations directes délivrées par 150 plaignants, regroupé avec deux autres informations judiciaires ouvertes à Paris pour homicides involontaires et tromperie concernant 1 500 autres plaignants. Cette décision est lourde de conséquences puisque cela devrait permettre à un procès pour tromperie aggravée de se tenir au printemps 2012 dans les Hauts-de-Seine avec sur le banc des accusés les laboratoires Servier, sa filiale commerciale, son président fondateur Jacques Servier et quatre autres dirigeants de la société au lieu d’allonger la procédure d’au moins dix ans.

Ce procès, en pleine campagne présidentielle et à la veille d’élections législatives, alors même que Nicolas Sarkozy a été l’avocat de Jacques Servier avant de devenir président de la République et qu’il est difficile de croire que, sans quelques appuis politiques, le Mediator ait pu être commercialisé d’aussi nombreuses années en France tandis que d’autres pays européens l’avait déjà interdit, risque de tomber au plus mauvais moment. D’autant que si la justice ne se montrait pas complaisante avec les prévenus, il pourrait être tentant pour certains de laisser filtrer quelques noms afin de ne pas être les boucs émissaires d’un scandale sanitaire aux multiples ramifications. Une longue procédure longue n’aurait eu que des « avantages » pour les principaux protagonistes de cette affaire : multiples expertises et contre expertises décourageantes ; lassitude des plaignants ; décès de patients pour lesquels les ayants droit préfèrent abandonner les poursuites ; opinion publique qui a oublié l’affaire ; pression médiatique sans commune mesure au moment du jugement ; responsables à la retraite ou décédés de leur belle mort sans avoir eu à répondre de leurs actes ; temps donné au laboratoire pour se restructurer ou pour provisionner afin de payer ce à quoi il sera condamné ; etc.

Les précédents scandales sanitaires ont montré au moins deux choses : les intérêts des victimes passent bien après ceux de l’industrie, comme dans le cas de l’amiante par exemple ; les responsables politiques ne sont pas déclarés coupables et continuent leur carrière sans jamais vraiment être inquiétés, avec la conscience tranquille de ceux qui sont réélus par des citoyens à la mémoire bien courte tant qu’ils ne sont pas au rang des victimes.
Pourquoi en serait-il autrement avec le Mediator ? Après quelques mois de tapage médiatique, au cours desquels les déclarations péremptoires et démagogiques se succèdent et quelques hauts fonctionnaires sont congédiés ou mutés, tout finit par rentrer dans l’ordre, et ce d’autant plus vite que l’actualité est riche en affaires diverses et variées.
Tout cela est assez facile à comprendre : mettre à terre un laboratoire comme Servier, c’est risquer de voir mis au chômage un grand nombre d’hommes et de femmes qui travaillent pour lui ; c’est compromettre ses exportations et affaiblir le commerce extérieur de la France ; c’est laisser le champ libre aux multinationales étrangères ; etc. N’est-on pas plus facilement réélu lorsque quelques centaines de patients meurent que quand des usines ferment ? Comment s’en prendre à une très riche industrie dont les dirigeants ne craignent pas les politiques qu’ils fréquentent régulièrement ? Comment mordre la main qui vous a peut-être nourrie en pleine campagne ? Cynique constat qui se reproduit pourtant d’un scandale à l’autre…

Malgré les beaux discours, tout est déjà en place pour calmer l’opinion publique tout en préservant l’intérêt des puissants. Les assises du médicament et leur promesse de transparence en manque cruellement ; des rapports parlementaires fleurissent et des réformes seront faites, des reformes qui auront reçu l’assentiment de l’industrie, qui ne remettront surtout pas en cause les liens d’intérêts au plus haut niveau, qui ne bouleverseront pas le travail de l’administration et renforceront un peu plus le pouvoir de la Sécurité sociale, mais qui créeront surtout de nouvelles contraintes pour les exécutants en bout de chaîne, c’est-à-dire les professions médicales uniquement.
Enfin, les contribuables, au rang desquels figurent les victimes, seront mis à contribution : un fonds d’indemnisation pour les victimes du Mediator est créé. Son fonctionnement est basé sur des fonds publics, ce qui permet aux pouvoirs publics de le contrôler bien plus sereinement et de minimiser les risques que représente une indemnisation laissée entre les mains de la justice. C’est de l’argent public qui ira donc dédommager les victimes, charge ensuite à l’État de se retourner au civil contre les laboratoires Servier, procédure excessivement longue qui n’est même pas sûre d’aboutir…

Le procès de Nanterre mettra-t-il un terme à cette chronique d’un scandale étouffé ? Aura-t-il vraiment lieu au printemps ? La justice finit toujours par triompher… dans nos rêves.

Les recommandations HAS remises dans le droit chemin

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Jurisprudences

Chemin baliséQui aurait pu croire il y a encore quelques mois que les effets secondaires du Mediator affecteraient le président de la Haute Autorité de santé (HAS) ou, tout du moins, ses décisions ? Qui aurait pu imaginer que les « recommandations » de bonne pratique de cette instance officielle, imposées à tous les médecins dans un but d’uniformiser les dépenses de santé, sous couvert d’améliorer la qualité de la prise en charge en méprisant l’unicité de chaque patient, et reconnues par le Conseil d’État comme opposables aux praticiens, ne s’appuyaient pas toujours sur des fondements scientifiques transparents ? Qui aurait pu douter de la détermination des experts à faire passer l’intérêt des patients avant celui de l’industrie ou d’un besoin de reconnaissance que chacun trouve légitime ? Pas grand monde, si ce n’est quelques rares médecins qui semblent avoir continué à faire leur l’un des préceptes de leur Art, garder l’esprit critique, plutôt que de sombrer dans le conformisme bien pensant par facilité, par compromission ou au nom de la sauvegarde du spectre de notre système de protection sociale…

C’est en 2009, bien avant que n’éclate le scandale du Mediator, que le Formindep, association pour une formation médicale indépendante, a déposé un recours en Conseil d’État contre le refus par le président de la HAS d’abroger deux recommandations émises par ses services, la première concernant le traitement du diabète de type 2 et la seconde la maladie d’Alzheimer, pour non-respect des règles de déclaration de liens d’intérêts des experts les ayant établies. Un combat qui valait la peine d’être mené puisque le 27 avril 2011, le Conseil d’État a annulé la décision par laquelle le président de la Haute Autorité de santé a refusé d’abroger la recommandation intitulée Traitement médicamenteux du diabète de type 2 et l’a contrait à abroger cette recommandation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision. En ce faisant, le Conseil d’État a reconnu que « la recommandation litigieuse a été élaborée en méconnaissance du principe d’impartialité dont s’inspirent les dispositions rappelées ci-dessus [article L 161-44 du code de la Sécurité sociale et L 5323-4 du code de la santé publique, NDLR], en raison de la présence, au sein du groupe de travail chargé de sa rédaction, d’experts médicaux apportant un concours occasionnel à la Haute Autorité de santé ainsi que d’agents de la Haute Autorité de santé et de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé qui entretenaient avec des entreprises pharmaceutiques des liens de nature à caractériser des situations prohibées de conflit d’intérêts ».

Suite à ce camouflet et alors qu’une décision était attendue pour la recommandation Diagnostic et prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées, le président de la HAS a préféré couper court aux critiques. Dans un communiqué du 20 mai 2011, la HAS précise qu’elle retire cette recommandation de bonne pratique « dans un contexte d’exigence accrue en matière d’indépendance et de transparence des institutions et afin de restaurer la confiance avec les usagers du système de soins ». Prenant acte de la décision du Conseil d’État, la HAS décide par ailleurs de lancer l’analyse de toutes les recommandations élaborées entre 2005 et 2010 pour vérifier qu’elles sont conformes aux règles en matière de déclarations publiques d’intérêt. Cette mission est confiée au groupe Déontologie et Indépendance de l’expertise de la HAS présidée par Christian Vigouroux, conseiller d’État. La HAS suivra les conclusions de cette mission et s’engage à retirer immédiatement les recommandations qui seraient concernées et à réinscrire les thèmes à son programme de travail. » Il est aussi question d’un audit externe de ses procédures de gestion des conflits d’intérêts en 2012.

La décision du Conseil d’État a un autre intérêt, celui de préciser le rôle des recommandations de bonne pratique. Il considère que ces dernières « ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en oeuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édiction ». Il estime aussi « qu’eu égard à l’obligation déontologique, incombant aux professionnels de santé en vertu des dispositions du code de la santé publique qui leur sont applicables, d’assurer au patient des soins fondés sur les données acquises de la science, telles qu’elles ressortent notamment de ces recommandations de bonnes pratiques, ces dernières doivent être regardées comme des décisions faisant grief susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».

Malgré tout, les recommandations de bonne pratique ont encore de belles années devant elles. Beaucoup de médecins en redemandent, car il est plus simple de suivre une recette universelle toute faite que d’élaborer un diagnostic en tenant compte des spécificités de chaque patient, surtout quand cette réflexion chronophage, pourtant salutaire au malade, leur attire les foudres de l’assurance-maladie.
Les professions paramédicales en redemandent elles aussi. À l’heure où la délégation des tâches est portée aux nues, mieux vaut disposer de conduites à tenir élaborées par des experts pour pouvoir jouer au docteur sans trop engager sa responsabilité.
Les juristes en sont friands, habitués qu’ils sont aux normes, les utilisant pour faire condamner, plus souvent que pour défendre, les praticiens faisant preuve de sens critique (ou d’incompétence).
L’industrie les réclame, puisqu’elle ne doute pas un seul instant de réussir à nouveau à influencer d’une façon ou d’une autre leur contenu d’ici quelques mois.
La Sécurité sociale, les complémentaires santé et les décideurs, enfin, qui voient en elles un formidable frein aux dépenses de santé et la mise sous coupe réglée des professionnels de santé.
Médecine et indépendance ne sont décidément pas prêtes à ne plus être antinomiques…

Un nouveau protocole pour la sécurité des professions de santé

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Evolution

Agressions des professionnels de santéCe ne sont pas moins de trois ministres, celui de l’intérieur, celui de la justice et celui de la santé, qui étaient réunis place Beauvau à Paris, le 20 avril 2011, pour signer un protocole national pour la sécurité des professions de santé. Pendant pour les professionnels de santé libéraux du protocole santé sécurité signé en 2005 qui avait pour but d’améliorer la sécurité des établissements hospitaliers publics et privés, ce document n’a été signé par les ordres professionnels, seuls les principaux syndicats ayant répondu à cet appel. Il ne faut pas y voir là un désintérêt des Ordres pour la sécurité des professions de santé, comme le montrent des actions telles que l’observatoire de la sécurité des médecins mis en place par le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) depuis 2004, mais bien un nouvel épisode de la lutte de pouvoir que se livrent Ordres et syndicats et dont savent fort habilement tirer partie les pouvoirs publics.

On ne peut que regretter qu’il ait fallu attendre que les résultats 2010 de l’observatoire de la sécurité des médecins montrent une hausse sans précédent des actes de violence à l’égard des médecins, tout comme d’autres études ont fait état de constatations identiques pour les professionnels de santé dans leur ensemble, et que les médias consacrent quelques reportages au phénomène pour que des mesures soient annoncées. Ne s’agit-il d’ailleurs pas là que d’un simple effet d’annonce lorsque l’on sait que le protocole signé pour les établissements de santé en 2005 n’a pas empêché la forte augmentation des déclarations des médecins et des autres personnels de soin exerçant dans ces lieux ? C’est à l’usage et au quotidien que les libéraux jugeront ces mesures diverses et variées.

Il est question d’une « boîte à outils adaptée aux réalités du terrain » et de de « solutions surmesure pour chaque type de situation » si l’on en croit les déclarations officielles : mise en place d’interlocuteurs dédiés au sein des commissariats et des brigades de gendarmerie, policiers et gendarmes pouvant réaliser à la demande des professionnels des diagnostics de sécurité, procédures de signalement simplifiées (comme des boîtiers de géolocalisation) sont au nombre des solutions proposées.

Plus que des mesures visant à empêcher les agressions, il semble surtout qu’il s’agit de donner l’impression aux professionnels de santé qu’ils pourront être secourus quand celles-ci auront eu lieu, ou que leurs auteurs pourront être poursuivis, comme en témoigne l’incitation faite aux élus locaux par le ministre de l’intérieur « à développer leur système de vidéoprotection de manière à couvrir, autant que possible, les abords des cabinets médicaux et paramédicaux ou des pharmacies ».
Plus qu’aux professionnels de santé auprès duquel les ministres ont voulu faire passer un message, c’est auprès des forces de l’ordre qu’il est souhaitable que l’information soit transmise. Entre les discours prononcés dans les salons feutrés parisiens et la réalité sur le terrain, il y a bien souvent un manque de corrélation. Lorsque le ministre de l’intérieur insiste « sur la nécessité de porter plainte systématiquement en cas de malveillance ou de violence en soulignant que c’est la plainte qui déclenche l’enquête et rend possible les poursuites judiciaires » et qu’il explique que « considérant l’utilité publique des professions de santé, il était possible, dans leur cas, de procéder à des prises de plainte sur rendez-vous ou à domicile », on aimerait le croire. Dans la pratique, les professions de santé qui ont passé du temps, parfois des heures, dans des commissariats au lieu d’être au chevet des patients pour s’entendre dire qu’une simple « main courante » pouvait faire l’affaire ne manqueront pas de sourire en prenant connaissance de ses propos.

Outre la sécurité des professionnels de santé, c’est la désertification médicale et le maillage du territoire qui sont en jeu pour le ministre de la santé. Il est vrai que l’on peut se demander quelles actions peuvent avoir des mesures incitatives à l’installation dans des zones de non-droit. Sans parler des mesures coercitives évoquées par certains, au prétexte de soigner les personnes âgées dans les départements ruraux, mais élaborées en fait pour obliger les professionnels de santé à visser leur plaque dans certains déserts médicaux, quand on sait que les membres des forces de l’ordre ne pénètrent dans ces mêmes zones qu’armés et à plusieurs ?
Certains regretteront sans doute que ce thème sécuritaire soit mis en avant. Peut-être est-ce parce qu’ils n’ont jamais été victimes d’une agression alors qu’ils allaient porter secours ou prodiguer leurs soins à un patient ?

 

Signature du protocole national pour la sécurité des professions de santé,
une vidéo réalisée par les services du ministère de l’interieur.

Le swing du Mediator

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Exercice particulièrement délicat que celui qui consiste à répondre en direct aux questions des journalistes. Dominique Dupagne, médecin généraliste et maître toile du site Atoute.org, habitué des médias, a relevé ce défi sur France-Inter, le 11 mars 2011, dans la chronique de Pascale Clark « 5 minutes avec… »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Dominique Dupagne ne pratique pas la langue de bois. Pour lui, nombreux ont été ceux qui ont dû fermer les yeux pendant plusieurs années pour être aveugle dans le dossier du Mediator, en France. Il n’hésite pas à mettre en cause tous les niveaux de la chaîne de décision dans le domaine du médicament et à s’amuser du discours prononcé par Nicolas Sarkozy lorsque Jacques Servier est fait grand-croix de la Légion d’honneur, dont voici un extrait : « En tant qu’entrepreneur, vous avez été souvent sévère à l’endroit de l’administration française. Vous critiquez l’empilement des mesures, des normes, des structures et vous avez raison ». Un discours qui a disparu depuis peu du site du laboratoire éponyme où il figurait pourtant en bonne place.

Pour le docteur Dupagne, les assises du médicament, auxquelles il a participé jusque-là pour avoir fait partie de ceux qui ont très tôt dénoncé le Mediator, ne déboucheront sur rien. Les patrons de l’industrie pharmaceutique s’y pressent et les travaux ne sont pas publics. Il a même été interdit aux participants de filmer les séances sous peine de poursuites alors qu’il y est question de la transparence de l’information dans le domaine du médicament…

Magie d’Internet, il est possible de revoir l’intervention de Dominique Dupagne en ligne. Un plaisir dont il serait dommage de se priver.

 

Recommandations de bonne pratique et conflits d’intérêts

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Evolution

Tout le monde ne jure plus que par les recommandations de bonne pratique… Non content de faire fi de la spécificité de chaque patient, ces guides donnent l’impression qu’il suffit de suivre un protocole, comme un ordinateur suit un programme, pour soigner tous les malades de la même façon. Gros avantage de ces préconisations « à la mode », ils flattent l’ego de ceux qui sont chargés de les rédiger et ils sont devenus un outil idéal pour contraindre les praticiens à « faire des économies ». Bien plus efficaces et bien plus simples à mettre en place qu’un développement professionnel continu qui ne cesse de patiner, ces directives ont les faveurs des pouvoirs publics. Plutôt que d’imposer à un médecin de répondre à ses obligations de formation continue et de lui réapprendre à faire preuve de sens critique et d’objectivité, beaucoup semblent penser, y compris au sein de cette profession, qu’il est préférable de donner des solutions toutes faites aux professionnels de santé. Pas besoin de réfléchir pour les uns, il suffit de s’en remettre aux recommandations pour traiter ; un bon moyen d’imposer ce qui doit être prescrit pour les autres. Que les recommandations ne soient remises que tous les 5 à 10 ans ne choque personne, puisque l’intérêt du patient n’est pas toujours ce qui prime malgré les beaux discours. Qu’un praticien soit sanctionné parce qu’il n’a pas respecté les recommandations n’émeut pas grand monde non plus : pourquoi diable un médecin devrait-il se mettre à réfléchir alors que des leaders d’opinion dédommagés par la Haute Autorité de santé l’ont fait pour lui ? Sans compter que quand des médecins réfléchissent, ils risquent de créer une revue comme Prescrire, de dénoncer des campagnes de prévention controversées ou de ne pas conseiller aux patients de se faire vacciner contre la grippe A(H1N1) au grand dam de la ministre de la santé de l’époque qui suivait les “recommandations” du même type d’experts…Extraire le savoir

L’industrie pharmaceutique a compris depuis longtemps qu’il était vital pour elle de faire entendre sa voix, même sous forme de murmures, dans les réunions où les recommandations de bonne pratique se décident. Influencer des groupes de réflexion, voire même les créer en les finançant, est une chose qu’elle est habituée à faire. Rien de mieux pour cela que de nouer des liens avec les leaders d’opinion qui vont servir d’experts à cette occasion. C’est tout du moins ce que l’on peut penser à la lecture d’un article publié dans le Canadian Medical Association Journal du 22 février 2011, intitulé Clinical guideline writers often conflicted. Roger Collier, un journaliste de cette revue appréciée de ceux qui publient (impact factor de 7,3), y explique qu’il n’y a pas une semaine sans que de nouvelles recommandations de bonne pratique ne paraissent sur la planète. Un fait qui doit avoir son importance puisque le gouvernement américain finance un programme destiné à recenser tous ces guides de bonne pratique de par le monde il n’y en aurait pas moins de 360 en cours de rédaction. On peut s’étonner qu’un état finance un tel programme. Pas vraiment si l’on considère l’intérêt qu’il peut avoir pour la santé publique, mais surtout les enjeux stratégiques et économiques qui peuvent s’y attacher. Publier un référentiel de bonne pratique, c’est se donner la possibilité de voir ce travail devenir la référence pour les milliers de médecins d’un pays, voire même les millions de praticiens qui parlent la langue dans laquelle est rédigé le document. C’est aussi une façon de voir les groupes d’experts des autres nations utiliser ce travail comme base à leurs propres réflexions. D’où l’importance d’une telle veille pour une administration qui a pour objectif de maintenir les États-Unis au plus haut niveau dans tous les domaines.
Un enjeu que des sociétés savantes ont elles aussi compris : la Société américaine de radiologie, par exemple, à une trentaine de ces recommandations de bonne pratique actuellement sur le feu. Des associations de médecins qui sont bien souvent encouragées à agir ainsi par l’industrie, les pouvoirs publics ou les assureurs.

Le docteur Niteesh Choudhry, professeur adjoint à l’université de médecine Harvard de Boston, s’est intéressé aux lignes en petits caractères, censées informer le lecteur sur les liens d’intérêt des auteurs, qui figurent parfois en bas de page de ses recommandations de bonne pratique, au moins de celles publiées dans de grandes revues qui exigent de telles déclarations. Après un examen attentif de ces éléments, il en est arrivé à la conclusion qu’il existait un nombre extrêmement important de rédacteurs de ces recommandations ayant des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. Il cite en exemple les recommandations de la Société canadienne de thoracologie sur la gestion de l’asthme chez les adultes et les enfants de 6 ans et plus financées par trois des plus grands laboratoires vendant des médicaments à cet effet dans ce pays.

Pour le médecin « de base », la tâche n’est pas aisée. Déjà occupé à soigner les patients, il n’a souvent d’autres choix que de se fier à ces recommandations. « Compte tenu de la quantité d’informations dans un domaine particulier, aucun médecin ne peut toutes les connaître », explique le docteur Joel Lexchin, professeur à l’université York de Toronto. Que des déclarations de liens d’intérêt soient obligatoires et figurent dans les documents est une bonne chose pour la transparence, mais elles n’empêchent pas les biais. N’étant pas un expert, comment le médecin de famille peut-il apprécier l’impact que peut avoir le lien d’intérêt déclaré ? Il peut n’en avoir aucun, comme il peut être énorme…

Faut-il systématiquement jeter la pierre aux leaders d’opinion ou aux experts qui participent à la rédaction des recommandations de bonne pratique ? Pour Niteesh Choudhry, ils sont nombreux à sous-estimer l’influence que peuvent avoir leurs liens avec l’industrie sur ces recommandations.
Dans une étude publiée dans le JAMA, le docteur Choudhry et ses collaborateurs ont montré de 87 % des auteurs de ces recommandations avaient des liens avec l’industrie et plus particulièrement avec des sociétés dont l’usage des produits était recommandé dans les recommandations auxquels ils avaient contribué dans 59 % des cas. « Nous nous demandons si les universitaires et les médecins sous-estiment l’impact de ces relations sur leurs actions parce que la nature même de leur profession est la recherche d’une information impartiale et objective », indique le document. « Malheureusement, le biais peut se produire à la fois consciemment et inconsciemment, et par conséquent, son influence peut passer inaperçue. »

Niteesh Choudhry s’empresse toutefois de préciser qu’interdire à toute personne ayant des liens d’intérêt avec les laboratoires de prendre part à la conception de recommandations de bonne pratique n’est pas réaliste. Sans compter que l’on peut avoir un lien d’intérêt sans être partial pour autant et que si l’on est un expert, on fait souvent partie de ceux qui sont obligés d’avoir le plus de liens avec l’industrie…
L’idéal serait de pouvoir apprécier quel impact peut avoir un lien déclaré sur la recommandation qui va être faite. Une espèce de recommandation de bonne pratique sur la façon de gérer les liens d’intérêt déclarés par les auteurs de ces recommandations, sans doute…

Les conseils de Roselyne Bachelot pour la prochaine pandémie grippale

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Virus de la grippe A(H1N1)À part l’Assemblée nationale, tout le monde s’accorde à dire que la gestion de la campagne de vaccinations contre la grippe A(H1N1) n’a pas été à la hauteur de ce que l’on aurait pu attendre des responsables en charge du dossier. Dernier élément à charge dans cette affaire, le rapport public annuel 2011 de la Cour des comptes, remis par Didier Migaud, Premier président de cette institution, nommé par Nicolas Sarkozy suite au décès de Philippe Séguin en janvier 2010, dont une partie s’intitule La campagne de lutte contre la grippe A(H1N1) : bilan et enseignements. Les reproches y sont nombreux : « une stratégie vaccinale trop ambitieuse et non évolutive » ; « un choix discutable d’une couverture large de la population » peu justifié par des arguments sanitaires ; « des contrats d’acquisition de vaccins mal négociés » avec « une forte dépendance vis-à-vis des fournisseurs » et « de nombreuses clauses défavorables à l’État » ; etc. Rien n’est épargné aux décisionnaires ayant eu à affronter cette “crise” sanitaire, au premier rang desquels figurait Roselyne Bachelot alors ministre de la santé, et le bilan n’est pas flatteur.

En s’intéressant à la gestion de la pandémie grippale par le Gouvernement, la Cour des comptes s’est contentée de remplir l’une des missions qui lui sont confiées par la Constitution au 1er alinéa de l’article 47-2 : « La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques. Par ses rapports publics, elle contribue à l’information des citoyens. […] » Des citoyens qui découvrent ainsi que les modalités de financement de l’achat des vaccins sont « contestables » et que l’organisation de la campagne de vaccination a été « dispendieuse ».

Face à de telles conclusions et bien qu’il s’agisse d’une “première”, un citoyen responsable aurait pu s’attendre à une mise à l’écart de ceux qui ont pris la majorité des décisions ayant conduit à ce fiasco ; une attente bien naïve au regard des circonstances. Pour s’en convaincre, il suffit de s’intéresser à la réponse du “nouveau” ministre des solidarités et des cohésions sociales à ce travail, courrier qui figure à la fin du document de la Cour des comptes. Ce ministre n’est autre que Roselyne Bachelot.
À la tête de ce ministère, il est cocasse de constater que Roselyne Bachelot, en plus d’être chargée de gérer le dossier de la dépendance particulièrement important aux yeux du président de la République, a pour mission de tirer des enseignements et de donner des conseils pour « la préparation des réponses à des alertes futures. »
Pour l’élue de la Sarthe, « on peut anticiper que les publics accueillis en structure d’hébergement que ce soit les personnes âgées ou les personnes handicapées, demeureront des sujets à risque, vis-à-vis des pathologies infectieuses épidémiques, du fait d’une part de leur fragilité intrinsèque due à l’âge, à leurs pathologies, à leur dépendance et d’autre part, de la vie en collectivité qui favorise la diffusion rapide des germes.
En même temps des catégories de populations en situation précaire ou de grande exclusion poseront à nouveau comme lors de chaque crise, des difficultés de repérage et donc d’accès à des mesures de prévention voire de soins.
Aussi, l’expérience de cet épisode pandémique doit permettre d’améliorer la préparation de dispositifs ad-hoc destinés à ces deux situations. » Selon Roselyne Bachelot, « cela passe en dehors de toute période de crise par l’amélioration de la maîtrise du risque infectieux dans ces structures et dans le cadre de la lutte contre la précarité, par une optimisation des dispositifs d’aide et d’accompagnement, en lien avec les partenaires concernés et les usagers », mais aussi par « la nécessité pour chacun de se préparer à une crise longue et globale quel que soit le fait générateur, par l’élaboration et l’amélioration continue des plans de continuité d’activité. » Toujours au coeur des instances décisionnaires, ses conseils sont d’ailleurs déjà pris en compte : « Mon ministère avec la Direction générale de la cohésion sociale s’est pleinement impliqué dans la refonte du plan pandémie grippale. » Une action qui devrait se poursuivre puisque « l’organisation de l’appel à la solidarité locale et celle du soutien aux foyers touchés par une éventuelle pandémie constituent également des axes de la préparation qui seront formalisés. » Roselyne Bachelot n’en a donc pas fini de prodiguer ses conseils et de tirer des enseignements sur la gestion des pandémies…

La Cour des comptes confirme les critiques du Sénat sur la gestion de la pandémie de grippe A(H1N1)

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Evolution

La grippe porcineContrairement à l’extrême complaisance dont avaient fait preuve les députés vis-à-vis de la gestion de la pandémie de grippe A(H1N1)v par le gouvernement en 2009, les sénateurs avaient fait preuve l’an passé de beaucoup moins d’égards à l’attention des services de Roselyne Bachelot alors ministre de la santé et de ceux de Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur. Force est de constater à la lecture d’une étude de la Cour des comptes relative à l’utilisation des fonds mobilisés pour la lutte contre la pandémie grippale A (H1N1)v que les résidents de la chambre haute du Parlement français ont fait preuve de bien plus de clairvoyance, d’objectivité et d’esprit critique que leurs homologues d’une chambre bien basse à cette occasion.

Même si d’autres affaires et le scandale du Mediator ont chassé des devants de la scène le fiasco de la campagne de vaccination contre la grippe porcine ou A(H1N1) »v » (pour variant) il n’en est pas moins intéressant de prendre connaissance de ce contrôle de la Cour des comptes que l’on retrouve au sein d’un rapport d’information de la commission des affaires sociales du Sénat rendu public début février 2011.

Une gestion déplorable

Avec le recul, le bilan de la lutte contre la pandémie grippale A(H1N1)v est le suivant : un peu plus de cinq millions de personnes vaccinées (5,36 millions, soit 8,5 % de la population) pour plus de 44 millions de doses de vaccins achetées (sur les 94 millions commandées); 342 décès attribués à la grippe A(H1N1)v ; un coût total estimé entre 700 et 760 millions d’euros (soit entre 4,5 et 5 milliards de francs) ; 48,5 millions d’euros consacrés à l’indemnisation des laboratoires pour avoir annulé les commandes sur un total de 382,7 millions d’euros dévolus aux seuls vaccins.

Loin des éloges des députés à l’égard des services de l’État et des décideurs politiques, la Cour des comptes dresse, dès le début de son étude, un tableau sans concessions de ce qui ressemble bien à un fiasco : « Au tout début de la crise, le gouvernement a eu comme priorité de réserver des vaccins, ses fournisseurs habituels n’étant pas prêts (Sanofi) ou jugés incertains (Novartis). Il a craint d’être comparé désavantageusement avec le Royaume-Uni, qui était parvenu à mobiliser rapidement le laboratoire pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK) afin d’obtenir à partir du mois de septembre des vaccins pour couvrir toute sa population. Avant même d’être en mesure d’analyser la menace, de juger la fiabilité des données alarmistes en provenance du Mexique, d’examiner la pertinence et les modalités d’une campagne de vaccination, le gouvernement avait signé une lettre de réservation à GSK pour 50 millions de doses le 14 mai 2009, moins d’un mois avant la première observation du virus. En fait, sans que les États ne puissent s’y opposer, du fait d’une coordination européenne à peine esquissée, les laboratoires pharmaceutiques sont parvenus à mettre ceux-ci en concurrence et se sont placés en position favorable pour contracter.
Les pouvoirs publics ont ensuite mené dans le secret et l’urgence des négociations sans précédent avec ces laboratoires pharmaceutiques, en privilégiant deux objectifs : d’une part le retrait d’une clause dite « scélérate » de transfert de responsabilité à l’État, d’autre part des engagements sur des calendriers de livraison anticipés afin de soutenir la comparaison avec les Britanniques, alors que ces calendriers n’avaient qu’une valeur indicative et qu’ils n’ont pas été respectés. Ces deux priorités ont amoindri les marges de négociations de l’État qui a cédé sur la contrainte de prix, sur le fait d’effectuer une commande ferme et non par tranches conditionnelles ainsi que sur le conditionnement des vaccins en monodoses et non en multidoses, exigence qui n’a d’ailleurs pas été explicitement formulée.
L’importance qu’a prise la contrainte de calendrier est difficilement compréhensible dans la mesure où l’expertise sanitaire conduisait à affirmer de manière quasi certaine que la vaccination, aussi précoce soit-elle, ne parviendrait pas à obtenir un effet de protection collective pouvant faire barrière au virus, car celui-ci arriverait tôt sur le territoire français.
Ce sont au total 94 millions de doses de vaccins qui ont été initialement commandées par la France. Le volume des commandes de vaccins ne laisse pas d’interroger. La France figure parmi une minorité de pays développés ayant choisi de couvrir toute leur population. […]
À partir de la signature des contrats d’achat, dans les premiers jours de juillet, la stratégie vaccinale n’a fait l’objet d’aucune révision substantielle. En septembre, le gouvernement a décidé le lancement d’une campagne de vaccination visant à couvrir toute la population mais néanmoins facultative, sans prendre en compte ni le tableau d’ensemble rassurant de l’épidémie australe, ni le retournement d’opinion qui s’était opéré en fin d’été. »

Retards, comitologie, gaspillage

Le reste de cette étude est à l’avenant, même si les propos sont plus nuancés dans le corps du document. Offre de vaccination dans les centres largement surdimensionnée, besoins de fonctionnement des centres non anticipés, médecins retraités payés avec six mois de retard, « gaspillage » de quelque 2,7 millions de doses de vaccins (soit près de la moitié de celles utilisées) sont au nombre des critiques. Le plan national de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, fait de fiches devant servir à aider les responsables à prendre des décisions, est lui aussi critiqué : « La partie vaccination du plan n’était pas celle qui était la plus susceptible de se réaliser, et pour cette raison n’avait pas jusqu’alors fait l’objet d’une attention particulière. Cette fiche présente plusieurs défauts qui l’ont rendue de facto inutilisable : elle n’est pas assez précise dans les détails pratiques (sites de vaccination, organisation de la chaîne de vaccination, constitution des équipes de vaccination, etc.), et n’aide pas à la décision en termes stratégiques, par exemple en indiquant des conditions devant conduire à examiner le principe d’une vaccination de masse. » Pour la Cour des comptes, qui fait aussi des propositions dans ce travail, « la partie « vaccination » du plan pourrait être renforcée, afin d’éviter de devoir procéder en période de crise à des arbitrages qui auraient dû être anticipés, en matière juridique ou financière en particulier, et devrait mentionner les difficultés potentielles d’obtention ou de négociations des commandes de vaccins. »

À la lecture de l’étude de la Cour des comptes, un élément est frappant : la complexité de la chaîne administrative qui engendre des tensions alors même qu’il faut faire face à une crise… Si Claude Allègre parlait de « dégraisser le mammouth » de l’Éducation nationale, la Cour des comptes parle en termes plus feutrés du système censé gérer une telle pandémie et remet en cause l’intérêt d’autant d’agences sanitaires et de comités d’experts : « Ces nombreuses saisines et consultations d’agences, comités et conseils ont en définitive donné l’image d’une comitologie sanitaire trop peu lisible et génératrice de délais dans la prise de décision. » Pas question, par contre, d’avoir la dent trop dure vis-à-vis des administrations. Une nouvelle fois, l’honneur est sauf : « L’effort administratif et humain de gestion de cette longue crise a été considérable […]. »

Les vraies raisons qui expliquent que le vaccin n’a pas été rendu obligatoire

Un autre élément de ce travail est intéressant : la décision prise par le ministre de la santé de ne pas rendre la vaccination obligatoire. « Les arguments invoqués par le ministère de la santé à l’appui de cette décision, qui n’ont pas été rendus publics, ne sont pas de nature à emporter la conviction. Ils auraient même pu faire transparaître des doutes sur la pertinence de la stratégie vaccinale. Il s’agit en premier lieu d’éviter qu’en cas de vaccination de masse obligatoire, la responsabilité d’effets secondaires graves soit reportée sur l’État […] ; le deuxième argument est que la vaccination de 50 % de la population suffit à enrayer une pandémie ; le troisième est de respecter la volonté de ceux qui sont hostiles au principe de la vaccination. » Il est donc clair que les pouvoirs publics craignaient la survenue d’éventuels effets secondaires graves, contrairement au discours officiel destiné à diriger la population vers les centres de vaccination et critiquant les professionnels de santé indépendants qui mettaient en garde les citoyens à ce sujet.
À aucun moment, quelqu’un ne semble se poser la question de savoir si ce n’est pas ce manque de transparence qui est à l’origine de l’échec de la campagne de vaccination ! Plutôt que d’informer loyalement les patients, décision a été prise de cacher des doutes légitimes à l’égard de vaccins développés plus rapidement que d’habitude et dont l’industrie ne voulait pas assumer les conséquences… Comment s’étonner que des professionnels de santé responsables, à qui la loi impose d’informer le patient, aient refusé de cautionner une telle démarche ? Des praticiens ayant compris depuis longtemps qu’il valait qu’ils fassent confiance à leurs sources d’information scientifique habituelles plutôt qu’à des données fournies par les pouvoirs publics, y compris par l’intermédiaire d’un site comme pandemie-grippale.gouv.fr.
Comment s’étonner que des sites Internet sérieux, loin de quelques repères d’illuminés refusant les vaccins par idéologie ou par principe, aient eu tant de succès en n’occultant pas cette notion d’effets indésirables ? Comment s’étonner que des journalistes indépendants, même s’ils n’ont pas été nombreux, aient repris ces informations ? Comment s’étonner enfin que la population n’ait pas adhéré à un discours digne d’un mandarin hospitalier des années 70 en 2009 ?
Bien au contraire, la Cour des comptes semble regretter que le vaccin n’ait pas été rendu obligatoire. « Il est possible que le choix de rendre la campagne de vaccination facultative ait en fait résulté d’une application du principe de précaution relative aux vaccins pandémiques. En effet, le Haut conseil de la santé publique proposait une telle position dans son avis du 26 juin 2009 : « Du fait de l’impossibilité à évaluer la balance bénéfice/risque de la vaccination (incertitude sur la gravité de la maladie, aucune donnée d’efficacité et de tolérance) [le Haut Conseil] estime inopportun, dans l’état actuel des connaissances, que les vaccins pandémiques fassent l’objet d’une obligation vaccinale, tant en population générale que pour les personnes fragilisées ou les personnels de santé ».
Cet avis fournit une explication au fait que la vaccination des professionnels de santé, figurant parmi les personnes les plus exposées à l’épidémie et rendus prioritaires à ce titre, n’ait pas été rendue obligatoire. Cependant, leur exposition générale aux risques épidémiques les soumet à plusieurs obligations vaccinales. En particulier, ceux travaillant dans la plupart des établissements du secteur sanitaire ou médico-social doivent être vaccinés contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe. Il aurait donc été techniquement possible et socialement acceptable de créer une obligation de vaccination contre la grippe A (H1N1)v. Le choix de ne pas le faire, même s’il était justifié par des arguments de fond ou relatifs à la liberté individuelle des professionnels de santé, a véhiculé un message peu motivant pour la population générale, laissant imaginer dès ce stade que l’épidémie n’était donc pas si grave.
Le choix d’une vaccination facultative contre un virus de gravité modérée n’a pas été pleinement cohérent avec l’achat d’un nombre très important de doses de vaccin en préparation d’une campagne de vaccination de masse. »

Des économies sur les acteurs de santé pour mieux payer les avocats et atténuer la responsabilité des laboratoires

Autre point sur lequel il convient d’insister : « De plus, sans l’avouer explicitement, le gouvernement avait l’intention de recourir à des centres de vaccination pour des raisons de coût, ceux-ci permettant de réaliser des économies d’échelle. La vaccination sans examen médical, telle qu’elle figure dans le plan variole ou dans les plans initiaux du gouvernement, coûte très peu. Même lorsqu’un examen préalable systématique est imposé, comme dans le cas de la grippe A(H1N1)v, l’organisation en centres permet de limiter sa durée. Évaluée dans les schémas initiaux à 2 minutes, la durée réelle des examens a été plus proche en moyenne de 5 minutes. Le coût moyen d’une heure de présence en centre d’un médecin étant proche de 50 euros, la partie médicale du coût de la vaccination est de 2,5 euros, auxquels il faut ajouter le coût infirmier de l’acte de vaccination. Cependant, même dans ce cas, le coût de la vaccination demeure maîtrisé, en comparaison avec des consultations en cabinet à 22 euros pour le même acte. À l’occasion du basculement de la vaccination en secteur libéral à partir de janvier, l’assurance maladie a cependant créé un nouvel acte dédié à la vaccination contre la grippe A(H1N1)v, codifié avec la lettre- clé VAC, correspondant à une séance de vaccination spécifique au cabinet ou au domicile du patient, rémunéré 6,60 €. Il semblait donc possible que la médecine libérale puisse effectuer des actes de vaccination pour un coût unitaire bien inférieur au tarif d’une consultation. Or, en pratique, les médecins libéraux ont eu recours à un nombre de vaccins monodoses bien supérieur aux nombres d’actes VAC. Il faut en déduire que la plupart des vaccinations ont pris la forme de consultations classiques, et que la crainte du ministère de la santé était justifiée. Il faut cependant relever que le tarif fixé rémunère mal l’ensemble des prestations demandées, comprenant l’entretien médical, la prescription, la préparation et l’injection du vaccin, le renseignement du bon et du certificat de vaccination. »
Que dire du fait que les professionnels de santé étaient payés au maximum 66 euros de l’heure pour vacciner dans les centres (33 euros pour les médecins retraités et moins pour les infirmiers), les honoraires des cabinets d’avocats engagés par le gouvernement quand il a fallu annuler les commandes de vaccins ont atteint 740 euros de l’heure hors taxes ?

Sur un plan financier, il est évident qu’il y a eu deux poids, deux mesures. Même si les négociations avec les laboratoires ont été menées dans l’urgence et que ces derniers ont réussi à mettre en concurrence les différents États, cela n’explique pas toutes les concessions faites aux fabricants. « L’impossibilité de faire jouer la concurrence entre laboratoires et la position défavorable de négociation dans lesquelles se sont trouvés placés les pouvoirs publics a découlé entièrement de l’objectif de quantités de vaccins que ceux-ci s’étaient assignés. » Au final, en raison des commandes passées puis annulées, chaque dose de vaccin utilisée a coûté au moins 61 euros au contribuable…
De plus, alors que les pouvoirs publics s’en défendaient, un dispositif a bien été mis en place pour atténuer la responsabilité des laboratoires : « Ce dispositif complexe conduit à ce que « si les vaccins sont conformes aux spécifications contenues dans l’autorisation de mise sur le marché » et que des effets secondaires apparaissent néanmoins, la responsabilité en incombe alors à l’État et non aux laboratoires ». Par rapport au droit commun, il revenait donc à obliger l’État à apporter la preuve de la faute. Cette dérogation aurait pu s’avérer lourde de conséquences dans l’hypothèse d’effets indésirables graves ou massifs dont l’origine aurait pu donner lieu à d’infinies contestations. »
Impossible de dire qu’une telle situation était sans précédent et qu’il a fallu trancher dans l’urgence puisque la Cour explique qu’à l’occasion de la grippe aviaire en 2005, les laboratoires avaient déjà usé des mêmes méthodes et avaient réclamé une clause spécifique atténuant leur responsabilité : « Il est à noter qu’une clause de nature assez voisine avait déjà été introduite, dans des conditions d’une régularité d’ailleurs douteuse, dans les marchés conclus en 2005 avec Novartis et Sanofi Pasteur. »

Une promesse de pharmacovigilance bafouée

La campagne de vaccination elle-même a souffert de graves dysfonctionnements et permet de remettre en question les dispositifs mis en place. « En outre, il était clairement établi à la mi-novembre que le virus H1N1 présentait une dangerosité beaucoup plus modérée que celle qui avait été envisagée. Par ailleurs, la campagne de vaccination n’ayant effectivement commencé qu’à cette date, son rythme au cours des premières semaines a vite rendu hors d’atteinte l’objectif d’une couverture quasi générale de la population. »
Le suivi des citoyens en bonne santé à qui l’on a injecté un produit sur lequel il existait des doutes n’a pas été réalisé correctement. « Alors même que la stratégie retenue visait à protéger les personnes les plus vulnérables en les invitant en priorité à venir se faire vacciner, conformément aux indications du comité consultatif national d’éthique (CCNE), il est impossible d’établir des statistiques par groupes, et donc de savoir si les personnes les plus vulnérables ont été vaccinées, ni dans quelles proportions. En d’autres termes, l’indicateur le plus important et le plus pertinent permettant d’évaluer la réussite de la campagne de vaccination n’est pas disponible. »
Alors que des doutes existaient sur de potentiels effets indésirables graves, le système visant à assurer la pharmacovigilance a failli : « En l’état actuel des chiffres, ce sont donc plus de 5 % des bons qui sont inexploitables, affectant d’autant la traçabilité et le suivi statistique de la vaccination. »

À la lecture d’un tel document, tout un chacun est en droit de s’étonner que personne n’ait à répondre de tels agissements et que les responsables de toute cette gabegie puissent continuer à vaquer à leurs occupations officielles sans avoir à se soucier d’être mis en cause. Si seulement il était possible d’espérer qu’ils fassent mieux la prochaine fois…