Responsabilité pour faute d’un médecin psychiatre

Écrit par Jérôme Monet le . Dans la rubrique La forme

La responsabilité civile d’un médecin psychiatre, qu’elle soit fondée sur le contrat d’hospitalisation passé avec son patient (article 1147 du Code civil pour tout dommage n’entrant pas dans le cadre de la loi du 4 mars 2002) ou sur la responsabilité délictuelle (article L1142-1-I du Code de la santé publique – loi du 4 mars 2002), est toujours assujettie à l’obligation de moyens.


L’intérêt de l’arrêt de rejet, ci-dessous reproduit, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 21 juin 2005, repose sur l’accomplissement de cette faute dans le cadre d’une intervention réalisée par une équipe médicale.

 Cour de cassation, 1civ. 21 juin 2005 :Sur les deux moyens réunis, le premier pris en ses deux branches tels qu’énoncés au mémoire en demande et reproduits en annexe :Attendu que M. X a été, le 19 août 1992, hospitalisé à la clinique H, à la demande de son médecin traitant, en raison d’un état dépressif avec tendances suicidaires ;
Que, le 23 août 1992, il s’est donné la mort dans l’établissement ; que son épouse, agissant en son personnel et en qualité de représentant légal de leur fils, a recherché la responsabilité de Mme Y, médecin psychiatre ayant suivi M. X durant son séjour à la clinique […] ;
Que l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, ch civ. 10, 26 juin 2003) a déclaré Mme Y responsable du préjudice subi par Mme X et son fils, l’a condamnée in solidum avec son assureur au paiement de différentes indemnités et a mis hors de cause la clinique H et son assureur ;Attendu qu’il appartient au médecin psychiatre, chargé au sein de l’établissement de santé de suivre le patient, de prescrire les mesures de soins et de surveillance appropriées à son état ;
que la Cour d’appel a relevé que Mme Y avait connaissance des risques élevés de suicide par pendaison, qu’il lui incombait dès lors de donner au personnel soignant les informations et instructions nécessaires, notamment quant aux objets que la victime pouvait garder, à la possibilité d’obtenir ou non une chambre individuelle, au contenu et la fréquence de la surveillance, qui devait, en raison du contexte, être plus étroite qu’à l’accoutumée, que l’étude du cahier infirmier démontrait au contraire qu’aucune information particulière n’avait été donnée de nature à mettre en œuvre une surveillance rigoureuse et que le suicide avait été réalisé par utilisation d’une sangle de sport, laissée en la possession de M. X qui détenait en outre une ceinture ; qu’elle a encore retenu qu’il apparaissait que le personnel soignant de la clinique n’avait pas connaissance du risque d’autolyse et qu’il avait effectué une surveillance régulière de la victime ; qu’elle a pu en déduire que la responsabilité de Mme Y était engagée et que l’établissement, dont le personnel ne pouvait légalement accéder à l’ensemble du dossier médical du patient pour déterminer lui-même les mesures de surveillance à envisager, n’avait pas, en l’absence d’information, commis de faute ;
Qu’il s’ensuit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

PAR CES MOTIFS ; REJETTE le pourvoi ;

Nous nous pencherons sur les critères de la faute commise par le médecin psychiatre avant de nous consacrer à l’étude de la notion d’équipe médicale. En effet, si la faute est réalisée dans le cadre d’un travail d’équipe, elle n’est civilement imputable qu’au praticien qui a placé sous son autorité l’ensemble des acteurs de cette équipe médicale.

Une faute soumise à l’obligation de moyens : donner à l’équipe médicale les moyens d’éviter toute tentative de suicide chez le patient

Nous nous plaçons ici sous la notion de données acquises de la science. Le médecin psychiatre à l’obligation d’apporter à son patient des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. Le praticien doit mettre en œuvre tous les moyens qui sont à sa disposition pour éviter toute tentative de suicide.

Le praticien doit prouver (article 1315 alinéa 2 du Code civil 1) qu’il n’a pas pu établir l’existence d’éléments devant lui permettre de déceler une intention suicidaire du patient, justifiant des mesures de surveillance particulières. Comme le précise l’adage : « à l’impossible, nul n’est tenu ».

L’appréciation souveraine des juges du fond permet à la Cour de cassation de dire que le praticien avait, en l’espèce, « connaissance des risques élevés de suicide par pendaison ».

Les soins attentifs et les diligences que nécessitait l’état du patient devaient se manifester par l’impératif d’éviter toute tentative de suicide.
Il appartenait au praticien de prendre toutes les mesures et précautions nécessaires et d’alerter la clinique, afin d’éviter un suicide toujours possible chez une personne dans cet état, hospitalisée dans un établissement spécialisé à la demande de son médecin (Cour de cassation, 1civ. 1er mars 2005).

Dès lors, cette faute n’a pas permis à l’équipe soignante, placée sous l’autorité du médecin psychiatre, de mettre en œuvre des mesures de surveillance particulières. L’arrêt précise bien qu’il incombait au praticien « de donner au personnel soignant les informations et instructions nécessaires, notamment quant aux objets que la victime pouvait garder, à la possibilité d’obtenir ou non une chambre individuelle, au contenu et la fréquence de la surveillance, qui devait, en raison du contexte, être plus étroite qu’à l’accoutumée »

Dès lors, cette faute civilement établie ne peut être imputable qu’au praticien et non à l’établissement de santé privé qui emploie le personnel soignant.

La notion d’équipe médicale : une sphère de responsabilité émanant du praticien libéral

Nous nous concentrerons sur le lien de subordination qui se créé entre le praticien et son équipe médicale, avant de nous intéresser aux effets civils de ce lien de subordination.

Le lien de subordination médecin / équipe soignante

Lorsque le médecin prend la direction d’une intervention, d’un soin, le personnel de l’équipe médicale qui l’assiste se trouve sous sa dépendance et son autorité. Le praticien conserve donc la direction des soins et subordonne l’ensemble de l’équipe soignante à ses prescriptions.

En l’espèce, il incombait au personnel soignant, mis à disposition du praticien par la clinique, d’assurer la surveillance du patient. Seulement, cette surveillance était imposée à titre médical est suivait les prescriptions médicales du seul médecin psychiatre.
En effet, seul une personne habilitée à exercer l’art médical, au sens des articles L 4111-1 et suivants du Code de la santé publique, est amenée à diriger une équipe médicale. L’équipe soignante ne répondait donc que du seul praticien dans l’exécution des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science à apporter au patient.

Le médecin psychiatre a donc placé sous son « autorité médicale » une équipe soignante.
Il a alors agi en commettant et assume la responsabilité civile de ses préposés (1384 alinéa 5 du Code civil 2). Le praticien subordonne le personnel paramédical à ses prescriptions. Celui-ci n’est pas là pour outre passer le rôle qui lui a été imparti et met en œuvre les mesures de surveillance établies par le praticien.

Il devient dès lors impossible de rechercher une quelconque responsabilité de l’établissement de santé.

Les effets : impossibilité de rechercher la responsabilité de la clinique – le praticien assume seul la responsabilité de la faute dans l’exercice de son art

En l’espèce, aucune faute n’est imputable à l’établissement de santé dans l’organisation du service paramédical.
La responsabilité civile d’une clinique ne peut pas être recherchée du fait d’une faute commise dans l’exercice de l’art médical. En effet, le seul lien de subordination qui existe lors de cet exercice est celui du praticien eu égard au personnel médical et/ou paramédical placé sous son autorité.

Dès lors, l’établissement de santé privé n’est plus le commettant de son personnel paramédical. La seule entité juridique qui peut exercer son pouvoir de direction est le praticien qui exerce son art.

 


1 – Article 1315 du code civil :
Alinéa 1 : Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Alinéa 2: Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

 

2 – Article 1384 du code civil :
Alinéa 1
: On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde.
Alinéa 2 : Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.
Alinéa 3 : Cette disposition ne s’applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires, qui demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du code civil.
Alinéa 4 : Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.
Alinéa 5 : Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ;
Alinéa 6 : Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance.
Alinéa 7 : La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.
Alinéa 8 : En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l’instance.

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