Sunshine Act II : entrée en vigueur du décret “transparence”

Écrit par Jean-Christophe André, Marine Dantec le . Dans la rubrique La forme

Le décret n° 2013-414 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique (ci-après “le Décret”) est entré en vigueur le 23 mai dernier.

Un médecin refusant de l'argentIl vient compléter le dispositif introduit plus d’un an auparavant par les articles L 1453-1 et suivants du Code de la santé publique (ci-après “CSP”), créant une obligation de déclaration des liens entre les entreprises de produits de santé et de cosmétiques, et les professionnels de santé.

Bien que le dispositif de « Sunshine Act » à la française demeure encore incomplet1, il est aujourd’hui possible d’identifier plus précisément les contours du régime auquel seront dorénavant soumis les entreprises et professionnels du système de la santé.

 

Quelles sont les personnes visées par le décret « transparence » ?

 

L’article L 1453-1 du CSP, créé par l’article 2 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011, dite « loi Bertrand », exige que les entreprises produisant, commercialisant, ou assurant des prestations associées à des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme et des produits à finalité cosmétique, (ci-après “les entreprises”) rendent publique l’existence des conventions qu’elles concluent avec l’ensemble des intervenants du domaine de la santé.

La même obligation s’applique, au-delà d’un seuil fixé à 10 euros par le Décret, à tous les avantages en nature ou en espèce que les mêmes entreprises procurent, directement ou indirectement, aux intervenants du domaine de la santé2.

Le champ d’application de la loi recouvre de multiples entreprises du secteur de la santé et professionnels du système de la santé.

➢ les entreprises du système de la santé

Les entreprises tenues de rendre publique l’existence des conventions conclues avec les intervenants du domaine de la santé sont celles produisant, commercialisant, ou assurant des prestations associées aux produits à finalité sanitaire destinés à l’homme, et aux produits à finalité cosmétique.

L’article L 5311-1 II du CSP donne une liste non exhaustive des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme et des produits à finalité cosmétique (produits contraceptifs, dispositifs médicaux, produits cosmétiques, lentilles oculaires non-correctrices, etc.).

Compte tenu de la diversité des produits répondant à la qualification de produits à finalité sanitaire destinés à l’homme et de produits à finalité cosmétique, le nombre des entreprises soumises à l’obligation de déclaration des conventions conclues avec les opérateurs du secteur de la santé est donc considérable.

➢ les professionnels du système de la santé

De même, les intervenants du système de santé visés à l’article L 1453-1 I du CSP font là aussi l’objet d’une énumération conséquente (personnes physiques et morales, associations de professionnels de santé, étudiants, fondations, etc.).

Il résulte de cette énumération que les catégories d’acteurs avec lesquels les conventions passées doivent être rendues publiques sont très diverses, et couvrent de ce fait l’ensemble des intervenants du domaine de la santé.

 

Quelles sont la nature, l’étendue et les modalités des obligations déclaratives ?

 

➢ Les informations relatives aux conventions et avantages consentis par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme doivent être rendues publiques

Les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalités sanitaires destinés à l’homme sont tenues de rendre publics, d’une part l’existence des conventions qu’elles concluent avec des professionnels du système de la santé énumérés à l’article L 1453-1 du CSP, et d’autre part les avantages en nature ou en espèces qu’elles procurent directement ou indirectement à ces mêmes professionnels3.

– l’existence des conventions conclues avec des professionnels du système de la santé

Les informations à rendre publiques sont, aux termes de l’article R 1453-3 I du CSP : l’identité des parties à chaque convention, la date de signature de la convention, l’objet de la convention, et, lorsqu’elle a pour objet une manifestation à caractère exclusivement professionnel et scientifique, le programme de cette manifestation.

À noter que l’article 1 du Décret4 dispense d’obligation de publicité « les conventions régies par les dispositions des articles L 441-3 et L 441-7 du code de commerce, qui ont pour objet l’achat de biens ou de services entre ces mêmes entreprises et ces personnes, associations, établissements, fondations, sociétés, organismes ou organes ».

Les rémunérations versées par les entreprises aux professionnels de santé au titre de prestations fixées dans le cadre des conventions décrivant les conditions tarifaires liées à la vente de produits et de services ne seront donc pas publiques.

– les avantages en nature ou en espèces

Le seuil au-delà duquel les avantages consentis aux professionnels par les entreprises doivent être rendus publics, qui avait initialement été fixé dans le projet de Décret à la somme d’un euro TTC, a finalement été revu à la hausse.

Le Conseil d’État a en effet estimé que le seuil d’un euro pourrait être trop bas pour constituer un seuil à proprement parler, ce qui serait potentiellement source de contentieux5. Le seuil de dix euros TTC a donc été retenu à l’article D 1453-1 du CSP.

En conséquence, les avantages dont le montant est égal ou supérieur à 10 euros TTC doivent être rendus publics par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalités sanitaires destinés à l’homme, qui sont tenues de fournir les informations suivantes : leur identité ainsi que celle de la personne bénéficiaire, le montant TTC arrondi à l’euro le plus proche, la date et la nature (repas, invitation, livre, etc.) de chaque avantage perçu par le bénéficiaire au cours du semestre civil, ainsi que le semestre civil au cours duquel les avantages ont été consentis (article R 1453-2 II du CSP).

➢ Les informations relatives aux conventions et avantages consentis par les entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage doivent être rendues publiques

Les obligations qui pèsent sur les entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage ont un champ d’application moins étendu.

En effet, ces entreprises sont seulement tenues de rendre publique l’existence des conventions « relatives à la conduite d’évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherches biomédicales » portant sur ces trois catégories de produits (article R 1453-8 CSP).

Les avantages que ces entreprises procurent directement ou indirectement aux professionnels du système de santé doivent également être rendus publics, dès lors que leur montant atteint la somme de dix euros.

Les informations à rendre publiques sont identiques à celles qui doivent être révélées par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme, à l’exception du programme des manifestations des conventions ayant pour objet une manifestation à caractère exclusivement professionnel et scientifique.

➢ Certaines modalités de déclaration des informations devant être rendues publiques devront être précisées par un arrêté, ce qui implique la mise en œuvre de mesures transitoires

– Les modalités de déclaration à venir

Les informations devant être rendues publiques devront être transmises par les entreprises à une autorité dont l’identité sera précisée dans un arrêté à venir.

Ces informations devront être transmises par les entreprises selon le calendrier suivant6 :

– 15 jours après la signature de chaque convention soumise à l’obligation de publication ;

– au plus tard le 1er août pour les avantages alloués ou versés au cours du premier semestre de l’année en cours et au plus tard le 1er février de l’année suivante pour les avantages alloués ou versés au cours du second semestre de l’année en cours.

Elles seront ensuite publiées sur un site internet public unique géré par cette autorité, et demeureront accessibles au public pour une durée de cinq ans à compter de leur mise en ligne.

Outre l’identité de l’autorité responsable du site, les conditions de fonctionnement de ce site internet, telles que les modalités d’établissement, d’authentification et de transmission sécurisée des déclarations électroniques à distance par les entreprises seront déterminées par arrêté7.

– La mise en œuvre de modalités de déclaration transitoires

L’article 3 du Décret a prévu la mise en œuvre de mesures transitoires dans l’attente de l’entrée en vigueur de cet arrêté.

Ainsi, les informations relatives aux conventions et avantages devront être transmises par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique aux conseils nationaux des ordres des professions de santé.

Ces informations seront rendues publiques d’une part, sur le site internet du Conseil national de l’ordre de la profession de santé concernée (lorsqu’elles intéressent les professionnels de santé, les associations de professionnels de santé et les étudiants) et, d’autre part, sur le site internet des entreprises, ou sur un site commun à deux ou plusieurs entreprises.

Certains syndicats professionnels pourront également, sous certaines conditions, rendre publiques ces informations pour le compte des entreprises adhérentes.

 

Quelles sont les zones d’ombre qui restent en suspens ?

 

Le Ministère des affaires sociales et de la santé a indiqué dans un communiqué en date du 22 mai dernier qu’une circulaire d’interprétation du Décret devrait être publiée dans les prochains jours.

Il serait en effet utile que les professionnels disposent dans les meilleurs délais de précisions quant aux modalités pratiques de leurs obligations déclaratives, en raison des délais particulièrement serrés qui leur sont impartis pour transmettre ces informations.

Les informations devant être rendues publiques8 doivent en effet être transmises aux conseils nationaux des ordres des professions de santé au plus tard le 1er juin 2013, et être publiées en ligne au plus tard le 1er octobre 2013. Or, plusieurs zones d’ombres demeurent à ce jour en suspens :

➢ Les obligations déclaratives pèsent-elles sur les personnes morales ou sur les groupes de personnes morales ?

L’article L 1453-1 du Code de la santé publique, pas plus que le Décret, ne donnent de définition satisfaisante des “entreprises” tenues de rendre publique l’existence des conventions conclues avec les professionnels du domaine de la santé.

En l’absence d’indications sur ce que le législateur entend par “entreprise”, il pourrait être soutenu — à la lumière de l’esprit de la loi, fondée sur l’idée d’une transparence maximale — que pour déterminer les entreprises visées par cette obligation, il convient de raisonner par personne morale, et non par groupe de sociétés.

Ainsi, il reviendrait à toute personne morale concluant des conventions avec les intervenants du domaine de la santé, de rendre publique l’existence des conventions conclues avec ces derniers, indépendamment du fait qu’elle constitue ou non une entité au sein d’un groupe de sociétés.

➢ Est-il nécessaire de procéder à deux déclarations distinctes pour une même opération ?

Il semblerait que les professionnels soient tenus de rendre publics les conventions et avantages par l’intermédiaire de deux déclarations distinctes, quand bien même ces deux types de relations seraient nouées au cours d’une même opération.

L’article R 1453-2 II du CSP prévoit en effet expressément que les avantages procurés aux professionnels du système de la santé doivent être rendus publics, y compris dans le cadre des conventions conclues avec des professionnels du système de la santé (qui sont de facto rendues publiques en vertu de l’article R 1453-2 I du CSP).

➢ Quelles sont les autorités compétentes en matière de contrôles et de sanction ?

Le non-respect de leurs obligations déclaratives par les entreprises est pénalement sanctionné d’une amende de 45 000 euros9. Des peines complémentaires sont en outre prévues pour les personnes physiques et morales10.

L’application de ces sanctions demeure toutefois à ce jour hypothétique dans la mesure où aucune disposition propre au dispositif de « sunshine act » à la française ne désigne les autorités habilitées à constater et poursuivre ces infractions.

Selon un entretien accordé par Marisol Touraine au Parisien, le 22 mai dernier, les informations publiées seraient contrôlées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Si le décret du 21 mai 2013 apporte quelques précisions sur le dispositif de transparence entre entreprises de produits de santé et de cosmétiques et les professionnels de santé, les informations rendues publiques seraient insuffisantes.

Ainsi, pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, « ce texte trahit manifestement la volonté du législateur et la loi du 29 décembre 2011 relative à la transparence des activités des industriels de la santé » indiquant, dans un récent communiqué, qu’un recours au Conseil d’État était envisagé.

 

 

Jean-Christophe André, Avocat Associé, Cabinet Deprez Guignot Associés — DDG

Marine Dantec, Avocat

 

 


1— Arrêté et circulaire d’interprétation en attente.
2— Article L 1453-1 II et D 1453-1 du CSP.
3— Article R 1453-2 du CSP.
4— Articles R 1453-2 et R 1453-8 du CSP.
5— Note du Conseil d’État sur le décret — Extrait du registre des délibérations — 2 avril 2013.
6— Article R 1453-5 du CSP.
7— Article R 1453-4 du CSP.
8— Il s’agit des informations relatives aux conventions appliquées ou conclues et les avantages accordés et rémunérations versées à compter du 1er janvier 2012 (article 3 du Décret).
9— Article L 1454-3 du CSP.
10— Articles L 1454-4 et L 1454-5 du CSP.
11— Décret sur la publication des liens d’intérêt et la transparence : nous sommes très loin du compte — Conseil national de l’Ordre des médecins — Communiqué en date du 23 mai 2013.



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