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Médecine & Droit — Numéro 112

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Médecine & Droit

Sommaire du numéro de janvier — février 2012

CouvertureElsevier — Masson

 

Droit administratif
Obstination déraisonnable et réanimation du nouveau-né
Cécile Manaouil

Santé publique
Conflits d’intérêts et expertises dans le domaine de la santé : l’annulation par le Conseil d’État d’une recommandation de l’HAS
Anne-Marie Duguet

Nouveau paysage réglementaire français dans le domaine des tissus et cellules
Fewzi Teskrat

Exercice professionnel
Sémantique des « données acquises de la science » comparée aux « connaissances médicales avérées ». Pour une obligation du médecin à respecter les « connaissances médicales avérées ou acquises »
Jean-Michel Debarre

Les revues médicales financées par la publicité incitent à prescrire

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Des médicaments en orUne équipe de chercheurs allemands et canadiens a voulu savoir si les sources de financement d’une revue médicale pouvaient avoir une influence sur sa ligne éditoriale et sur les recommandations que l’on pouvait être amené à trouver dans les articles qu’elle publie. Intéressante question quand on sait que nombreuses sont les revues “gratuites”, financées par la publicité et adressées directement au cabinet de nombreux médecins, qui revendiquent jouer un rôle prépondérant dans la formation médicale continue (FMC) des praticiens. Un rôle que personne ne conteste, les médecins reconnaissant en être friands et avoir habituellement recours à cette littérature, plutôt qu’à des revues tirant leurs revenus de leurs seuls abonnements, comme source d’informations pour actualiser leurs connaissances professionnelles.

Annette Becker, de l’université de Marburg en Allemagne, et ses collaborateurs ont donc décidé d’étudier les recommandations de prescription faites au sein des articles publiés en 2007 par onze revues allemandes dédiées à la FMC. Seuls des périodiques parmi les plus lus par des médecins généralistes ont été sélectionnés, en prenant soin néanmoins de prendre en compte des revues “gratuites” totalement financées par la publicité, des revues totalement financées par les abonnements et d’autres ayant un financement mixte.
Neuf médicaments ou classes de médicaments condidérés comme innovants et donc largement présents dans les encarts publicitaires ont été sélectionnés comme échantillon à étudier. Ces produits ont aussi été choisis parce qu’ils étaient encore protégés par des brevets, qu’ils étaient plus chers que d’autres médicaments utilisés pour traiter les mêmes problèmes et parce qu’il existait une certaine controverse soit leur efficacité soit sur l’éventail des indications pour lesquelles ils devaient être prescrits.
Les chercheurs, une fois cette liste établie, ont analysé les liens entre les publicités présentes dans les revues et les recommandations formulées dans le contenu rédactionnel de tous les articles faisant référence à l’un des produits sélectionnés. Chaque article a été évalué à l’aide d’une échelle allant de -2 à +2 : un papier noté +2 conseillait clairement de prescrire le produit ; au contraire, un article évalué à -2 déconseillait l’utilisation du médicament ou de la classe médicamenteuse. Un article neutre quant à savoir s’il fallait ou non prescrire le produit se voyait attribuer la note de 0.

Les résultats de ce travail, publiés dans le Canadian Medical Association Journal (CMAJ) du 28 février 2011, sont éloquents. Les auteurs de cette étude estiment que les recommandations visant à l’utilisation ou non d’un médicament dépendent de la source de financement des revues. Les journaux gratuits recommandent quasi systématiquement l’utilisation des médicaments sélectionnés alors que les revues financées par leurs abonnements sont enclines à déconseiller leur usage. Pour Annette Becker, le biais lié au mode de financement d’une revue devrait être pris en compte par le lecteur. Les revues gratuites vont à l’encontre des efforts faits pour apprendre aux médecins à avoir une lecture critique et à privilégier la médecine basée sur les preuves. L’industrie, par l’intermédiaire de ces journaux, profite du peu de temps qu’ont à consacrer les généralistes à leur FMC, de la complexité sans cesse grandissante de la médecine et du flot incessant d’informations auquel les praticiens doivent faire face pour encourager ces médecins à prescrire.

Responsabilité du médecin : prodiguer des soins conformes aux règles de l’art ne suffit pas

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Bilan radiologiqueExercer la médecine n’est pas chose simple. Un arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 25 novembre 2010 (nº de pourvoi 09-68631) en est un parfait exemple.

En mars 2000, une enfant profite d’une éclaircie pour aller faire du vélo. C’est avec un grand sourire qu’il enfourche son destrier mécanique et part pour une aventure qui va tourner au drame. En effet, quelques tours de pédales et le voilà hurlant de douleur après une lourde chute sur son avant-bras droit. Les parents affolés arrivent à son secours et s’empressent de le conduire aux urgences de la clinique la plus proche. C’est un médecin généraliste qui assure l’accueil dans ce service, comme c’est le cas dans de nombreux établissements privés en France. Des radiologies sont réalisées et le diagnostic est fait : fracture simple du cubitus droit. Le praticien prodigue alors des soins conformes aux règles de l’art en matière de fracture classique et l’enfant rentre chez lui. Le médecin n’imagine pas à cet instant que l’histoire est loin d’être terminée.

En fait, l’enfant présente une fracture plus complexe et plus rare appelée « fracture de Monteggia », associant une fracture cubitale à une luxation de la tête radiale, dont la prise en charge thérapeutique est différente d’une fracture simple. Pour les parents, cette erreur de diagnostic est donc à l’origine d’un traitement inadapté et d’un retard dans la prise en charge de l’état de leur enfant et il décide de rechercher la responsabilité du praticien devant les tribunaux pour le faire condamner à leur payer diverses sommes en réparation des préjudices subis par leur fille.

Après avoir pris en compte l’avis des experts, la cour d’appel déboute les parents. Si un premier expert reconnaît que le médecin généraliste, bien que non-urgentiste, était bien responsable du service des urgences de la clinique et aurait dû faire le diagnostic, un second expert a dû demander l’aide d’un sapiteur spécialiste en orthopédie et traumatologie pédiatrique pour diagnostiquer cette fracture peu courante et très loin d’être visible au premier coup d’oeil, surtout pour un médecin généraliste. Pour la cour d’appel, l’argument suivant lequel le praticien avait prodigué des soins consciencieux et conformes à ses connaissances de médecin généraliste suffit pour qu’il n’y ait pas de faute. Pas question pour les parents d’en rester là : un pourvoi en cassation est introduit.

Pour la Cour de cassation, « le médecin généraliste, n’avait pas la qualité de médecin urgentiste pour l’exonérer de sa responsabilité quand il est fait déontologiquement obligation à tout praticien de s’abstenir, sauf circonstances exceptionnelles, d’entreprendre ou de poursuivre des soins, ou de formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose », selon l’article 70 du code de déontologie médicale alors applicable, devenu l’article R 4127-70 du code de la santé publique. La Cour précise aussi que « commet une faute le médecin généraliste assurant les permanences d’accueil d’une clinique qui, au lieu d’orienter le patient victime d’une fracture vers le service de traumatologie compétent, interprète de façon inexacte les lésions clairement visibles sur les radiographies réalisées et pose ainsi un diagnostic erroné au regard des données acquises de la science », se rangeant ainsi à l’avis de l’expert le plus favorable aux plaignants.
Autre élément important à prendre en compte pour les généralistes qui assurent une permanence d’accueil : s’ils ne disposent pas d’un diplôme de médecine d’urgence, la décision de la Cour de cassation montre qu’il leur faut être particulièrement prudents quant aux diagnostics qu’ils portent et que leur reconnaissance d’omnipraticien est fragile. Il est précisé que la cour d’appel ne pouvait pas se fonder sur la qualité de médecin généraliste du praticien mis en cause inopérante au regard des compétences requises pour exercer les fonctions qu’il avait choisi d’assumer au sein du service des urgences de la clinique. Cette décision semble donc donner à la capacité de médecine d’urgence (Camu) et à la notion de « médecin urgentiste » une valeur juridique plus forte que celle qu’elle pouvait avoir jusque-là. En effet, ce n’est que depuis 2004 qu’un diplôme d’études spécialisées complémentaire en médecine d’urgence existe et parler de médecin urgentiste avant cette date ne peut faire référence qu’à la Camu. Exercer dans un service d’urgences sans disposer de ce diplôme semble donc accroître le risque de voir sa responsabilité engagée pour les praticiens.

Ce rappel à l’ordre d’un médecin généraliste, à un moment où l’on fait du médecin traitant le pivot de la médecine de proximité et d’un système de soins plus économe, est intéressant. Pas question pour l’omnipraticien de surestimer ses compétences s’il ne veut pas tomber sous le coup de l’article 70 du code de déontologie médicale. Prend aussi un risque le médecin généraliste qui va déléguer à un professionnel de santé un examen qu’il n’a pas les moyens de réaliser lui-même et pour lequel il n’a pas reçu de formation spécifique, sachant qu’aux vues des résultats de cet examen réalisé par un autre, il va engager sa responsabilité en rédigeant une prescription ; l’exemple du généraliste signant des ordonnances de lunettes qui lui sont soufflées par un opticien ou un orthoptiste est souvent cité pour illustrer une telle situation.

Faut-il voir là une obligation de résultat pour les médecins spécialisés en médecine générale ou une volonté d’indemniser à tout prix le patient victime d’une erreur ? Ce n’est pas certain. Il faut surtout y voir un rappel donné aux praticiens par la Cour de cassation de bien connaître leurs limites et de ne pas les dépasser. Des limites que les pouvoirs publics semblent inciter chaque jour ces mêmes médecins à franchir au prétexte de réaliser des économies de santé…

Médecine, responsabilité et science exacte

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Le médecin engage sa responsabilité sur de nombreuses bases. L’une d’entre elles est l’article L 1110-5 du code de la santé publique : « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. […] »

MédecinMedline, la plus importante base de données médicales, c’est plus de 18 millions d’articles et plus de 5000 revues indexées qui, chaque mois, apportent des dizaines de milliers de nouveaux papiers. En 2007, c’est plus de 670 000 articles qui sont venus s’ajouter à cette base de données. Et Medline n’est qu’une partie de PubMed, base encore plus large dans le domaine de la santé… Toutes ces publications ne remettent pas en question les bases de la médecine, mais chacune peut avoir son importance pour un patient donné dans une situation donnée. Si l’Art est si simple qu’on peut exiger une obligation de résultat ou chercher des solutions pour indemniser le maximum de patients, pourquoi tant de publications ? Est-ce juste pour permettre aux universitaires de se départager pour obtenir un poste ou des crédits ? Est-ce pour permettre à l’industrie de promouvoir ses nouveaux produits ? La réponse ne peut être un simple « oui », surtout lorsque régulièrement certaines des publications viennent remettre en question des principes vieux de deux siècles…

Des chercheurs anglais viennent de publier dans les Annales de l’Académie nationale américaine des sciences des travaux battant en brèche les travaux, datant de la fin du XIXe siècle, sur la pénétration des molécules médicamenteuses dans les graisses. Ernest Overton, en 1890, avait fait considéré comme une connaissance médicale avérée le principe suivant lequel plus une substance chimique se dissout aisément dans un lipide, plus elle pénètre facilement et rapidement dans une cellule. Une équation, découlant des travaux d’Overton, sert en pharmacologie pour estimer la vitesse de pénétration des molécules. De cette dernière dépend souvent l’efficacité d’un médicament et surtout son temps d’action. On comprend l’importance de la découverte des universitaires de Warwick en Grande-Bretagne et la fragilité de l’exercice de l’Art médical.

Les décrets et les jugements ne pourront pas faire de la médecine une science exacte. Ils rassurent les hommes face aux risques liés à la médecine et la chirurgie et surtout face à l’inconnu que représente la réaction d’un organisme face à la maladie. Certes, la notion d’aléa thérapeutique a fait son apparition ces dernières années et vient pallier cet état de fait, mais dans le même temps les recommandations fleurissent laissant croire qu’il suffit d’un mode d’emploi pour que le praticien, ramené au statut de technicien, puisse oublier que chaque patient est unique. Il faut, bien entendu, des garde-fous pour éviter les déviances liées à la nature humaine, comme l’a montré récemment l’affaire d’un médecin s’étant autoproclamé « meilleur chirurgien esthétique du monde ».

Il est ridicule de présenter la médecine, au nom de considérations économiques et surtout démagogiques, comme une science exacte pratiquée par des hommes infaillibles, tout comme il est stupide de laisser penser que la médecine gratuite existe…