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Fin du parcours de soins en Slovaquie

Écrit par Thomas Rollin le . Dans la rubrique Evolution

Parcours du maladeEn Slovaquie, habituée à un système de santé étatisé hérité de son passé au sein de l’ancien « bloc de l’Est », il n’était pas question jusque-là pour un patient d’aller voir directement un médecin spécialiste s’il voulait être remboursé par l’assurance-maladie publique. Quant aux patients disposant d’une assurance privée complémentaire, c’est vers un médecin agréé qu’ils avaient l’obligation de se tourner pour que les dépenses engagées soient prises en charge. C’est à ce parcours de soins coordonnés, présenté en France comme une source d’économies de santé ces derniers temps, que le gouvernement slovaque vient de renoncer. Plutôt que de rembourser deux consultations (une chez le généraliste et une chez le spécialiste) et d’obliger les malades à perdre plusieurs heures dans la salle d’attente d’un médecin surchargé au risque de voir la propagation des virus et autres germes facilitée, les autorités slovaques ont décidé de modifier leur loi relative à l’assurance-maladie afin que l’accès direct au spécialiste puisse être pris en charge sans restriction.

Le ministre de la santé, Ivan Uhliarik, a justifié cette décision en expliquant que le parcours de soins coordonnés était une exigence absurde, pouvant conduire parfois des patients à renoncer à se faire soigner faute de pouvoir perdre une demi-journée entre le cabinet du généraliste, puis celui du spécialiste. Le gouvernement slovaque a choisi de faire confiance aux patients en leur permettant, en fonction des symptômes qu’ils présentent, de s’orienter directement vers le spécialiste qui leur semble être le mieux à même de les prendre en charge.

En France, le parcours de soins coordonnés a été instauré ces dernières années afin de « rationaliser les différentes interventions des professionnels de santé pour un même assuré », comme le précise la Direction de l’information légale et administrative. « Le respect de ce dispositif par l’usager de la santé conditionne la prise en charge normale de ses dépenses de santé par la sécurité sociale ». À part pour quelques spécialités, comme l’ophtalmologie, et sous certaines conditions (pour des problèmes de santé bien précis et non pour toutes les pathologies, comme le patient le croit parfois), l’accès direct aux spécialistes par le patient, pourtant libre de choisir son médecin, implique qu’il est moins bien remboursé. Il est obligé de passer par son médecin spécialisé en médecine générale afin que ce dernier l’adresse à un médecin spécialisé en autre chose… Une logique très loin d’être évidente quand on prend la peine d’étudier les arguments de ceux qui dénigrent ou, au contraire, qui défendent le parcours de soins coordonnés. Une pratique qui a toutefois conduit le système de soins anglais au bord du gouffre, obligeant les pouvoirs publics britanniques à revoir en profondeur la prise en charge des patients.

Rationalisation des soins ou libre choix du patient ? Reconnaissance du rôle fondamental du médecin spécialisé en médecine générale ou démagogie des pouvoirs publics à l’égard des généralistes pour mieux contrôler une profession tout entière ? Excellent moyen de faire des économies de santé ou subtile façon de décourager des malades à consulter ? Qu’en pensez-vous ?

La médecine de proximité du futur

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Chercher sur une carteComme prévu, le président de la République, quelques jours après la remise du rapport d’Élisabeth Hubert sur la médecine de proximité, est allé participer à une table ronde dans le Calvados à ce sujet. Animée par le député Claude Leteurtre, ces échanges ont permis au chef de l’État de répondre aux questions d’un jeune médecin généraliste tout juste diplômé, d’une infirmière libérale ayant occupé des fonctions syndicales, d’un médecin de famille plein d’esprit et d’une mère de famille, usager du système de santé comme il en existe des millions. Parfaitement mise en scène, cette réunion qui n’avait rien de spontané a permis de dresser la feuille de route des mesures que le Président entend demander à son gouvernement de prendre dans les semaines qui viennent.

C’est très clairement le rapport d’Élisabeth Hubert qui va servir de base à l’évolution de la médecine de proximité et tout doit aller très vite. Une loi devrait être votée avant la fin du premier trimestre 2011 dans ce domaine. Même si le temps de la concertation n’est pas terminé, il touche à sa fin. Pour que le calendrier soit tenu, les premières décisions vont être prises dans les semaines qui viennent.
À écouter le chef de l’État, la médecine de proximité semble se résumer à deux acteurs : le médecin généraliste et l’hôpital. L’un et l’autre se raréfiant dans les campagnes ou des les banlieues, pour des raisons souvent très différentes, on comprend facilement qu’il faille réagir, mais pourquoi ce silence sur les autres spécialistes de proximité ? Alors que l’ordre des médecins et la justice tendent à relativiser la notion d’omnipraticien pour optimiser la qualité des soins offerts aux patients, le pouvoir politique semble au contraire accorder toutes les vertus au généraliste omniscient. Il est vrai qu’après le couac de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1), mieux vaut brosser les spécialistes en médecine générale dans le sens du poil et ce n’est sans doute pas un hasard si la question de leur rémunération a été au centre des débats.

Si le président de la République a insisté sur le fait que le paiement à l’acte ne serait pas abandonné, il a montré sa volonté de voir les choses évoluer en matière de rémunération des professionnels de santé et tout particulièrement des praticiens. En plus de l’apparition de forfaits, il est question d’indemniser le travail qui est considéré comme une mission de service public. Pour Nicolas Sarkozy, une consultation de diagnostic ne devrait pas être payée de la même façon qu’une consultation visant à renouveler un traitement. Autre exemple : le temps consacré à des actes de prévention devrait être pris en compte dans la rémunération. Pour le président, les tarifs ne devraient plus être négociés tous les cinq ans à l’occasion de la reconduction de la convention entre les praticiens et l’assurance-maladie, mais évoluer au fil du temps. Les modalités d’une telle évolution restent néanmoins très floues, ce qui a de quoi inquiéter les médecins, d’autant que le chef de l’État reconnaît qu’ils sont habitués à entendre de belles paroles venant des politiques.

Le sujet de la formation des étudiants en médecine a aussi été abordé. Elle va être réformée pour faire une place plus grande aux stages chez le généraliste libéral. À cette occasion, les externes et les internes devraient avoir la possibilité de retrouver un peu d’humanité, selon le président de la République. Cela devrait aussi leur offrir la possibilité de se familiariser avec les nombreux formulaires et tâches administratives qui prennent près de 30 % du temps de travail des médecins de proximité et de beaucoup d’autres. À ce propos, le Président a annoncé qu’il avait chargé le ministre de la santé, Xavier Bertrand, de mettre en place avant la fin de l’année une « instance permanente de simplification » entre les représentants des médecins libéraux, l’assurance-maladie et l’État. Pour Nicolas Sarkozy, cette “paperasserie” est due à la solvabilisation de la clientèle des praticiens par l’assurance-maladie, à l’image de celle dont souffrent les agriculteurs depuis que des systèmes de subventions leur ont été proposés. Malgré tout, les premiers formulaires “inutiles” devraient disparaître début 2011.

Dernier point abordé ici : la délégation des actes de soins qui devrait être encouragée dans les semaines qui viennent pour répondre à la forte demande des professionnels paramédicaux. La notion de décret de compétences va vraisemblablement disparaître à l’occasion de la loi qui devrait être votée début 2011. Il est aussi question d’envisager qu’un professionnel libéral puisse travailler sous la responsabilité d’un autre libéral et de mettre en place une nouvelle entité juridique pour favoriser l’éclosion des maisons pluridisciplinaires. La volonté de faire réaliser des consultations par du personnel paramédical est nette. Que les paramédicaux libéraux n’aient pas plus envie que les médecins de s’installer dans des zones où règnent l’insécurité ou qui sont désertées par les services publics importe peu ; que des pans entiers de leur formation soient à revoir pour répondre aux nouvelles missions qu’on souhaite leur confier, pas plus. Que la qualité des soins puisse en pâtir, toujours aucune importance. Il est juste question d’utiliser le problème de la démographie médicale pour réaliser des économies de santé sur le tarif des actes remboursés… Et n’y a-t-il pas un petit côté démagogique à entendre le chef de l’État dire qu’il souhaite un pays où tout le monde est tiré vers le haut, où les aides-soignantes peuvent devenir infirmières, où les infirmières peuvent devenir médecins, où les médecins généralistes sont devenus des spécialistes en médecine générale ? Un discours similaire a celui de la directrice générale de l’organisation des soins à l’occasion d’une journée sur les protocoles de coopération entre professionnels de santé. Une remarque s’impose : s’il est question de tirer vers le haut les paramédicaux et les généralistes, il n’est jamais fait état d’offrir des possibilités de progression aux médecins des autres spécialités. Il est plus souvent envisagé des mesures visant à restreindre leurs prérogatives ou à leur imposer de nouvelles contraintes…

Plus qu’une médecine de proximité, c’est une santé de proximité qui semble se profiler. Si médecin est encore le métier qui a le plus de prestige aux yeux des Français, comme l’a rappelé Nicolas Sarkozy, il n’est pas évident qu’avec les réformes qui s’enchaînent, il le reste dans les années à venir. Certains préféreraient sans doute d’ailleurs lui voir se substituer le métier d’avocat…

 

Extrait de la table ronde organisée à Orbec (14) sur la médecine de proximité
à l’occasion de la visite du chef de l’État, le 1er décembre 2010

Intervention du Dr Stephanie, spécialiste en médecine générale, médecin de famille

L’intégralité de la vidéo peut être visualisée sur le site de l’Élysée.

La réforme de la santé au travail cachée dans celle des retraites

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Médecin de santé au travailQui aurait pu penser que la réforme de la santé au travail, dont on parle depuis plusieurs mois, se cacherait au sein du projet de loi portant réforme des retraites… Loin de la sérénité qui aurait pu être nécessaire à des décisions qui vont engager l’avenir de la médecine du travail, c’est en plein brouhaha social et médiatique concernant les retraites, sans parler des pressions subies par le ministre du travail dans le cadre de ce que l’on appelle l’affaire Bettencourt, que les débats parlementaires concernant la santé au travail ont eu lieu.

Les députés ont adopté le 15 septembre 2010 en première lecture le projet de loi portant réforme des retraites, après l’avoir amendé. Il doit maintenant être examiné au Sénat et rien ne dit qu’il restera en l’état, mais il est néanmoins intéressant de savoir à quoi ressemble le texte après les premiers débats.
C’est dans le cadre de la pénibilité du parcours professionnel, à l’article 25 et subsidiaires, que l’évolution législative relative à la médecine du travail trouve sa place. Il est d’abord prévu la création d’un carnet de santé au travail : il est constitué par le médecin du travail et doit retracer, dans le respect du secret médical, les informations relatives à l’état de santé du travailleur, aux expositions auxquelles il a été soumis, ainsi que les avis et propositions du médecin du travail, notamment les mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs. Ce carnet ne peut être communiqué qu’au médecin de son choix, à la demande de l’intéressé. En cas de risque pour la santé publique ou à sa demande, le médecin du travail le transmet au médecin inspecteur du travail. Ce carnet peut être communiqué à un autre médecin du travail dans la continuité de la prise en charge, sauf refus du travailleur. Le travailleur, ou en cas de décès de celui-ci, toute personne autorisée par le code de la santé publique, peut demander la communication de ce carnet.
Parallèlement à ce carnet, il est prévu que pour chaque travailleur exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels déterminés par décret et liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé, l’employeur consigne dans une fiche, selon des modalités déterminées par décret, les conditions de pénibilité auxquelles le travailleur est exposé et la période au cours de laquelle cette exposition est survenue. Cette fiche individuelle est établie en cohérence avec l’évaluation des risques, prévue à l’article L 4121-3. Elle est communiquée au service de santé au travail. Elle complète le carnet de santé au travail de chaque travailleur. Le modèle de cette fiche est fixé par arrêté du ministre chargé du travail.
Une copie de ce document est remise au salarié à son départ de l’établissement, en cas d’arrêt de travail excédant une durée fixée par décret ou de déclaration de maladie professionnelle. En cas de décès du travailleur ou d’incapacité supérieure à un taux fixé par décret, le conjoint, le concubin, la personne avec laquelle il a signé un pacte civil de solidarité ainsi que ses ayants droit peuvent obtenir, dans les mêmes conditions, cette copie.

Conformément à la loi actuelle, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces dernières devront maintenant tenir compte de la pénibilité au travail.
Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, quant à lui, procède déjà à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs de l’établissement ainsi qu’à l’analyse des conditions de travail. Il procède également à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposées les femmes enceintes. Il est prévu qu’il procède aussi à l’analyse de l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité.

Le médecin de travail n’est plus que l’un des éléments des services de santé au travail avec ce projet. Il est maintenant plutôt question d’équipes pluridisciplinaires.
Les services de santé au travail ont pour mission exclusive : de conduire des actions de santé au travail visant à préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ; de conseiller, notamment dans le cadre de leur action en milieu de travail, les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels et d’améliorer les conditions de travail, de prévenir ou de réduire la pénibilité au travail et de contribuer au maintien dans l’emploi, notamment des personnes âgées et des travailleurs en situation de handicap ; d’assurer la surveillance de l’état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur sécurité et leur santé au travail, de la pénibilité au travail et de leur âge ; de participer au suivi des expositions professionnelles et à la veille sanitaire et de contribuer à la traçabilité de ces expositions professionnelles.

Dans les services de santé au travail d’entreprise, d’établissement, interétablissements ou communs à des entreprises constituant une unité économique et sociale, les missions des services de santé sont exercées par les médecins du travail, en lien avec les employeurs et les salariés désignés pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels ou les intervenants en prévention des risques professionnels.
Pour les services de santé au travail interentreprises, les missions des services de santé au travail sont assurées par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail composée au moins de médecins du travail, d’intervenants en prévention des risques professionnels, d’infirmiers et, le cas échéant, d’assistants des services de santé au travail. Les services de santé au travail comprennent un service social du travail ou coordonnent leurs actions avec celles des services sociaux du travail externes. Toujours pour les services de santé au travail interentreprises, les missions de service de santé au travail sont précisées, en fonction des réalités locales, dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de moyens conclu entre le service d’une part, l’autorité administrative et les organismes de sécurité sociale compétents d’autre part, après avis des organisations d’employeurs et des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et des agences régionales de santé.
De nombreuses autres mesures pour les services interentreprises sont prévues par le projet de loi adopté à l’Assemblée.

Un accord collectif de branche étendu peut prévoir des dérogations aux règles relatives à l’organisation et au choix du service de santé au travail ainsi qu’aux modalités de surveillance de l’état de santé de certains travailleurs (artistes, techniciens intermittents du spectacle, mannequins, salariés du particulier employeur, voyageurs, représentants et placiers) dès lors que ces dérogations n’ont pas pour effet de modifier la périodicité des examens médicaux définie par le code du travail. Pour les mannequins et les salariés du particulier employeur, des médecins non spécialisés en médecine du travail peuvent signer cette convention.

Il est prévu que ce soit un décret qui détermine les règles relatives à l’organisation, au choix et au financement du service de santé au travail ainsi qu’aux modalités de surveillance de l’état de santé des travailleurs comme les salariés temporaires ou les travailleurs éloignés exécutant habituellement leur contrat de travail dans un département différent de celui où se trouve l’établissement qui les emploie, par exemple.

Dernier point intéressant, un décret pourra fixer les conditions dans lesquelles les services de santé au travail peuvent recruter à titre temporaire un interne de la spécialité.

Le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) a immédiatement réagi au texte adopté, estimant l’indépendance des médecins de santé au travail compromise. La lecture qui sera effectuée au Sénat sera donc décisive.

Explications sénatoriales à l’actuelle démographie médicale et taxe Bachelot

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

La taxe Bachelot votée par le SénatLes praticiens sont sans cesse montrés du doigt lorsqu’il s’agit d’expliquer l’actuelle démographie médicale. La stigmatisation est telle que l’on pourrait croire qu’ils sont à l’origine de leur propre déficit. Jacques Blanc, sénateur de la Lozère, appartenant à l’Union pour un mouvement populaire (UMP), lors des débats au Sénat sur le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), lutte contre cette idée reçue et analyse la situation de façon bien différente.

Voici un extrait de l’intervention au Sénat de Jacques Blanc lors de l’examen de l’article 15 du projet de loi, le 28 mai 2009, en présence de Roselyne Bachelot, ministre de la santé :

« D’une manière générale, un grand nombre de médecins exercent en milieu hospitalier, mais les médecins libéraux sont moins nombreux en zone rurale. Ce n’est pas une critique, c’est un constat.

Par ailleurs, la profession est féminisée à plus de 50 %. Ces femmes, et on les comprend, veulent maîtriser leur emploi du temps, et elles exercent donc souvent à temps partiel.

En outre, il existe des fonctions médicales dans divers secteurs.

Lorsque l’on compare le nombre de médecins en France et dans d’autres pays européens, il faut tenir compte de ces données. En fait, il n’est pas étonnant que l’on manque de médecins dans les campagnes, mais également dans certains secteurs urbains.

Pendant trop longtemps, madame la ministre, vos prédécesseurs ont cru que, en réduisant le nombre de médecins, on diminuerait les dépenses. Or, cette analyse est totalement fausse. C’est comme si l’on prétendait que l’on allait manger plus de pain parce qu’il y a plus de boulangers. Ce n’est pas parce qu’il y a plus de médecins que l’on dépensera plus ! Peut-être même est-ce l’inverse.

Si les médecins ne sont pas assez nombreux, ils sont surmenés. Faute de temps, ils multiplient les actes au lieu de procéder à un examen approfondi. Et ceux qui ont exercé la médecine savent qu’il faut parfois aller vite pour assurer toutes les visites et consultations !

En tout état de cause, mes chers collègues, il faut tordre le cou à cette fausse analyse ! »

Loin de tout clivage politique, cette analyse semble être approuvée par l’opposition puisque Jean Desessard, sénateur de Paris, a systématiquement abondé dans le sens de Jacques Blanc à ce sujet.

Les médecins ne sont donc pas en nombre suffisant en raison de décisions politiques ayant limité le numerus clausus durant de nombreuses années dans l’espoir de réaliser des économies de santé. Le numerus clausus a atteint son plus bas niveau en 1993. Moins de praticiens, cela voulait dire un accès plus difficile aux soins pour les patients et donc moins d’actes à rembourser… Face à ce constat, il est difficile de comprendre pourquoi ce serait aux praticiens de devoir être sanctionnés pour ces choix politiques inappropriés. C’est pourtant ce que les sénateurs viennent de faire en réintroduisant dans la future loi ce que certains appellent la « taxe Bachelot ». Après que la commission des affaires sociales a supprimé les dispositions relatives à la « contribution forfaitaire annuelle », pour les médecins refusant de signer un « contrat santé solidarité » les obligeant à aller exercer une partie du temps dans les campagnes ou les banlieues défavorisées, les sénateurs, à la demande du gouvernement, ont réintégré cette taxe dans la loi.

Il est à noter que cette taxe ne concerne pas que les médecins généralistes, qu’ils soient de premier recours ou non, mais tous les médecins libéraux des zones qui seront considérées comme surdotées. Les spécialistes en accès direct, qui sont amenés à donner les soins de premier recours prévus par la loi, ne peuvent s’estimer à l’abri, les spécialités de second recours, non plus.

Si tout le monde s’accorde à dire que la solution au problème démographique actuel n’est pas d’obliger des hommes et des femmes à aller travailler dans des quartiers ou des régions qu’ils n’auront pas librement choisis, malgré leur statut “libéral”, c’est pourtant la voie de la coercition qui semble s’imposer.

Parler dans le désert médical du Medec

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Mettre les banlieues et les médecins à la campagneLa conférence inaugurale du Medec, salon annuel destiné aux médecins généralistes, avait cette année pour thème la démographie médicale. Roselyne Bachelot devait l’honorer de sa présence, mais d’autres priorités l’ont obligée à se tenir éloignée du Palais des congrès de la Porte Maillot où se déroulait l’évènement. Après avoir acquiescé pendant une dizaine de jours aux critiques des députés envers les praticiens au cours de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) , il eût sans doute été délicat de se commettre avec les félons qui ruinent le système social français…

Il est peu probable que cette absence soit due aux critiques formulées par le Canard enchaîné concernant la compromission supposée des sessions de formation du salon avec l’industrie, puisque le soutien aux lobbys de l’agroalimentaire, de l’alcool en particulier, n’a rien de choquant sur les bancs de l’Assemblée ou au sein des ministères.

Que du beau monde pour parler dans le désert, ou plutôt du désert médical, puisque c’est vers là que semble aller la démographie médicale. Michel Chassang, président de la confédération des syndicats médicaux français ; Frédéric van Roekeghem, directeur des caisses d’assurances maladie ; Michel Legman, président de l’ordre national des médecins ; Marc Gentilini, président honoraire et membre de l’Académie nationale de médecine, président du Comité d’orientation médical et scientifique du Medec ; Jean Parrot, président de l’ordre national des pharmaciens ; Martial Olivier Koehret, président de MG France ; Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé ; Gérard Kouchner, président-directeur général de la division éducation et communication du groupe MediMedia France ont rivalisé dans l’art de la rhétorique pour expliquer à un auditoire contrit à quel point la situation était grave. Pour lutter contre la désertification des banlieues, il a été dit qu’il était fortement question de faire une équivalence entre DIS et DES ou que la consultation du spécialiste en médecine générale (C) devait être revalorisée au niveau de celles des autres spécialistes (CS), à moins que l’on ne dévalorise la CS pour la ramener au niveau de la C, ce qui plairait bien plus aux élus du peuple.
De nombreux constats ont été faits. Par exemple, que la médecine salariée est promise à un bel avenir, puisque même les médecins de la communauté européenne qui viennent s’installer en France choisissent ce type d’exercice. Les professions paramédicales sont pleines d’espoir, grâce à la délégation des tâches, que les ophtalmologistes ont eu la chance d’étrenner au profit des opticiens. Un point noir toutefois : les infirmières qui pensaient bientôt pouvoir réaliser les endoscopies digestives britanniques ont appris que même si elles réalisaient cet examen avec beaucoup de doigté, l’assurance-maladie n’y gagne rien, car l’examen dure plus longtemps que s’il est réalisé par un médecin gastro-entérologue.
Décharger les médecins de leur lourd fardeau est presque devenu une grande cause nationale. Les sages-femmes vont ainsi pouvoir prescrire des contraceptions et assurer des suivis gynécologiques et les infirmiers diplômés d’État (IDE) peuvent depuis peu pratiquer les vaccinations. Cette délégation des tâches n’est pas un transfert de compétences si l’on en croit l’administration, les élus ou même les leaders d’opinion du monde médical proches du pouvoir. La Sécurité sociale, elle-même, semble le confirmer puisque des médecins généralistes auraient reçu des listes de patients dans le but de vérifier qu’ils ont bien été vaccinés par les IDE.

Une note d’optimisme pour finir : cette réunion au sommet sur les déserts médicaux a fini par reconnaître que la densité médicale française est très supérieure en France à celle des autres pays de l’OCDE. Selonplusieurs observateurs présents sur le salon, la désertication galopante du Medec serait bien plus inquiètante que celle des campagnes hexagonales…

Rapport confidentiel sur les salaires des médecins

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Presse

Réduire la rémunération des médecinsQue voilà un rapport confidentiel sur le salaire des médecins qui tombe à pic ! Réalisé à la demande du gouvernement, ce rapport rédigé par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pourrait aider à mettre la pression sur les syndicats de médecins libéraux qui ne veulent pas plier dans l’affaire de la nouvelle taxe sur la démographie médicale. Il est d’autant plus facile à utiliser qu’il est confidentiel, ce qui veut dire que seuls les médias proches des milieux politiques pourront y avoir accès. Les fuites dans la presse écrite remplissent déjà plusieurs colonnes, mais deux interprétations différentes circulent.

La version qui devrait faire bientôt la une des journaux télévisés est consultable sur le site Doctissimo.fr, récemment racheté par le groupe Lagardère, réinterprétant l’article des Echos. Premier objectif : jouer sur la division des médecins, en mettant en parallèle les rémunérations des libéraux et des hospitaliers, mais aussi en cherchant à susciter de la jalousie au sein même de l’hôpital en insistant sur les revenus des praticiens ayant un secteur privé. Deuxième objectif : convaincre l’opinion publique grâce à une subtile comparaison avec le salaire moyen des Français et des interrogations sur l’accès aux soins. Dernier objectif : la régulation des dépassements d’honoraires, destinée à faire disparaître le secteur 2 est enfin mise en avant.

Autre réinterprétation de l’article des Echos qui devrait faire moins de bruit, celle du Figaro qui commence en reprenant l’information selon laquelle « S’il met l’accent sur les disparités et les incohérences des rémunérations, le rapport ne critique pas le niveau moyen des honoraires des spécialistes. Sur ce point, la France se situe « dans une situation intermédiaire » parmi 13 pays de l’OCDE étudiés [Organisation de coopération et de développement économiques, NDLR], note-t-il. » Cette version évoque aussi les activités annexes vers lesquelles se tournent les praticiens pour augmenter leurs revenus (expertises pour la justice, pour les assurances ou pour les laboratoires pharmaceutiques). On y apprend enfin que le paiement à la performance ne serait pas la solution idéale…

L’article des Echos brosse quant à lui le portrait d’un rapport très loin d’être accablant pour les médecins qui ne sont pas responsables des disparités qui touchent les rémunérations au sein de leur profession. Des solutions sont même proposées pour tirer vers le haut les revenus des praticiens les moins rémunérés afin de rétablir une certaine équité chez des professionnels qui ne comptent pas leurs heures, qui ont de lourdes responsabilités et qui investissent pour venir en aide aux patients qui continuent à leur accorder leur confiance.

Aucun de ces articles ne fait remarquer qu’en plus d’avoir une rémunération qui se situe dans une « situation intermédiaire » parmi 13 pays de l’OCDE, voire « parmi les revenus les plus bas des pays de l’OCDE » pour les généralistes selon Le Monde, les médecins français vivent dans un pays où le taux d’imposition est quasiment le plus élevé, toujours selon les chiffres de l’OCDE. Comparer le bénéfice non commercial (BNC) d’un médecin libéral au salaire d’un hospitalier est ridicule. Les chiffres fournis tiennent-ils compte des charges des uns et des autres ? Les différents articles manquent cruellement de précision à ce sujet. Ces données sont pourtant capitales, car elles modifient aussi complètement les comparaisons possibles entre les spécialités. Les radiologues ont une rémunération plus élevée que les dermatologues peut on lire. Est-ce la comparaison des BNC ? Est-ce après impôts ? Les investissements en matériel et en personnel pour ouvrir un cabinet de radiologie ne sont pas vraiment les mêmes. Les coûts d’entretien et de gestion ne sont pas non plus comparables. Les responsabilités qui en découlent ne sont pas les mêmes… Le chirurgien gagne plus que le gériatre. Est-ce choquant ? Les responsabilités de l’un et de l’autre sont importantes, mais il est bien plus rare qu’un gériatre se retrouve devant un tribunal. Le rapport de l’IGAS ne dit pas qu’il faut sanctionner les chirurgiens, il dit qu’il faut mieux considérer les médecins s’occupant des malades chroniques, ce qui est totalement différent de ce que semble souhaiter faire le gouvernement.

Y avait-il vraiment besoin d’un rapport pour remettre en cause la rémunération des médecins ? Le chef de l’État en a fait l’une de ses priorités. Une des raisons à cela pourrait être celle que développe Mathias Matallah dans son article « Qui veut la peau des médecins secteur 2 ? ». D’autres pistes sont possibles… Permettre aux complémentaires santé de faire de confortables économies, par exemple, puisque ce n’est pas l’assurance-maladie qui supporte le coût des dépassements d’honoraires, contrairement à ce que l’on tente de faire croire aux Français. Masquer les carences de l’État qui n’a plus les moyens d’offrir un service public sur l’ensemble du territoire et qui souhaite transférer cette charge sur les libéraux sans peser sur le budget des mutuelles et des complémentaires santé, adossées aux grands groupes financiers.

 

Mise à jour du 5 février 2009

Le rapport de l’IGAS n’est plus confidentiel et peut être téléchargé sur le site de La documentation française.