La violence en médecine

Écrit par Bertrand Hue le . Dans la rubrique La parole à...

Eric Baccino, professeur des universités à la faculté de médecine de Montpellier et chef de service de médecine légale au centre hospitalier universitaire Lapeyronie, qui a coordonné un ouvrage intitulé « Médecine de la violence », a accepté de répondre aux questions de Droit-medical.com.


Ce travail aborde les différents aspects de la prise en charge des victimes et des agresseurs par les médecins, mais aussi par l’autorité judiciaire. Il permet une mise au point sur des sujets pratiques comme la conduite à tenir pour un médecin lorsqu’il doit rédiger un certificat de décès, lorsqu’il est confronté à une victime d’agressions sexuelles, de violences physiques ou de psychotraumatisme ou qu’il doit évaluer un préjudice. Le médecin, lui-même victime d’agression, n’est pas oublié. La deuxième partie du livre concerne la prise en charge par le médecin des personnes en garde à vue, des individus ivres sur la voie publique et son rôle face à la prise d’alcool et de stupéfiants au volant. Cette partie évoque aussi un aspect méconnu de la pratique médicale : la « médecine en milieu pénitentiaire ou comment soigner en prison ». La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à d’autres aspects pratiques de la médecine légale et du droit médical comme l’application du secret médical, la responsabilité médicale au quotidien, la rédaction de rapports médico-légaux, le signalement ou l’estimation de l’âge chez le vivant. Un livre de référence didactique et très pratique à l’usage de tous les praticiens, des juristes et de tous ceux qui s’intéressent au droit médical et à la médecine légale1.

Droit-medical.com. Vous rappelez dans votre ouvrage qu’en 2004 la France a connu 518 100 décès, donnant lieu à autant de certificats de décès. L’un des points clés de leur rédaction est l’évaluation d’un obstacle médico-légal. Que pouvez-vous dire sur ce sujet souvent délicat ?

E. Baccino. En France, nous n’avons pas de définition claire de ce qu’est un obstacle médicolégal puisque cela renvoie à des notions comme « mort suspecte », « mort violente », etc. Il existe au niveau européen [[Recommandation européenne n°R(99)3, relative à l’harmonisation des règles en matière d’autopsie médico-légale du conseil de l’Europe du 2 février 1999.]] ou en Californie, par exemple, une liste précise des circonstances qui posent un problème médico-légal : mort en prison, mort sur la voie publique, mort d’un mineur, etc. Cela n’existe pas dans notre pays et le déplacement sur les lieux se termine donc souvent en dialogue entre le médecin et l’enquêteur ou le magistrat avec une prise de décision « obstacle » ou « non obstacle » en urgence, souvent dans de mauvaises conditions, ce qui fait que l’on a peu de reproductibilité des décisions. In fine, nous nous retrouvons dans le pays où il y a quasiment le moins d’autopsies (90 000 autopsies médico-légales par an au Royaume-Uni et 8 000 en France). Vous pouvez trouver dans le livre une liste des circonstances qui me semblent propres à déclencher une autopsie médico-légale.

Droit-medical.com. L’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France révèle que « durant leur vie, 3,6 % des femmes sont victimes de viol et 11, 4 % d’agression sexuelle. Quelles sont les erreurs à ne pas commettre en matière de constatations dans l’un de ces cas ?

E. Baccino. La première erreur serait de ne pas prêter attention à une plainte de ce type. Il faut, en urgence, être très attentif à la patiente sans faire preuve de parti pris. Le gros problème est que ces femmes hésitent souvent à porter plainte ou à se signaler (10 à 20 % seulement vont porter plainte). Lorsqu’elles se décident à le faire, il est nécessaire qu’elles soient bien accueillies, et ce rapidement, afin qu’elles ne se rétractent pas et qu’elles ne retombent pas dans le silence.
Une autre erreur serait de perdre du temps. Pas pour une question d’empreintes génétiques (dans la majorité des cas, l’agresseur est connu et le problème concerne l’absence de consentement et non l’identification) mais surtout pour constater les blessures et les traces de défense. Cela n’empêche pas de pratiquer les prélèvements (ADN, infections sexuellement transmissibles) en plus de l’examen clinique. Il faut aussi demander une recherche de toxiques urinaires et sanguins car il existe un pourcentage non négligeable de viols sous influence.

Droit-medical.net. Pouvez-vous faire le point sur la notion d’incapacité temporaire de travail ?

E. Baccino. Le code pénal nous parle d’incapacité totale de travail (ITT). C’est un concept très mal compris des médecins parce que l’ITT, telle qu’elle est définie dans le code pénal, ne correspond en fait pas au travail. Seul un français sur quatre travaille, or tous les français doivent être protégés des violences volontaires. La notion de huit jours d’ITT ne repose pas sur le travail, elle repose sur l’aptitude à se livrer seul et de façon autonome aux activités quotidiennes et essentielles (se laver, s’habiller, se nourrir, susciter des secours, etc.). Le concept que je conseille d’utiliser est de se demander si, pendant la période considérée, la personne était apte à vivre seule ou non. C’est, en général, la façon d’obtenir des ITT reproductibles. Si la personne peut vivre seule, elle n’est pas en ITT. Si elle a besoin de l’aide d’une tierce personne pour l’aider dans sa vie quotidienne, elle est en ITT. Par exemple, avoir besoin de cannes anglaises pour vous déplacer fait qu’une tierce personne vous est nécessaire pour porter des charges, vous êtes alors en ITT.

Droit-medical.com. « Un médecin sur trois est victime de violence ». Que conseiller à un praticien confronté à une telle situation ?

E. Baccino. D’abord la prévention. Il faut connaître les cas de figure où l’on suscite de la violence : l’attente excessive  ou le refus de certificat par exemple. Il faut présenter ce genre de choses de façon acceptable au patient.
Il faut savoir minimiser la présentation des violences : ne pas provoquer le patient. Il faut, non pas subir, mais accepter les reproches pour rester au niveau de la discussion afin d’éviter le passage à l’acte violent. Prendre le patient de haut augmente ce risque.
Il faut enfin ne rien laisser passer, même si cela n’est pas toujours facile. Il faut porter plainte et prévenir le conseil de l’Ordre qui doit assister le médecin. Quand vous habitez un quartier difficile, avec la famille de la personne qui vous a menacé vivant au coin de la rue, porter plainte est une prise de risque. Les représailles contre vous sont toujours possibles. Les médecins hésitent donc et préfèrent quitter le quartier. La violence envers les médecins est l’un des principaux facteurs de l’inégalité devant les soins. J’ai vu un certain nombre de cas où, en fonction du quartier, les ambulances ou les médecins refusent de se déplacer. Il y a, en France, des zones où la santé n’a plus accès à cause de  la violence.

Droit-medical.com. Une question pratique : quelles sont les possibilités pour un médecin de s’assurer de l’identité d’un patient ou d’un ayant droit ?

E. Baccino. Il faut demander une pièce d’identité au patient. Lorsque l’identité est un facteur crucial (remise du dossier du patient, rédaction de certificat par exemple), si vous n’avez pas l’identité, vous ne faîtes pas ce que l’on vous demande. Pour un certificat, soit la personne accepte spontanément de vous prouver son identité, soit  vous ne pouvez pas certifier de l’identité de la personne et vous utilisez les termes « une personne disant s’appeler ».

Propos recueillis par Bertrand Hue

 

 

 


1 : Médecine de la violence : Prise en charge des victimes et des agresseurs par E Baccino. Masson 2006, collection Abrégés. 358 pages.

 


Voir aussi « Résultats 2006 de l’Observatoire pour la sécurité des médecins »

 

 

Tags :, ,

Trackback depuis votre site.



Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.