Arrêt maladie et congés payés

Écrit par Marie-Thérèse Giorgio le . Dans la rubrique La forme, Perspectives

Épineuse question que celle du devenir des congés payés quand on est en arrêt de travail à cause d’un problème de santé, surtout lorsque celui-ci a tendance à s’éterniser. Si le droit à les conserver était entendu, la durée pendant laquelle cela était possible souffrait d’imprécision. Source de conflits avec certains employeurs, les affaires portées devant les tribunaux ne manquent pas à ce sujet. Nombreux étaient donc ceux qui attendaient avec impatience une décision de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière et, pour la première fois, dans un arrêt du 22 novembre 2011, celle-ci a considéré que le report des droits au congé annuel d’un travailleur en incapacité de travail pouvait être limité dans le temps par des dispositions nationales.


Pieds nus

C’est depuis le 20 juin 1936 que les Français peuvent goûter aux joies des congés payés. Emportés de haute lutte, ils n’ont malheureusement pas mis les travailleurs à l’abri de la maladie. Pour l’immense majorité des employés et des employeurs, congés maladie ne riment pas avec vacances, mais, comme en toute chose, des excès ont parfois vu le jour et c’est alors que la justice s’en est mêlée. Entre repos forcé et repos bien mérité, l’équilibre n’a pas toujours été facile à trouver…

En Europe, pour ce qui est du droit aux congés payés, les choses sont claires. L’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000/C 364/01) spécifie que « tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés ». La directive 2003/88/CE du parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail précise, pour sa part, que : « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins 4 semaines conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail » (art. 7).
Malgré tout, il aura fallu attendre une décision de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du 20 janvier 2009 (affaires jointes C-350/06 et C-520/06) pour avoir des précisions quant à la finalité de ces congés payés et à la différence qui peut exister entre ceux-ci et les congés maladie. Cette finalité est double : pouvoir se reposer et pour se détendre. « Il est constant que la finalité du droit au congé annuel payé est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs. Cette finalité diffère en cela de celle du droit au congé de maladie. Ce dernier est accordé au travailleur afin qu’il puisse se rétablir d’une maladie. »

Calcul des congés payés

En France, l’article L 3141-1 du code du travail précise que « tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l’employeur » dans des conditions fixées par la loi. L’article L 3141-3 explique que ces droits à congé annuel sont subordonnés à l’accomplissement d’un travail effectif : « le salarié qui justifie avoir travaillé chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum de 10 jours de travail effectif a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail ». L’article L 3141-5 assimile, quant à lui, certaines périodes non travaillées à du travail effectif pour le calcul de la durée des congés payés, sans remettre en cause pour autant l’ouverture de ces droits.

Article L 3141-5 du code du travailSont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :1° Les périodes de congé payé ;
2° Les périodes de congé maternité, paternité et d’adoption, adoption et éducation des enfants ;
3° Les repos compensateurs obligatoires prévus par l’article L 3121-26 du présent code et l’article L 713-9 du code rural ;
4° Les jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail ;
5° Les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ;
6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque.

Jusque-là, le calcul des congés payés ne posait donc que rarement des problèmes quand rien ne venait interférer. Les choses se compliquaient quand la maladie venait perturber ce temps légal de repos, surtout quand ces derniers devaient être pris à date fixe pour le bon fonctionnement de l’entreprise, mais le cadre avait le mérite d’être clair. Cette situation a néanmoins été remise en cause une première fois, le 26 juin 2001, par un arrêt de la CJCE (aff. 173/99), puis plus récemment et sans équivoque, cette fois, par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 24 janvier 2012 (aff. 282/10). Pour cette dernière, « l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale de 10 jours ou d’un mois pendant la période de référence ». Les conditions d’acquisition des congés payés et le régime d’assimilation prévu par l’article L 3141-5 vont donc devoir être revues par le législateur.

Congés payés et maladie

Lorsqu’un salarié revient dans l’entreprise à l’issue de son arrêt maladie, alors que la période des congés payés est terminée dans la société où il est employé, conserve-t-il ses congés payés ? Pour la Cour de cassation, qui s’est alignée sur la jurisprudence communautaire, la réponse est oui.

Après avoir rendu un arrêt favorable au report des congés payés suite à un congé de maternité, le 2 juin 2004 (pourvoi nº 02-42405), c’est en 2007 que la Cour de cassation a admis le principe de report des congés au-delà de la période de référence pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. L’arrêt du 27 septembre 2007 (pourvoi nº 05-42293) précise que « lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année prévue par le code du travail ou une convention collective, en raison d’absences liées à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail. »

Dans un arrêt du 24 février 2009 (pourvoi nº 07-44488), la Cour de cassation a étendu cette possibilité aux absences liées à une maladie, les congés non pris devant être reportés après la date de la reprise du travail : « lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année prévue par le code du travail ou une convention collective en raison d’absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail ». Elle ne faisait là que suivre la voie imposée par l’arrêt de la CJCE du 20 janvier 2009 vu plus haut.

Modalités du report et limite dans le temps

Si les juges avaient, en 2009, légitimé le report des congés payés au sortir d’une période d’arrêt maladie, leurs décisions n’apportaient aucune précision quant aux modalités de ce report, tout particulièrement concernant la question d’une éventuelle limitation dans le temps de celui-ci.
Ce n’est que le 3 février 2010 (nº de pourvoi 07-41446) que la Cour de cassation a commencé à évoquer la notion de temps : un salarié en arrêt maladie depuis l’an 2000, licencié en 2003 pour inaptitude, peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés non pris en raison de ses 3 années d’arrêt maladie, décision prise en se fondant sur les directives 2003/88/CE et 93/104/CE. Restait à savoir si ce report avait une limite dans le temps.

Blessé sur un brancard

Les juges communautaires ont statué sur ce point le 22 novembre 2011 (aff. 214/10) : il y a bien une limite dans le temps au report des congés payés.
En Allemagne, l’employeur d’un salarié relevant d’une convention collective considérait que les droits au congé payé annuel non pris en raison d’une maladie s’éteignaient au-delà de 15 mois, par conséquent, il refusait de payer des congés annuels non pris en raison d’un arrêt maladie d’une durée de 3 ans. La juridiction allemande, avant de rendre sa décision, a demandé à la CJUE si cette limitation était compatible avec la directive 2003/88/CE.
Dans l’arrêt du 22 novembre 2011, la CJUE admet que la législation ou les conventions collectives des pays européens peuvent limiter la période de report des congés payés et que, lorsque le délai prévu est passé, le salarié ne peut plus faire valoir ses droits au congé payé annuel : « […] au regard de la finalité même du droit au congé annuel payé, directement conféré par le droit de l’Union à chaque travailleur, un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, empêché par le droit national de prendre son congé annuel payé durant ladite période, ne saurait avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période.
Cette même période doit aussi protéger l’employeur d’un risque de cumul trop important de périodes d’absence du travailleur et des difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l’organisation du travail. »
La période de report doit avoir une durée supérieure à celle de la période de référence pour laquelle elle est accordée (en principe l’année civile). Dans ce cas précis, la CJUE a estimé suffisante une période de report de 15 mois. Cette décision s’impose aux juridictions nationales.

Le droit national va devoir évoluer

Si, jusqu’à maintenant, le droit français et surtout sa jurisprudence présentaient la spécificité de distinguer les cas où l’arrêt maladie survient avant la prise des congés payés des cas où la maladie survient durant la période de congés payés, la première cause de suspension du contrat de travail prévalant toujours sur l’autre, ceci va devoir changer. Les décisions qui voulaient que si un salarié tombe malade avant la prise de ses congés annuels, il puisse bénéficier de leur report, tandis que s’il tombe malade durant ses congés annuels, il ne bénéficie pas, sauf accord de l’employeur ou dispositions conventionnelles plus favorables, d’une prolongation de son congé, vont devoir être maintenant prises au regard de la jurisprudence européenne.
Dans un arrêt du 8 novembre 1984 (pourvoi nº 82-42372), la Cour de cassation avait, en effet, décidé que l’employeur qui avait accordé ses congés au salarié s’était acquitté de ses obligations et que le salarié ne pouvait pas exiger de nouveaux congés, même non rémunérés. La CJUE ne faisant pas de distinction entre l’arrêt maladie qui survient avant la prise des congés payés et l’arrêt maladie qui survient durant la période des congés payés et accordant le report des congés dans tous les cas, la jurisprudence française devient caduque. Conformément à la décision de la CJCE du 20 janvier 2009, « un travailleur qui est en congé de maladie durant une période de congé annuel fixée au préalable a le droit, à sa demande et afin qu’il puisse bénéficier effectivement de son congé annuel, de prendre celui-ci à une autre époque que celle coïncidant avec la période de congé de maladie. »

Seule petite nuance à apporter à tout cela : le droit européen ne prévoit ses dispositions que pour quatre semaines de congés payés, or en France, la cinquième semaine a été instaurée depuis plusieurs années. Même si rien ne l’y oblige, rien n’interdit au législateur d’un État membre de prendre des dispositions plus favorables que les dispositions minimales prévues par l’Europe. On imagine mal la France, qui se veut toujours en pointe quand il est question de droit social, agir autrement. La protection du salarié dans sa relation de travail avec l’employeur s’en trouverait ainsi renforcée.

 

Mise à jour du 6 mai 2012
La Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision du 3 mai 2012 (affaire C-337/10), a statué en faveur d’un fonctionnaire qui s’était vu refuser une indemnité financière pour ne pas avoir pu profiter de ses congés payés en raison d’un problème de santé avant son départ à la retraite. Pour la Cour, « lors de son départ à la retraite, un fonctionnaire a droit à une indemnité financière s’il n’a pas pu exercer, pour cause de maladie, tout ou partie de son droit au congé annuel payé minimum de quatre semaines ». Dans cet arrêt, « la Cour rappelle que la directive 2003/88 s’applique, en principe, à tous les secteurs d’activités, privés ou publics, afin de réglementer certains aspects de l’aménagement de leur temps de travail. […] Néanmoins, la Cour précise que la directive ne s’oppose pas à l’application de dispositions nationales qui accordent au fonctionnaire des droits à congé payé supplémentaires s’ajoutant au droit à un congé annuel payé minimal de quatre semaines. Dans un tel cas, la législation nationale peut ne pas accorder le paiement d’une indemnité financière lorsque le fonctionnaire partant à la retraite n’a pas pu bénéficier de ces droits supplémentaires parce qu’il n’a pu exercer ses fonctions pour cause de maladie. »

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Commentaires (5)

  • concours infirmier

    |

    Vraiment très épineuse cette question;D! Dans certain pays l’employeur n’hésite pas à dicter les règles du « repos maladie » aux établissements médicales qui s’occupent de leurs employés!

    Répondre

  • Niox

    |

    Bonjour,
    j’ai été arretee du 21/11/2011 au 31/01/2012 (dans le cadre d’une inaptitude temporaire). et j’ai repris mon travail le 1er février 2012 sans intéruption depuis.
    .Le solde de mes congés en cours d’acquisition qui était de 17,5 jours au 31 décembre 2012 est resté depuis figé à 17,5 jours.

    A savoir :
    Dec 2011 : congés en cours d’acquisition : 17,5 jours
    Janv 2012 : 17,5 jours
    Fév 2012 : 17,5 jours alors que j’ai travaillé le mois entier

    Est ce normal ?
    Par ailleurs avec l’
    Article L 3141-5 du code du travail n’y a t il pas une erreur de l’employeur ?
    Merci pour votre éclairage
    Bien à vous

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  • gaelle761

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    Bonjour
    J’aurais avoir quelque réponse à mes question. Je viens de tombé malade à ce jour le 23.04.2012 jusqu’ au 27.04.2012 . Mais congés payé tombé du 30 avril au 15 mai Je voulais savoir après avoir fait appel à mon entourage, si j’ était dans l’ obligation de retourné a mon travail 1 journée a l’avance pour que mes congés ne soit pas retiré . Car il me menace de me supprimé mes congés ainsi que de perdre ma place.
    Pouvez vous m’ aidé

    Cordialement

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  • fabrice

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    Bonjour,

    Ma mère est en arrêt maladie (5mois d’arrêt) pour une maladie de longue durée. Elle vient d’être déclarée inapte pour le travail et va donc partir à la retraite. Son employeur lui a dit que les congés qu’elle avait à prendre ne lui seraient pas payés comme elle ne reprennait avant de partir à la retraite. Est ce normal? Des congés acquis ne sont-ils pas dûs même si on est en arrêt jusqu’à la retraite?
    Dans l’attente d’une réponse.

    Cordialement.

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  • isabelle.S

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    Bonjour ,j’ai était dans l’année 2015 d’abord en maladie de mars au 1/10/2015 puis en at de decembre 2015 a fin janvier 2016 ,depuis j’ai repris le travail. Si je comprend bien cette lois, comme je n’est pas pris de conger en 2015 et que mon patron m’a refusé en lettre recommandée avec ar des conger que j’avais posé pour cette même année 2015 ,je peut demander le report de ces conger ? Ou au moins pour 4semaine Sur une période de 15mois ? Et si oui comment en faire la demande à mon employeur?? Merci de confirmer ou de m’éclairer

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