Les publications médicales devant le juge

Écrit par Bertrand Hue, Jérôme Monet le . Dans la rubrique La forme

Vaste domaine que le droit médical ! Jungle impénétrable ou territoires vierges, propres à tous les fantasmes et les a priori pour bon nombre d’entre nous alors qu’il n’en est rien pour peu qu’on veuille bien s’y intéresser un peu.


Alors que dans sa pratique quotidienne, quasiment tous ses actes sont susceptibles d’être jugés et d’engager sa responsabilité dans le cadre du contrat médical implicite passé avec un patient, le praticien ne prête guère d’attention aux règles de droit. Comment pourrait-on lui en vouloir face à la charge de travail, aux soucis administratifs et à la volonté de s’inscrire dans une dynamique de formation continue ?

Le médecin a toujours l’impression qu’il agit dans l’intérêt du patient. Malheureusement le juge qui, en France, se doit de juger « en bon père de famille » ne voit pas nécessairement les choses de la même façon !
Face à un problème le praticien, de par sa formation, va réagir en scientifique. Il va se baser sur ses connaissances, sur son expérience et sur ses convictions.
Mais les connaissances d’un médecin ne sont pas celles du citoyen « moyen », « bon père de famille » !
L’exemple le plus frappant est sans doute celui du langage. A quoi bon expliquer un traitement ou un acte chirurgical si l’on utilise des mots qui certes vont impressionner le patient mais qu’il ne comprendra que très vaguement !

Bien sûr, le juge qui ne peut tout connaître se fait aider d’un ou de plusieurs experts. Dans la grande majorité des cas, il se rangera à l’avis de l’expert désigné. Mais il ne faut pas oublier que les différentes parties en présence peuvent elles aussi faire appel à des experts ! Notre art n’étant pas une science exacte, les conclusions des experts sont parfois différentes et le magistrat juge en toute indépendance. Il n’est pas tenu de suivre l’avis du ou des experts pour décider s’il y a faute ou non.

L’appréciation d’une faute est toujours délicate et si durant bon nombre d’années en droit la seule « faute lourde » pour les médecins était sanctionnable, il n’en est plus de même. En effet depuis une dizaine d’années, la « faute simple » suffit à condamner un praticien, voire même la simple présomption de faute. Encore plus récemment  nous en sommes arrivés à la responsabilité médicale sans faute avec l’apparition de la notion d’alea thérapeutique.
Mais ces notions ne sont pas faciles à appréhender pour un non juriste. D’autant plus qu’il faut bien différencier la faute de l’erreur, insuffisante pour condamner,  principalement en matière de diagnostic comme l’a rappelé, par exemple, le tribunal d’instance de Saint-Dizier1.
Prenons un autre exemple : ne va-t-on pas me reprocher de ne pas avoir utilisé la technique la plus récente pour opérer le patient ? Ou le traitement qui vient d’être développé au Japon et dont l’un de nos confrères, en mal de publicité, a parlé au journal de 20 heures ?
Le code de la santé publique de par l’article L 1110-5 est précis dans ce domaine : « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéficie escompté […] »
La jurisprudence est aussi là pour nous éclairer.
Le juge n’a pas à apprécier les différentes théories médicales et doit respecter le principe de liberté thérapeutique. Il va donc comme nous l’avons vu avoir besoin d’un expert. Mais la question qui est posée c’est « Le praticien a-t-il manqué aux données non pas ou non plus actuelles, mais acquises de la science2 ? Ces données sont multiples, parfois « normalisées » ; l’important est leur certitude au moment de l’acte, leur caractère acquis, que la Cour de cassation a préféré au caractère « actuel », plus dynamique certes, mais, pour elle, plus dangereux, plus éloigné du principe de précaution. »3. Comme le pensent plusieurs juristes, cette arrêt a pour but d’endiguer les flot de directives médicales modernes (bonnes pratiques médicales, R.M.O.) dont l’infaillibilité n’est pas établie et qui pourraient remettre en cause notre liberté thérapeutique ! Le juge se doit de ne pas suivre l’avis des experts s’il est convaincu que la pratique usuelle est prudente et raisonnable.
Se référer à Medline, bien que tentant pour notre intellect scientifique, n’influencera pas le juge. Ce dernier ne peut argumenter à partir d’ouvrages médicaux.
L’appréciation de la faute est par principe une appréciation in abstracto, par référence au bon père de famille vu plus haut. Le bon père de famille se transforme dans ce cas en médecin avisé. La conduite de du praticien sera jugée en tenant compte de ce qu’aurait fait abstraitement, à sa place, dans les mêmes circonstances un autre professionnel, consciencieux et averti. Il faut toujours avoir à l’esprit que le médecin se doit de prodiguer des soins consciencieux et attentifs.
Plus que Medline ou une question sur une liste de discussion professionnelle, ce sont les études concernant les habitudes de prise en charge ou thérapeutiques qui pourraient, suivant les cas, influencer la décision du tribunal en parallèle de l’avis de l’expert qui, pour peu qu’il soit très spécialisé dans un domaine concerné, peut perdre un peu la notion de ce que fait le praticien « moyen ». Poussée à l’excès, cette situation peut déboucher à une situation cocasse : un juge qui fait appel à un institut de sondage pour connaître les connaissances ou les habitudes du plus grand nombre comme cela a déjà été pratiqué dans une autre affaire non médicale !

« Monsieur le juge, Medline dit que… » est une approche scientifique, souvent éloignée de l’approche juridique, qui peut, comme toutes les idées reçues en matière de droit médical, nous mettre dans une situation bien délicate. Soyons prudents sans pour autant tomber dans la paranoïa. Le droit médical, s’il peut condamner, sert principalement à défendre !

 

 


Bibliographie

1 : T.I. Saint-Dizier, 6 juillet 1994
2 : Cass. Civ. 1re, 6 juin 2000
3 : Memeteau G. , Cours de droit médical, Ed. les Etudes Hospitalières : p 318-319

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