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Opticiens et exercice illégal de la médecine

Écrit par Matthew Robinson le . Dans la rubrique Jurisprudences

Mesure de la PIO chez une enfantL’affaire sur laquelle a eu à se prononcer la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 11 janvier 2012 (pourvoi nº 10-88908), remonte à 2006. À cette époque, « la société Santeclair, spécialisée dans la mise en place de services pour le consommateur dans le domaine de la santé, publiait un communiqué de presse relatif à une étude réalisée en magasins d’optique avec l’association des optométristes, reposant sur la mesure de la pression intraoculaire par tonomètre afin de déterminer la prévalence de l’hypertension intraoculaire chez les plus de 40 ans dans la perspective d’une amélioration de la prévention du glaucome. » Le syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) et le conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), estimant que la mesure de la pression intraoculaire par tonomètre à air était un acte médical et participait à l’élaboration d’un diagnostic, ont alors porté plainte « contre personne non dénommée du chef d’exercice illégal de la médecine ». Une instruction a été ouverte, mais celle-ci s’est soldée par une ordonnance de non-lieu du juge chargé d’instruire, ordonnance confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris au motif que l’infraction caractérisée n’était pas établie, la tonométrie n’étant ni un acte réservé aux médecins par l’arrêté du 6 janvier 1962, ni un acte réservé aux orthoptistes sur prescription médicale au moment des faits. Le SNOF et le CNOM ont donc décidé de porter l’affaire en cassation.

Le glaucome n’est pas une maladie anodine, puisque l’Organisation mondiale de la santé estime le nombre de personnes aveugles en raison d’un glaucome primitif à 4,5 millions, ce qui représente plus de 12 % de la cécité mondiale. L’un des pièges de cette pathologie, c’est le long laps de temps pendant lequel le patient n’est pas conscient d’être atteint par cette maladie qui entraîne petit à petit la mort de ses fibres optiques. L’élévation de la pression intraoculaire (PIO) mesurée par la tonométrie étant un des facteurs de risque de cette pathologie le plus souvent silencieuse dans sa forme chronique, il peut être tentant d’organiser un dépistage à grande échelle à l’image de ce que proposait Santeclair. Mais l’approche scientifique montre qu’il n’en est rien : la mesure de la pression intraoculaire seule n’est pas une bonne technique, d’après l’étude réalisée par la Haute Autorité de santé sur des publications antérieures à 2006.

Pour la Cour de cassation, « d’une part, la mesure de la tension intraoculaire est un acte médical en ce qu’il prend part à l’établissement d’un diagnostic, d’autre part, la liste des actes médicaux réservés aux médecins par l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1962 n’est pas limitative, enfin, la liste des actes médicaux qui peuvent être exécutés par des auxiliaires médicaux qualifiés et uniquement sur prescription du médecin, laquelle est limitative, ne comprenait pas la mesure de la pression intraoculaire, la chambre de l’instruction n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ». La Cour précise aussi que le fait pour des opticiens de mesurer la pression intraoculaire par tonomètre à air sans contact constitue le délit d’exercice illégal de la médecine au vu de l’article L 4161 du code de la santé publique. L’affaire est renvoyée devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles.

Cette jurisprudence vient compléter celles qui existent déjà, tout particulièrement lorsqu’il est question d’optométrie. Cette décision de la Cour de cassation laisse penser que les difficultés démographiques auxquelles sont confrontées les professions médicales ne justifient pas pour autant de sacrifier la santé publique. Voilà qui est rassurant.

Le dépistage systématique du glaucome ne serait pas justifié

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Si l’on en croît la recommandation en santé publique de la Haute Autorité de santé (HAS) publié dans le numéro 1 du mensuel d’information aux professionnels de santé de cette institution, le dépistage du glaucome ne doit pas être systématique. Cette recommandation s’adresse aux ophtalmologistes, aux gériatres et aux médecins généralistes.

« Ce dépistage n’est pas préconisé, étant donné qu’il n’existe pas aujourd’hui de test diagnostique spécifique et unique du glaucome à un stade précoce. Dans ce contexte, la nécessité d’associer plusieurs tests alourdirait la stratégie de dépistage. De plus, la pertinence de ces stratégies n’a été évaluée ni en population générale ni en population ciblée ». Tout du moins, tel était le cas en 2006, car ce résultat est basé sur les documents publiés entre janvier 1995 et février 2006.Oeil vert

« L’objectif du traitement est de diminuer la pression intra-oculaire. Il ne permet pas d’éviter la progression du glaucome mais ralentit suffisamment celle-ci de façon qu’il retentisse le plus tard possible sur la qualité de vision des patients. Il existe une grande variation interindividuelle de la réponse au traitement et de la progression du glaucome. Quel que soit le type de traitement (collyres antiglaucomateux, laser, chirurgie), il comporte des effets indésirables dont certains peuvent être délétères sur l’observance du traitement, la qualité de vie du patient ou le pronostic du glaucome. Les méta-analyses montrent que le risque de développer un glaucome chez des patients ayant une hypertonie intra-oculaire est diminué chez les patients traités, mais il faut traiter 12 sujets ayant une hypertonie intra-oculaire pour éviter le développement d’un glaucome chez l’un d’eux. De même, le risque d’altération du champ visuel chez des patients ayant un glaucome primaire à angle ouvert est diminué par le traitement, mais il faut traiter 7 patients pour éviter l’aggravation du glaucome chez l’un d’eux ».

« Rien ne prouve, en 2006, qu’un traitement mis en route chez des patients à un stade infraclinique (hypertonie intra-oculaire sans altération du champ visuel et sans lésion spécifique de glaucome identifiable au fond d’oeil) apportera un bénéfice supplémentaire en termes de ralentissement de la vitesse d’évolution vers la cécité par rapport à celui déjà acquis par l’amélioration des procédures de diagnostic précoce individuel. Un diagnostic plus précoce allongera le temps de suivi du patient, mais pourrait ne pas modifier le pronostic final du glaucome. L’absence de curabilité du glaucome d’une part, et les données de la littérature montrant que 90 % des sujets ayant une hypertonie intra-oculaire ne développeraient pas de glaucome à 5 ans d’autre part, posent la question de la pertinence du dépistage du glaucome et du traitement systématique de l’hypertonie intra-oculaire ».

Mais avant de traiter, il faut diagnostiquer. Contrairement à une idée reçue, la mesure de la pression intra-oculaire n’est pas un bon examen pour ce faire, selon cette recommandation. C’est l’analyseur de la tête du nerf optique qui semble être l’examen le plus performant pour l’ophtalmologiste « de famille », tout du moins si le service évaluation des actes professionnels de la HAS confirme ce résultat grâce aux publications de 2007. Ce qui peut paraître étonnant à la lecture de ce document, c’est qu’il existerait une « variabilité de la prise en charge thérapeutique du glaucome et/ou de l’hypertonie intra-oculaire en France, ainsi que des procédures diagnostiques ». au moins, l’HAS et les médecins s’accordent à dire que de nombreuses études restent à mener sur le glaucome.

Si l’on suit la nouvelle recommandation, le patient ne peut plus reprocher à l’ophtalmologiste de ne pas avoir dépisté un glaucome. La Sécurité sociale, quant à elle, va pouvoir accentuer son contrôle sur les examens liés au glaucome. Etait-ce la réponse à laquelle s’attendait l’Académie d’ophtalmologie en interrogeant l’HAS en 2005 ? Mais pourquoi l’Académie d’ophtalmologie est-elle obligée d’interroger l’HAS sur un problème purement clinique ?