Dépistage des pathologies professionnelles liées à l’amiante et responsabilité médicale : les doutes d’un médecin du travail

Écrit par Bertrand Hue le . Dans la rubrique La parole à...

Marie-Thérèse Giorgio, médecin du travail et webmaster du site Atousante.com, site spécialisé en santé au travail, a beaucoup étudié les questions relatives au dépistage des maladies professionnelles liées à l’amiante afin de répondre aux employeurs et salariés des entreprises dont elle assure le suivi et aux nombreux professionnels de santé qui posent des questions par Internet. Le docteur Giorgio a accepté de répondre aux questions de Droit-medical.com : nous l’en remercions.

 

Droit-medical.com – Si l’on fait abstraction du battage médiatique actuel, pensez-vous que les maladies professionnelles liées à l’amiante soient un véritable enjeu de santé publique ? Peut-on vraiment parler d’une épidémie de mésothéliomes 1 ?

Marie-Thérèse Giorgio – Compte tenu des délais de 30 à 40 ans pour l’apparition des maladies des travailleurs exposés à l’amiante, même de façon très brève, tous les professionnels de santé sont concernés par le dépistage des pathologies liées à l’amiante. Le Régime social des indépendants (RSI) a procédé récemment à une étude : 1 artisan sur 2 aurait été exposé à l’amiante durant au moins 25 ans. Jusqu’à présent il n’existait pas de suivi en santé au travail pour les artisans. L’incidence du mésothéliome augmente de 25 % tous les 3 ans. Il est difficile dans ces conditions de ne pas parler d’un problème de santé publique et d’une « épidémie ».

 

Droit-medical.com – Les médecins du travail et les médecins généralistes sont-ils suffisamment sensibilisés au dépistage des pathologies liées à l’amiante ?

Marie-Thérèse Giorgio – Les médecins du travail sont dans l’ensemble bien sensibilisés et informés. Les difficultés qu’ils rencontrent se situent au niveau des interventions sur le milieu de travail. En effet,  la législation stipule que le médecin du travail doit donner son avis sur le plan de retrait de l’amiante, et pour cela il doit visiter chaque chantier de désamiantage.
En pratique, cela est très difficile à réaliser : le médecin est averti de la date du chantier le plus souvent au dernier moment et se trouve parfois en consultation, donc non disponible pour se rendre sur le chantier ; d’autre part, de nombreuses entreprises de désamiantage interviennent sur des chantiers dans la France entière…
Par contre, il faudrait sensibiliser davantage les médecins libéraux à ce dépistage. Selon une étude conduite récemment menée par Alain Viau, médecin de santé publique à l’Observatoire régional de la santé Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), présentée lors des rencontres scientifiques de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset), les médecins de ville connaissent très mal le système de reconnaissance des maladies professionnelles, il en résulte une sous-déclaration des cancers bronchopulmonaires liés à l’amiante.
Une idée pourrait être intéressante : des médecins du travail du secteur du bâtiment ont récemment proposé un bilan de fin de carrière pour les personnes qui ont été exposées à l’amiante, afin d’organiser un suivi postprofessionnel 2.

 

Droit-medical.com – Faut-il avoir été exposé pendant longtemps pour que l’origine professionnelle soit reconnue ?

Marie-Thérèse Giorgio – Un mésothéliome peut être la conséquence lointaine d’une exposition brève à l’amiante et pas nécessairement d’une exposition habituelle, par conséquent pour la reconnaissance du mésothéliome au titre des maladies professionnelles, la Sécurité sociale admet qu’il soit fait exception à certaines dispositions 3,4,5.

 

Droit-medical.com – Dans une pratique courante en médecine du travail, quels sont les examens prévus pour le suivi des travailleurs de l’amiante ? N’existe-t-il pas un décalage entre les connaissances scientifiques d’une part et les textes en vigueur d’autre part ?

Marie-Thérèse Giorgio – L’amiante est toxique par inhalation et peut provoquer des pathologies respiratoires : certaines sont relativement bénignes, comme les plaques pleurales, d’autres très graves (cancer du poumon, cancer de la plèvre, fibroses comme l’asbestose).
Il semble exister effectivement un décalage entre la surveillance actuellement effectuée pour les salariés et les dernières recommandations de la Société de pneumologie de langue française (SPLF). Les médecins du travail s’inquiètent de ce manque de cohérence.
Actuellement au plan réglementaire, la surveillance médicale pour les salariés en activité exposés à l’amiante est dite renforcée et comporte un examen clinique, une radiographie pulmonaire de face (numérique ou analogique) et éventuellement une spirométrie (exploration fonctionnelle respiratoire). Cette surveillance n’est pas concordante avec les recommandations 2006 de la SPLF, qui suggère que le suivi postprofessionnel proposé aux personnes antérieurement exposées à l’amiante « comporte de plus en plus fréquemment une tomodensitométrie 6 thoracique initiale à partir de l’âge de 50 ans (selon un protocole d’examen et de lecture spécifique) », afin de mettre en évidence un épaississement pleural ou un épanchement pleural, signe de mésothéliome.
La radiographie pulmonaire est peu sensible pour détecter un épanchement pleural et diagnostiquer un mésothéliome. Elle ne permet de détecter que des formes sévères de fibroses pulmonaires ou pleurales. En effet, elle manque de sensibilité pour diagnostiquer des formes discrètes de fibrose, même dans des conditions de lecture standardisée.
La tomodensitométrie thoraco-abdominale est un examen clé de l’imagerie diagnostique du mésothéliome pleural, même si elle ne permet pas à elle seule un diagnostic de certitude. Les nouveaux appareils délivrent des doses de rayons X très faibles et ne présentent plus les inconvénients des anciens matériels.

 

Droit-medical.com – Certains organismes ne font appel qu’au scanner spiralé dans le cadre du dépistage des patients. Ne pas utiliser ce moyen de dépistage pourrait-il être considéré comme une faute, selon vous ?

Marie-Thérèse Giorgio – Pour les artisans, exposés à l’amiante, le suivi instauré par le RSI, dans certaines régions de France, comporte exclusivement un scanner spiralé comme examen complémentaire 7. Cette surveillance semble plus en accord avec les dernières recommandations de la SPLF. A noter que le RSI n’instaure cette prévention que pour les artisans qui viennent de partir à la retraite, les retraités de longue date ne sont pas suivis.
Dans le même temps, le Régime social des indépendants conduit une réflexion pour assurer le suivi en santé au travail des artisans, puisqu’il n’existe pas d’équivalent à ce qui se fait pour les salariés.

 

Droit-medical.com – Certaines pathologies bénignes liées à l’amiante sont indemnisées. Que faut-il en penser ?

Marie-Thérèse Giorgio – Les pathologies bénignes sont représentées par les plaques pleurales. Elles sont présentes chez 8 à 50 % des exposés, elles ne constitueraient pas un facteur de risque supplémentaire de mésothéliome ou de cancer bronchique.
Selon la Société de pneumologie de langue française, il n’existe pas d’argument médical pour envisager leur dépistage, car le dépistage peut avoir des répercussions psychologiques négatives.
Néanmoins, il faut préciser qu’un salarié porteur de plaques pleurales, donc d’une pathologie liée à l’amiante, même si elle est bénigne, peut prétendre à une retraite plus précoce dans le cadre d’une cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (arrêter son activité professionnelle à 50 ans au lieu de 60 ans) 8. Cet employé peut aussi prétendre à une indemnisation par le Fonds d’indemnisation pour les victimes de l’amiante (FIVA) : environ 20 000 € pour des plaques pleurales.

Droit-medical.com – Concernant le travail de l’amiante, il a fallu plusieurs dizaines d’années pour qu’une prise de conscience n’intervienne et pour que la responsabilité des médecins du travail ne soit engagée. Y a-t-il des matériaux utilisés actuellement qui pourraient poser le même type de problèmes dans les années qui viennent ?

Marie-Thérèse Giorgio – Actuellement, amiante, benzène, rayonnements ionisants et poussières de bois couvrent, à eux seuls, 98 % des cancers d’origine professionnelle avérés.
Les médecins du travail se demandent s’ils ne pourraient pas être mis en cause dans les années à venir, avec les produits de substitution de l’amiante ou avec les nanoparticules.
Les produits de substitution de l’amiante : la laine de verre ou la laine de roche, par exemple, sont des fibres minérales artificielles utilisées comme isolant en remplacement de l’amiante. Certaines d’entre elles sont classées cancérogènes.
Les produits de substitution de l’amiante ne sont pas toujours dénués de toxicité. Il faut rester très vigilant à leur égard.
Les nanoparticules encore appelées particules ultra-fines ont envahi notre quotidien et le monde du travail : ce sont des facteurs de risque potentiels pour la santé. Leur dimension nanométrique leur confère une toxicité que nous ne connaissons pratiquement pas.
Il est conseillé de partir du principe qu’une particule nanométrique a très probablement une toxicité bien supérieure à celle d’une particule « classique ».
Tout comme dans les années 70, on a laissé des salariés travailler au contact de l’amiante, sans protection, car on en ignorait alors les dangers, on laisse aujourd’hui des employés travailler au contact des nanoparticules avec des protections individuelles dont on n’est absolument pas certain qu’elles soient vraiment efficaces puisqu’une nanoparticule peut pénétrer là ou un gaz ne peut pas pénétrer…
Ne répète-t-on pas aujourd’hui avec les nanoparticules les erreurs commises il y a 30 ans avec l’amiante ? Espérons que les décideurs politiques suivront très rapidement les recommandations de l’Afsset qui précise dans son rapport du 11 juillet 2008 qu’ « au vu des incertitudes quant aux effets sanitaires des nanoparticules, il est plus prudent de déclarer les nanoparticules comme « niveau de danger inconnu » et de les manipuler avec la même prudence que les matières dangereuses, c’est-à-dire d’appliquer les procédures de sécurité sanitaire qui sont utilisées pour diminuer l’exposition aux matières dangereuses » 9.

 

 


1 – Cancer caractéristique de l’exposition à l’amiante, touchant principalement la plèvre du poumon, plus rarement le péritoine ou le péricarde.

2 – Lire sur le site de l’Institut de santé au travail du Nord de la France : « Le bilan de fin de carrière en vue d’organiser le suivi post-professionnel ».

3 – Extrait de la charte rédigée par la Sécurité sociale à propos des particularités des maladies professionnelles liées à l’amiante : « […] le caractère habituel de l’exposition n’est pas déterminant et une exposition professionnelle même ponctuelle est suffisante pour admettre son origine professionnelle ; une instruction simplifiée du dossier est recommandée notamment dans certaines situations qui doivent conduire à reconnaître la réalité de l’exposition […] ».

4 – Procédure de déclaration et reconnaissance au titre des maladies professionnelles sur le site Atousante.com.

5 – Déclarer une maladie professionnelle pour les bénéficiaires de la Mutuelle sociale agricole.

6 – encore appelée TDM ou scanner.

7 – « ESPrI », le programme de dépistage du RSI, sur le site du Régime social des indépendants.

8 – Les informations sur le site du ministère du travail.

9 – « Les nanoparticules », rapport de l’Afsset, juillet 2008.

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Commentaires (4)

  • GAUTHIER MICHEL

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    bonjour , mon neveu travaille dans un garage au plafond amianté depuis 1995 , svp à qui signaler cette anomalie svp :préfecture , sécurité sociale ,ddass? merci de répondre 04 91 75 18 54

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  • NiciSi

    |

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  • GRACE25

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  • N.D.

    |

    Bonjour,
    J’ai 44 ans, je suis fonctionnaire de l’Education nationale et ai travaillé 8 ans dans un préfabriqué qui va être bientôt démoli. Des personnels municipaux avait fait un premier état des lieux en rapport avec la présence « éventuelle » d’amiante. Rien nous nous a été signalé.
    Notre équipe a déménagé et hier, j’ai appris par des personnes « proches » des services municipaux que j’avais de la « chance d’avoir quitté les lieux » En effet, les travaux de démolition à l’intérieur auraient débuté et en retirant des gaines électriques du plafond (dalles qui par exemple dans mon bureau étaient détériorées mi sectionnées pour faire passer les câbles…), ils se seraient aperçus que l’amiante était présente en quantité importante !
    J’ai travaillé dans ce lieu 40 heures par semaine, y ai pris mes repas (pendant 8 ans). Mes autres collègues y ont travaillé 2 voire 3 ans.
    Ce bâtiment se trouve près d’une maternelle et d’une école élémentaire.
    Ils vont prendre les précautions qui s’imposent pour la démolition.
    Mais en ce qui concerne ma santé ? Pourquoi aucune information ne nous est parvenue ? y a-t-il un seuil d’alerte ? Un dépistage existe-t-il avant que 20 ou 30 ans se passent ? Comment obtenir les documents relatifs à l’état des lieux ? Je rappelle que « nous » étions locataires de bureaux appartenant à la mairie…
    Je ne suis pas rassurée mais j’aimerais agir avant la destruction de ce préfabriqué, avant de n’avoir plus de preuves…
    Merci pour votre aide.
    Cordialement,

    N.D

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