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Le retard d’hospitalisation en cas de grippe est une perte de chance

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Trouver le bon équilibreHors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés au code de la santé publique, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. C’est ce que prévoit l’article L 1142-1 de ce même code. Un tribunal va donc s’évertuer à rechercher la faute d’un praticien lorsque la responsabilité de ce dernier est mise en cause par un patient ou sa famille, mais il ne doit pas pour autant négliger les autres éléments du dossier…

Si la grippe est une affection le plus souvent bénigne, malgré la présentation qui en a pu être faite à l’occasion de la pandémie survenue en 2009, il arrive parfois qu’un patient soit atteint d’une forme maligne de cette maladie. C’est ce qui est arrivé à une femme en décembre 2003, sans que rien ne laisse présager pour autant que son état de santé allait se dégrader brutalement et qu’elle décéderait d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë. La famille a porté plainte contre le médecin qui n’a pas hospitalisé la malade pensant que tout allait rentrer dans l’ordre rapidement.

Dans un premier temps, la cour d’appel a débouté la famille de sa demande en responsabilité du médecin. Certes si le praticien avait délivré à la patiente des soins consciencieux, attentifs et diligents, son hospitalisation serait intervenue plus tôt, mais que rien ne dit pour autant que l’évolution de la pathologie eût été différente ; l’administration de l’antibiothérapie aurait été avancée mais aucun élément médical ne permettait de dire que cela aurait évité la dégradation brutale de l’état de santé de la malade et son décès, dans la mesure où la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë dont elle était décédée n’avait pu être déterminée, de sorte qu’il n’était pas établi que la faute du médecin eût fait perdre à la patiente une chance de survie.

Mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 octobre 2010 (pourvoi nº 09-69195), ne l’a pas entendu de cette façon. Pour cette dernière, la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable, de sorte que ni l’incertitude relative à l’évolution de la pathologie, ni l’indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entraîné le décès n’étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par le médecin, laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de la patiente, et la perte d’une chance de survie pour cette dernière. En hospitalisant plus tôt la patiente pour sa grippe, le praticien ne lui aurait pas fait perdre une chance de survivre, peu importe que ce soit ou non cette maladie qui soit à l’origine de son décès…

La réalité juridique est parfois très éloignée du discours de terrain. D’un côté, les médecins sont de plus en plus encouragés, pour ne pas dire contraints, économies de santé obligent, à ne pas hospitaliser des patients pour des maladies qui sont, chez la très grande majorité des patients, peu sévères, surtout si ces maladies sont virales ou infectieuses afin d’éviter de contaminer inutilement les services de soins. De l’autre, les praticiens se retrouvent avec une véritable épée de Damoclès au dessus de la tête, le plus petit retard d’hospitalisation en cas d’aggravation brutale et imprévisible de la maladie chez un patient ne présentant pas de facteur de risque particulier suffisant à les faire condamner pour faute. Pas facile de travailler sereinement, chaque jour, à l’aplomb d’un précipice…

Délai de réflexion avant chirurgie

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Délai de réflexion avant chirurgieLe devoir d’information du chirurgien, comme celui des autres professionnels de santé, est inscrit dans la loi. Nul ne peut s’y soustraire hors du contexte de l’urgence engageant le pronostic, mais cette obligation n’est habituellement sanctionnée qu’autant qu’il en est résulté pour le patient une perte de chance de refuser l’acte médical et d’échapper au risque qui s’est réalisé. Le code de la santé publique n’impose pas pour autant de façon explicite un délai de réflexion devant être accordé au patient, après qu’il ait reçu cette information, pour qu’il puisse prendre une décision de façon sereine. La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 mars 2010 (pourvoi no 09-11270) vient de rappeler qu’en pratique, il incombait pourtant au chirurgien, s’il ne voulait pas voir sa responsabilité engagée, de laisser un temps de réflexion suffisamment long au patient.

Dans une affaire où il est question de paraplégie suite à une intervention pour une hernie discale, la Cour de cassation a repris à son compte une partie des décisions d’une cour d’appel en ces termes : « attendu que la cour d’appel a tout d’abord, pour écarter toute faute diagnostique ou opératoire de M. X… [le chirurgien, NDLR], retenu, adoptant les conclusions de l’expert, que l’intervention chirurgicale était une réponse thérapeutique adaptée, même si la nécessité immédiate n’en était pas justifiée au regard de l’absence d’éléments en faveur d’une rapide aggravation des troubles ; qu’elle a ensuite, sans contradiction, constaté qu’en raison du court laps de temps qui avait séparé la consultation initiale et l’opération, M. Y… [le patient, NDLR], n’ayant reçu aucune information sur les différentes techniques envisagées, les risques de chacune et les raisons du choix de M. X… pour l’une d’entre elles, n’avait pu bénéficier d’un délai de réflexion, pour mûrir sa décision en fonction de la pathologie initiale dont il souffrait, des risques d’évolution ou d’aggravation de celle-ci et pour réunir d’autres avis et d’autres informations nécessaires avant une opération grave à risques, ce dont il résultait qu’en privant M. Y… de la faculté de consentir d’une façon éclairée à l’intervention, M. X… avait manqué à son devoir d’information ; qu’elle en a déduit qu’il avait ainsi privé le patient d’une chance d’échapper à une infirmité, justifiant ainsi légalement sa décision ». En plus d’informer sur les différentes techniques opératoires possibles et à moins qu’il n’y ait un risque réel d’aggravation immédiate pouvant avoir de lourdes conséquences, le chirurgien doit donc laisser un temps de réflexion au patient suffisamment long pour que ce dernier puisse mûrir la décision et recueillir, s’il le désire, d’autres avis chirurgicaux ou d’autres informations.

Les Lucky Luke du bistouri font devoir aller patienter au saloon…