Le régime juridique de la vente de médicaments sur Internet inachevé, mais déjà contesté

Écrit par Jean-Christophe André, Gwendoline Cattier et Marine Dantec — Avocats à la Cour le . Dans la rubrique La forme

La directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 relative à la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés (ci-après, la « Directive 2011/62/UE ») a introduit en droit communautaire le principe de l’autorisation de la vente à distance des médicaments non soumis à prescription, tout en laissant la possibilité aux États membres d’imposer dans leur législation nationale des conditions justifiées par la protection de la santé publique1.

Petit bonhomme blanc avec une géluleÀ quelques jours de l’expiration du délai de transposition de la Directive 2011/62/UE prévu le 2 janvier 2013, le gouvernement français a autorisé la vente de médicaments sur Internet, via l’adoption de l’ordonnance no 2012-1427 du 19 décembre 2012 (ci-après, l’« Ordonnance du 19 décembre 2012 »), complétée par le décret no 2012-1562 du 31 décembre 2012 (ci-après, le « Décret d’application »).

Le régime juridique de la vente à distance des médicaments est désormais codifié aux articles L 5125-33 et suivants et R 5125-70 et suivants du Code de la santé publique (CSP).

Adopté dans la précipitation, et encore inachevé, puisqu’il doit encore être complété des bonnes pratiques de dispensation des médicaments définies par arrêté ministériel, ce régime juridique est considéré par certains pharmaciens comme trop restrictif et non conforme au droit communautaire.

Au-delà des contestations du monde professionnel, l’Autorité de la concurrence, partisane du développement du commerce électronique, n’a pas hésité à critiquer, dans un avis du 13 décembre 2012, un certain nombre de dispositions du projet de la nouvelle règlementation2, sans pour autant que toutes ses recommandations soient suivies par le gouvernement français.

En dépit de ces polémiques qui annoncent de probables évolutions, le régime juridique de la vente à distance de médicaments est entré en vigueur le 20 décembre 2012. Nous en préciserons les contours en nous intéressant d’abord aux médicaments susceptibles d’être vendus sur Internet, puis aux personnes autorisées à vendre ces médicaments sur Internet pour enfin nous interroger sur le contenu des bonnes pratiques de dispensation des médicaments en cours d’élaboration.

 

Quels médicaments peuvent être vendus sur Internet ?

Le Code de la santé publique limite la vente en ligne aux seuls médicaments dits de « médication officinale »

Selon l’article L 5125-34 CSP, seuls les médicaments dits de « médication officinale » peuvent être vendus sur Internet.

Les médicaments de médication officinale ne sont pas soumis à prescription médicale, mais ce n’est pas la seule condition exigée pour relever de cette catégorie. Ces médicaments doivent également être facilement utilisables grâce aux seuls conseils du pharmacien ; la notice d’information doit être compréhensible par le patient et le médicament adapté à la posologie et à la durée prévue du traitement3.

Dès lors que les conditions ci-dessus sont respectées, l’inscription sur la liste des médicaments de médication officinale résulte d’une démarche volontaire du laboratoire pharmaceutique qui les fabrique. La liste des médicaments de médication officinale, régulièrement mise à jour sur le site de l’Ordre national des pharmaciens4, compte aujourd’hui 455 médicaments en libre accès.

Ainsi, le Gouvernement en prévoyant que les médicaments vendus sur Internet sont limités aux médicaments vendus en accès libre dans les officines de pharmacie considère la vente en ligne comme le prolongement de l’officine de pharmacie.

L’approche française n’est cependant pas conforme au droit communautaire et les partisans du développement de la vente à distance des médicaments n’ont pas manqué de la contester quelques jours après l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation.

 

Suite à l’ordonnance des référés du Conseil d’État du 14 février 2013, tous les médicaments non soumis à prescription sont désormais susceptibles d’être vendus sur Internet

Saisi par un pharmacien ayant déjà ouvert son site de vente en ligne, le Conseil d’État, statuant en tant que Juges des référés, a considéré que la vente en ligne limitée aux seuls médicaments de médication officinale présentait un doute sérieux sur sa conformité au droit communautaire5.

En effet, dès 2003, la jurisprudence communautaire avait considéré qu’un État membre ne pouvait interdire la vente à distance des médicaments non soumis à prescription6.

Confirmant la distinction de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) entre les médicaments soumis à prescription et ceux qui ne le sont pas, la Directive 2011/62/UE est venue encadrer le régime de la vente en ligne des seuls médicaments non soumis à prescription.

Offre sur Internet

Ainsi, la vente en ligne limitée par le droit français à la seule catégorie des médicaments de médication officinale introduit donc une distinction non prévue par le droit communautaire. En effet, la liste des médicaments pouvant être vendus en ligne selon l’Ordonnance du 19 décembre 2012 (i.e. les médicaments de médication officinale) est moins étendue que celle découlant de la Directive 2011/62/UE qui englobe tous les médicaments non soumis à prescription.

L’Autorité de la concurrence avait déjà relevé dans son avis du 13 décembre 2012 que la distinction française n’était pas conforme au droit communautaire en ce qu’elle introduisait « une restriction supplémentaire » dès lors que tous les médicaments non soumis à prescription médicale ne figurent pas dans la liste des médicaments vendus en libre accès7. Ces recommandations n’avaient cependant pas été suivies par le Gouvernement.

Pour les mêmes raisons, le Conseil d’État, considérant qu’il existait un doute sérieux sur la légalité de la distinction française, a suspendu, par son ordonnance du 14 février 2013, l’exécution de l’article L 5125-34 CSP jusqu’à ce qu’il se prononce sur sa légalité.

Dans l’attente de la décision du Conseil d’État, l’ensemble des médicaments non soumis à prescription médicale, y compris ceux qui ne figurent pas sur la liste des médicaments de médication officinale, peuvent désormais être vendus en ligne par les pharmaciens exerçant en France ou dans un autre État membre.

 

Quelles sont les personnes autorisées à vendre des médicaments sur Internet ?

Les pharmaciens titulaires d’une pharmacie d’officine implantée en France

L’article L 5125-33 CSP réserve la vente à distance de médicaments aux pharmaciens titulaires d’une pharmacie d’officine bénéficiant d’une licence autorisant son implantation.

La création d’un site Internet de vente à distance de médicaments est en outre subordonnée à l’autorisation, expresse ou tacite, du directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) territorialement compétent8.

 

Les personnes physiques ou morales habilitées à vendre des médicaments sur Internet dans les autres états membres de l’Union européenne

La réglementation française conditionne la vente en ligne de médicaments par des personnes non implantées en France au respect de deux exigences.

L’article L 5125-40 CSP impose d’une part que l’exploitant d’un site Internet étranger de vente de médicaments soit « habilité à vendre des médicaments au public » dans son État membre d’origine, et d’autre part que cette personne respecte la législation applicable aux médicaments commercialisés en France.

Si la première condition paraît conforme à la Directive 2011/62/UE, la seconde condition pourrait dépasser les exigences prévues par le texte communautaire au motif qu’il n’est pas avéré que l’ensemble des dispositions de la législation française soit justifié par la protection de la santé publique.

À cet égard, la question du respect des bonnes pratiques de dispensation des médicaments par les opérateurs étrangers procédant à la vente en ligne de médicaments à destination de consommateurs français risque selon nous d’être à l’origine de contestations.

 

À quelles modalités issues du code de bonnes pratiques en cours d’élaboration sera soumise la vente de médicaments sur Internet ?

L’Ordonnance du 19 décembre 2012 a étendu l’obligation pour les pharmaciens de respecter des bonnes pratiques à la dispensation des médicaments par Internet.

Ces bonnes pratiques de dispensation sont en cours d’élaboration par le Gouvernement et devraient prendre la forme d’un arrêté du ministre chargé de la santé.

Le principe même de la soumission de la vente à en ligne des médicaments à des bonnes pratiques a été contesté par l’Autorité de la concurrence qui s’est montrée sceptique quant à leur pertinence, eu égard à la richesse des obligations déontologiques pesant d’ores et déjà sur les pharmaciens (notamment en matière d’information du public, de publicité ou encore de bonnes pratiques vis-à-vis des patients)9.

Quant au contenu de ces bonnes pratiques, il n’a pas encore été révélé par le Gouvernement français et devrait a priori porter sur l’obligation de conseil du pharmacien lors de la délivrance des médicaments ainsi que sur la traçabilité des médicaments.

Cependant, selon certaines sources, dont l’Autorité de la concurrence actuellement consultée pour avis sur ces bonnes pratiques, les mesures gouvernementales seraient très « restrictives » voire « dissuasives »10, notamment en ce qui concerne le prix des médicaments vendus sur Internet.

Dans un article publié sur son site Internet le 25 février dernier, le Figaro a indiqué que le projet de bonnes pratiques de dispensation imposerait aux pharmaciens de pratiquer le même prix pour les médicaments vendus en ligne et en pharmacie. En tenant compte des frais de livraison, les médicaments vendus en ligne risquent ainsi d’être plus chers qu’en officine.

L’Autorité de la concurrence, favorable au développement de la vente en ligne des médicaments, a d’ores et déjà annoncé ne pas souhaiter que « de nouvelles opportunités de baisse de prix, d’accroissement des services, d’innovation [ouvertes notamment par la vente en ligne] soient gommées par des textes trop restrictifs ou par l’opposition des différents acteurs » 11.

Préoccupée par les restrictions de concurrence du secteur de la distribution pharmaceutique, notamment sur le développement de la vente en ligne, l’Autorité de la concurrence vient de s’autosaisir pour analyser ce secteur d’activité, dans un avis qu’elle envisage de rendre à la fin 201312.

L’adoption des bonnes pratiques de dispensation des médicaments s’annonce promise à de longues discussions. À cet égard, la proposition du site Internet 1001pharmacies.com d’une concertation avec tous les acteurs du secteur (pharmacies, laboratoires, associations de consommateurs…) présente un intérêt indéniable.

 

Jean-Christophe André, Gwendoline Cattier et Marine Dantec
Avocats à la Cour
Deprez Guignot Associés — DDG

 


1— CJCE, 11 décembre 2003, Doc Morris, aff. C-322/01.
2— Avis de l’Autorité de la concurrence, no 12-A-23 du 13 décembre 2012 relatif à un projet d’ordonnance et un projet de décret transposant la directive no 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive no 2011/83/CE instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés.
3— Article R 5121-202 du Code de la santé publique.
4— http://www.meddispar.fr/Produits-en-libre-acces
5— Conseil d’État, ordonnance du 14 février 2013, no 365459.
6— CJCE, 11 décembre 2003, Doc Morris, aff. C-322/01.
7— Avis de l’Autorité de la concurrence, no 12-A-23 du 13 décembre 2012 relatif à un projet d’ordonnance et un projet de décret transposant la directive no 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive no 2011/83/CE instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés.
8— Articles L 5125-36 CSP et R 5125-71 CSP.
9— Avis de l’Autorité de la concurrence, no 12-A-23 du 13 décembre 2012 relatif à un projet d’ordonnance et un projet de décret transposant la directive no 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive no 2011/83/CE instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés.
10— Source : le figaro.fr en date du 25/02/2012
11— Source : le figaro.fr en date du 25/02/2012
12— Décision de l’Autorité de la concurrence, no 13-SOA-01 du 25 février 2013 relative à une saisine d’office pour avis portant sur le secteur de la distribution pharmaceutique. Rappelons que les avis de l’Autorité de concurrence portant sur une analyse concurrentielle d’un secteur d’activité sont souvent un préalable à une intervention législative (Cf. l’Avis 12-A-01 du 11 janvier 2012 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris).

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