A propos de la responsabilité civile professionnelle du médecin salarié

Écrit par Bertrand Hue le . Dans la rubrique La parole à...

Cécile Manaouil est maître de conférence des universités, praticien hospitalier dans le service de médecine légale du centre hospitalier universitaire d’Amiens. Ses activités la conduisent à pratiquer de nombreuses expertises en responsabilité médicale en tant que médecin légiste et expert près la Cour d’appel d’Amiens.
Elle a accepté de répondre aux questions de Droit-medical.com et nous l’en remercions.


Droit-medical.com – Médecins salariés des hôpitaux publics, médecins libéraux, médecins salariés du privé : y a-t-il d’importantes différences en matière de responsabilité civile professionnelle ?

C. Manaouil – Oui, les différences sont majeures.

Les médecins des hôpitaux publics sont assimilés à des fonctionnaires, agents du service public. C’est la responsabilité de l’établissement qui est recherchée devant le tribunal administratif. Le médecin, lui-même, n’est mis en cause qu’en cas de faute détachable du service. Il s’agit d’une faute personnelle, d’une exceptionnelle gravité. Cette notion est très rarement retenue par les tribunaux et, en pratique, ce sont principalement les hôpitaux qui vont être amenés à indemniser. Cela n’empêche pas le médecin hospitalier salarié de se voir mis en cause sur le plan pénal.
Les médecins libéraux engagent leur propre responsabilité civile professionnelle. C’est en leur nom propre qu’ils vont éventuellement avoir à indemniser. Nous serons alors devant les juridictions civiles. Le médecin est indépendant de la clinique, par exemple. Cela n’empêche pas qu’il puisse être mis en cause conjointement à l’établissement et la responsabilité partagée avec une indemnisation répartie entre eux en cas de condamnation. Contrairement au médecin salarié, le médecin libéral a l’obligation de s’assurer pour sa responsabilité civile professionnelle.
Enfin, pour les médecins salariés du privé, depuis deux arrêts de la Cour de cassation du 9 novembre 2004, c’est la responsabilité de l’établissement qui les salarie qui est mise en cause. Le patient choisit l’établissement et forme un contrat tacite avec celui-ci. C’est donc la responsabilité de l’établissement qui sera recherchée. Tant que le médecin salarié n’est pas sorti du cadre de sa mission, sa responsabilité civile ne sera pas retenue par les tribunaux, selon cette jurisprudence.

Droit-medical.com – Un employeur privé peut-il engager un recours contre son médecin salarié en cas de mise en cause ?

C. Manaouil – En principe, comme nous l’avons vu, c’est à l’établissement d’indemniser. Des actions récursoires sont possibles contre le médecin, mais elles sont difficiles à mettre en pratique. Il faut pour cela que le médecin sorte du cadre de sa mission ce qui est fort rare.
L’employeur peut se retourner contre son préposé en cas d’abus de fonction. Cette notion a été définie par la Cour de cassation comme étant un employé qui agit hors de ses fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions. A part un praticien se lançant dans autre chose que de la médecine, il est difficile d’imaginer une telle situation.
L’établissement peut enfin se retourner contre son employé lorsque celui-ci a commis une infraction intentionnelle reconnue par une juridiction pénale. La jurisprudence de la Cour de cassation, dans ce cas, reconnaît l’indemnisation par le préposé. Cas d’école, car en médecine ce sont plutôt l’homicide involontaire ou les blessures involontaires qui sont plaidés.
Au total, le recours contre le médecin salarié paraît difficile.

Droit-medical.com – Un établissement n’a-t-il pas intérêt à faire appel à un médecin libéral plutôt que d’en salarier un ?

C. Manaouil – Certains établissements préfèrent les médecins salariés même si de nombreuses cliniques privilégient les libéraux. Il est intéressant de noter que le recrutement de médecins salariés contraint l’établissement privé ou l’institution à bien choisir ses recrues puisqu’ils devront répondre de leurs erreurs. Ils doivent choisir des médecins bien formés, leur permettre d’accéder à une formation médicale continue, au besoin demander des diplômes supplémentaires et surtout fournir le matériel le plus performant afin que le praticien préposé puisse assurer au mieux ses missions. Même s’ils le sont déjà spontanément, cette jurisprudence peut stimuler les établissements à être attentifs aux demandes de matériel ou de personnel de leurs médecins salariés.

Droit-medical.com – Si le médecin fait une telle demande et qu’elle n’est pas satisfaite, ne pourra-t-il pas dégager ainsi sa responsabilité ?

C. Manaouil – C’est un élément qui revient souvent en expertise : y a-t-il eu une insuffisance de moyens matériels ? En général c’est à l’établissement que l’on fait ce reproche, mais si le médecin est mis en cause, il pourra arguer de ses demandes non satisfaites. Il convient de tempérer cet élément par le fait que, devant une juridiction pénale par exemple, on pourra dire au médecin que cette demande fait partie de ses missions et lui reprocher d’avoir continué à travailler dans des conditions dangereuses pour le patient.
Il est impératif que le médecin garde des traces écrites de ses demandes (courriers avec accusé de réception ou compte-rendu de commission médicale d’établissement). S’il estime que la sécurité des patients est en jeu, il doit informer sa direction au plus vite.

Droit-medical.com – Un médecin salarié par une société d’exercice libéral est-il concerné ?

C. Manaouil – Nous ne sommes pas dans le cadre d’une activité salariée classique pour les médecins. Le terme salarié est impropre et nous sommes plutôt dans le cadre d’une activité libérale.

Droit-medical.com – Une assurance responsabilité civile médicale peut-elle être utile à un praticien salarié du privé malgré l’absence d’obligation à s’assurer ?

C. Manaouil – L’ établissement est obligé de s’assurer pour ses médecins salariés et les éventuels dommages dont ils peuvent être à l’origine. Le praticien salarié n’est pas obligé de s’assurer à titre personnel. Néanmoins, cela est recommandé. Cette couverture a habituellement un coût bien inférieur à celui d’un contrat de médecin libéral. L’assurance en responsabilité civile professionnelle est classiquement couplée à une protection juridique ce qui est intéressant. Par exemple, les frais d’avocats seront pris en charge si le médecin est mis en cause pénalement.
De plus, la jurisprudence du 9 novembre 2004 n’est pas figée. Il pourrait y avoir un revirement. La justice a du mal à oublier le modèle du médecin libéral, ce qui peut conduire à des arrêts parfois contradictoires et à des mises en cause de médecins salariés qui ne savent pas toujours bien se défendre dans un tel cas.
Il faut aussi que le praticien salarié réfléchisse bien au choix de son assureur. Avoir le même que son employeur n’est pas forcément la meilleure des solutions. Il peut y avoir un conflit d’intérêts entre la défense de l’établissement et celle du médecin salarié suivant les situations.

Droit-medical.com – En quoi le rapport sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, présenté par le professeur Pierre Catala au Garde des Sceaux en septembre 2005, remet-il en cause ces éléments ?

C. Manaouil – La jurisprudence a été fluctuante jusque-là en matière de responsabilité civile du médecin salarié. Cet avant-projet n’intéresse pas seulement les praticiens puisqu’il pourrait remettre en cause l’arrêt Costedoat (25 février 2000) de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation posant le principe selon lequel « le préposé qui agit dans le cadre de la mission qui lui est impartie par l’employeur et qui n’en a pas outrepassé les limites ne commet pas de faute personnelle susceptible d’engager sa responsabilité dans la réalisation d’un dommage ». Le salarié pourrait voir à nouveau sa responsabilité civile engagée à titre subsidiaire en cas de faute non intentionnelle. Il convient donc de rester très attentif sur ce sujet.

 

 
Propos recueillis par Bertrand Hue

 


 Université de Picardie et médecine légale

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Commentaires (2)

  • kouka

    |

    Bonjour,
    Finalement en lisant cet article, je ne sais toujours pas si un médecin salarié des hôpitaux publics doit prendre une assurance responsabilité civile professionnelle et avec quelles clauses?
    Merci de votre réponse

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