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Le maintien d’une hospitalisation à la demande d’un tiers reconnu inconstitutionnel

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Un puzzle et une cléSaisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil d’État a rendu sa décision le 26 novembre 2010 (nº 2010-71 QPC). Plusieurs articles du code de la santé publique relatifs à l’hospitalisation d’office et à l’hospitalisation à la demande d’un tiers étaient sur la sellette et soupçonnés d’être inconstitutionnels par une association appelée « Groupe information asiles », fondée en 1972 par un interne en psychiatrie militant pour le respect des droits de l’homme dans le domaine de l’internement sous contrainte ou dit “libre”.

Pour ce qui est de l’hospitalisation d’office, le Conseil constitutionnel n’a pas eu à se prononcer à ce sujet, car la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par le Conseil d’État ne faisait pas référence aux dispositions du code de la santé publique relatives à l’hospitalisation d’office. Cela veut-il dire que les « droits et libertés garantis par la Constitution » sont bien respectés en matière d’hospitalisation d’office aux yeux du Conseil d’État ? Il convient de rappeler que les critères pour que le Conseil constitutionnel soit saisi de la question prioritaire de constitutionnalité sont détaillés par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l’article 61-1 de la Constitution et sont au nombre de trois : la disposition législative critiquée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; la disposition législative critiquée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Dans cette affaire, seule l’hospitalisation à la demande d’un tiers était concernée par le litige, il ne pouvait donc être question des articles du code la santé publique relatifs à l’hospitalisation d’office dans la QPC.

Concernant l’hospitalisation à la demande d’un tiers, le Conseil constitutionnel a validé les articles du code de la santé publique la réglementant, à l’exception de l’article L 337, devenu L 3212-7, déclaré contraire à la Constitution.

Article L 3212-7 du code de la santé publique

Dans les trois jours précédant l’expiration des quinze premiers jours de l’hospitalisation, le malade est examiné par un psychiatre de l’établissement d’accueil.
Ce dernier établit un certificat médical circonstancié précisant notamment la nature et l’évolution des troubles et indiquant clairement si les conditions de l’hospitalisation sont ou non toujours réunies. Au vu de ce certificat, l’hospitalisation peut être maintenue pour une durée maximale d’un mois.
Au-delà de cette durée, l’hospitalisation peut être maintenue pour des périodes maximales d’un mois, renouvelables selon les mêmes modalités.
Le certificat médical est adressé aux autorités mentionnées au deuxième alinéa de l’article L 3212-8 ainsi qu’à la commission mentionnée à l’article L 3222-5 et selon les modalités prévues à ce même alinéa.
Faute de production du certificat susvisé, la levée de l’hospitalisation est acquise.

Pour le Conseil constitutionnel, aucune disposition législative ne soumet le maintien de l’hospitalisation d’une personne sans son consentement, en application de cet article du code de la santé publique, à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution. L’hospitalisation sans consentement pouvant être maintenue au-delà de quinze jours sans intervention d’une juridiction de l’ordre judiciaire, il faut considérer que la liberté individuelle figurant dans la Constitution ne peut être tenue pour sauvegardée. Pour le Conseil constitutionnel, c’est au juge d’intervenir dans le plus court délai possible pour décider d’un maintien ou non de l’hospitalisation.

Afin de ne pas méconnaître les exigences de la protection de la santé et la prévention des atteintes à l’ordre public et de ne pas entraîner des conséquences manifestement excessives, l’abrogation de l’article L 3212-7 du code de la santé publique a été reporté au 1er août 2011 permettant ainsi au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité.

Suite à la décision du Conseil constitutionnel et au report de l’abrogation de l’article L 3212-7 du code de la santé publique pourtant jugé inconstitutionnel, une demande a été faite au juge des référés du Conseil d’État (nº 344571), sur le fondement de l’article L 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre au Premier ministre d’informer le secrétaire du Conseil de l’Europe de l’inapplicabilité en France des articles 5§4, 6§1 et 6§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette demande a été rejetée le 1er décembre 2010 au motif qu’aucun manquement susceptible de conduire à brève échéance à une détérioration de la sauvegarde des droits garantis par cette convention n’a pu être démontré.

Accessoirement, cette affaire est l’occasion d’apprécier la qualité du site Internet du Conseil constitutionnel concernant chaque QPC. Sont, en effet, mis à la disposition des internautes la décision de renvoi, le dossier documentaire toujours très intéressant, mais aussi la vidéo de l’audience, le commentaire aux Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel et les références doctrinales. Ces divers documents permettent d’appréhender les fondements sur lesquels la décision repose. Leur accès facile concourt à une plus grande transparence et à une meilleure compréhension de la justice.

Un autre regard sur l’Eneis 2009

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Graphique compliquéAlors que les résultats de l’enquête nationale sur les événements indésirables graves associés aux soins (ENEIS) 2009 ont été présentés en avant-première au Colloque « Événements indésirables associés aux soins et politique de réduction des risques », le 24 novembre 2010, et sont maintenant disponibles en ligne, il peut être intéressant d’y porter un regard exempt de tout sensationnalisme.

Il faut d’abord rappeler qu’en France l’expérience de ce type d’étude est très limitée puisque la seule et unique enquête nationale identique remontait jusque-là à 2004. Il semble, par exemple, difficile de savoir si des progrès ont été réalisés entre 2004 et 2009 concernant les évènements indésirables graves (EIG) associés aux soins. Les auteurs de l’enquête expliquent, en effet, que « La stabilité des indicateurs sur la période étudiée ne permet toutefois pas de conclure à l’absence de changements en termes de culture de sécurité et de comportements des acteurs du système de santé, lesquels ne sont pas mesurés par les indicateurs. Elle ne signifie pas non plus absence de résultats des actions entreprises : d’une part, les indicateurs utilisés ne sont pas adaptés pour mesurer l’impact d’actions sectorielles ; d’autre part, l’évolution des modes de prises en charge (complexité des actes) et de prescription sur la période étudiée aurait en effet pu augmenter les risques et la fréquence des EIG. »
Peu de publicité est faite sur la différence entre les échantillons testés entre 2004 et 2009 et sur une méthode de tirage au sort ayant été modifiée entre les deux périodes étudiées… Sans compter que « Lors de la première enquête, il n’y avait pas eu de correction de la non-réponse. Avec la seconde édition de l’enquête, cette étape était indispensable pour mener une analyse en évolution. Les estimations 2004 ont été recalculées selon une méthodologie identique à celle de 2009 et ne correspondent donc plus exactement aux estimations initialement publiées. »

Même si l’article L 1413-14 du code de la santé publique prévoit que « Tout professionnel ou établissement de santé ayant constaté une infection nosocomiale ou tout autre événement indésirable grave lié à des soins réalisés lors d’investigations, de traitements ou d’actions de prévention doit en faire la déclaration au directeur général de l’agence régionale de santé », ces dispositions s’entendant sans préjudice de la déclaration à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé des événements indésirables liés à un produit de santé et que le nombre de jours d’hospitalisation, en France, doit pouvoir être connu, ce n’est que sur un petit nombre d’établissements et de services que porte l’enquête. Nouvel élément surprenant de la méthodologie de l’enquête, les établissements ont été tirés au sort avant que leur accord ne leur soit demandé quant à une éventuelle participation à l’enquête… Des établissements, puis des services, tirés au sort pour constituer l’échantillon ont dont été exclus secondairement, car refusant de participer. « Sur les 114 établissements tirés au sort dans les 31 départements retenus, 81 ont accepté de participer à cette étude, soit un taux de participation de 71,1 %. Parmi les 251 unités tirées au sort dans ces 81 établissements, 18 ont refusé de participer (9 dans les CHU-CHR en chirurgie, 8 dans les CHU-CHR en médecine et 1 dans les établissements privés en chirurgie) et ont toutes été remplacées. Les 8 269 patients inclus ont été suivis en moyenne pendant 3,8 jours, ce qui représente 31 663 jours d’observation au total. » Il est intéressant de noter que les services de CHU-CHR ont été les plus nombreux à refuser de participer.

Sur l’échantillon testé, c’est une densité d’incidence qui a été calculée, en raison de la méthodologie retenue. Elle est en moyenne de 6,2 pour 1 000 jours d’hospitalisation pour les EIG survenus en cours d’hospitalisation, dont 2,6 d’EIG évitables (ce qui correspond à 87 évènements pour 2009). Ce sont les services de chirurgie qui sont significativement plus concernés (9,2 ‰), et parmi eux les services des CHU (centres hospitaliers universitaires), plutôt que ceux des cliniques privées ou d’autres établissements hospitaliers, des différences qui disparaissent quand il s’agit d’EIG évitables.
Si 8 patients sont morts des suites d’un EIG, sur les 8 269 étudiés, leur âge était compris entre 76 et 87 ans et leur fragilité particulièrement importante. Pour l’ensemble des patients, « Pour 146 des 214 EIG repérés, des éléments permettaient de penser que l’événement clinique aurait pu survenir compte tenu de l’évolution prévisible de la maladie ou de l’état du malade. Pour 98 des 214 EIG, l’événement aurait pu survenir même en l’absence des soins concernés. »
Autre élément à prendre en compte, 20 % des EIG sont dus au comportement du patient lui-même qui n’a pas suivi le traitement prescrit correctement ou qui a refusé des soins.

Pour les EIG causes d’hostipalisations, c’est en médecine que le taux est le plus élevé, cette fois. Les produits de santé sont le plus souvent à l’origine de ces événements indésirables graves, notamment les médicaments. À noter aussi qu’une remarque est intéressante : l’augmentation entre 2004 et 2009 des infections du site opératoire liées à des interventions lors d’hospitalisations antérieures pourrait être due à un séjour écourté dans l’hospitalisation précédente avec une identification de l’infection au domicile du patient, ou une prise en charge non optimale de la plaie opératoire en médecine ambulatoire. Un temps d’hospitalisation raccourci, cheval de bataille des acteurs qui veulent imposer des économies de santé ou une meilleure rentabilité des établissements, n’aurait donc pas que des avantages…

Dernier point troublant : comment expliquer que seuls les chiffres estimant le nombre d’EIG qui surviendraient chaque jour en France ont été retenus pour faire la Une des journaux, alors que les auteurs de l’enquête reconnaissent qu’ils ne sont pas fiables, faute de pouvoir s’assurer d’un phénomène de saisonnalité ? Faire peur aux patients et alimenter la suspicion à l’égard des médecins ou des établissements de soins seraient-ils de bons moyens pour faire grimper l’audimat ou retenir l’attention des lecteurs ? On pourrait être tenté de le croire…

Le retard d’hospitalisation en cas de grippe est une perte de chance

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Trouver le bon équilibreHors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés au code de la santé publique, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. C’est ce que prévoit l’article L 1142-1 de ce même code. Un tribunal va donc s’évertuer à rechercher la faute d’un praticien lorsque la responsabilité de ce dernier est mise en cause par un patient ou sa famille, mais il ne doit pas pour autant négliger les autres éléments du dossier…

Si la grippe est une affection le plus souvent bénigne, malgré la présentation qui en a pu être faite à l’occasion de la pandémie survenue en 2009, il arrive parfois qu’un patient soit atteint d’une forme maligne de cette maladie. C’est ce qui est arrivé à une femme en décembre 2003, sans que rien ne laisse présager pour autant que son état de santé allait se dégrader brutalement et qu’elle décéderait d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë. La famille a porté plainte contre le médecin qui n’a pas hospitalisé la malade pensant que tout allait rentrer dans l’ordre rapidement.

Dans un premier temps, la cour d’appel a débouté la famille de sa demande en responsabilité du médecin. Certes si le praticien avait délivré à la patiente des soins consciencieux, attentifs et diligents, son hospitalisation serait intervenue plus tôt, mais que rien ne dit pour autant que l’évolution de la pathologie eût été différente ; l’administration de l’antibiothérapie aurait été avancée mais aucun élément médical ne permettait de dire que cela aurait évité la dégradation brutale de l’état de santé de la malade et son décès, dans la mesure où la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë dont elle était décédée n’avait pu être déterminée, de sorte qu’il n’était pas établi que la faute du médecin eût fait perdre à la patiente une chance de survie.

Mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 octobre 2010 (pourvoi nº 09-69195), ne l’a pas entendu de cette façon. Pour cette dernière, la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable, de sorte que ni l’incertitude relative à l’évolution de la pathologie, ni l’indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entraîné le décès n’étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par le médecin, laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de la patiente, et la perte d’une chance de survie pour cette dernière. En hospitalisant plus tôt la patiente pour sa grippe, le praticien ne lui aurait pas fait perdre une chance de survivre, peu importe que ce soit ou non cette maladie qui soit à l’origine de son décès…

La réalité juridique est parfois très éloignée du discours de terrain. D’un côté, les médecins sont de plus en plus encouragés, pour ne pas dire contraints, économies de santé obligent, à ne pas hospitaliser des patients pour des maladies qui sont, chez la très grande majorité des patients, peu sévères, surtout si ces maladies sont virales ou infectieuses afin d’éviter de contaminer inutilement les services de soins. De l’autre, les praticiens se retrouvent avec une véritable épée de Damoclès au dessus de la tête, le plus petit retard d’hospitalisation en cas d’aggravation brutale et imprévisible de la maladie chez un patient ne présentant pas de facteur de risque particulier suffisant à les faire condamner pour faute. Pas facile de travailler sereinement, chaque jour, à l’aplomb d’un précipice…