Articles tagués ‘électoral’

Facultés intellectuelles et droit de vote

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

vote et personne protégéePersonne n’ignore que l’âge moyen de la population française, comme celui dans de très nombreux autres pays industrialisés, dont l’Angleterre, ne cesse d’augmenter. Accès aux soins facilité, campagne de prévention, progrès de la médecine, les raisons à ce vieillissement de la population sont multiples. Malheureusement, elle s’accompagne aussi de nouveaux maux pour lesquels les réponses thérapeutiques ne sont pas encore totalement satisfaisantes. Si une maladie comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) peut être réellement handicapante pour la personne qui en est atteinte, elle n’altère pas pour autant les facultés intellectuelles du patient. Il n’en est pas de même pour toutes les pathologies en rapport avec l’usure du temps et la maladie d’Alzheimer en est un bel exemple.

Même si beaucoup de nos aînés gardent toute leur lucidité jusqu’à leur dernier souffle et que des traitements commencent à améliorer des situations cliniques jusque-là désespérées, le grand âge s’accompagne souvent d’une diminution des facultés intellectuelles. D’autres maladies peuvent, quant à elles, altérer les facultés mentales d’individus bien plus jeunes. Un article intitulé Voting and mental capacity, publié le 25 août 2010 dans le BMJ, s’intéresse tout particulièrement à la question du droit de vote chez les patients qui « n’ont plus toute leur tête » Outre-Manche. Les auteurs de ce travail s’interrogent sur la capacité à participer aux élections des 700 000 Anglais atteints de démence et des 1,2 millions présentant des troubles de l’apprentissage. Lors des dernières grandes élections au Royaume-Uni en 2010, Marcus Redley pense qu’un certain nombre de patients qui présentent de tels problèmes de santé n’ont pas eu l’opportunité de voter alors qu’ils avaient encore les capacités pour ce faire. Il estime qu’aux vues des travaux de Gill Livingston, le médecin finira par être consulté pour savoir si un patient est en mesure d’exprimer son suffrage ou non quand il souffre de troubles intellectuels. Selon lui, si les gens se voient refuser la possibilité de voter (car ils ne sont pas encouragés à s’inscrire ou parce que le vote n’est pas facilitée) leurs droits de citoyens s’en trouvent restreints. Par contre, parce que les façons de voter (et par conséquent de voter frauduleusement) se diversifient, la démocratie risque d’être compromise si cela permet de faire voter quelqu’un qui n’en a pas ou plus la capacité intellectuelle.
Au Royaume-Uni, la loi électorale a récemment aboli la notion de droit commun qui voulait que l’on soit considéré comme incapable de voter en cas de désordre mental diagnostiqué. Le Mental Capacity Act 2005, qui s’applique à l’Angleterre et au Pays de Galles, interdit explicitement qu’une personne décide pour une autre en matière de vote. La Commission électorale précise que, si une probable incapacité mentale n’est pas un obstacle à l’inscription sur les listes électorales ou au vote, les agents le vote par procuration est interdit à ceux qui n’en sont plus mentalement capables. C’est dans ce cadre que les médecins pourraient être invités à évaluer les capacités mentales d’une personne.

Une étude au Royaume-Uni a confirmé que les personnes ayant des troubles de l’apprentissage sont sous-représentés dans les sondages. Ce travail a également révélé que les adultes souffrant de ces mêmes troubles étaient six fois plus susceptibles de voter s’ils vivaient avec au moins un autre adulte participant au vote, confirmant les conclusions d’une équipe norvégienne sur le même sujet.
Aux États-Unis, des recherches ont montré que, bien que beaucoup de gens atteints d’une démence légère à modérée votent, ils tendent plus facilement à le faire si leur accompagnateur est leur conjoint plutôt que qu’un fils ou une fille. Dans une enquête menée auprès de 100 patients ambulatoires souffrant de démence, 60 % d’entre eux participent aux élections. Plus grave est la démence, moins les patients ont tendance à voter. Dans les maisons de repos et de logements-services, environ 29 % des résidents votent, avec d’importantes variations entre les résidences, d’après une autre étude rapportée par Marcus Redley.

La probabilité d’aller voter semble donc dépendre en partie du soutien social dont bénéficie le patient, d’où d’importantes variations. Les données indiquent également que ce sont les accompagnants qui décident si quelqu’un doit voter ou non. Savoir qui évalue la capacité d’un patient à voter a donc toute son importance. En Australie, où le vote est obligatoire, un électeur peut être retiré des listes électorales si un médecin certifie qu’il ou elle est « aliéné », incapable de comprendre la nature et l’importance du vote. Dans la pratique, il est difficile de savoir qui est exclu et les droits de recours dont ces personnes disposent.

Aux États-Unis, certains états refusent systématiquement le droit de vote aux citoyens sous tutelle pour démence, mais ceci fait débat. Un outil d’évaluation pour juger de la compétence fonctionnelle d’une personne à voter a été développé. Un tel test, s’il est utilisé au Royaume-Uni et s’adressent uniquement aux personnes ayant un diagnostic de démence, de troubles d’apprentissage, ou d’une autre déficience mentale, serait probablement contraire à la loi interdisant toute discrimination envers les personnes handicapées (Disability Discrimination Act 2005), selon l’auteur de l’article.

Tout cela est étonnant quand on sait que, depuis 2006, la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’Organisation des nations unies (ONU) garantit aux citoyens avec ou sans handicap les mêmes droits civiques, « estimant que les personnes handicapées devraient avoir la possibilité de participer activement aux processus de prise de décisions concernant les politiques et programmes, en particulier ceux qui les concernent directement ». Néanmoins, une enquête récente n’a recensé que quatre Etats démocratiques (Canada, Irlande, Italie et Suède) n’ayant pas de restrictions juridiques au droit de vote des adultes mentalement handicapés, d’après l’article du BMJ. Le Kenya s’est aussi mis en conformité avec l’article 29 de la Convention de l’ONU offrant plusieurs garanties aux personnes handicapées quant à leur participation à la vie politique et à la vie publique. Il convient de rappeler que « par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. » La démence, qu’elle soit sénile ou autre, entre tout à fait dans ce cadre, par exemple.

En France, le code électoral en son article L5 précise que « Lorsqu’il ouvre ou renouvelle une mesure de tutelle, le juge statue sur le maintien ou la suppression du droit de vote de la personne protégée. » C’est le juge qui décide de laisser ou non le droit de vote à une personne dont les facultés mentales sont altérées, le médecin n’intervenant que pour ce qui est des constatations prévues pour la mise en place de la protection juridique. L’article 425 du code civil est clair : « Toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique […] ». L’article 440 du code civil précise pour sa part que « La tutelle n’est prononcée que s’il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante. »

Pouvoir voter librement est l’un des fondements de la démocratie. Défendre cette valeur est le devoir de chaque citoyen, c’est ce qui fait toute la difficulté des rapports entre facultés mentales altérées et droit de vote.