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Combien coûtent les évènements indésirables associés aux soins à l’hôpital ?

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Unité de soins intensifsLes évènements indésirables associés aux soins dans les établissements de santé ne sont plus un sujet tabou depuis quelques années. Si la transparence est encore loin d’être totale en ce domaine, certains indicateurs de sécurité des patients permettent, depuis peu, de se faire tout de même une idée de leur ampleur. Clément Nestrigue et Zeynep Or, chercheurs à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), ont ainsi pu estimer le surcoût de ces évènements indésirables et viennent de publier les résultats de leur étude dans le numéro de décembre 2011 de la revue Questions d’économie de la santé, à l’image de ce qui s’est fait aux États-Unis dès la fin des années 90.

Cette étude, basée sur neuf indicateurs de sécurité des patients développés outre-Atlantique, « fournit de premières estimations nationales du coût de prise en charge d’une partie des événements indésirables associés aux soins qui surviennent à l’hôpital, en exploitant les données hospitalières collectées en routine. » Si la qualité et la sécurité des soins sont mises en avant pour justifier de nouvelles contraintes au sein des établissements hospitaliers, il faudrait être naïf pour croire que le poids des conséquences financières de ces évènements est négligeable dans les décisions qui sont prises par les pouvoirs publics. Ce travail est donc des plus intéressants.

Un évènement indésirable associé aux soins (EIS) « est défini comme un événement défavorable pour le patient, consécutif aux stratégies et actes de diagnostics et de traitements, et qui ne relève pas d’une évolution naturelle de la maladie ». Si certains évènements indésirables associés aux soins sont sans doute liés à l’état du patient et qu’il n’est pas possible de s’y soustraire, d’autres sont considérés comme “évitables”. C’est à ces derniers que sont associés les indicateurs de sécurité des patients. Neuf d’entre eux, au rang desquels figurent les corps étrangers oubliés pendant une procédure de soins, les septicémies postopératoires ou les escarres de décubitus, ont été choisis par les chercheurs de l’Irdes, en collaboration avec la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), pour mener à bien cette étude. Ces indicateurs ont permis d’en arriver à la conclusion qu’en 2007, dans l’Hexagone, 0,5 % des séjours hospitaliers (établissements publics, privés ou participant au service public hospitalier) était associé à l’un des évènements indésirables retenus.
Les désordres physiologiques et métaboliques postopératoires sont les EIS les plus fréquents, le plus rare étant l’oubli d’un corps étranger dans le corps d’un patient à l’occasion des soins.

Toujours pour 2007, c’est un surcoût moyen de près de 700 millions d’euros pour les neuf événements indésirables choisis qui a pu être estimé. Si le coût moyen de prise en charge des traumatismes obstétricaux du vagin lors d’un accouchement par voie naturelle est voisin de 500 euros, il se monte à près de 20 000 euros quand il est question des septicémies. Quatre des évènements indésirables étudiés représentent à eux seuls 90 % du surcoût calculé : les désordres physiologiques et métaboliques postopératoires ; septicémies postopératoires ; les escarres de décubitus et les embolies pulmonaires postopératoires. Il est donc vraisemblable que les efforts à venir porteront plus particulièrement sur ces EIS.

Selon Clément Nestrigue et Zeynep Or, leur étude « montre que les défaillances dans l’organisation et le processus de soins à l’hôpital, qui peuvent se manifester par la survenue d’événements indésirables, représentent un coût économique significatif. Dans le contexte actuel de contrainte budgétaire des établissements de santé, il est essentiel d’explorer comment améliorer la qualité des soins tout en renforçant le rapport coût-efficience des établissements. » 

Sachant que ces chiffres ne portent que sur neuf évènements indésirables associés aux soins, il est probable que les économies susceptibles d’être réalisées puissent être bien plus importantes. Sans compter celles qui pourraient aussi être faites en s’intéressant aux coûts liés aux évènements indésirables liés aux médicaments, EIS qui n’ont pas été pris en compte faute de mesures standardisées, à la perte de productivité ou au nombre de jours non travaillés.

Autre élément à ne pas oublier : les évènements indésirables associés aux soins dans les établissements de santé ont un coût pour la justice et pour les assurances. À l’origine, chaque année, d’un nombre de plaintes non négligeable, les ESI à l’origine de ces affaires chronophages et dispendieuses doivent bénéficier du plus grand intérêt. Certes, ils sont souvent à l’origine de jurisprudences ou de textes faisant progresser le droit de la santé, mais au regard de la souffrance de ceux qui en sont victimes, mieux vaut tout faire pour qu’ils soient encore plus rares au fil des ans.

Si l’approche économique des EIS a tendance à les déshumaniser, elle n’en est pas moins nécessaire pour faire évoluer les pratiques. L’étude de l’Irdes montre que de gros progrès restent à faire.

Un autre regard sur l’Eneis 2009

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Graphique compliquéAlors que les résultats de l’enquête nationale sur les événements indésirables graves associés aux soins (ENEIS) 2009 ont été présentés en avant-première au Colloque « Événements indésirables associés aux soins et politique de réduction des risques », le 24 novembre 2010, et sont maintenant disponibles en ligne, il peut être intéressant d’y porter un regard exempt de tout sensationnalisme.

Il faut d’abord rappeler qu’en France l’expérience de ce type d’étude est très limitée puisque la seule et unique enquête nationale identique remontait jusque-là à 2004. Il semble, par exemple, difficile de savoir si des progrès ont été réalisés entre 2004 et 2009 concernant les évènements indésirables graves (EIG) associés aux soins. Les auteurs de l’enquête expliquent, en effet, que « La stabilité des indicateurs sur la période étudiée ne permet toutefois pas de conclure à l’absence de changements en termes de culture de sécurité et de comportements des acteurs du système de santé, lesquels ne sont pas mesurés par les indicateurs. Elle ne signifie pas non plus absence de résultats des actions entreprises : d’une part, les indicateurs utilisés ne sont pas adaptés pour mesurer l’impact d’actions sectorielles ; d’autre part, l’évolution des modes de prises en charge (complexité des actes) et de prescription sur la période étudiée aurait en effet pu augmenter les risques et la fréquence des EIG. »
Peu de publicité est faite sur la différence entre les échantillons testés entre 2004 et 2009 et sur une méthode de tirage au sort ayant été modifiée entre les deux périodes étudiées… Sans compter que « Lors de la première enquête, il n’y avait pas eu de correction de la non-réponse. Avec la seconde édition de l’enquête, cette étape était indispensable pour mener une analyse en évolution. Les estimations 2004 ont été recalculées selon une méthodologie identique à celle de 2009 et ne correspondent donc plus exactement aux estimations initialement publiées. »

Même si l’article L 1413-14 du code de la santé publique prévoit que « Tout professionnel ou établissement de santé ayant constaté une infection nosocomiale ou tout autre événement indésirable grave lié à des soins réalisés lors d’investigations, de traitements ou d’actions de prévention doit en faire la déclaration au directeur général de l’agence régionale de santé », ces dispositions s’entendant sans préjudice de la déclaration à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé des événements indésirables liés à un produit de santé et que le nombre de jours d’hospitalisation, en France, doit pouvoir être connu, ce n’est que sur un petit nombre d’établissements et de services que porte l’enquête. Nouvel élément surprenant de la méthodologie de l’enquête, les établissements ont été tirés au sort avant que leur accord ne leur soit demandé quant à une éventuelle participation à l’enquête… Des établissements, puis des services, tirés au sort pour constituer l’échantillon ont dont été exclus secondairement, car refusant de participer. « Sur les 114 établissements tirés au sort dans les 31 départements retenus, 81 ont accepté de participer à cette étude, soit un taux de participation de 71,1 %. Parmi les 251 unités tirées au sort dans ces 81 établissements, 18 ont refusé de participer (9 dans les CHU-CHR en chirurgie, 8 dans les CHU-CHR en médecine et 1 dans les établissements privés en chirurgie) et ont toutes été remplacées. Les 8 269 patients inclus ont été suivis en moyenne pendant 3,8 jours, ce qui représente 31 663 jours d’observation au total. » Il est intéressant de noter que les services de CHU-CHR ont été les plus nombreux à refuser de participer.

Sur l’échantillon testé, c’est une densité d’incidence qui a été calculée, en raison de la méthodologie retenue. Elle est en moyenne de 6,2 pour 1 000 jours d’hospitalisation pour les EIG survenus en cours d’hospitalisation, dont 2,6 d’EIG évitables (ce qui correspond à 87 évènements pour 2009). Ce sont les services de chirurgie qui sont significativement plus concernés (9,2 ‰), et parmi eux les services des CHU (centres hospitaliers universitaires), plutôt que ceux des cliniques privées ou d’autres établissements hospitaliers, des différences qui disparaissent quand il s’agit d’EIG évitables.
Si 8 patients sont morts des suites d’un EIG, sur les 8 269 étudiés, leur âge était compris entre 76 et 87 ans et leur fragilité particulièrement importante. Pour l’ensemble des patients, « Pour 146 des 214 EIG repérés, des éléments permettaient de penser que l’événement clinique aurait pu survenir compte tenu de l’évolution prévisible de la maladie ou de l’état du malade. Pour 98 des 214 EIG, l’événement aurait pu survenir même en l’absence des soins concernés. »
Autre élément à prendre en compte, 20 % des EIG sont dus au comportement du patient lui-même qui n’a pas suivi le traitement prescrit correctement ou qui a refusé des soins.

Pour les EIG causes d’hostipalisations, c’est en médecine que le taux est le plus élevé, cette fois. Les produits de santé sont le plus souvent à l’origine de ces événements indésirables graves, notamment les médicaments. À noter aussi qu’une remarque est intéressante : l’augmentation entre 2004 et 2009 des infections du site opératoire liées à des interventions lors d’hospitalisations antérieures pourrait être due à un séjour écourté dans l’hospitalisation précédente avec une identification de l’infection au domicile du patient, ou une prise en charge non optimale de la plaie opératoire en médecine ambulatoire. Un temps d’hospitalisation raccourci, cheval de bataille des acteurs qui veulent imposer des économies de santé ou une meilleure rentabilité des établissements, n’aurait donc pas que des avantages…

Dernier point troublant : comment expliquer que seuls les chiffres estimant le nombre d’EIG qui surviendraient chaque jour en France ont été retenus pour faire la Une des journaux, alors que les auteurs de l’enquête reconnaissent qu’ils ne sont pas fiables, faute de pouvoir s’assurer d’un phénomène de saisonnalité ? Faire peur aux patients et alimenter la suspicion à l’égard des médecins ou des établissements de soins seraient-ils de bons moyens pour faire grimper l’audimat ou retenir l’attention des lecteurs ? On pourrait être tenté de le croire…

Pas question d’exposer des cadavres à des fins commerciales

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Crâne plastinéLa société Encore Events a organisé dans un local parisien, en février 2009, une exposition appelée « Our Body, à corps ouvert » présentant des cadavres humains « plastinés », ouverts ou disséqués, installés, pour certains, dans des attitudes évoquant la pratique de différents sports, et montrant ainsi le fonctionnement des muscles selon l’effort physique fourni. Cette technique développée depuis la fin des années 70 par un médecin allemand, Gunther von Hagens, permet la conservation des tissus humains à l’aide de polymères. Des restes de personnes décédées traités à l’aide de ce procédé ont été exposés pour la première fois en 1995 et, depuis, des évènements du même type ont été organisés un peu partout dans le monde. Lyon et Marseille ont d’ailleurs déjà accueilli les corps plastinés. Rien ne laissait donc présager les mésaventures qu’ont eu à subir les organisateurs de l’exposition parisienne.

Deux associations, alléguant que un trouble manifestement illicite au regard du code civil, du code de la santé publique et du code pénal, et soupçonnant par ailleurs au même titre un trafic de cadavres de ressortissants chinois prisonniers ou condamnés à mort, ont demandé en référé la cessation de cette manifestation. Cette procédure s’est soldée par une interdiction de poursuivre l’exposition des corps et pièces anatomiques litigieuse, bien que les associations n’aient pu faire la preuve de l’origine illicite des corps utilisés.

Pour la société mise en cause, l’exposition avait pour objet d’élargir le champ de la connaissance, notamment grâce aux techniques modernes, en la rendant accessible au grand public de plus en plus curieux et soucieux d’accroître son niveau de connaissances. Un parallèle avec les momies a été fait et pour celle-ci aucune différence objective ne peut « être faite entre l’exposition de la momie d’un homme qui, en considération de l’essence même du rite de la momification, n’a jamais donné son consentement à l’utilisation de son cadavre et celle, comme en l’espèce, d’un corps donné à voir au public a des fins artistiques, scientifiques et éducatives ».

Après un passage par la cour d’appel, c’est la Cour de cassation qui a eu à se prononcer sur cette affaire (pourvoi no 09-67456), le 16 septembre 2010. Plutôt que de s’intéresser aux momies ou à la licéité, la Cour en est restée au respect du code civil. Pour elle, « aux termes de l’article 16-1-1, alinéa 2, du code civil, les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence », cette exposition de cadavres à des fins commerciales méconnaissait donc bien cette exigence.

Le même jour, le comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé a rendu public son avis no 111 sur les problèmes éthiques posés par l’utilisation des cadavres à des fins de conservation ou d’exposition muséale. Pour ce comité : « Le consentement d’une personne à donner son corps à la science après son décès (pour des raisons anatomiques et pédagogiques) ne saurait être confondu avec un cautionnement de sa mise en scène post-mortem à des fins commerciales. Il n’y a pas d’éthique sans consentement mais le consentement ne suffit pas à donner à une action sa légitimité éthique. La dignité du défunt vaut d’être prise en considération.[…]
La mise en avant d’une visée soi-disant anatomique et pédagogique peut s’interpréter comme une tentative de minimisation de la dimension lucrative et médiatique de ce type d’exposition. Elle constitue une forme d’exploitation du corps des morts à visée commerciale qui contrevient à l’esprit de la loi française.
La régulation des pratiques en matière d’exposition du corps des morts doit intervenir autant dans le domaine des expositions publiques que privées. Si l’utilisation des corps au motif d’un prélèvement d’organes ou d’une autopsie est indispensable et répond à des attentes sociales fortes et légitimes, en revanche, à quelque degré que ce soit, l’exhibition du corps d’un mort relève d’une tradition révolue. »
Si cet avis est tranché pour ce qui est de la plastination, des têtes maories ou des ossements préhistoriques, il semble beaucoup plus évasif concernant les momies conservées au Louvre. Si le peuple égyptien demandait leur restitution pour pouvoir les replacer dans des sépultures, et non pour les exposer dans un musée, on voit mal les arguments que pourraient invoquer le musée ou les autorités de tutelle pour refuser à la lecture de l’avis du CCNE.

Une chose est sûre : les cadavres plastinés ne sont pas près de trouver le repos en France.