Une France sans nuage

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Nuage radioactifLes frontières naturelles ou politiques de notre territoire n’ont pas empêché les légions romaines, les Huns ou les Vikings de fouler nos verts pâturages. La ligne Maginot, elle-même, n’a pas réussi à repousser l’envahisseur teuton. Mais en 1986, un gouvernement a réussi à interdire l’entrée du territoire à un nuage radioactif venant de Tchernobyl ! Il aura suffi de quelques décisions dans les salons feutrés de la République pour que cette page de l’Histoire de la France soit écrite. Les salades, les champignons, le lait français n’ont pas été contaminés par les retombées, évitant aux forces vives de l’agriculture et du commerce nationales quelques mois sans profits. Des élus courageux ont su dire “non” à ce nuage sournois qui avait réussi à faire interdire la consommation de ces produits dans les pays voisins de l’Hexagone au nom de la santé publique. Il y a quelques siècles, ce phénomène aurait été qualifié de miracle et les décideurs sanctifiés, mais, de nos jours, il n’est question que de la gestion responsable d’un nuage de particules radioactives francophobes que les autorités ont menée avec brio…

Le grand public découvrait à peine Internet quand, le 26 avril 1986, le réacteur flambant neuf d’une centrale nucléaire ukrainienne partit en fumée. Pas de réseaux sociaux, pas d’accès à des sources d’information indépendantes, seuls les journaux télévisés de deux grandes chaînes de l’époque (le 19/20 de FR3 n’a commencé que le 6 mai 1986) et les grands quotidiens, habitués à taire grands et petits secrets d’État, étaient là pour apporter la bonne parole à une population naturellement inquiète. Les fidèles de la grand-messe du 20 heures ne pouvaient pas douter du professionnalisme de journalistes tels que Marie-France Cubadda ou Jean-Claude Bourret pour TF1, Bernard Rapp ou Claude Sérillon pour Antenne 2, sur les plateaux desquels les experts gouvernementaux se succédaient pour expliquer que tout allait bien.

Dans un pays dont les dirigeants successifs avaient fait le choix du nucléaire et souhaitaient vendre sa technologie, pas question de penser que cette énergie pouvait comporter des risques pour le territoire national. D’autant plus que la France n’était (et n’est toujours) pas un pays où l’on pouvait imaginer que des malfaçons touchent une centrale nucléaire, comme c’était le cas pour la centrale de Tchernobyl. Impossible aussi de croire qu’une série d’erreurs humaines puissent entraîner la destruction de toutes les coques de protection mises en place et que la santé de tout un chacun puisse être menacée à 2000 kilomètres du lieu d’une telle catastrophe alors que la centrale la plus proche de Paris ne s’en situe qu’à quelques dizaines de kilomètres. Tout cela ne pouvait arriver (n’arrive et n’arrivera) qu’aux autres. C’est ce que se sont sans doute dit, en toute bonne foi, les ministres de l’époque.

D’ailleurs, la cour d’appel de Paris vient de leur donner raison. C’est en toute logique qu’elle a prononcé un non-lieu, le 7 septembre 2011, dans la seule affaire dans laquelle ce fameux nuage faisait de l’ombre au seul responsable poursuivi : le professeur Pierre Pellerin, 88 ans, ancien responsable du service central de protection contre les rayons ionisants (SCPRI). Un homme courageux qui a dû se rendre au tribunal n’ayant pas la chance de pouvoir rester chez lui faute d’être atteint d’anosognosie, mieux conservé en cela que le premier ministre de l’époque, Jacques Chirac, à qui l’on reprochait d’avoir dit que les retombées radioactives épargnaient la France. Il n’est pas nécessaire de poursuivre une enquête qui n’aboutira à rien puisque les analyses scientifiques, en France, ne permettent pas d’établir un lien entre le passage du nuage radioactif et des maladies de la thyroïde, comme le soulignaient les recommandations du Parquet.
Face à une telle injustice, ne faut-il pas conseiller au professeur Pellerin de porter plainte à l’encontre de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) qui en 2006 a publié des cartes montrant les zones du territoire national les plus exposées aux retombées de césium 137 ? Ne faut-il pas encourager ce scientifique à traîner en justice l’endocrinologue corse qui a osé suggérer une augmentation du nombre de cas de pathologies de la thyroïde après 1986 sur l’île de Beauté, particulièrement touchée ? Tout comme les laboratoires Servier ont réussi à faire condamner l’éditeur du Docteur Irène Frachon pour la couverture du livre dans lequel elle dénonçait le scandale du Mediator, Pierre Pellerin pourrait sans doute obtenir justice…

Mais en attendant, il faut rendre hommage aux hommes et aux femmes qui géraient les affaires de la France à cette époque, car ils ont su faire preuve de sang-froid face à ce nuage s’échappant d’un brasier atomique. Il est important de citer quelques-uns de ses élus que l’on ne remercie pas assez souvent : François Mitterand, alors président de la République ; Jacques Chirac, premier ministre, comme cela a déjà été dit ; Michèle Barzach, ministre de la santé ; Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur et bien d’autres ministres ou secrétaires d’État, comme Alain Juppé, Michèle Alliot-Marie, Gérard Longuet, André Santini et tous les autres.

Il faut se réjouir que, dans cette affaire, il n’y ait aucun responsable et aucun coupable, juste des “présumées” victimes. Il est vrai qu’après l’affaire du sang contaminé et de ses « responsables, mais pas coupables », qui avait touché le gouvernement sortant (celui de Laurent Fabius, auquel appartenaient Georgina Dufoix et Edmond Hervé), une nouvelle mise en cause du pouvoir politique aurait été des plus malvenue. Elle n’aurait pas empêché les uns et les autres de poursuivre leur carrière au plus haut niveau, mais elle aurait pu entamer la confiance sans faille qu’ont les citoyens en leurs dirigeants.

Quelles leçons tirer de ce passé ?
Les accidents nucléaires ne peuvent survenir qu’à des milliers de kilomètres de la métropole, l’accident de Fukushima en est la preuve.
Les techniciens français, dont la compétence est reconnue dans le monde entier, sont à l’abri de toute erreur humaine.
Si les autorités japonaises ont été assez naïves pour croire d’une seule coque pouvait permettre de confiner un réacteur, les autorités françaises ne font pas la même erreur. Les centrales françaises sont à double coque et leurs systèmes de sécurité sont à toute épreuve. Les experts sont formels sur ce point, aussi sûrs d’eux que l’était le professeur Pellerin quand il parlait des retombées radioactives.
C’est uniquement grâce à l’efficacité du formidable système de santé français que le nombre de cancers de la thyroïde a augmenté après 1986. Pour les experts de l’Institut national de veille sanitaire (InVS), établissement public placé sous la tutelle du ministère chargé de la santé qui a conseillé le gouvernement au moment de la grippe H1N1, c’est l’évolution des pratiques médicales qui a permis un meilleur dépistage de cette pathologie à l’origine de cette augmentation.
La justice française est des mieux armée et totalement indépendante pour gérer les affaires qui touchent à la santé publique, surtout lorsqu’elles s’accompagnent d’un volet politique.
Il n’y a pas eu de victimes de la catastrophe de Tchernobyl dans l’Hexagone grâce à des décisions gouvernementales, aussi discrètes que courageuses.

Douce France…

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Commentaires (2)

  • Jean-Claude Bourret

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    J’ai bien lu votre analyse et je partage le sentiment qui s’en dégage : face à des intérêt industriels importants il convient parfois de sacrifier la santé et la vie de quelques centaines de terriens.

    Juste avant votre article, je lisais les conclusions de la commission d’enquête sur l’accident de l’Airbus Rio Paris, ou il se dégage l’hypothèse que le logiciel de l’appareil d’une part et la formation des pilotes à certaines configurations de vol exceptionnelles d’autre part ,expliqueraient la catastrophe.

    Mais comme pour Tchernobyl, les immenses intérêts du constructeur seront préservés.

    Concernant Tchernobyl, je vous rappelle qu’après une enquête de cinq jours mobilisant l’équipe des journalistes du week end dont j’assumais la direction, j’ai convaincu le professeur Pellerin de venir en direct au 13h de TF1 un samedi pour révéler que le nuage avait bien traversé la France avec parfois des taux de radioactivité 400 fois supérieurs à la « normale ».

    Mais il faut comprendre que les journalistes ne savent plus faire des enquêtes.

    Ils sont formatés par les écoles dans le sens d’une soumission insidieuse au « système ».

    Par exemple, on leur apprend qu’on ne publie pas une information tant qu’elle n’est pas donnée par l’AFP.

    Ce qui veut dire implicitement qu’on leur interdit de faire leur propre enquête.

    Les journalistes sont devenus des lecteurs de dépêches.

    Si vous êtes attentif, vous constaterez en zappant, que les journalistes utilisent souvent les mêmes phrases d’un média à l’autre : normal, ils « recopient » l’AFP.

    Mais comme l’AFP est un goulot d’étranglement que tous les pouvoirs politiques essayent de contrôler, c’est finalement le pouvoir politique qui informe toutes les rédactions.

    Bien sur les confrères de l’AFP se battent pour essayer de garder leur indépendance.

    Et nous assistons, à l’AFP comme dans toutes les rédactions qui dépendent soit du pouvoir politique (France Télévision, Radio France) soit du pouvoir industriel (tous les autres médias)à un combat permanent pour la liberté d’informer.

    Mais en lisant le Nouvel Obs de cette semaine, vous aurez des exemples récents et concrets qui vous démontreront que le pouvoir politique, lui même dans la main des puissances industrielles , privilégie l’interêt financier à l’intérêt des peuples.

    Tchernobyl ne fait pas exception à la règle.

    Nous sommes face au monstre financier de l’énergie nucléaire.

    Il est hors de question de l’attaquer.

    En 1986 comme en 2011.

    Pouvez vous me dire si la catastrophe de Fukushima est terminée?

    Evidemment oui puisque plus aucun médias n’en parle!

    Or, quand on mène une enquête objective on découvre :

    -que cette catastrophe continue

    -que de la radioactivité mortelle continue de s’écouler et n’est toujours pas maîtrisée

    -qu’il faudra des « dizaines d’années et même des siècles  » -sans autre précision- pour revenir à une situation maîtrisée.

    -que la CRIIRAD a mesuré dans la cour d’une école maternelle située à des km de la centrale ebommagée, des taux de radioactivité très élevés, tandis que les enfants jouaient.

    Rien n’a changé, chers amis.

    Rien, sauf la circulation de l’information sur le web.
    C’est essentiel.

    Maintenant le privilège des journalites est accessible à tous : chacun peut s’informer instantanément.

    Mais merci de vous souvenir, qu’en 1986, malgré les pressions et l’apathie journalistique ambiante, j’ai fait mon travail de journaliste : informer en toute Liberté.

    Bonne journée à tous.
    Jean-Claude Bourret
    ancien rédacteur en chef de TF1 et présentateur

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  • Droit-medical.com

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    Il est assez facile de se faire une idée des journaux télévisés de l’époque, tout du moins concernant Antenne 2 (devenue France 2 depuis), grâce aux images d’archives du site ina.fr dont un dossier est consacré à l’accident de Tchernobyl. On y reconnaît Noël Mamère et Hervé Claude pour les journaux de 13 h.

    Pour ce qui est des journaux de 20 h, un moyen simple de regarder ceux d’Antenne 2 est d’utiliser la rubrique « Journal de votre naissance », toujours sur le site ina.fr.

    Le journal de 20 h du 1er mai 1986, tout particulièrement l’intervention d’Haroun Tazieff parlant d’exercices simulant une catastrophe dans une centrale nucléaire française ayant subi un tremblement de terre, et celui du 5 mai 1986 sont particulièrement intéressants. L’accident de Tchernobyl n’est évoqué pour la première fois que dans le journal télévisé du 29 avril 1986.

    Il ne nous a pas été possible de trouver un équivalent pour les journaux de TF1.

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