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Responsabilité du médecin : prodiguer des soins conformes aux règles de l’art ne suffit pas

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Bilan radiologiqueExercer la médecine n’est pas chose simple. Un arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 25 novembre 2010 (nº de pourvoi 09-68631) en est un parfait exemple.

En mars 2000, une enfant profite d’une éclaircie pour aller faire du vélo. C’est avec un grand sourire qu’il enfourche son destrier mécanique et part pour une aventure qui va tourner au drame. En effet, quelques tours de pédales et le voilà hurlant de douleur après une lourde chute sur son avant-bras droit. Les parents affolés arrivent à son secours et s’empressent de le conduire aux urgences de la clinique la plus proche. C’est un médecin généraliste qui assure l’accueil dans ce service, comme c’est le cas dans de nombreux établissements privés en France. Des radiologies sont réalisées et le diagnostic est fait : fracture simple du cubitus droit. Le praticien prodigue alors des soins conformes aux règles de l’art en matière de fracture classique et l’enfant rentre chez lui. Le médecin n’imagine pas à cet instant que l’histoire est loin d’être terminée.

En fait, l’enfant présente une fracture plus complexe et plus rare appelée « fracture de Monteggia », associant une fracture cubitale à une luxation de la tête radiale, dont la prise en charge thérapeutique est différente d’une fracture simple. Pour les parents, cette erreur de diagnostic est donc à l’origine d’un traitement inadapté et d’un retard dans la prise en charge de l’état de leur enfant et il décide de rechercher la responsabilité du praticien devant les tribunaux pour le faire condamner à leur payer diverses sommes en réparation des préjudices subis par leur fille.

Après avoir pris en compte l’avis des experts, la cour d’appel déboute les parents. Si un premier expert reconnaît que le médecin généraliste, bien que non-urgentiste, était bien responsable du service des urgences de la clinique et aurait dû faire le diagnostic, un second expert a dû demander l’aide d’un sapiteur spécialiste en orthopédie et traumatologie pédiatrique pour diagnostiquer cette fracture peu courante et très loin d’être visible au premier coup d’oeil, surtout pour un médecin généraliste. Pour la cour d’appel, l’argument suivant lequel le praticien avait prodigué des soins consciencieux et conformes à ses connaissances de médecin généraliste suffit pour qu’il n’y ait pas de faute. Pas question pour les parents d’en rester là : un pourvoi en cassation est introduit.

Pour la Cour de cassation, « le médecin généraliste, n’avait pas la qualité de médecin urgentiste pour l’exonérer de sa responsabilité quand il est fait déontologiquement obligation à tout praticien de s’abstenir, sauf circonstances exceptionnelles, d’entreprendre ou de poursuivre des soins, ou de formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose », selon l’article 70 du code de déontologie médicale alors applicable, devenu l’article R 4127-70 du code de la santé publique. La Cour précise aussi que « commet une faute le médecin généraliste assurant les permanences d’accueil d’une clinique qui, au lieu d’orienter le patient victime d’une fracture vers le service de traumatologie compétent, interprète de façon inexacte les lésions clairement visibles sur les radiographies réalisées et pose ainsi un diagnostic erroné au regard des données acquises de la science », se rangeant ainsi à l’avis de l’expert le plus favorable aux plaignants.
Autre élément important à prendre en compte pour les généralistes qui assurent une permanence d’accueil : s’ils ne disposent pas d’un diplôme de médecine d’urgence, la décision de la Cour de cassation montre qu’il leur faut être particulièrement prudents quant aux diagnostics qu’ils portent et que leur reconnaissance d’omnipraticien est fragile. Il est précisé que la cour d’appel ne pouvait pas se fonder sur la qualité de médecin généraliste du praticien mis en cause inopérante au regard des compétences requises pour exercer les fonctions qu’il avait choisi d’assumer au sein du service des urgences de la clinique. Cette décision semble donc donner à la capacité de médecine d’urgence (Camu) et à la notion de « médecin urgentiste » une valeur juridique plus forte que celle qu’elle pouvait avoir jusque-là. En effet, ce n’est que depuis 2004 qu’un diplôme d’études spécialisées complémentaire en médecine d’urgence existe et parler de médecin urgentiste avant cette date ne peut faire référence qu’à la Camu. Exercer dans un service d’urgences sans disposer de ce diplôme semble donc accroître le risque de voir sa responsabilité engagée pour les praticiens.

Ce rappel à l’ordre d’un médecin généraliste, à un moment où l’on fait du médecin traitant le pivot de la médecine de proximité et d’un système de soins plus économe, est intéressant. Pas question pour l’omnipraticien de surestimer ses compétences s’il ne veut pas tomber sous le coup de l’article 70 du code de déontologie médicale. Prend aussi un risque le médecin généraliste qui va déléguer à un professionnel de santé un examen qu’il n’a pas les moyens de réaliser lui-même et pour lequel il n’a pas reçu de formation spécifique, sachant qu’aux vues des résultats de cet examen réalisé par un autre, il va engager sa responsabilité en rédigeant une prescription ; l’exemple du généraliste signant des ordonnances de lunettes qui lui sont soufflées par un opticien ou un orthoptiste est souvent cité pour illustrer une telle situation.

Faut-il voir là une obligation de résultat pour les médecins spécialisés en médecine générale ou une volonté d’indemniser à tout prix le patient victime d’une erreur ? Ce n’est pas certain. Il faut surtout y voir un rappel donné aux praticiens par la Cour de cassation de bien connaître leurs limites et de ne pas les dépasser. Des limites que les pouvoirs publics semblent inciter chaque jour ces mêmes médecins à franchir au prétexte de réaliser des économies de santé…

Trois interventions, deux chirurgiens, une infection nosocomiale

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Jurisprudences

Plusieurs chirurgiensLes infections nosocomiales sont une source de jurisprudences intarissable à notre époque. La décision de la première chambre de la Cour de cassation du 1er juillet 2010 (pourvoi no 09-69151) en est un nouvel exemple.

Tout commence en avril 1989. Une patiente se fracture la cheville et doit subir une intervention orthopédique pour cette raison. Elle est prise en charge à cet effet par un chirurgien qui l’opère dans une clinique proche de la capitale. Malheureusement pour elle, les suites ne sont pas simples et une deuxième intervention est réalisée en juillet de la même année. Son état n’étant toujours pas satisfaisant, elle doit subir une troisième opération en septembre 1989 pour laquelle elle s’adresse à un autre chirurgien, professeur de son état, intervenant dans une clinique du 16e arrondissement de Paris. Tout aurait pu s’arrêter là si un staphylocoque doré n’avait pas été mis en évidence à l’occasion d’un prélèvement, signant ainsi une infection nosocomiale. Ce n’est que six ans plus tard, en 1995, qu’il a pu être mis fin aux nombreux traitements qu’a nécessités l’éradication de ce germe.
Estimant avoir subi un préjudice, la patiente a demandé réparation au chirurgien ayant initialement réparé sa fracture. Estimant ne pas être responsable de l’infection qui « n’était ni présente ni en incubation » aux dires des experts après ses deux interventions, ce dernier a mis en cause la clinique dans laquelle avait eu lieu la troisième opération.
La cour d’appel, allant dans le sens de ce que faisait valoir le premier chirurgien et sans se prononcer sur la responsabilité de celui-ci le mettant ainsi hors de cause, a condamné la clinique parisienne où l’infection nosocomiale a été contractée.

La Cour de cassation ne l’a pas entendu de cette oreille. Pour elle, « lorsque la faute d’un médecin dans la prise en charge d’une personne a rendu nécessaire une intervention au cours de laquelle celle-ci a contracté une infection nosocomiale dont elle a demandé réparation à la clinique où a eu lieu l’intervention, au titre de son obligation de résultat, cette dernière, obligée à indemniser la victime pour le tout, est fondée à invoquer la faute médicale initiale pour qu’il soit statué sur la répartition de la charge de la dette ». Rien n’interdit donc à une clinique mise en cause de rechercher la responsabilité d’un chirurgien étant préalablement intervenu dans un autre établissement en cas d’infection nosocomiale.

La Cour a aussi pris en compte que « le caractère nosocomial de l’infection étant établi, la circonstance qu’une faute, commise antérieurement, ait rendu nécessaire l’intervention au cours de laquelle celle-ci a été contractée, si elle est susceptible, le cas échéant, de faire retenir la responsabilité de son auteur à l’égard de la victime, ne saurait, dès lors qu’il n’est pas allégué qu’elle aurait rendu l’infection inévitable, constituer une cause étrangère, seule de nature à exonérer l’établissement des conséquences de la violation de son obligation de résultat ». Ce n’est pas parce qu’une intervention est inévitable à la suite d’une erreur commise dans un autre établissement, que la clinique qui prend en charge un patient peut s’exonérer de son obligation de sécurité de résultat en matière d’infection nosocomiale en arguant d’une « cause étrangère », seul motif lui permettant de ne pas être condamnée.

Dernier élément intéressant de cette jurisprudence : la patiente est décédée en 2005, pour des raisons étrangères à cette infection nosocomiale bien entendu, mais c’est sa fille, unique héritière, qui a repris l’instance et c’est à elle que sera versée la somme en réparation du préjudice.

Comparatif et classement des facultés de médecine en France

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Une étude comparative des facultés de médecineC’est à l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres) que l’on doit la première étude comparative des facultés de médecine en France. Les auteurs se refusent à parler de classement et préfèrent la notion de comparaison d’indicateurs.
Ce sont les performances dans le domaine de la formation et dans celui de la recherche de ces établissements qui ont été étudiées. Pour la recherche, il a été tenu compte du nombre d’enseignants hospitalo-universitaires titulaires et de celui de leurs publications scientifiques dans des revues à impact factor sur une période de 5 ans (score SIGAPS pour les seuls hospitalo-universitaires), mais aussi du nombre de projets de recherche clinique nationaux financés pendant 3 années consécutives dont ces enseignants sont les investigateurs principaux et le nombre d’unités de recherche labellisées par le Centre national de recherche scientifique (CNRS) ou l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qu’ils dirigent. Pour la formation, en plus de l’effectif des enseignants hospitalo-universitaires titulaires, c’est au nombre d’étudiants reçus à l’épreuve classante nationale (ECN) dans les 500, 1 000 et 3 000 premiers et du numerus clausus de chaque faculté que les auteurs se sont intéressés.

Alors que l’on aurait pu croire que les facultés de médecine parisiennes allaient faire la course en tête pour la formation, les résultats de cette étude montrent que c’est loin d’être le cas. Si ce n’est l’université Paris-V-Descartes qui arrive en tête de ce comparatif, les autres facultés de la capitale ne sont pas dans le haut de ce palmarès, l’université Paris-XIII-Bobigny fermant même la marche. Tours et Nantes sont sur le podium, malgré des moyens et un nombre d’enseignants plus limités, faisant preuve de bien plus d’efficience que des universités comme Bordeaux, Poitiers ou Reims. « Il n’existe pas de relation entre la richesse en personnel hospitalo-universitaire et la performance en formation, évaluée sur les résultats de l’ECN. »

Pour la recherche et le score SIGAPS, l’honneur est sauf pour les facultés parisiennes qui occupent les premières places de l’étude. Seule l’université de Lyon réussit à s’immiscer au sein du peloton de tête. Reims et Poitiers font à nouveau pâle figure, mais Tours vient les rejoindre dans le bas de ce comparatif.

Il convient de relativiser ces résultats. Être bien classé à l’ECN, épreuve qui permet de choisir sa spécialité depuis qu’elle a remplacé le concours de l’internat en médecine, ne veut pas dire que l’on fera un bon médecin. Le troisième cycle des études médicales n’est pas étudié, alors que l’internat est un temps capital de la formation des praticiens. Les qualités humaines du candidat ne sont pas prises en compte dans les résultats de l’ECN, épreuve théorique, et il n’est pas certain que les étudiants formés dans un esprit de compétition seront les plus aptes à assurer un travail d’équipe au sein d’une maison médicale ou d’un établissement de soins. Par contre, il est évident que ces données risquent d’influencer les bacheliers au moment de leur inscription en faculté s’ils ont pour vocation de faire une spécialité plus recherchée que les autres. Pour ceux que la spécialité de médecine générale tente, ces résultats ne changeront rien puisque cette année encore plus de 600 postes d’internes en médecine générale n’ont pas trouvé preneur.
De la même façon, publier beaucoup dans des revues scientifiques ne veut pas dire que l’on soit un chercheur hors pair. Il s’agit bien souvent d’un travail d’équipe qui peut, de plus, être porté par des facteurs liés aux partenariats avec l’industrie pharmaceutique, à des problématiques budgétaires ou à des éléments environnementaux, comme l’émergence d’une pandémie, par exemple.

Les universités françaises figurant rarement dans les premières places des classements internationaux, cette étude a le mérite d’ouvrir la voie à une réflexion sur les performances des facultés de médecine, en collaboration avec la conférence des doyens et la commission santé de la conférence des présidents d’universités. Au fil des ans, les critères étudiés vont, semble-t-il, être complétés et mieux ciblés. Il faut espérer que cette émulation n’aura pour résultat qu’une qualité de soins accrue pour les patients…