Un fusible saute : panne de courant à l’Afssaps
Les fusibles commencent à sauter au sein des autorités de santé françaises suite à « l’affaire Mediator », comme le prouve l’annonce du départ du directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) le 12 janvier 2011 dans un article du journal Libération. Pourtant en place depuis sept ans, ce qui prouve qu’il n’avait jusque-là réussi à ne froisser personne au sein des instances politiques ou de l’industrie pharmaceutique, Jean Marimbert donne sa version des raisons qui font que le système actuel, visant à protéger le patient, n’a pas rempli correctement son rôle dans le cas de cet antidiabétique utilisé comme coupe-faim.
Il n’est plus possible d’ignorer que les alertes ont été nombreuses avant la sortie du livre d’Irène Frachon sur le Mediator, élément déclencheur de cette affaire, même si chacun tente désormais de tirer la couverture à soi en expliquant qu’il avait dénoncé le problème depuis la nuit des temps. Assurance-maladie, autorités de santé, cabinets de différents ministres ont pu avoir connaissance, pour ne pas dire ont eu connaissance, des risques encourus par les patients depuis de nombreuses années. Les vraies raisons qui font que tout le monde a gardé le silence ne seront malheureusement jamais reconnues, même si la justice a été saisie, et les responsables jouiront d’une impunité propre à leur rang, surtout s’il s’avère que des politiques ou des bailleurs de fonds finissent par apparaître clairement parmi ceux qui ont retardé la décision relative au retrait du marché de ce médicament. Cette affaire n’aurait d’ailleurs sans doute jamais pris autant d’ampleur si le fabricant du Mediator n’avait pas eu l’idée de faire censurer la couverture du livre du docteur Frachon, attirant du même coup l’attention des médias sur cette affaire. La condamnation de l’éditeur pour avoir fait apparaître en couverture la mention « Combien de morts ? » montre d’ailleurs les limites de la justice dans la plupart des dossiers de ce type. Les précédents scandales sanitaires ont prouvé que les intérêts économiques, ce qui n’équivaut pas seulement aux profits des entreprises ou au financement de campagnes, mais aussi aux emplois et au montant des importations, des exportations ou des rentrées fiscales, pesaient bien plus lourd dans toutes les balances décisionnelles que la vie de centaines ou de milliers de patients.
La lettre du directeur général de l’Afssaps n’est pourtant pas là pour remettre en question ce système. Il se félicite du travail accompli par ces subalternes et estime que cette institution, qui prend selon lui des décisions “autonomes” au nom de l’État, ne doit pas être restructurée. « Le travail quotidien de police sanitaire ne peut pas matériellement être recentralisé dans une administration ministérielle classique. Il ne doit pas non plus être transféré à une autorité indépendante soustraite à toute forme de contrôle gouvernemental, sous peine de couper le lien nécessaire entre la responsabilité administrative et le lieu où s’exerce la responsabilité politique. »
Il faut plutôt réformer les processus d’évaluation et de décisions. Pour cela, le directeur général de l’Afssaps sur le départ commence en proposant une solution alourdissant un peu plus le système dans un parfait esprit administratif. Il est question d’une nouvelle instance intervenant en amont de la délibération de la commission d’AMM.
La transparence et les conflits d’intérêts sont aussi évoqués dans ce courrier. Il est vrai que face aux nombreuses attaques dont ont fait l’objet l’Afssaps et la Haute Autorité de santé ces derniers temps à ce sujet, il eût été difficile de ne pas aborder ces deux éléments fondamentaux. Le modèle américain est pris en exemple, ce qui paraît assez cocasse dans les colonnes d’un journal plutôt habitué à privilégier les modèles de pays moins libéraux. Mais là encore, les solutions prêtent à sourire, malgré la fermeté de façade : « Mais l’heure est à l’application totale et sans faille de toutes les règles essentielles [en matière de conflits d’intérêts, NDLR], y compris de celles qui veulent qu’un expert ayant un conflit d’intérêt important quitte la salle de réunion au moment où le point concerné va être abordé. » Cela veut dire que tel n’est pas le cas actuellement et que le problème des conflits d’intérêts est bien réel. Comment un système qui estime qu’un expert ayant un conflit d’intérêts dans une décision n’a qu’à sortir de la salle où se tient une réunion pour qu’il n’y ait aucune pression peut-il être crédible ? Est-ce pour sauver la face ou se la voiler que de telles propositions sont faites ? Sans parler du simulacre de recoupement qui est suggéré et qui montre à quel point le fonctionnement actuel manque de contrôles sérieux : « De plus, la véracité des déclarations des experts, dont l’écrasante majorité est parfaitement intègre et dévouée à la santé publique, doit pouvoir être vérifiée, au moins par recoupement entre la déclaration elle-même qui sera mise en ligne sur le site de l’agence pour tous les experts et les déclarations que pourraient faire les laboratoires de leurs collaborations avec les experts. » Quand on sait les résultats que donnent les déclarations des aides versées par les industriels de santé aux associations de patients, voilà qui laisse songeur…
Dernier acte de cette comédie, à moins qu’il ne s’agisse d’une tragédie, la réforme de la pharmacovigilance. Pourquoi parler d’une instance scientifique indépendante seulement lorsqu’il est question d’études post-AMM ? Pourquoi ne pas faire en sorte qu’une indépendance au dessus de tout soupçon puisse être acquise en amont de l’AMM ?
Et quand il est question de « mettre en place une possibilité de déclaration par les patients eux-mêmes ou d’inscrire le devoir de notification des effets indésirables dans un « mandat sanitaire » des professionnels de santé de ville, notamment dans le cadre de la prise en charge des pathologies chroniques », grande est la surprise. Comment le directeur général de l’Afssaps peut-il ignorer que les médecins qu’ils soient de ville ou d’ailleurs et les autres professionnels de santé ont déjà l’obligation légale de faire la déclaration en pharmacovigilance des effets indésirables graves constatés ? Est-ce un mandat sanitaire qui les fera mieux respecter cette obligation ou est-ce la mise en place d’un système leur donnant l’impression que leurs déclarations sont réellement suivies d’effets et que l’on ne se contente pas de faire suivre au fabricant qui va parfois se charger d’envoyer son délégué faire pression sur le médecin pour qu’il cesse de satisfaire à ses obligations légales ? Belle démagogie que celle qui consiste à proposer des outils aux patients ou aux praticiens tout en faisant de son mieux pour qu’ils soient peu pratiques à utiliser, pour que les déclarations restent lettre morte ou qu’elles ne soient pas traitées de façon indépendante.
À la lecture de cette lettre, quand Jean Marimbert parle de « rénovation sans complaisance », on est en droit de se demander qui aura la volonté de la mettre en place. Certainement pas les acteurs déjà en place à en juger par les propositions faites par son auteur. Le fusible va être remplacé, le boîtier électrique un peu noirci va être repeint et le courant rebranché. Jusqu’à la prochaine électrocution de quelques centaines ou quelques milliers de patients s’accompagnant de suffisamment d’étincelles pour que cette lumière attire les médias…