Plus besoin du diplôme de médecin pour exercer

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Si l’article 17 du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) est voté en l’état par le Sénat, il ne sera plus nécessaire d’être interne en formation ou d’être titulaire d’un doctorat en médecine pour exercer !

L’article 17 du projet de loi est ainsi rédigé :

I. – Au début de la quatrième partie du code de la santé publique, sont insérées les dispositions suivantes :

LIVRE PRÉLIMINAIRE

« DISPOSITIONS COMMUNES

« TITRE IER

« COOPÉRATION ENTRE PROFESSIONNELS DE SANTÉ

« CHAPITRE UNIQUE

« Art. L. 4011-1. — Par dérogation aux articles L. 1132-1, L. 4111-1, L. 4161-1, L. 4161-3, L. 4161-5, L. 4221-1, L. 4311-1, L. 4321-1, L. 4322-1, L. 4331-1, L. 4332-1, L. 4341-1, L. 4342-1, L. 4351-1, L. 4361-1, L. 4362-1, L. 4364-1 et L. 4371-1, les professionnels de santé peuvent s’engager dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de réorganiser leurs modes d’intervention auprès du patient. Ils interviennent dans les limites de leurs connaissances et de leur expérience ainsi que dans le cadre des protocoles définis aux articles L. 4011-2 et L. 4011-3.

« Art. L. 4011-2. — Les professionnels de santé, à leur initiative, soumettent à l’agence régionale de santé des protocoles de coopération. L’agence soumet à la Haute Autorité de santé les protocoles qui répondent à un besoin de santé constaté au niveau régional et qu’elle a attestés.

« Ces protocoles précisent l’objet et la nature de la coopération, notamment les disciplines ou les pathologies, le lieu et le champ d’intervention des professionnels de santé concernés.

« Le directeur de l’agence régionale de santé autorise la mise en oeuvre de ces protocoles par arrêté pris après avis conforme de la Haute Autorité de santé.

« La Haute Autorité de santé peut étendre un protocole de coopération à tout le territoire national. Dans ce cas, le directeur de l’agence régionale de santé autorise la mise en oeuvre de ces protocoles par arrêté. Il informe la Haute Autorité de santé de sa décision.

« Art. L. 4011-3. — Les professionnels de santé qui s’engagent mutuellement à appliquer ces protocoles sont tenus de faire enregistrer, sans frais, leur demande d’adhésion auprès de l’agence régionale de santé.

« L’agence vérifie, dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la santé, que le demandeur dispose d’une garantie assurantielle portant sur le champ défini par le protocole et qu’il a fourni les éléments pertinents relatifs à son expérience acquise dans le domaine considéré et à sa formation. L’enregistrement de la demande vaut autorisation.

« Les professionnels s’engagent à procéder, pendant une durée de douze mois, au suivi de la mise en oeuvre du protocole selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de la santé et à transmettre les informations relatives à ce suivi à l’agence régionale de santé et à la Haute Autorité de santé.

« L’agence régionale de santé peut décider de mettre fin à l’application d’un protocole, selon des modalités définies par arrêté. Elle en informe les professionnels de santé concernés et la Haute Autorité de santé. »

II. — L’article 131 de la loi nº 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique est abrogé.

Selon ce texte, les “compétences” des professionnels ne doivent pas être prises en compte pour qu’ils puissent réaliser ou non un acte de soins. Le terme “compétence” semble avoir volontairement été ignoré, bien qu’il soitt capital puisque c’est ce qui permet à la justice, le plus souvent, de justifier ses décisions en matière d’exercice illégal d’une profession. Cela se comprend lorsque l’on sait que la “compétence” se définit comme l’ « aptitude à agir dans un certain domaine », si l’on en croit le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu.
Le diplôme du professionnel de santé valide des acquis. En plus de s’assurer de l’assimilation des connaissances, tous les diplômes de ce secteur entérinent des stages pratiques permettant aussi d’acquérir de l’expérience, proportionnelle à la durée des stages qui varie en fonction de la profession, bien entendu. Grâce à ce type de diplômes, un citoyen est reconnu comme ayant la “compétence” d’exercer une profession.
Bien pensé, ce système comporte des garde-fous puisque tous les diplômes n’offrent pas la possibilité d’augmenter son domaine de compétence. Une profession qui réussit à faire accepter par l’éducation nationale une formation et un diplôme la validant, n’obtient pas pour autant le droit de réaliser des actes médicaux en rapport. Ces mesures ont été mises en place dans un souci de qualité et sont basées sur un enseignement jugé comme suffisant pour acquérir une pratique donnée. C’est ainsi que fonctionne, actuellement, le système validant les études des professionnels de santé en France.
Les députés semblent avoir décidé qu’il n’est plus nécessaire de tenir compte de l’enseignement dispensé par les écoles et les universités pour laisser un professionnel réaliser des actes aussi “anodins” que ceux qui sont pratiqués par les soignants.

Cet article du projet de loi pourrait faire penser au dispositif de validation des acquis de l’expérience (VAE) mis en place par les pouvoirs publics. Il en est toutefois très éloigné si l’on examine plus en détail les textes. Le candidat à la VAE dépose un dossier de candidature et passe devant un jury afin d’obtenir tout ou partie d’une certification (diplôme, titre à finalité professionnelle ou certificat de qualification professionnelle). Il y a bien un véritable contrôle des connaissances, une sélection des demandeurs et le candidat obtient un diplôme élargissant sa “compétence”. Tel n’est pas le cas de cette idée de protocoles.

Le projet de loi considère qu’il suffit qu’un médecin, par exemple, estime que les connaissances et l’expérience d’un professionnel de santé paramédical sont suffisantes pour réaliser un acte de soins, de façon totalement subjective, pour qu’il puisse proposer un protocole.
Tous les scénarii sont envisageables. Un praticien spécialisé en médecine générale, dont le cousin est infirmier, peut estimer que ce dernier a les connaissances et l’expérience pour réaliser une appendicectomie ou qu’il peut faire des massages mieux qu’un kinésithérapeute. Peu importe d’ailleurs que l’un des deux professionnels de santé proposant un protocole soit médecin, des accords pourront intervenir à d’autres niveaux. Il suffira de convaincre l’agence régionale de santé (ARS) et la Haute Autorité de santé (ou les autorités politiques dont elles dépendent) que des économies pourront ainsi être réalisées pour que le protocole ait des chances d’être validé.

Une fois un protocole signé, il ne pourra pas être reproché aux signataires d’exercer illégalement une profession. Peu importe leur compétence, ils auront obtenu l’autorisation d’agir. Un professionnel de santé qui pourra se prévaloir de connaissances et d’une expérience aura la possibilité, sous couvert d’un protocole et d’une espèce de cooptation, d’effectuer des actes de soins pour lesquels la loi ne lui reconnaissait pas la “compétence” jusque-là.
Plus question de parler d’actes médicaux, même si ce sont principalement ces derniers qui sont concernés, le terme “acte de soins” est mieux adapté pour entretenir une certaine confusion, à moins qu’il ne soit dans l’intention du législateur de voir des actes infirmiers, de kinésithérapie ou d’orthoptie délégués à d’autres professionnels de santé…Connaissances et expérience plutôt qu'un diplôme de médecin

Si on peut penser que ces protocoles seront sous-tendus par l’intérêt des patients, rien n’empêche d’envisager qu’ils puissent facilement être utilisés pour qu’une frange d’une profession nuise à la majorité, en accordant à une autre catégorie de professionnels la possibilité de réaliser des actes échappant jusque-là à leur compétence.
Un esprit retors pourrait penser que c’est une façon de diviser encore plus facilement chaque branche de professionnels de santé et de faire voler en éclats les prérogatives des syndicats. C’est aussi une manière de fractionner la lutte pour protéger les pratiques pour des soins de qualité. Que des inégalités de traitement voient le jour d’une région à l’autre importe peu. Fort du constat qu’il est plus difficile pour une catégorie des professionnels de santé de s’opposer à des décisions disparates issues d’instances régionales qu’à une politique nationale uniforme, sur l’exemple des caisses primaires et de la caisse nationale d’assurance-maladie, on comprend que les élus soient tentés d’avoir un atout de plus dans leur jeu pour affaiblir ce qu’ils perçoivent comme des lobbies.

Par contre, s’il y a un lobby qu’il convient de ménager, c’est bien celui de l’assurance. Le texte donne donc la possibilité aux assureurs de refuser leur garantie aux protocoles qu’ils jugeraient trop risqués, si ce n’est pas assez rentables, sous couvert de juger des connaissances et de l’expérience des intervenants. Intéressante perspective pour les assureurs que celle qui consiste à valider les connaissances et l’expérience des professionnels de santé pour accepter ou non de les garantir…

À un moment où de récents mouvements universitaires ont fait affirmer aux pouvoirs publics qu’il était indispensable que les diplômes délivrés par les universités soient les garants de la qualité d’un enseignement et soient le reflet d’une réelle formation, il serait surprenant que les sénateurs, sur la lancée des députés, fassent fi des titres obtenus pour la réalisation des actes de soins.
Que penser d’un système qui décide de ne plus s’assurer, de façon objective et uniforme, des connaissances et de l’expérience des personnels à qui il confie la santé des citoyens ? Si personne ne conteste que des actes puissent être délégués en raison des problèmes démographiques d’une profession ou d’une autre, faut-il pour autant, mettre à bas un système basé sur la notion de compétence, reconnu pour sa qualité de par le monde ?

Tags :, , , , , , , , , , ,

Trackback depuis votre site.



Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.