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Les recommandations HAS remises dans le droit chemin

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Jurisprudences

Chemin baliséQui aurait pu croire il y a encore quelques mois que les effets secondaires du Mediator affecteraient le président de la Haute Autorité de santé (HAS) ou, tout du moins, ses décisions ? Qui aurait pu imaginer que les « recommandations » de bonne pratique de cette instance officielle, imposées à tous les médecins dans un but d’uniformiser les dépenses de santé, sous couvert d’améliorer la qualité de la prise en charge en méprisant l’unicité de chaque patient, et reconnues par le Conseil d’État comme opposables aux praticiens, ne s’appuyaient pas toujours sur des fondements scientifiques transparents ? Qui aurait pu douter de la détermination des experts à faire passer l’intérêt des patients avant celui de l’industrie ou d’un besoin de reconnaissance que chacun trouve légitime ? Pas grand monde, si ce n’est quelques rares médecins qui semblent avoir continué à faire leur l’un des préceptes de leur Art, garder l’esprit critique, plutôt que de sombrer dans le conformisme bien pensant par facilité, par compromission ou au nom de la sauvegarde du spectre de notre système de protection sociale…

C’est en 2009, bien avant que n’éclate le scandale du Mediator, que le Formindep, association pour une formation médicale indépendante, a déposé un recours en Conseil d’État contre le refus par le président de la HAS d’abroger deux recommandations émises par ses services, la première concernant le traitement du diabète de type 2 et la seconde la maladie d’Alzheimer, pour non-respect des règles de déclaration de liens d’intérêts des experts les ayant établies. Un combat qui valait la peine d’être mené puisque le 27 avril 2011, le Conseil d’État a annulé la décision par laquelle le président de la Haute Autorité de santé a refusé d’abroger la recommandation intitulée Traitement médicamenteux du diabète de type 2 et l’a contrait à abroger cette recommandation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision. En ce faisant, le Conseil d’État a reconnu que « la recommandation litigieuse a été élaborée en méconnaissance du principe d’impartialité dont s’inspirent les dispositions rappelées ci-dessus [article L 161-44 du code de la Sécurité sociale et L 5323-4 du code de la santé publique, NDLR], en raison de la présence, au sein du groupe de travail chargé de sa rédaction, d’experts médicaux apportant un concours occasionnel à la Haute Autorité de santé ainsi que d’agents de la Haute Autorité de santé et de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé qui entretenaient avec des entreprises pharmaceutiques des liens de nature à caractériser des situations prohibées de conflit d’intérêts ».

Suite à ce camouflet et alors qu’une décision était attendue pour la recommandation Diagnostic et prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées, le président de la HAS a préféré couper court aux critiques. Dans un communiqué du 20 mai 2011, la HAS précise qu’elle retire cette recommandation de bonne pratique « dans un contexte d’exigence accrue en matière d’indépendance et de transparence des institutions et afin de restaurer la confiance avec les usagers du système de soins ». Prenant acte de la décision du Conseil d’État, la HAS décide par ailleurs de lancer l’analyse de toutes les recommandations élaborées entre 2005 et 2010 pour vérifier qu’elles sont conformes aux règles en matière de déclarations publiques d’intérêt. Cette mission est confiée au groupe Déontologie et Indépendance de l’expertise de la HAS présidée par Christian Vigouroux, conseiller d’État. La HAS suivra les conclusions de cette mission et s’engage à retirer immédiatement les recommandations qui seraient concernées et à réinscrire les thèmes à son programme de travail. » Il est aussi question d’un audit externe de ses procédures de gestion des conflits d’intérêts en 2012.

La décision du Conseil d’État a un autre intérêt, celui de préciser le rôle des recommandations de bonne pratique. Il considère que ces dernières « ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en oeuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édiction ». Il estime aussi « qu’eu égard à l’obligation déontologique, incombant aux professionnels de santé en vertu des dispositions du code de la santé publique qui leur sont applicables, d’assurer au patient des soins fondés sur les données acquises de la science, telles qu’elles ressortent notamment de ces recommandations de bonnes pratiques, ces dernières doivent être regardées comme des décisions faisant grief susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».

Malgré tout, les recommandations de bonne pratique ont encore de belles années devant elles. Beaucoup de médecins en redemandent, car il est plus simple de suivre une recette universelle toute faite que d’élaborer un diagnostic en tenant compte des spécificités de chaque patient, surtout quand cette réflexion chronophage, pourtant salutaire au malade, leur attire les foudres de l’assurance-maladie.
Les professions paramédicales en redemandent elles aussi. À l’heure où la délégation des tâches est portée aux nues, mieux vaut disposer de conduites à tenir élaborées par des experts pour pouvoir jouer au docteur sans trop engager sa responsabilité.
Les juristes en sont friands, habitués qu’ils sont aux normes, les utilisant pour faire condamner, plus souvent que pour défendre, les praticiens faisant preuve de sens critique (ou d’incompétence).
L’industrie les réclame, puisqu’elle ne doute pas un seul instant de réussir à nouveau à influencer d’une façon ou d’une autre leur contenu d’ici quelques mois.
La Sécurité sociale, les complémentaires santé et les décideurs, enfin, qui voient en elles un formidable frein aux dépenses de santé et la mise sous coupe réglée des professionnels de santé.
Médecine et indépendance ne sont décidément pas prêtes à ne plus être antinomiques…

Les recommandations de bonne pratique en médecine ne sont pas données

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Il est recommandé d'aller dans la bonne direction.En plus de s’être intéressé à la façon dont les liens d’intérêt peuvent influencer la rédaction des recommandations de bonne pratique en médecine, Roger Collier, journaliste au Canadian Medical Association Journal (CMAJ), a publié dans le numéro du 22 février 2011 de cette revue un article intitulé Clinical practice guidelines as marketing tools (Les recommandations de bonne pratique clinique comme outils marketing) sur lequel il peut être intéressant de se pencher.

Si, en France, la majorité des recommandations de bonne pratique est élaborée sous l’égide de la Haute Autorité de santé et financée par celle-ci, ce n’est pas le cas pour celles qui sont publiées chaque semaine un peu partout dans le monde. Être réalisées à l’aide de fonds publics pourrait donner l’impression que les recommandations hexagonales ne sont pas biaisées par l’industrie pharmaceutique, mais il faut comprendre que les travaux étrangers servent bien souvent de sources aux experts français, faisant ainsi d’eux, consciemment ou non, des relais d’une information sous influence. S’il est admis que les résultats d’essais cliniques tendent à favoriser ceux qui les financent, cet impact est rarement mis en avant lorsqu’il est question de recommandations de bonne pratique alors qu’elles sont largement utilisées par les médecins, quand elles ne leur sont pas tout simplement imposées. Elles jouent donc un rôle particulièrement important dans la prise en charge des patients.

Publier des recommandations de bonne pratique de qualité n’est pas chose aisée. Il s’agit souvent d’un processus long et coûteux, comme l’explique Roger Collier, processus qui oblige les auteurs qui se lancent dans l’aventure à trouver un financement pour mener à bien leurs travaux et y consacrer le temps nécessaire (de 18 mois à 3 ans, habituellement). En fonction du sujet traité, les besoins ne seront pas les mêmes, mais il arrive souvent que les promoteurs des recommandations soient contraints de se tourner vers l’industrie pour obtenir les fonds suffisants, surtout dans le cas de projets ambitieux portant sur la prise en charge globale de pathologies comme le diabète ou l’hypertension artérielle.

À quoi sert cet argent ? Il faut tout d’abord identifier de façon précise ce sur quoi vont porter les recommandations et identifier les priorités en tenant compte de l’avis des personnes concernées qu’il conviendra de cibler (médecins, patients, administratifs, etc.), effectuer un examen approfondi et systématique de la littérature scientifique sur le sujet choisi en remontant parfois sur plusieurs décennies, évaluer et faire la synthèse des preuves scientifiques ainsi recueillies, convoquer un groupe d’experts pour examiner ces preuves et formuler des recommandations cliniques, présenter ce travail à des experts “indépendants”, publier les recommandations et trouver les moyens de les diffuser pour qu’elles soient prises en compte par le plus grand nombre. Tout ceci a un coût.
Quand on est un médecin salarié et que cela ne pose pas de problèmes à l’organisation dans laquelle on travaille, il est aisé de participer à de tels travaux. Quand on travaille en libéral, le temps consacré à participer à des réunions de ce type est un manque à gagner. Si le promoteur des recommandations n’a pas prévu d’indemnisation, cela peut avoir un retentissement sur le recrutement des participants, voire même sur le fait qu’ils soient tentés d’accepter un financement extérieur pour participer tout de même à ces travaux. Doivent aussi être financés les coûts générés par la bibliographie qui peut nécessiter que l’on fasse appel à du personnel qualifié ; les déplacements et l’hospitalité offerts aux experts lors des indispensables réunions ; l’impression et la reliure des recommandations.

Pour le docteur Valerie Palda, directeur médical du comité consultatif relatif aux recommandations d’une organisation médicale indépendante canadienne, interrogée par Roger Collier, « L’édition n’est pas ce qui coûte le plus cher. Ce qui est le plus onéreux, c’est la revue systématique de la littérature et les réunions ». Pour elle, utiliser l’argent de l’industrie pour ça est acceptable si des garanties sont prises pour éviter les biais liés à ce financement. « Ce n’est pas trop de savoir si l’on peut accepter une aide financière de l’industrie qui importe, mais de savoir si on peut en atténuer l’impact ».

Des médecins, en toute bonne foi, pensent qu’il est possible de mettre ces garanties en place. Selon eux, il suffirait pour cela de bien encadrer l’élaboration des recommandations, de poser une question claire à laquelle on doit s’attacher de répondre sans s’écarter de cette problématique, publier la méthodologie afin que d’autres équipes puissent reproduire les travaux réalisés, de soumettre les recommandations cliniques à des experts indépendants de plusieurs spécialités et à de nombreux organismes de santé pour qu’ils les critiquent et les valident et, enfin, les publier dans des revues, comme le CMJA, spécialisées dans l’édition de ce type de travaux.
D’autres reconnaissent que le meilleur moyen d’éviter toute influence des laboratoires pharmaceutiques, c’est de trouver d’autres sources de financement. Mais cela serait plus facile à dire qu’à faire, s’empressent-ils d’ajouter…

Des assises du médicament en 2011

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Une gélule rouge et blanche parmi d'autresLa Mission Mediator et pharmacovigilance de l’Assemblée nationale a entendu Xavier Bertrand, ministre de la santé, le 15 février 2011. C’est ce dernier qui a souhaité être entendu rapidement dans cette affaire dans laquelle il a reconnu, au même titre que de nombreux anciens ministres de la santé, avoir sa part de responsabilité.

En préambule Xavier Bertrand a rappelé que la mission de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) n’avait pas pris fin avec la remise de son premier rapport, mais qu’elle se poursuivait afin de faire le point et des propositions concernant le fonctionnement de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Il a aussi insisté sur le fait que deux missions parlementaires étaient actuellement au travail suite à l’affaire du Mediator et que le travail de la justice suivait son cours.

Pour le ministre de la santé, le système de pharmacovigilance est à reconstruire. Avant l’affaire du sang contaminé toutes les informations sur un problème grave de pharmaco ou de matériovigilance remontaient au ministre ; suite à ce drame et à la mise en place de l’Afssaps, c’est aux experts que l’on a pris soin de déléguer les décisions. Pour Xavier Bertrand, il faut que la refonte du système actuel aboutisse à nouveau à une responsabilité politique, au gouvernement, mais aussi peut-être aux parlementaires. La nomination du nouveau directeur général de l’Afssaps par le ministre, en concertation avec l’Assemblée nationale et le Sénat alors que ce n’est normalement pas prévu par la loi, dans les jours qui viennent va d’ailleurs dans ce sens. C’est le nom de Dominique Maraninchi, professeur de cancérologie à la faculté de médecine de Marseille et actuel président de l’Institut national du cancer (INCa), qui a été soumis aux parlementaires.

Comme il faut des décisions radicales et rapides, des assises du médicament seront organisées cette année, si possible avant la fin du premier semestre, mais après la remise des conclusions des deux missions parlementaires qui se penchent actuellement sur la question. La loi pourrait ainsi être modifiée avant la fin de l’année 2011.

En plus de celles relatives au fonctionnement de l’Afssaps, des questions doivent se poser sur la procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments et de leur éventuel retrait, sur la remontée des alertes et leurs suites. Ce dernier point est important, car dans le cas du Mediator dix-sept alertes sont remontées avant que l’une d’elles soit prise en compte. Ce système pourrait notamment s’accompagner d’une justification du non-suivi ou d’une déclassification d’une alerte.
La prévention des conflits d’intérêts doit aussi être un sujet sur lequel des décisions devront être prises afin d’aboutir à une transparence “totale”. La solution la plus simple permettant de régler cette question serait, selon le ministre, de transposer « directement et complètement » le Sunshine Act, c’est-à-dire la loi américaine en matière de liens d’intérêts qui s’applique dans le secteur de la santé. Dans ce pays, il est obligatoire de déclarer ces liens d’intérêts à partir du moment où ils sont supérieurs à dix dollars et surtout il existe des sanctions pour ceux qui ne déclarent pas ces choses, ce qui n’est pas le cas actuellement en France.
Xavier Bertrand a précisé qu’il avait lui-même, alors qu’il n’y est pas obligé, rempli une déclaration de liens d’intérêts et qu’il a demandé à son épouse de faire de même. Tous ses collaborateurs ont dû s’exécuter et il a eu à faire des choix en raison des réponses des uns et des autres. Le ministre estime que les personnels travaillant au sein des cabinets ministériels ne devraient avoir aucun lien d’intérêts avec l’industrie pendant qu’ils sont en fonction. Depuis 1995, lorsqu’ils quittent leur poste, la Commission de déontologie, ayant pour rôle de contrôler le départ des agents publics et de certains agents de droit privé envisageant d’exercer une activité dans le secteur privé et dans le secteur public concurrentiel, doit intervenir pour donner son avis et pourrait voir ses compétences renforcées. Reste à savoir si ces mesures seront suffisantes au regard de ce qui s’est passé en début d’année pour le directeur général de l’Agence européenne du médicament (European Medicines Agency ou EMA), comme l’a rappelé Gérard Bapt, président de la mission parlementaire.

 

L’Agence européenne du médicament lève le voile

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Comprimés blancsL’Agence européenne des médicaments, encore appelée EMA (ou EMEA) pour European Medicines Agency, est « un organe décentralisé de l’Union européenne (UE) dont le siège est à Londres. Sa principale mission est la protection et la promotion de la santé publique et animale à travers l’évaluation et la supervision des médicaments à usage humain et vétérinaire », comme l’explique le portail de l’UE sur Internet. « L’EMA est chargée de l’évaluation scientifique des demandes d’autorisation européennes de mise sur le marché des médicaments (procédure centralisée). Lorsqu’il est recouru à la procédure centralisée, les sociétés ne soumettent à l’EMA qu’une seule demande d’autorisation de mise sur le marché. » La documentation qui lui est fournie à cette occasion est donc un élément qui peut être particulièrement important lorsqu’un effet indésirable est suspecté par des professionnels de santé. Si certains procédés de fabrication peuvent révéler du secret industriel et ne pas avoir à être exposés aux yeux de tous et tout particulièrement de la concurrence, beaucoup aimeraient que les essais cliniques des molécules demandant leur mise sur le marché fassent l’objet d’une plus grande transparence. Poussée en cela par le Médiateur de l’Union européenne suite à plusieurs refus opposés ces dernières années à des demandes justifiées, l’EMA a annoncé qu’elle rendrait accessible aux professionnels de santé et au public un plus grand nombre de documents en sa possession.

Pour les responsables de cette organisation, cette nouvelle politique répond à une volonté croissante de transparence et d’ouverture des citoyens de l’Union, des valeurs fondamentales qui sont inscrites dans le cadre réglementaire de l’Agence. Si ces principes ne sont pas respectés, il n’est pas possible de savoir sur quelles bases les décisions de l’EMA sont prises et de leur accorder le crédit qu’elles méritent. Néanmoins, afin de protéger les prises de décisions de toute influence extérieure, l’Agence ne publiera les documents qu’une fois la procédure concernant un médicament arrivé à son terme.

Les nouvelles consignes au sein de l’Agence sont de donner accès à tous les documents fournis par les entreprises à moins qu’il n’y ait nécessité de respecter des accords avec des instances de régulation non communautaires ou des organisations internationales, ou qu’il faille protéger la confidentialité et l’intégrité d’une personne physique ou morale. La consultation des documents soumis à l’Agence dans le cadre d’une demande d’autorisation de mise sur le marché, tels que les rapports d’essais cliniques, est maintenant possible, à condition que le processus de décision concernant cette demande ait été finalisé. Lorsque seules certaines parties d’un document contenant des informations ne peuvent être divulguées, l’Agence expurgera le document à protéger des données personnelles et des renseignements commerciaux confidentiels et offrira l’accès aux parties non confidentielles. Savoir si une information est confidentielle ou non est laissé à la discrétion de l’agence et il est question « de toute information qui n’est pas dans le domaine public ou accessible au public et dont la divulgation pourrait porter atteinte à l’intérêt économique ou la position concurrentielle du propriétaire de l’information » dans les nouvelles directives de l’EMEA. Les notes internes, les documents préparatoires ou tous les documents qui font apparaître un avis à usage interne à l’Agence ne seront pas non plus communiqués.

Par la même occasion, l’Agence européenne du médicament a annoncé qu’elle revenait sur le refus qu’elle avait opposé à des chercheurs danois concernant des résultats d’essais cliniques et des protocoles relatifs à deux médicaments destinés à lutter contre l’obésité. Elle avait jusque-là interdit l’accès à ces documents au motif qu’ils étaient susceptibles de porter atteinte aux intérêts commerciaux des fabricants. Ces données sont désormais disponibles.

Industrie pharmaceutique, journalistes et conflits d’intérêts

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Evolution

Des journalistes américains sous les feux des projecteursContrairement aux médecins français qui semblent ne pas savoir, pour la plupart, qu’il existe des textes de loi relatifs aux déclarations de conflits d’intérêts, malheur à leurs confrères américains qui négligent d’annoncer les leurs quand leurs interventions sont financées par l’industrie. Quand des praticiens manquent à leur devoir, la presse n’hésite pas à les épingler et à remettre en cause leur intégrité. Sur le Nouveau Continent, personne n’est choqué de savoir qu’un praticien travaille en collaboration avec l’industrie pharmaceutique et combien il touche d’argent pour ce faire à condition que cela soit fait en toute transparence.

Les États-Unis sont aussi un pays où le journalisme d’investigation a montré à de multiples reprises qu’il était un contre-pouvoir puissant, qu’il s’agisse du pouvoir politique ou de celui des lobbies industriels. Il faut dire qu’une réelle liberté d’expression y est garantie à tous, malgré la batterie d’avocats des uns et des autres, et que le politiquement correct, ainsi que les discours convenus, est loin d’être la préoccupation première de la majorité des médias. Les médecins en font aussi les frais, comme le rappelle l’un des derniers prix Pulitzer remis à une journaliste pour son article sur Internet dénonçant une sombre affaire d’euthanasie au lendemain du passage de l’ouragan Katrina sur la Floride.

Dans ces conditions, il est amusant de s’intéresser au blog d’Ed Silverman, journaliste outre-Atlantique, qui pointe du doigt une affaire qui pourrait embarrasser plusieurs de ses confrères spécialisés dans les rubriques santé. La presse américaine dénonce souvent le fait que l’industrie pharmaceutique puisse financer des actions de formation dédiées aux médecins, voyant en cela un déni de l’idée d’indépendance que l’on peur se faire de la fmc (formation médicale continue) ou du dpc (développement professionnel continu). Ed Silverman s’interroge donc sur le fait qu’un grand laboratoire ait subventionné à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de dollars, deux années de suite, une grande conférence sur le cancer destinée aux journalistes santé organisée par la National Press Foundation (NPF). Ce n’est pas l’idée même de cette conférence qui l’ennuie, c’est d’avoir constaté que 15 bourses ont été décernées par la NPF à des journalistes pour venir se former et écouter les allocutions d’experts à cette conférence. Même si le président de la NPF réfute tout conflit d’intérêts, comment ne pas s’étonner que ce qui est suspect quand cela concerne la fmc ne le soit pas quand il est question de la formation des journalistes… Un ancien professeur de journalisme de l’Université du Minnesota, Gary Schwitzer, va même plus loin en proposant aux journalistes de se regarder dans un miroir dans cette affaire. Il en va de leur crédibilité. Il leur demande même à ceux qui écrivent des articles sur le cancer et ses traitements et qui ont obtenu une bourse de la NPF d’indiquer au bas de leurs papiers qu’ils ont participé à un voyage tous frais payés pour assister à un séminaire parrainé par une société pharmaceutique. Pour lui, quel que soit le contenu de la conférence ou qui le contrôle, un industriel paie pour que les journalistes viennent découvrir un domaine dans lequel il a d’énormes intérêts.
Pour l’un des principaux responsables du laboratoire pharmaceutique finançant la réunion de la NPF répondant au BMJ, il est normal que son entreprise souhaite mobiliser et éduquer les journalistes pour qu’ils comprennent les enjeux. La vertu des journalistes est sauve…

Un rapport accablant du Conseil de l’Europe sur la gestion de la grippe A(H1N1)

Écrit par Charles Duchemin le . Dans la rubrique Humeur

Une seringue bien remplie« L’Assemblée parlementaire est alarmée par la façon dont la grippe pandémique H1N1 a été gérée non seulement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mais aussi par les autorités de santé compétentes tant au niveau de l’Union européenne qu’au niveau national. Elle s’inquiète notamment de certaines répercussions de décisions et d’avis ayant entraîné une confusion des priorités au sein des services de santé publique de toute l’Europe, du gaspillage de fonds publics importants et de l’existence de peurs injustifiées relatives aux risques de santé encourus par la population européenne.
L’Assemblée fait état d’un grave manque de transparence dans les prises de décisions liées à la pandémie, qui soulève des préoccupations concernant l’influence que l’industrie pharmaceutique a pu exercer sur certaines décisions parmi les plus importantes. L’Assemblée craint que ce manque de transparence et de responsabilité ne fasse chuter la confiance des citoyens dans les avis des grands organismes de santé publique. Cela pourrait se révéler désastreux en cas de nouvelle maladie de nature pandémique beaucoup plus grave que la grippe H1N1 », c’est ainsi que commence le rapport de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille du Conseil de l’Europe intitulé La gestion de la pandémie H1N1 : nécessité de plus de transparence.

Surprenant que de telles affirmations ne fassent pas la Une des médias, quand on se souvient du battage ou des déclarations des responsables politiques français ayant accompagné la campagne de vaccination contre cette grippe. Personne pour féliciter la majorité des médecins « de base » qui a refusé de céder à la panique, aux pressions politiques et de l’industrie, ou à son soi-disant devoir déontologique. De nombreux praticiens ont su garder un oeil critique malgré les dénigrements dont ils faisaient l’objet.

Aucune louange pour la Pologne et son ministre de la santé, médecin et non ancien visiteur médical, qui a su faire les bons choix alors que l’on tente de nous faire croire qu’à l’époque ce n’était pas possible. Seul le Conseil de l’Europe semble lui rendre hommage : « D’autres États membres ne se sont pas précipités pour agir suite à l’annonce de la pandémie. La Pologne, par exemple, est l’un des rares pays d’Europe à ne pas avoir acheté des vaccins en grande quantité en raison de craintes sur leur innocuité et de la défiance manifestée à l’égard des firmes pharmaceutiques qui les fabriquent. Lors de l’audition publique organisée par l’Assemblée à Paris le 29 mars 2010, la ministre polonaise de la Santé, Mme Ewa Kopacz, est revenue sur l’approche adoptée par la Pologne pour préparer la pandémie. Elle a expliqué qu’elle faisait l’objet d’une étroite collaboration avec le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCM) et les centres nationaux. Elle comportait une analyse approfondie veillant à dissiper tout sentiment de panique et de malaise social général au sein de l’opinion publique. La Commission polonaise sur la pandémie de grippe a identifié un groupe à haut risque de 2 millions de personnes et alloué des ressources pour l’acquisition du nombre nécessaire de vaccins. Toutefois, la ministre a estimé que les conditions offertes par les groupes pharmaceutiques pour l’acquisition des vaccins étaient inacceptables. Les vaccins ne pouvaient être achetés que par le gouvernement (ils ne pouvaient être commercialisés pour des particuliers) lequel devait endosser l’entière responsabilité de tous les effets indésirables du vaccin (lequel constituait visiblement une menace d’après le système Eudravigilence). Les vaccins affichaient en outre des prix 2 à 3 supérieurs à ceux pratiqués pour les vaccins pour la grippe saisonnière. Comme l’a elle-même souligné la ministre polonaise lors de l’audition publique en mars 2010, elle a pris la responsabilité – en tant que responsable politique et médecin – de ne pas accepter ces conditions pour ne pas être prise en otage par des groupes d’intérêts privés ou être contrainte de prendre des décisions majeures découlant d’annonces alarmistes. »

Pas de publicité, non plus, autour des choix faits par la France. Le Conseil de l’Europe est pourtant particulièrement critique : « Les chiffres dont on dispose pour la France montrent très bien jusqu’à quel point la pandémie H1N1 a pu être surévaluée, et quelles ont été les conséquences pour les budgets de santé publique […]. La France se retrouve en définitive avec une facture de santé publique pour les vaccins qui s’élève à 365 millions d’euros et avec un stock de 25 millions de doses de vaccins dont la durée de conservation expire fin 2010. Le rapporteur considère qu’avec du recul on peut considérer que la France n’est pas dans une position enviable. »
Ce ne sont pas non plus les conclusions de l’Assemblée nationale et de sa « Commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la Grippe A (H1N1) », qui doit présenter son rapport le 13 juillet 2010, qui devraient faire beaucoup de bruit dans l’Hexagone. Le 13 juillet, veille de fête nationale, qui y prêtera attention ? Peut-être la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, même si elle ne devrait pas être trop inquiétée par ses pairs désignés pour que les apparences soient sauves. Elle pourrait s’y intéresser, à moins qu’elle ne soit en vacances…

L’industrie pharmaceutique paye les médecins pour prescrire plus de médicaments

Écrit par Droit-medical.com le . Dans la rubrique Evolution

Les médecins russes achetés par l'industrie pharmaceutique ?Plusieurs milliers de médecins sont, d’une façon ou d’une autre, rémunérés par l’industrie pharmaceutique et certains ont même des formulaires imprimés prêts pour les laboratoires. « Ces revenus devraient être interdits par la loi et des règles de déontologie plus strictes mises en place ». « Il doit être mis fin à cette pratique déplorable ». C’est ce qu’a déclaré le premier ministre Vladimir Poutine à l’occasion d’une réunion sur le développement de l’industrie pharmaceutique, car il est question des professionnels russes et non des praticiens français, bien entendu.

L’ancien président russe va plus loin puisqu’il estime qu’un spécialiste, qui donne son avis en tant qu’expert ou qui participe aux commissions d’évaluation pour un nouveau médicament, ne doit pas être rétribué par les laboratoires. Actuellement, selon lui, les membres de ces conseils d’experts ne se soucient pas de la qualité des produits pharmaceutiques, mais soutiennent simplement le produit de la société qui leur verse une indemnisation.

Ces affirmations ne sont pas gratuites. La vente de médicaments aux particuliers est un marché qui devrait connaître une très forte croissance dans les prochaines années en Russie et Vladimir Poutine ne veut pas que ces dépenses impactent de façon importante le budget de l’État. Pour ne plus avoir à importer 90 % des médicaments utilisés pour répondre aux programmes fédéraux d’achat de médicaments, le premier ministre souhaite que ces derniers et surtout leurs génériques soient produits sur place. Il est prêt à investir 700 millions de roubles pour subventionner des prêts pour le développement technologique et l’amélioration des entreprises pharmaceutiques en Russie. Les usines russes ont besoin d’évoluer, car la plupart des médicaments fabriqués dans le pays ne répondent pas aux normes internationales. Pour voir leurs parts de marché augmenter, les laboratoires pharmaceutiques russes doivent améliorer leurs standards de qualité en s’alignant sur ceux des autres pays développés.

Enfin, la transparence et la concurrence doivent permettre au prix des médicaments de baisser. Dans la région de Chelyabinsk, il a suffi que le service “antimonopole” s’intéresse à la vente d’un important lot de médicaments pour que son prix soit divisé par cent. Une clarification des procédures sur le marché des produits pharmaceutiques est donc indispensable.

Dans un pays où l’alcool fait des ravages, où les discours politiques servent plus souvent à se donner une image qu’à promouvoir de réels changements et où la corruption est connue pour son ampleur, il n’est pas sûr que les paroles de Vladimir Poutine fassent réellement bouger les choses. Il est avant tout question d’exercer des pressions pour redistribuer les richesses du marché des médicaments vers des intérêts nationaux. Est-ce pour autant que de telles mesures profiteront à la population ? Rien n’est certain.
Vladimir Poutine semble vouloir s’inspirer de la politique menée par la France en pointant du doigt les médecins. Mais dans son cas, reprocher aux praticiens russes d’être corrompus, surtout si c’est vrai, aide peut-être à détourner l’attention de l’opinion de compromissions bien plus personnelles…

 

Pour ceux qui lisent le Russe, la source de cet article sur le site de RosBusinessConsulting.