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Droit de décider du moment et de la manière de mourir en Europe

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Suicide, pas toujours assistéC’est le 29 décembre 1972 que la Confédération suisse à signé la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, encore appelée « Convention européenne des droits de l’homme », même si elle n’est entrée en vigueur que fin 1974 en Suisse. Ayant ratifié ce texte, la Confédération fait partie des États parties à la Convention et à ce titre reconnaît et garantit les droits fondamentaux, civils et politiques non seulement à ses ressortissants, mais également à toute personne relevant de sa juridiction. Parmi les droits garantis par la Convention figurent le droit à la vie, le droit à un procès équitable, le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté d’expression, la liberté de pensée, de conscience et de religion. Sont interdits notamment la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, tout comme les discriminations dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention. Les juridictions nationales des pays signataires devant appliquer cette dernière, une personne estimant que ses droits n’ont pas été respectés peut saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) créée à cet effet.

C’est dans ce cadre qu’un ressortissant suisse a saisi la Cour pour se plaindre d’une violation de son droit de décider du moment et de la manière de mourir, selon lui. Ce citoyen a estimé qu’il devait pouvoir choisir le moment où il souhaitait mourir au nom de l’article 8 de la Convention qui prévoit que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » et qu’« Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Cette personne, souffrant d’un grave trouble affectif bipolaire depuis une vingtaine d’années, a commis deux tentatives de suicide et effectué plusieurs séjours dans des cliniques psychiatriques. « Considérant qu’il ne pouvait plus vivre d’une manière digne en raison de sa maladie, difficile à traiter », cet homme a adhéré à l’association Dignitas afin « de lui apporter de l’aide dans le cadre de son projet de suicide. » Pour mener à bien ce projet, il avait néanmoins besoin d’une prescription médicale lui permettant d’obtenir la substance adaptée. Aucun des psychiatres sollicités n’a accepté de lui donner l’ordonnance correspondant à sa demande.
Pour « obtenir l’autorisation de se procurer ladite substance dans une pharmacie, sans ordonnance, par l’intermédiaire de l’association Dignitas », le plaignant a fait appel aux autorités suisses. Ces dernières, instance après instance, lui ont refusé cette possibilité au motif que la substance en question ne pouvait être obtenue dans une pharmacie sans une prescription médicale. De plus, pour les représentants de la Confédération, « l’article 8 de la Convention n’imposait pas aux États parties une obligation positive de créer des conditions permettant la commission d’un suicide sans risque d’échec et sans douleur. »

« Selon l’intéressé, l’obligation de présenter une ordonnance médicale afin d’obtenir la substance nécessaire à la commission d’un suicide et l’impossibilité de se procurer une telle ordonnance, due selon lui aux menaces de retrait de l’autorisation de pratiquer que les autorités faisaient peser sur les médecins s’ils prescrivaient cette substance à des malades psychiques, constituaient une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée. Il ajouta que, si cette ingérence reposait certes sur une base légale et poursuivait un but légitime, elle n’était pas proportionnée dans son cas. »

Afin de pouvoir se prononcer, la CEDH a étudié le droit au suicide assisté dans les États parties à la Convention. « Les recherches effectuées par la Cour lui permettent de conclure que l’on est loin d’un consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe quant au droit d’un individu de choisir quand et de quelle manière il veut mettre fin à ses jours. En Suisse, selon l’article 115 du code pénal, l’incitation et l’assistance au suicide ne sont punissables que lorsque l’auteur de tels actes les commet en étant poussé par un mobile égoïste. À titre de comparaison, les pays du Benelux, notamment, ont décriminalisé l’acte d’assistance au suicide, mais uniquement dans des circonstances bien précises. Certains d’autres pays admettent seulement des actes d’assistance “passive”. Mais la grande majorité des États membres semblent donner plus de poids à la protection de la vie de l’individu qu’à son droit d’y mettre fin. La Cour en conclut que la marge d’appréciation des États est considérable dans ce domaine. »

Dans son appréciation de l’affaire, la Cour ne s’oppose pas au suicide. Pour elle, le droit au suicide est légitime sous conditions. Face à une fin de vie indigne et pénible, une personne a le droit de préférer une mort sans risque d’échec et sans douleur. « […] la Cour estime que le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu’il soit en mesure de forger librement sa propre volonté à ce propos et d’agir en conséquence, est l’un des aspects du droit au respect de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention. »
Pour autant, la Cour n’oublie pas de préciser que l’article 2 de la Convention « impose aux autorités le devoir de protéger des personnes vulnérables, même contre des agissements par lesquels ils menacent leur propre vie […]. Selon la Cour, cette dernière disposition oblige les autorités nationales à empêcher un individu de mettre fin à ses jours si sa décision n’intervient pas librement et en toute connaissance de cause » et, selon elle, « l’exigence d’une ordonnance médicale afin de prévenir des abus, a pour objectif légitime de protéger notamment toute personne d’une prise de décision précipitée, ainsi que de prévenir des abus, notamment d’éviter qu’un patient incapable de discernement obtienne une dose mortelle » d’une substance.
« Cela est d’autant plus vrai s’agissant d’un pays comme la Suisse, dont la législation et la pratique permettent assez facilement l’assistance au suicide. Lorsqu’un pays adopte une approche libérale, des mesures appropriées de mise en œuvre d’une telle législation libérale et des mesures de prévention des abus s’imposent. De telles mesures sont également indiquées dans un but d’éviter que ces organisations n’interviennent dans l’illégalité et la clandestinité, avec un risque d’abus considérable. »

Pour ces raisons et pour d’autres exposées dans l’arrêt, la CEDH a donc considéré que la Suisse n’avait pas violé l’article 8 de la Convention. S’il n’est pas question d’interdire à un État d’autoriser l’assistance au suicide, il n’est pas question non plus de lui reprocher de prendre des mesures pour empêcher les abus…

Question prioritaire de constitutionnalité

Écrit par Marie-Thérèse Giorgio le . Dans la rubrique Le fond

Tout justiciable a le droit de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit.


La question prioritaire de constitutionnalité est entrée en vigueur le 1er mars 2010, suite à la loi organique 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application du nouvel article 61-1 de la Constitution et sa présentation a été précisée par la circulaire du 24 février 2010, applicable au 1er mars 2010.Une nouvelle voie vers la Constitution

Tout commence au cours d’une instance lorsqu’un justiciable estime qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit. Il peut alors soulever la question prioritaire de constitutionnalité, et ce, devant l’ensemble des juridictions civiles, pénales (d’instruction ou de jugement) ou administratives, à l’exception d’une cour d’assises. Les juridictions qui traitent des conflits de travail, conseils de prud’hommes, tribunaux des affaires de Sécurité sociale, sont également concernées.

Un nouvel atout pour le justiciable

Le justiciable peut être une personne physique ou morale, comme une organisation syndicale, par exemple. Jusqu’à présent, un syndicat n’était pas habilité par l’article 61 alinéa 2 de la constitution à saisir le conseil constitutionnel d’une loi avant sa promulgation. Cette nouvelle voie de droit va donc augmenter l’emprise des partenaires sociaux sur les textes législatifs.

La question doit être présentée dans un écrit distinct et motivé.

Trois conditions ont été fixées aux juridictions saisies pour que la question prioritaire de constitutionnalité soit transmise au Conseil d’État ou à la Cour de cassation dont elle relève :
— la disposition législative contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
— si la disposition législative a déjà été reconnue conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel, elle ne pourra pas être contestée sauf changement de circonstances de droit qui affectent la portée de la disposition législative ;
— la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. Les questions fantaisistes ne seront pas retenues, de même les questions dont le seul but serait de retarder la procédure.

La circulaire du 24 février 2010 précise qu’à cette occasion, les juges du fond devront se livrer « à une analyse sommaire de la compatibilité de la disposition contestée avec les droits et libertés que la Constitution garantit ».

Les droits et libertés que la Constitution garantit

La juridiction saisie doit statuer « sans délai » sur la réunion de ces 3 conditions (d’où la qualification de prioritaire donnée à la question de constitutionnalité) et transmettre, si elle l’estime nécessaire, la question à la haute cour dont elle dépend (Conseil d’État ou Cour de cassation) dans les 8 jours. La juridiction attend ensuite la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation pour statuer.Le plateau de la balance de la justice Son temps d’examen s’impute sur le temps de la procédure et ne la retarde pas. La question doit aussi être examinée avant une éventuelle exception d’inconventionnalité.

Dans un second temps, la question prioritaire de constitutionnalité est filtrée par les deux hautes cours afin de ne pas encombrer inutilement le Conseil constitutionnel. Le Conseil d’État ou la Cour de cassation doivent se livrer à un contrôle approfondi de la question et ne transmettre au Conseil constitutionnel que des questions nouvelles ou qui présentent un caractère sérieux. Elles disposent de 3 mois pour décider de transmettre ou non la question prioritaire au Conseil constitutionnel pour examen.
Le Conseil constitutionnel dispose à son tour de 3 mois pour statuer sur les questions transmises. Sa décision motivée est notifiée aux parties, communiquée au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, à la juridiction devant laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée, au Président de la République, au premier ministre, aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat qui peuvent adresser leurs observations à ce sujet au Conseil constitutionnel. La décision est publiée au Journal officiel.

La juridiction informée de la décision du Conseil constitutionnel peut alors poursuivre l’instance en se conformant à cette décision. Le Conseil constitutionnel exerçait jusqu’à présent un contrôle de constitutionnalité des lois a priori ; la question prioritaire de constitutionnalité introduit désormais en France un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori.

Accident du travail, arrêt maladie et congés annuels d’un salarié

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Arrêt maladie, congés annuels et CJCEEn juin 2008, le Juzgado de lo Social nº 23 de Madrid a posé une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) pour une affaire opposant l’employé d’une société de fourrière automobile à son entreprise. Ce salarié, victime d’un accident du travail peu de jours avant la période de congés annuels que lui avait signifié son employeur, a bénéficié d’un arrêt maladie couvrant une très grande partie de ses congés. De retour à son poste, il a demandé à son patron une nouvelle période de congés payés correspondant à la période durant laquelle il était en congé maladie et n’avait pu jouir pleinement de ses congés payés. L’employeur n’a pas souhaité donner suite à cette demande, estimant sans doute que le salarié avait eu des congés, peu importe qu’ils fussent dus à l’accident du travail ou simples vacances. L’employé, mécontent de cette fin de non-recevoir, a décidé de porter plainte. Le Juzgado de lo Social nº 23, hésitant sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, a demandé son avis à la CJCE (n° C-277/08).

Pour la Cour, « un travailleur qui est en congé de maladie durant une période de congé annuel fixée au préalable a le droit, à sa demande et afin qu’il puisse bénéficier effectivement de son congé annuel, de prendre celui-ci à une autre époque que celle coïncidant avec la période de congé de maladie. La fixation de cette nouvelle période de congé annuel, correspondant à la durée du chevauchement entre la période de congé annuel initialement fixée et le congé de maladie, est soumise aux règles et aux procédures de droit national applicables pour la fixation des congés des travailleurs, tenant compte des différents intérêts en présence, notamment des raisons impérieuses liées aux intérêts de l’entreprise. »

La Cour a eu aussi à se prononcer sur les éventuelles dispositions nationales relatives à ce type d’affaires. La CJCE conclut que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions nationales ou à des conventions collectives prévoyant qu’un travailleur qui est en congé de maladie durant la période de congé annuel fixée dans le calendrier des congés de l’entreprise où il est employé n’a pas le droit, après son rétablissement, de bénéficier de son congé annuel à une autre période que celle initialement fixée, le cas échéant en dehors de la période de référence correspondante.