Responsabilité médicale – Les arrêts de la Cour de cassation

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Des décisions récentes modifient la donne en matière de responsabilité civile médicale.

Ces arrêts servent de complément à l’article de Jérôme Monet « Les suites de l’arrêt Perruche et de la loi Kouchner« .
Ils ont été regroupés sur la même page afin de faciliter la tâche au lecteur. Ils peuvent être retrouvés dans leur intégralité sur Legifrance.

 Cour de cassation – Première chambre civile – Arrêt no 196 du 24 janvier 2006 02-12.260

Attendu que Mme Y… a donné naissance à une enfant présentant un spina-bifida avec myéloméningocèle ; que les époux Y… ont engagé contre M. X…, gynécologue obstétricien qui avait suivi la grossesse, et la société Le Sou médical, son assureur, une action en réparation de leur préjudice et du préjudice subi par l’enfant du fait de son handicap ; que l’arrêt attaqué a retenu que M. X… avait commis une faute en ne prescrivant pas d’échographie morphologique au terme de 20-24 semaines alors que cet examen aurait, avec deux chances sur trois, permis la découverte du spina-bifida et le recours de Mme Y… à une interruption thérapeutique de grossesse, débouté les époux Y… de leur demande en réparation du préjudice de l’enfant, condamné in solidum M. X… et la société Le Sou médical à indemniser les époux Y… de leur préjudice constitué par la perte d’une chance, avant-dire droit ordonné deux expertises sur la réparation de ce préjudice, condamné in solidum M. X… et la société Le Sou médical au paiement de dommages et intérêts provisionnels et débouté la CPAM du Loir-et-Cher de ses demandes contre M. X… et la société Le Sou médical ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident formé par M. X… et la société Le Sou médical invoquant l’application de l’article 1er-I de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui est préalable, après l’avertissement prévu à l’article 1015 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu qu’en l’absence de contestation que la faute commise par le médecin dans l’exécution du contrat formé avec Mme Y… aurait privé cette dernière de la possibilité de voir déceler l’affection de l’enfant et d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse pour motif thérapeutique et que les parents auraient ainsi subi un dommage correspondant à une perte de chance et donc à une fraction des différents chefs de préjudice résultant du handicap, les époux Y… pouvaient, avant l’entrée en vigueur de l’article 1er -I, demander la réparation des charges particulières découlant du handicap de l’enfant tout au long de la vie, causées par la faute retenue ;

Attendu que l’article 1er-I de ladite loi, déclaré applicable aux instances en cours, énonce que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité d’un professionnel de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap et que la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale » ;

Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d’un droit de créance en réparation d’une action en responsabilité, c’est à la condition, selon l’article 1er du protocole no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que tel n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que l’article 1er-I, en prohibant l’action de l’enfant et en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l’enfant tout au long de la vie, a institué un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale quand les époux Y… pouvaient, en l’état de la jurisprudence applicable avant l’entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur préjudice inclurait les charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant, du handicap ; d’où il suit, ladite loi n’étant pas applicable au présent litige, que le moyen est inopérant ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi formé par la CPAM du Loir-et-Cher :

Vu les articles 1147 du Code civil et L 376-1 du Code de la sécurité sociale ;

Attendu que pour débouter la CPAM de sa demande, l’arrêt attaqué relève que les dispositions de l’article L 376-1 du Code de la sécurité sociale ouvrant au bénéfice de la Caisse un recours contre le tiers auquel peut être imputé l’accident à l’origine de ses prestations, étaient manifestement inapplicables aux faits de la cause, l’état de l’enfant et celui de sa mère, n’étant pas la conséquence d’un pareil événement ;

Attendu, cependant, que dès lors que la cour d’appel a retenu que les parents avaient subi une perte de chance résultant de la faute commise par M. X…, les tiers payeurs pouvaient, au titre des prestations versées en relation directe avec le fait dommageable, exercer leur recours sur les sommes allouées en réparation de cette perte de chance, à l’exclusion de la part d’indemnité de caractère personnel ;

PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a débouté la CPAM du Loir-et-Cher de ses demandes, l’arrêt rendu le 22 octobre 2001, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Orléans, autrement composée ; […]

 Cour de cassation – Première chambre civile – Arrêt no 136 du 24 janvier 2006 02-13.775

Sur le moyen unique :

Vu l’article Ier du protocole no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ensemble l’article Ier I de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, devenu l’article L 114-5 du Code de l’action sociale et des familles, les articles 1165 et 1382 du Code civil ;

Attendu que Mme Y… a donné naissance, le 11 janvier 1996, à une enfant présentant de graves malformations de la colonne vertébrale ; que Mme Y… et M. X…, agissant tant en leur nom personnel qu’en leur qualité de représentants légaux de leur fille ont recherché la responsabilité de M. Z…, gynécologue-obstétricien qui avait pratiqué sept échographies ainsi que la réparation de leur préjudice moral et du préjudice subi par l’enfant du fait de son handicap, en faisant valoir que les échographies réalisées par ce praticien auraient dû permettre de diagnostiquer les malformations et d’envisager une interruption de la grossesse ;

Attendu que pour décider que M. Z… n’avait pas engagé sa responsabilité à l’égard de l’enfant, l’arrêt attaqué relève que les fautes retenues à l’encontre de ce praticien ne sont pas à l’origine des malformations dont est atteinte l’enfant et qu’il n’existe donc pas de lien de causalité entre ces fautes et le préjudice de cette dernière ;

Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin dans l’exécution de son contrat avec Mme Y… avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier pouvait, avant l’entrée en vigueur de la loi susvisée, demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ;
Attendu que l’article 1er I de ladite loi, déclarée applicable aux instances en cours, énonce que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité d’un professionnel de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap et que la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale » ;

Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d’un droit de créance en responsabilité, c’est à la condition, selon l’article 1er du protocole no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que tel n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que la loi susvisée, en prohibant l’action de l’enfant et en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l’enfant tout au long de la vie, a institué un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap, sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale, quand Mme Y… et M. X… pouvaient en l’état de la jurisprudence, applicable avant l’entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur fille serait indemnisée au titre du préjudice résultant de son handicap ;

D’où il suit que, ladite loi n’étant pas applicable au présent litige, la cassation est encourue ;

PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a débouté Mme Y… et M. X… de leur demande en réparation du préjudice subi par l’enfant, l’arrêt rendu le 11 avril 2001, entre les parties, par la cour d’appel de Reims ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ; […]

 Cour de cassation – Première chambre civile – Arrêt no 195 du 24 janvier 2006 01-16.684, 01-17.042

Donne acte à la Fondation Bagatelle et à Mme X…, épouse Z…, du désistement de leur pourvoi formé contre Mlle Aurélie Z… ;

Vu leur connexité, joint les pourvois no 01-16.684 et 01-17.042 ;

Attendu que Mme Z… a subi, alors qu’elle était enceinte, une biopsie placentaire qui a permis de constater une absence d’anomalie chromosomique du foetus mais a entraîné un décollement placentaire et une fissuration des membranes à l’origine d’une insuffisance de la quantité de liquide amniotique ; qu’à compter du 31 mai 1991, elle a été hospitalisée à la Fondation Bagatelle et suivie par Mme X…, médecin gynécologue, salariée de cet établissement ; que le 25 août 1991, à 30 semaines de grossesse, une césarienne a été pratiquée par Mme X… ; que l’enfant présentant des malformations des membres et des troubles respiratoires, les époux Z… ont engagé contre la Fondation Bagatelle et Mme X… une action en réparation de leur préjudice moral et du préjudice subi par leur fille ; que la Fondation Bagatelle a appelé en garantie la société Axa assurances, son assureur ; que l’arrêt attaqué (Bordeaux, 18 septembre 2001) a dit que la faute commise par Mme X… était à l’origine du préjudice subi par les époux Z… et leur enfant, constaté que Mme X… avait agi en qualité de salariée de la Fondation Bagatelle dans le cadre du contrat de soins passé entre cet établissement et Mme Z…, déclaré la Fondation Bagatelle responsable du dommage des époux Z… et de leur fille, dit que la société Axa assurances devait sa garantie à la Fondation Bagatelle et condamné cette dernière au paiement de provisions à valoir sur le préjudice corporel de l’enfant et sur le préjudice moral des parents ;
 
Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi formé par la Fondation Bagatelle et Mme X… :

Attendu que la cour d’appel a constaté, en se fondant sur le rapport d’expertise, que les séquelles présentées par l’enfant étaient en relation avec une pathologie liée à l’insuffisance de quantité du liquide amniotique, que la fuite précoce et chronique de ce liquide pendant la grossesse faisait courir le risque de malformations et de bronchodysplasie avec des conséquences cardiaques et respiratoires pouvant donner lieu à des séquelles neurologiques, que ces risques étaient tels pour le foetus qu’une interruption de grossesse pouvait être envisagée après quelques semaines en l’absence de reconstitution de ce liquide, que les échographies réalisées au cours de la grossesse de Mme Z… avaient révélé la diminution et certaines semaines l’absence de liquide amniotique, qu’en raison de la sévérité de l’insuffisance de quantité de celui-ci et de la forte probabilité que l’enfant fût atteinte d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic, une indication d’interruption de grossesse aurait donc pu être posée et que Mme X… aurait dû s’entourer d’avis techniques susceptibles de l’aider dans ce cas difficile ; qu’elle a encore constaté que Mme X… n’avait pas informé les parents des risques encourus par l’enfant alors que ses compétences médicales reconnues ne pouvaient lui faire ignorer les conséquences qu’il était possible d’en attendre et que les époux Z… lui avaient fait part de leur souhait de voir la grossesse interrompue en présence de risques pour l’enfant ; que la cour d’appel a pu en déduire que Mme X… avait ainsi commis une faute ayant empêché les époux Z… d’exercer leur choix de recourir à une interruption thérapeutique de grossesse dont les conditions médicales étaient réunies, ce qui justifiait la réparation de leur préjudice moral ; que les moyens ne sont donc pas fondés ;

Sur le premier moyen du pourvoi formé par la Fondation Bagatelle et Mme X…, pris en ses deux branches, et le moyen unique du pourvoi formé par la société Axa assurances :

Attendu que, comme l’avait retenu à bon droit la cour d’appel, dès lors que la faute commise par le médecin dans l’exécution du contrat formé avec Mme Z… avait empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse pour motif thérapeutique afin d’éviter la naissance d’une enfant atteinte d’un handicap et que les conditions médicales d’une telle interruption étaient réunies, l’enfant pouvait, avant l’entrée en vigueur de l’article 1er-I de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé demander la réparation du préjudice résultant de son handicap et causé par la faute retenue ;

Attendu que l’article 1er-I de ladite loi, déclaré applicable aux instances en cours énonce que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité d’un professionnel de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap et que la compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale » ;

Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d’un droit de créance en réparation d’une action en responsabilité, c’est à la condition selon l’article 1er du protocole no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que tel n’est pas le cas enl’espèce,dèslors quel’article1er-I,en prohibantl’action de l’enfant et enexcluantdu préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l’enfant tout au long de la vie, a institué un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale, quand les époux Z… pouvaient, en l’état de la jurisprudence applicable avant l’entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur fille serait indemnisée au titre du préjudice résultant de son handicap ; d’où il suit, ladite loi n’étant pas applicable au présent litige, que le premier moyen pris en sa première branche du pourvoi formé par la Fondation Bagatelle et Mme X… et le moyen unique du pourvoi formé par la société Axa assurances sont inopérants et que le premier moyen du pourvoi formé par la Fondation Bagatelle et Mme X… pris en sa seconde branche n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ; […]

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