Etat du droit et optométrie en 2008

Écrit par Bertrand Hue le . Dans la rubrique La forme

A un moment où les orthoptistes viennent d’obtenir une délégation de compétence en accord avec les ophtalmologistes, il nous a semblé intéressant de faire un état des lieux concernant les optométristes qui revendiquent eux aussi une reconnaissance et une délégation de compétence en France. Cet article a été mis à jour en juillet 2008.


La profession d’optométriste n’est pas réglementée en France comme le reconnaît le syndicat national des optométristes de France. En l’état actuel du droit, aucun article du Code de la santé ne fait état de l’optométrie. De par ce fait les optométristes revendiquent au titre d’opticiens-lunetiers, base de leur formation.

Textes réglementaires et législatifs

– La profession d’opticien-lunetier est réglementée au titre d’auxiliaires médicaux dans le Code de la santé publique (art L 4362-1 à L 4362-9 ; L 4363-2 à L 4363-4 ; D 4362-1 ; D 4362-2 ; D 4362-8 ; D 4362-10)

Il est à noter que des personnes non titulaires des diplômes, certificats requis ou titres pour exercer la profession d’opticien-lunetier sont tout de même autorisés à pratiquer cette profession par les articles L 4362-5, L 4362-6 et D 4362-8).

Les deux principaux articles à retenir sont l’article L 4362-9 et l’article L 4363-4.Faire lire

L’aticle L 4362-9 stipule, entre autres, qu’ «aucun verre correcteur ne pourra être délivré à une personne âgée de moins de seize ans sans ordonnance médicale.» et l’article L 4363-4 punit de 3750 euros d’amende le non respect de la délivrance des verres correcteurs à une personne âgée de moins de 16 ans sans ordonnance médicale.

– Arrêté du 6 janvier 1962 publié au JO du 1 février 19621 dressant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d’analyses médicales non médecins:
_ «Le Ministre de la santé […] arrête : […] Ne peuvent être pratiqués que par les docteurs en médecine […] les actes médicaux suivants : […] le maniement des appareils servant à déterminer la réfraction oculaire».

Pas d’allusion au caractère objectif ou subjectif de la réfraction. Ceci est très clair d’autant que pour le maniement des appareils visant à contrôler l’audition, il est explicitement indiqué « le maniement des appareils servant à déterminer objectivement l’acuité auditive».

Jurisprudence administrative

La décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux (no 65369) du 9 novembre 1988 confirme la validité de l’arrêté du 6 janvier 1962 n’autorisant l’usage des appareils mesurant la réfraction oculaire qu’aux seuls docteurs en médecine. Cette arrêté était attaqué par le syndicat des opticiens optométristes de France et le syndicat des opticiens français indépendants. Sur ce point précis, il se pourrait qu’une évolution de la jurisprudence intervienne puisque le loi a été modifiée et que le passage concernant les appareils servant à déterminer la réfraction oculaire de cet arrêté a été abrogé par un arrêté du 13 avril 2007. Ceci ne présage en rien des jurisprudences futures, car ce texte a été abrogé pour accompagner d’autres évolutions législatives relatives au renouvellement des lunettes par l’opticien. Les tribunaux se sont toujours basés sur l’intérêt de la santé publique et, surtout, du patient. Reste à savoir l’usage qui sera fait des nouveaux appareils, qui ne servent bien souvent pas qu’à mesurer la réfraction oculaire, mais sont de véritables « tout en un » dont de nombreux éléments relèvent toujours d’actes médicaux.

Jurisprudences judiciaires

Liste non exhaustive uniquement pour la période étudiée (1980-2006), par ordre d’intérêt selon nous. A noter que sur cette période, aucun jugement de la Cour de cassation n’a été favorable aux opticiens optométristes à l’exception d’un seul que nous étudierons plus loin.

– La décision de la le chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 février 1990 a rejeté le pourvoi (no 89-82728) d’un opticien-lunetier condamné pour exercice illégal de la médecine pour avoir habituellement établi des diagnostics (myopie, hypermétropie, presbytie), pratiqué des examens du fond de l’œil, utilisé des appareils réservés aux médecins (appareil mesurant la tension oculaire, appareils mesurant la réfraction), adapté à des clients des lentilles de contact, modifié des ordonnances médicales et prescrit des rééducations oculaires. La cour de cassation affirme « que la «lunette refractor» doit habituellement suffire à l’opticien-lunetier » pour connaître la réfraction oculaire. La Cour de cassation ne retient pas les notions de réfraction objective ou subjective et elle énonce que le fondement de l’arrêté du 6 janvier 1962 est «un souci de protection de la santé publique». Cette décision reprend aussi le fait selon lequel : «[…] si l’article 508 du Code de la santé publique [actuel art. 4362-9, ndr] autorise tout opticien à délivrer sans ordonnance médicale des verres correcteurs à tout majeur de 16 ans, il ne s’ensuit pas que ces opticiens sont autorisés à procéder à l’adaptation sans ordonnance médicale de lentilles de contact ou de verres scléro-cornéens, lesquels constituent de véritables prothèses destinées à être placées au contact direct de l’œil et pouvant provoquer des réactions de défense dont seuls les médecins sont à même d’apprécier les risques ».

– La décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 17 février 1981 a rejeté le pourvoi (no 80-92511) d’un opticien-lunetier condamné pour exercice illégal de la médecine pour avoir prescrit à une cliente à laquelle il avait délivré des lentilles de contact hydrophiles trois produits inscrits à la pharmacopée alors même qu’il avait suivi l’adaptation des lentilles de contact et constatés les troubles occasionnés à plusieurs reprises. L’optien-lunetier a, entre autres, voulu gérer seul, en modifiant à plusieurs reprises les produits d’entretien utilisés pour les lentilles de contact

Lentille– La décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 17 février 1981 (no pourvoi 80-91-275) a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Paris ayant relaxé des opticiens-lunetiers ayant adapté des lentilles de contact. Pour la Cour de cassation « attendu, d’une part, que si l’article 1508 précité permet à tout opticien lunetier, qualifié aux termes de l’article L 505 du même code, de délivrer, sans ordonnance médicale, des verres correcteurs à toute personne âgée de plus de 16 ans, il ne s’ensuit pas que ces mêmes opticiens lunetiers sont autorisés par la loi a procéder à l’adaptation des lentilles de contact et des verres sclerocornéens; attendu, d’autre part, que si les mots «sur prescription médicale», qui figuraient à l’article 2 de l’arrêté interministériel du 25 février 1975, dont la portée est limitée à «l’usage, par le patient lui-même» des lentilles de contact et des verres slero-cornéens, ont été supprimés par l’arrêté du 16 juin 1975, ce texte ne saurait déroger, en faveur des opticiens lunetiers, aux dispositions générales de l’article L 372 du code de la santé publique en les autorisant à accomplir des actes relevant de la compétence des médecins, seuls qualifiés pour apprécier et éventuellement soigner les réactions individuelles et les accidents que le port de ces prothèses est susceptible de provoquer ». L’adaptation est donc bien un acte médical.

Les autres jurisprudences

Les autres jurisprudences ne font que reprendre les éléments explicités ci-dessus et/ou en expliciter d’autres.

Chambre criminelle de la Cour de cassation du 10 mai 1988 (no pourvoi 87-81855), usage d’un ophtalmomètre, d’un biomicroscope par un opticien-lunetier : exercice illégal de la médecine. Diagnostic médical : ce qui doit s’entendre de tout acte tendant à identifier une anomalie physiologique.

La Cour de cassation précise: « la lunette-refractor doit habituellement suffire à l’opticien-lunetier auquel s’adresse directement un client majeur de 16 ans, convenant sinon (cas d’espèce) que celui-ci demande à celui-là d’aller d’abord consulter un ophtalmologiste » pour la délivrance des verres correcteurs.

Réaliser une histoire de cas (demander les antécédents du patient et lui faire décrire l’évolution de son problème oculaire) est considéré comme une opération intellectuelle caractérisant l’acte médical.

Chambre criminelle de la Cour de cassation du 4 janvier 1986 (no pourvoi 84-90440), usage d’un refractomètre automatisé par un opticien-lunetier : exercice illégal de la médecine. L’abrogation d’une partie de l’arrêté de 1962 pourrait rendre obsolète cette jurisprudence. Tout dépend de l’usage fait de cet appareil.

Chambre criminelle de la Cour de cassation du 17 janvier 1984 (no pourvoi 82-93067).

Concernant la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 23 octobre 1996 (no pourvoi 95-83393), seule favorable aux opticiens-lunetiers optométristes, confirmant la relaxe et le non exercice illégal de la médecine, elle est fondée sur le fait que dans un cas, les lunettes n’avaient pas été délivrées et que dans l’autre, l’enquête de gendarmerie a révélé qu’une ordonnance avait en fait servie à la délivrance des lunettes. Concernant les exercices visuels : « l’indication de tels exercices faisant appel à des techniques d’apprentissage avec pour objectif l’éducation et l’hygiène visuelles, ne saurait être assimilée en l’espèce, à la prescription d’une gymnastique médicale consécutive à l’établissement d’un diagnostic, dans la mesure où, au cas d’espèce et sans contrevenir en aucune façon aux diagnostics et prescriptions médicaux déjà établis, les deux opticiens prévenus ont seulement conseillé les exercices fonctionnels litigieux sur la seule appréciation subjective des caractéristiques physiologiques de la vision sans interférer avec l’appréciation d’une pathologie relevant de l’art médical et les moyens d’y obvier; que de tels faits sont exclusifs du délit incriminé et que, par suite, le syndicat demandeur [Syndicat national des ophtalmologistes de France, ndr] doit être déclaré irrecevable en sa constitution de partie civile ». Ce cas d’espèce ne remet pas en cause la jurisprudence de 1990 déjà citée qui affirme « Attendu que pour décider que le fait d’avoir prescrit des rééducations oculaires est un acte médical, les juges énoncent que le prévenu a conseillé à ses clients et pratiqué sur eux, pour améliorer leur fonction visuelle, des entraînements visuo-moteurs lesquels constituent une gymnastique corrective et donc médicale, qui, en vertu de l’article 4.22° de l’arrêté du 6 janvier 1962, ne peut être exécutée que sur prescription qualitative et quantitative d’un médecin ». Il est intéressant de noter que la Cour de cassation en 1996 réaffirme le délit d’exercice illégal de la médecine lorsqu’un opticien-lunetier prescrit et délivre des lentilles de contact sans ordonnance médicale reprenant en cela les jurisprudence de 1981 et de 1990.
La jurisprudence de 1996 ne remet donc nullement en question les jurisprudences antérieures.

Nous attirons l’attention du lecteur non juriste sur le fait que, dans une décision, la Cour de cassation présente les arguments des parties avant de se prononcer elle-même. La confusion rencontrée dans certaines publications vient de certains auteurs présentant les arguments des parties comme s’ils étaient ceux de la Cour de cassation, alors même que cette dernière les a rejetés.

Les évolutions législatives de fin 2006 et début 2007, concernant la possibilité pour l’opticien de renouveller les lunettes d’un patient suivant des conditions très strictes (qui sont loin d’être respectées si l’on en croit les informations dont nous disposons sur le sujet), ne modifient en rien les données jurisprudentielles ci-dessus. Gageons que les juges sauront faire triompher l’intérêt de la santé du patient, comme ils ont toujours su le faire jusque-là.

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