Articles tagués ‘rédaction’

Recommandations de bonne pratique et conflits d’intérêts

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Evolution

Tout le monde ne jure plus que par les recommandations de bonne pratique… Non content de faire fi de la spécificité de chaque patient, ces guides donnent l’impression qu’il suffit de suivre un protocole, comme un ordinateur suit un programme, pour soigner tous les malades de la même façon. Gros avantage de ces préconisations « à la mode », ils flattent l’ego de ceux qui sont chargés de les rédiger et ils sont devenus un outil idéal pour contraindre les praticiens à « faire des économies ». Bien plus efficaces et bien plus simples à mettre en place qu’un développement professionnel continu qui ne cesse de patiner, ces directives ont les faveurs des pouvoirs publics. Plutôt que d’imposer à un médecin de répondre à ses obligations de formation continue et de lui réapprendre à faire preuve de sens critique et d’objectivité, beaucoup semblent penser, y compris au sein de cette profession, qu’il est préférable de donner des solutions toutes faites aux professionnels de santé. Pas besoin de réfléchir pour les uns, il suffit de s’en remettre aux recommandations pour traiter ; un bon moyen d’imposer ce qui doit être prescrit pour les autres. Que les recommandations ne soient remises que tous les 5 à 10 ans ne choque personne, puisque l’intérêt du patient n’est pas toujours ce qui prime malgré les beaux discours. Qu’un praticien soit sanctionné parce qu’il n’a pas respecté les recommandations n’émeut pas grand monde non plus : pourquoi diable un médecin devrait-il se mettre à réfléchir alors que des leaders d’opinion dédommagés par la Haute Autorité de santé l’ont fait pour lui ? Sans compter que quand des médecins réfléchissent, ils risquent de créer une revue comme Prescrire, de dénoncer des campagnes de prévention controversées ou de ne pas conseiller aux patients de se faire vacciner contre la grippe A(H1N1) au grand dam de la ministre de la santé de l’époque qui suivait les “recommandations” du même type d’experts…Extraire le savoir

L’industrie pharmaceutique a compris depuis longtemps qu’il était vital pour elle de faire entendre sa voix, même sous forme de murmures, dans les réunions où les recommandations de bonne pratique se décident. Influencer des groupes de réflexion, voire même les créer en les finançant, est une chose qu’elle est habituée à faire. Rien de mieux pour cela que de nouer des liens avec les leaders d’opinion qui vont servir d’experts à cette occasion. C’est tout du moins ce que l’on peut penser à la lecture d’un article publié dans le Canadian Medical Association Journal du 22 février 2011, intitulé Clinical guideline writers often conflicted. Roger Collier, un journaliste de cette revue appréciée de ceux qui publient (impact factor de 7,3), y explique qu’il n’y a pas une semaine sans que de nouvelles recommandations de bonne pratique ne paraissent sur la planète. Un fait qui doit avoir son importance puisque le gouvernement américain finance un programme destiné à recenser tous ces guides de bonne pratique de par le monde il n’y en aurait pas moins de 360 en cours de rédaction. On peut s’étonner qu’un état finance un tel programme. Pas vraiment si l’on considère l’intérêt qu’il peut avoir pour la santé publique, mais surtout les enjeux stratégiques et économiques qui peuvent s’y attacher. Publier un référentiel de bonne pratique, c’est se donner la possibilité de voir ce travail devenir la référence pour les milliers de médecins d’un pays, voire même les millions de praticiens qui parlent la langue dans laquelle est rédigé le document. C’est aussi une façon de voir les groupes d’experts des autres nations utiliser ce travail comme base à leurs propres réflexions. D’où l’importance d’une telle veille pour une administration qui a pour objectif de maintenir les États-Unis au plus haut niveau dans tous les domaines.
Un enjeu que des sociétés savantes ont elles aussi compris : la Société américaine de radiologie, par exemple, à une trentaine de ces recommandations de bonne pratique actuellement sur le feu. Des associations de médecins qui sont bien souvent encouragées à agir ainsi par l’industrie, les pouvoirs publics ou les assureurs.

Le docteur Niteesh Choudhry, professeur adjoint à l’université de médecine Harvard de Boston, s’est intéressé aux lignes en petits caractères, censées informer le lecteur sur les liens d’intérêt des auteurs, qui figurent parfois en bas de page de ses recommandations de bonne pratique, au moins de celles publiées dans de grandes revues qui exigent de telles déclarations. Après un examen attentif de ces éléments, il en est arrivé à la conclusion qu’il existait un nombre extrêmement important de rédacteurs de ces recommandations ayant des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique. Il cite en exemple les recommandations de la Société canadienne de thoracologie sur la gestion de l’asthme chez les adultes et les enfants de 6 ans et plus financées par trois des plus grands laboratoires vendant des médicaments à cet effet dans ce pays.

Pour le médecin « de base », la tâche n’est pas aisée. Déjà occupé à soigner les patients, il n’a souvent d’autres choix que de se fier à ces recommandations. « Compte tenu de la quantité d’informations dans un domaine particulier, aucun médecin ne peut toutes les connaître », explique le docteur Joel Lexchin, professeur à l’université York de Toronto. Que des déclarations de liens d’intérêt soient obligatoires et figurent dans les documents est une bonne chose pour la transparence, mais elles n’empêchent pas les biais. N’étant pas un expert, comment le médecin de famille peut-il apprécier l’impact que peut avoir le lien d’intérêt déclaré ? Il peut n’en avoir aucun, comme il peut être énorme…

Faut-il systématiquement jeter la pierre aux leaders d’opinion ou aux experts qui participent à la rédaction des recommandations de bonne pratique ? Pour Niteesh Choudhry, ils sont nombreux à sous-estimer l’influence que peuvent avoir leurs liens avec l’industrie sur ces recommandations.
Dans une étude publiée dans le JAMA, le docteur Choudhry et ses collaborateurs ont montré de 87 % des auteurs de ces recommandations avaient des liens avec l’industrie et plus particulièrement avec des sociétés dont l’usage des produits était recommandé dans les recommandations auxquels ils avaient contribué dans 59 % des cas. « Nous nous demandons si les universitaires et les médecins sous-estiment l’impact de ces relations sur leurs actions parce que la nature même de leur profession est la recherche d’une information impartiale et objective », indique le document. « Malheureusement, le biais peut se produire à la fois consciemment et inconsciemment, et par conséquent, son influence peut passer inaperçue. »

Niteesh Choudhry s’empresse toutefois de préciser qu’interdire à toute personne ayant des liens d’intérêt avec les laboratoires de prendre part à la conception de recommandations de bonne pratique n’est pas réaliste. Sans compter que l’on peut avoir un lien d’intérêt sans être partial pour autant et que si l’on est un expert, on fait souvent partie de ceux qui sont obligés d’avoir le plus de liens avec l’industrie…
L’idéal serait de pouvoir apprécier quel impact peut avoir un lien déclaré sur la recommandation qui va être faite. Une espèce de recommandation de bonne pratique sur la façon de gérer les liens d’intérêt déclarés par les auteurs de ces recommandations, sans doute…

Une démarche qualité opposable aux professionnels de santé ?

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Les médecins piégés par les référentielsLes démarches qualité sont familières aux médecins et aux autres professionnels de santé depuis de nombreuses années. Qu’il s’agisse de la certification ISO 9001 des ophtalmologistes ou de l’implication de nombreuses autres spécialités dans l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), de nombreuses pistes ont été explorées et ont conduit à une meilleure analyse des risques et à un accroissement de la qualité de prise en charge des patients. Les anesthésistes-réanimateurs, conscients des enjeux et confrontés à des affaires exagérément médiatisées, se sont eux aussi très vite intéressés à ces questions, au point d’obtenir une réduction significative de la mortalité dans les blocs opératoires et dans les unités de réanimation.

De toutes ces démarches qualité naissent de très nombreux documents de travail qui aident les uns et les autres à améliorer leurs pratiques. Et voilà que ces pièces sont détournées et utilisées de façon abusive par des organismes ou des tutelles pour en faire des bases de références réglementaires. C’est Marc Dahlet, président du groupe de travail sur le référentiel EPP « Tenue du dossier d’anesthésie » qui tire la sonnette d’alarme et donne l’exemple d’une telle dérive dans Les infos de Collège — Lettre de liaison du Collège français des anesthésistes réanimateurs nº 27 de juillet 2009.

Suite au décès inexpliqué d’un patient, une agence régionale de l’hospitalisation (ARH) « a déclenché une enquête administrative dans laquelle le référentiel EPP “Tenue du dossier d’anesthésie” été utilisé pour émettre des appréciations ». Il a été reproché à l’anesthésiste de ne pas avoir effectué une consultation préopératoire conforme en tous points au référentiel. Un staff et une revue de morbi-mortalité (RMM) insuffisants ont aussi été utilisés pour mettre en cause le praticien. Le référentiel, établi dans le cadre d’une démarche qualité, a donc servi de pièce à charge dans une enquête administrative.

Marc Dahlet explique que ce n’est pas la première fois que la Haute Autorité de santé (HAS) ou une autre institution est tentée d’utiliser les documents de travail relatifs à l’EPP comme des recommandations, voire même des références réglementaires. Il rappelle que, pour lui et les professionnels qui les rédigent, les documents de démarche qualité (référentiels EPP, méthodes d’audit, RMM, etc.) ne sont pas opposables et ne doivent pas être confondus avec des règlements. Des « utilisations à contre-sens » de ces documents pourraient, selon lui, « enrayer très rapidement le système de démarche qualité si elles se multiplient ».

Ce que semble malheureusement oublier ce médecin, c’est que les recommandations de la HAS n’ont pas été présentées à leurs auteurs comme pouvant devenir opposables aux praticiens. Le terme même de “recommandations” laissait penser que cela ne serait jamais le cas, jusqu’à ce que le Conseil d’État en décide autrement. Fort de cette expérience, il est facile de comprendre que les institutions tentent de renouveler l’expérience. D’autant que le fait que les recommandations soient devenues opposables n’a en rien enrayé la volonté de nombreux praticiens de participer à la rédaction de ces nouvelles contraintes. Les auteurs de référentiels, médecins ou autres professionnels de santé, doivent être conscients, lorsqu’ils participent à l’élaboration de référentiels, de manuels, de protocoles ou d’autres documents de ce type, qu’il se pourrait que des juges ou des conseillers d’État ne voient pas ces documents comme de simples aides, mais bien comme des pièces à charge, car tout peut être bon pour indemniser une victime…