Assouplissement de la loi Evin, lobby de l’alcool et santé publique

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Loi et publicité sur Internet pour l'alcoolQue d’hypocrisie… Alors que les Pr Dominique Maraninchi, directeur de l’Institut national du cancer, et Didier Houssin, directeur général de la santé, ont présenté, le 17 février 2009, un document destiné aux médecins intitulé « Nutrition & prévention des cancers : des connaissances scientifiques aux recommandations » dans lequel il est expliqué qu’un verre d’alcool consommé par jour augmente de 168 % le risque de cancer de la bouche, du pharynx et du larynx, de 28 % le risque de celui de l’œsophage, de 10 % celui du sein et de 9 % celui du côlon, 90 députés s’apprêtent à soutenir des amendements ayant pour but d’assouplir la loi Evin 1 sur la publicité relative aux alcools, lors des débats à l’Assemblée sur le projet de loi Bachelot 2.

Pour les élus de la République, il semble bien plus facile de s’en prendre aux médecins qui soignent les victimes de l’alcool qu’aux viticulteurs, aux débits de boissons et à tous les commerces qui profitent de sa vente. Les économies pour la Sécurité sociale passent subitement au second plan quand les députés et sénateurs des régions viticoles doivent défendre leur terroir. Tout cela est fait avec habileté, car il ne faut pas se leurrer sur les mesures qui vont être médiatisées après leur adoption à l’Assemblée. Ce ne seront pas celles consistant à autoriser la publicité pour l’alcool sur Internet, car 78 % des Français y sont opposés selon un sondage IFOP publié le 18 février 2009 par l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, mais bien plutôt celles sur l’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs (alors même que l’on ne prend pas la peine de faire respecter la loi actuelle ce qui explique que 80 % y soient favorables). Les lobbys de l’alcool, et tout particulièrement celui du vin qui reste l’alcool le plus consommé en France, avaient été très déçus après la condamnation d’une célèbre marque de bière par le tribunal de grande instance de Paris en octobre 2007 pour avoir fait de la publicité sur Internet 3, jugement confirmé en appel. Ils devraient bientôt pouvoir utiliser un média très utilisé par les jeunes pour augmenter leurs chiffres de vente, tout ça grâce aux parlementaires.

La consommation d’alcool en France est l’une des plus élevées en Europe (4e rang européen) et dans le monde (6e rang mondial) d’après les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé de 2004. Même si elle diminue depuis les années 60, elle reste à l’origine de nombreux problèmes de santé qui creusent le déficit de la Sécurité sociale chaque année. En 2006, on peut estimer que l’alcool a fait un peu moins de 40 000 morts 4, alors que dans le même temps 4 703 personnes perdaient la vie sur les routes de France. Les chiffres ne disent pas si c’était sur la route des vins…

 


1- Loi no 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme.

2- Projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

3- Décision du tribunal de grande instance de Paris du 2 octobre 2007.

4- 45 000 morts liées à l’alcool en 1995, d’après le rapport « Alcool et risques de cancer : état des lieux des données scientifiques et recommandations de santé publique », alors que la consommation d’alcool sur le territoire français en litres d’alcool pur par habitant âgé de 15 ans et plus était de 14,8 litres cette même année. Elle s’élevait à 12,9 litres en 2006.

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Commentaires (3)

  • Marianne

    |

    Il faudra toujours connaitre le taux de consommation d’alcool d’une personne pour connaitre sa motivation dans la conversation.
    On dit il faut boire responsablement mais l’alcool rend irresponsable.

    T.

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  • Nicolas

    |

    Bonsoir,

    Je suis toujours effrayé par le manque de discernement de tels articles. Internet est, de loin, le media où la publicité sur l’alcool est la moins naucive, à condition d’être un minimum réglementé bien sûr…
    Soyons clairs: je suis contre les publicités intrusives et non ciblées sur l’alcool: il est hors de question qu’un adolescent naviguant sur internet se voit imposer des pop-ups vantant les mérites de tel ou tel alcool. C’est d’ailleurs bien ce type de garde-fous que recommande l’amendement que vous incriminez.
    En revanche, qu’une marque de bière, de vin ou de champagne puisse faire une publicité ciblée pour son site internet me semble nettement mois néfaste que les 4×3 dans la rue ou la publicité à la radio à la mi-temps d’un match de foot qui, eux, sont actuellement autorisés par la loi Evin !!! Je suis désolé, mais quand je tape « guide des vins sur internet » sur Google, et que je reçois des propositions vers des sites qui parlent de vin, il s’agit d’une publicité nettement mois néfaste que quand j’entends des publicités pour une boisson alcoolisée au goût anisé toutes les 10 minutes pendant les Jeux Olympiques… Or c’est bien cette deuxième situation qui est autorisée aujourd’hui par la loi…
    En conclusion, la loi Evin telle qu’elle est écrite aujourd’hui est simplement un anachronisme: elle a été rédigée en 1991 et n’a donc pas intégré internet à la liste des supports autorisés. Ce que prévoit l’amendement que vous incriminez, c’est simplement de mettre cette loi au goût du jour pour la rendre, enfin, applicable. Et pour que les pires excès , comme les pop-ups, ne soient plus possibles…

    Pour ceux qui veulent se renseigner sur ce sujet important, voici une liste de sites traitant le sujet sous des angles différents:

    http://www.eccevino.com/fr/content/qui-croire-dans-cette-affaire-de-vin-et-de-sante
    http://www.berthomeau.com/pages/N46_AlcoolampCancer-1121012.html
    http://hlalau.skynetblogs.be/post/6731425/et-maintenant-le-cancer
    http://ochato.typepad.com/blogochato/2009/02/le-vin-sur-internet-le-point-sur-les-discussions-concernant-la-modification-de-la-loi-evin.html

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  • Carabin

    |

    En me promenant sur droit-medical.com, je n’ai pas trouvé l’endroit où vous vendiez du vin 🙂

    C’est sans doute un hasard si Nicolas propose le site d’un guide des vins en ligne ; le blog d’un auteur ayant écrit un rapport intitulé « Comment mieux positionner les vins français sur les marchés d’exportation ? » ; celui d’un journaliste viticole et enfin un site de vente de vins par Internet… Même s’il n’y a que des sites respectables, on peut douter que les compétences des auteurs de ces sites soient aussi pertinentes sur le cancer et la santé que celles des auteurs du rapport cité dans l’article 😉
    Pour la publicité pour l’alcool, on peut aisément comprendre que tous ces sites aient envie de la voir se développer. Ayant tous des intérêts dans le commerce des alcools, pas difficile d’imaginer pourquoi.

    Les intérêts financiers de nombreux électeurs sont en jeux. Les députés des régions qui produisent de l’alcool l’ont bien compris. Mais il faut bien assumer à un moment donné le fait de défendre, d’un côté, des amendements pour élargir les supports de la publicité pour des substances, aussi délicieuses soient-elles, qui ont prouvé leur nocivité pour la santé et, d’un autre, de voter des lois diminuant les remboursements de la sécurité sociale ou obligeant les professionnels de santé à plus d’information et de résultats pour soigner les citoyens qui ont consommé ces mêmes substances…

    Ne pas autoriser la publicité sur Internet, ne veut pas dire interdire la consommation… Le commerce de l’alcool a encore de beaux jours devant lui ; les spécialistes de l’alcoologie et du cancer aussi 🙁
    Ça s’arrose ?

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