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Les conséquences sanitaires insoupçonnées des marées noires

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Une plage propreLes marins-pêcheurs et autres professionnels de la mer sont les premiers à s’impliquer dans la lutte contre les marées noires lorsqu’elles ravagent les eaux et les côtes de la région où ils travaillent. D’autant que dans certains cas, ayant perdu la possibilité de pratiquer leur métier et de gagner leur vie comme ils le font d’habitude, cela leur permet d’obtenir un revenu de substitution aux dépens de la compagnie pétrolière responsable de la catastrophe le temps qu’une situation normale soit rétablie et qu’ils puissent repartir en mer ou exploiter à nouveau les réserves du littoral. Personne ne s’était posé la question de savoir si participer ainsi aux opérations de nettoyage pouvait avoir une incidence sur leur santé jusqu’à ce qu’une équipe de chercheurs espagnols s’intéresse à ceux qui ont lutté contre la marée noire qui a touché les côtes ibériques en 2002. Les résultats publiés le 23 août 2010 sur le site Internet de la revue Annals of Internal Medicine mettent en lumière des conséquences sanitaires insoupçonnées jusque-là et pourraient bien avoir des répercussions médico-légales dont il est encore difficile de mesurer l’ampleur…

Triste souvenir pour les marins-pêcheurs espagnols que celui du pétrolier Prestige dont les cuves ont laissé s’échapper des milliers de tonnes d’hydrocarbures sur les côtes du nord-ouest de la péninsule. Nombre d’entre eux s’est immédiatement mis à la disposition des autorités pour lutter contre cette catastrophe et pour faire disparaître les traces de la marée noire au plus vite. Si les plages et les rochers du littoral ont fini par retrouver leur virginité, il n’en va pas de même pour les poumons et les lymphocytes de ces professionnels de la pêche. Des médecins et chercheurs espagnols ont en effet montré que ces derniers souffraient de plus d’affections respiratoires que des sujets n’ayant pas été exposés au cours d’opérations de nettoyage et qu’ils présentaient aussi des modifications de leurs chromosomes.
Les chercheurs restent prudents et reconnaissent qu’en l’état actuel leur étude ne peut pas prouver de façon certaine que les anomalies chromosomiques ou les marqueurs des problèmes respiratoires sont dus à l’exposition aux hydrocarbures et que les résultats seraient identiques pour tous les types de marée noire. Seul un lien semble exister entre le fait d’avoir participé aux opérations de nettoyage de cette marée noire et ces problèmes sanitaires. Mais il est évident que leurs travaux ne vont pas manquer de susciter de nouvelles enquêtes et que l’imputabilité des désordres organiques (ou sa présomption) finiront bien par faire l’objet de plaintes entraînant des expertises et, sans doute, des décisions judiciaires. Pêcheurs compris, ce sont plus de 300 000 personnes qui ont participé au nettoyage des côtes espagnoles et l’Espagne n’est pas la seule à avoir été touchée par une telle catastrophe ces dernières années. Les millions de barils de pétrole perdus par BP dans le golfe du Mexique à la mi 2010 sont là pour nous le rappeler.

Pas question qu’une telle étude décourage les volontaires à la décontamination des plages après une marée noire, il faut juste que chacun ait conscience du risque pour pouvoir s’en prémunir et respecter les consignes données quant à l’usage des protections individuelles (masque, combinaison, gants, etc.) lorsqu’il est amené à prendre part à de telles campagnes.

Cette étude n’est que le sommet de l’iceberg, car d’autres restent à venir sur l’impact que peuvent avoir les dispersants utilisés sur les nappes en mer, les hydrocarbures, les métaux lourds et autres produits contenus dans les cuves des super tankers ou utilisés pour faire disparaître les traces des marées noires sur la santé et sur la chaîne alimentaire. Des travaux que les pays producteurs de pétrole et que les compagnies pétrolières ne voient pas d’un bon oeil et qui peinent à trouver des financements. D’autant que les pays développés dont une grande partie de l’économie repose sur la consommation du pétrole n’ont pas intérêt non plus à consacrer trop de capitaux à de telles recherches. Quand on connaît les difficultés que rencontrent des médecins pour dénoncer certains excès de l’industrie pharmaceutique ou certains chercheurs face à l’industrie agroalimentaire, secteurs économiques largement soutenus par les États, on imagine sans peine que bien peu nombreux sont ceux qui sont prêts à s’attaquer à l’industrie pétrolière et à ses incommensurables moyens financiers et ramifications politiques, et pourquoi ils sont si prudents dans leurs publications…