Les limites du renouvellement des lunettes par l’opticien

Écrit par Matthew Robinson le . Dans la rubrique Variations

Faire adapter la correction de ses lunettes par l’opticien à partir d’une prescription datant de moins de trois ans et que ce changement soit pris en charge par l’assurance-maladie est une possibilité offerte au patient, à condition que le médecin prescripteur ne s’y soit pas opposé, depuis 2007. Malgré l’absence de données relatives à l’usage qui est fait de cette mesure, une recommandation de bonne pratique en la matière a été demandée par le ministère de la santé et la Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés à la Haute Autorité de santé. Un recadrage qui devait sembler nécessaire…


L’article 54 de la loi nº 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la Sécurité sociale et ses décrets d’application (décrets nº 2007-553 et nº 2007-551 du 13 avril 2007) permettent aux opticiens lunetiers d’adapter les prescriptions médicales initiales de verres correcteurs datant de moins de 3 ans, dans le cadre d’un renouvellement, à l’exclusion de celles établies pour les personnes âgées de moins de 16 ans et sauf opposition du médecin. Lunettes et échelle de lectureDans un contexte de démographie médicale déclinante et d’accès à une consultation d’ophtalmologie malaisée en fonction des régions, cette mesure est censée, selon les pouvoirs publics, « améliorer l’accès aux soins des patients en diminuant les délais d’obtention d’une consultation chez l’ophtalmologiste et par conséquence d’améliorer la précocité et la qualité de leur prise en charge. » Pour ses détracteurs, elle a plutôt pour effet d’augmenter les dépenses de santé liées à un renouvellement excessif ou inapproprié du dispositif médical que représentent les lunettes dans un contexte de concurrence commerciale très forte sur le marché de l’optique, de diminuer la qualité de la prévention qui accompagne normalement toute consultation d’ophtalmologie (dépistage du glaucome, de l’atteinte de la rétine par le diabète ou par l’âge, etc.) et de faussement rassurer des patients qui confondent acuité visuelle et santé oculaire.
Les modalités de renouvellement des lunettes par l’opticien ont déjà été évoquées dans l’article Renouvellement de la prescription de lunettes par l’opticien et nous n’y reviendrons pas.

 

Alors que ces mesures ont été mises en place en 2007, il n’aura fallu attendre que quatre ans pour que des dérives soient constatées par la Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés et par les professionnels de la filière de la santé visuelle. C’est dans ce cadre que la Haute Autorité de santé (HAS) a été amenée à publier en mars 2011 une recommandation de bonne pratique intitulée « Troubles de la réfraction : délivrance des verres correcteurs par les opticiens dans le cadre d’un renouvellement ». Ce texte vise à répondre à deux questions : « Dans quelles situations cliniques est-il recommandé qu’un ophtalmologiste s’oppose à l’adaptation de la prescription médicale initiale de lunettes par un opticien dans le cadre d’un renouvellement ? » et « Quel niveau d’évolution de la réfraction devrait conduire l’opticien à orienter la personne vers l’ophtalmologiste avant délivrance de lunettes et quelles sont les conditions de cette orientation ? »
Il est bon de rappeler, comme le fait la HAS, que cette recommandation ne concerne que la délivrance de verres correcteurs, à l’exclusion de la délivrance des lentilles de contact, dans le cadre du renouvellement avec adaptation, et que seules les personnes âgées de 16 ans et plus sont concernées puisque les patients plus jeunes sont exclus du champ de compétences des opticiens-lunetiers dans ce cadre. Par ailleurs, ces personnes doivent être atteintes d’un trouble de la réfraction et porteuses de lunettes de vue. Si rien n’interdit à un opticien de réaliser un examen de vue, la HAS rappelle qu’il n’est pas question pour l’opticien-lunetier de demander un remboursement par la Sécurité sociale pour un client qu’il équipe en lunettes correctrices si ce dernier n’en portait pas jusque-là. 

Quand est-il souhaitable que l’ophtalmologiste s’oppose à l’adaptation de sa prescription initiale de lunettes par un opticien ?

Comme la loi l’y autorise, l’opthtalmologiste ou « tout autre médecin équipé et formé à la pratique de la réfraction » ainsi habilité à prescrire des lunettes « peut s’opposer ou limiter dans le temps, en le précisant sur l’ordonnance, le renouvellement avec adaptation de l’équipement optique. » La « bonne pratique » veut néanmoins que cette opposition soit justifiée par des « situations ou circonstances associées qui nécessitent un suivi ophtalmologique rapproché », selon la HAS, et qu’elle ne soit donc pas systématique. La Haute Autorité fournit une liste de ces situations ou circonstances associées, tout en précisant qu’elle n’est ni exhaustive ni impérative et qu’elle ne remplace pas le jugement clinique de l’ophtalmologiste, celui-ci décidant au cas par cas s’il y a lieu de limiter le renouvellement avec adaptation en l’expliquant à la personne. Des précisions qui redonnent un sens au mot « recommandation » et qui estompent un peu l’impression de directives plus que de recommandations donnée par de nombreux textes publiés jusque-là par cette institution, voire même par des décisions de justice.

Situations ou circonstances associées pour lesquelles il est recommandé que le médecin prescripteur limite le renouvellement avec adaptation

Les troubles de réfraction suivants :
myopie ≥ -6 dioptries et/ou longueur axiale ≥ 26mm, changement d’axe ≥ 20° en cas d’astigmatisme ≥ 0,75 dioptrie, pour toute amétropie, une modification d’1 dioptrie ou plus en 1 an ;

Les troubles de réfraction associés à une pathologie ophtalmologique :
glaucome, hypertension intraoculaire isolée, pathologies rétiniennes (dont DMLA, rétinopathie diabétique, etc.), cataracte et autres anomalies cristalliniennes, tumeurs oculaires et palpébrales, antécédents de chirurgie réfractive, antécédents de traumatisme de l’oeil sévère et datant de moins de 3 ans, anomalies cornéennes (notamment greffe de cornée, kératocône, kératopathies, dystrophie cornéenne, etc.), amblyopie bilatérale, diplopie récente et/ou évolutive ;

Les troubles de réfraction associés à une pathologie générale :
diabète, maladies auto-immunes (notamment Basedow, sclérose en plaques, polyarthrite rhumatoïde, lupus, spondylarthrite ankylosante), hypertension artérielle mal contrôlée, sida, affections neurologiques à composante oculaire, cancers primitifs de l’oeil ou autres cancers pouvant être associés à une localisation oculaire secondaire ou à un syndrome paranéoplasique ;

Les troubles de réfraction associés à la prise de médicaments au long cours, notamment :
corticoïdes, antipaludéens de synthèse, tout autre médicament qui, pris au long cours, peut entraîner des complications oculaires.

Cette liste conséquente montre à quel point le rôle de l’ophtalmologiste s’intègre dans le cadre d’un examen médical et de la prise en charge globale d’un patient. Sa réfraction et son acuité visuelle ne sont que des éléments réducteurs de la santé visuelle ou générale d’une personne se sachant ou non malade. Elle aide à comprendre pourquoi les décrets de 2007 obligent l’opticien-lunetier à rappeler au patient que son examen ne constitue pas une consultation médicale.

Quand l’opticien doit-il orienter son client vers l’ophtalmologiste ?

Outre les conditions déjà citées (personne n’ayant jamais porté de correction ; personne de moins de 16 ans ; personne ne présentant pas de trouble de la réfraction, mais présentant une symptomatologie visuelle), la HAS recommande à l’opticien lunetier d’adresser son client à l’ophtalmologiste lorsque les troubles de la réfraction de cette personne peuvent laisser penser qu’une pathologie est à l’origine de ce problème.

Niveau d’évolution de la réfraction devrait conduire l’opticien à orienter la personne vers l’ophtalmologiste avant délivrance de lunettes

Lorsque l’acuité visuelle n’est pas connue de l’opticien, il est recommandé que celui-ci oriente la personne vers l’ophtalmologiste pour toute meilleure acuité visuelle corrigée < 10/10 de loin et/ou plus faible que Parinaud 2 de près.

Lorsque l’acuité visuelle est connue de l’opticien, il est recommandé que celui-ci oriente la personne vers l’ophtalmologiste pour toute baisse de la meilleure acuité visuelle corrigée par rapport à la précédente mesure.

Il est recommandé que l’opticien oriente la personne vers l’ophtalmologiste : en cas de modification de la réfraction ≥ 1 dioptrie sur 1 an (cylindre et/ou sphère) ; en cas de changement d’axe ≥ 20° chez une personne présentant un astigmatisme ≥ 0,75 dioptrie ; pour toute création ou modification de la correction prismatique.

Il est intéressant de noter l’apparition de la notion de « dossier optique partagé » dans cette recommandation de la HAS, espèce de dossier électronique permettant aux ophtalmologistes et aux opticiens lunetiers d’échanger les données relatives à la réfraction d’un patient, en attendant qu’un jour peut-être ces données soient intégrées à l’Arlésienne qu’est le dossier médical personnel (DMP). En plus de demander à l’opticien et au médecin prescripteur de le compléter, la HAS formalise les informations devant faire l’objet d’un compte-rendu que l’opticien devra remettre à la personne qu’il a examinée afin qu’elle puisse le remettre à l’ophtalmologiste, en attendant que le dossier optique partagé soit mis en place. Il est logique de se demander dans quelle mesure les recommandations relatives à ces comptes-rendus ne sont pas un voeu pieux lorsque l’on sait avec quel mépris est traitée l’obligation légale faite à l’opticien d’informer le médecin prescripteur lorsqu’il adapte les verres correcteurs d’une personne dans le cadre d’un renouvellement.

Dernier élément de ce texte, la recommandation faite aux ophtalmologistes de recevoir dans un délai adapté une personne adressée par un opticien pour un rendez-vous urgent en fonction des renseignements que ce dernier lui aura transmis. Voilà qui ne va pas manquer d’accroître la pression sur les ophtalmologistes libéraux et engager un peu plus leur responsabilité lorsqu’il leur faudra choisir entre les sollicitations de leurs confrères généralistes ou spécialistes, celles des orthoptistes, des opticiens ou des patients eux-mêmes qui lorsqu’ils se présentent pour une véritable urgence directement dans un cabinet ne sont pour ainsi dire jamais refoulés… Il pourrait être intéressant que la prochaine recommandation de la HAS porte sur cette notion d’urgence, ne serait-ce que pour aider les praticiens à faire des choix que l’on ne leur reprochera pas ensuite, des choix qui seraient ainsi plus faciles à expliquer aux patients. Une telle recommandation pourrait aussi étendre sa réflexion au filtrage opéré par de plus en plus de services hospitaliers d’ophtalmologie, tout aussi débordés que le sont les libéraux, mais qu’il est beaucoup plus délicat de pointer du doigt.

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Commentaires (1)

  • ann

    |

    bonjour j’ai une petite question,
    peut on, quant on est opticien optometriste,faire un examen de vue a une personne, voir que cette personne est presbyte pour la 1ere fois et l’équiper pour son 1er prog ou doit t-il ce faire prescrire une ordo chez l’ophtalmologiste et revenir ensuite??
    merci d’avance

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