Lésion imputable à un tiers et Sécurité sociale

Écrit par Thomas Rollin le . Dans la rubrique Le fond, Perspectives

 

Les professionnels de santé l’ignorent souvent, mais la notion de « tiers responsable » fait qu’en plus du patient qui a porté plainte contre eux en raison d’une lésion qu’il impute au soignant, ils vont retrouver la Sécurité sociale aux côtés du plaignant sur les bancs du tribunal. Pour cette dernière, il est question de se faire indemniser pour les sommes qu’elle a engagées en remboursant les soins et autres prestations prises en charge par l’assurance-maladie de la présumée victime.

Effet domino

Quand bien même l’affaire se réglerait loin des prétoires par un accord à l’amiable entre les parties, elle doit être informée afin de pouvoir y participer. Cette notion de tiers responsable ne s’applique d’ailleurs pas qu’aux professionnels de santé, mais à tout un chacun : en cas d’accident causé par un tiers, c’est au tiers ou à son assureur de rembourser les frais de santé afférents.

Rembourser la Sécurité sociale ou payer à sa place

Si bon nombre d’accidents sont dus à des circonstances malheureuses liées au hasard, sans que personne ne puisse être mis en cause quant à leur survenue, il arrive néanmoins régulièrement qu’une victime estime, à tord ou à raison, qu’untel ou untel est responsable de son malheur. Blesser un inconnu ou un ami par accident est une chose qui peut arriver à n’importe qui, tout comme un professionnel de santé peut être à l’origine d’une lésion chez un patient malgré toutes les précautions prises pour que cela n’arrive pas. Il y a alors la personne s’estimant être la victime, qui va devoir subir des soins, et un tiers ou des tiers dont la responsabilité est mise en cause. Si le tiers est bien responsable, il faut savoir que la loi prévoit que la Sécurité sociale n’a pas à prendre en charge le remboursement de ces soins si elle a entamé un recours contre ce tiers ou qu’elle peut demander au responsable de rendre les sommes qu’elle a déjà versées à la victime concernant les soins liés à cet “accident”.

Concrètement, si un professionnel de santé est reconnu responsable de la lésion d’une personne, c’est à lui, à ses ayants droit ou à son assureur en responsabilité civile de prendre en charge les frais relatifs aux soins de la victime. De même, en tant que simple citoyen, si je blesse quelqu’un par accident et que je suis responsable, c’est à moi-même, à mes proches (si je suis décédé, par exemple) ou à mon assureur en responsabilité civile de payer pour les soins et autres prestations (les transports sanitaires, par exemple) de la personne blessée.

Sphère privée ou accident du travail

Les accidents de la sphère privée ne sont pas les seuls à faire l’objet d’un tel recours de l’assurance-maladie, les accidents du travail causés par un tiers sont aussi concernés. Les modalités du « recours subrogatoire » de l’assurance-maladie à l’encontre du « tiers responsable » d’une lésion sont prévues à l’article L 376-1 et suivants du code de la Sécurité sociale. Pour ce qui est des accidents du travail, c’est aux article L 454-1, L 454-2, ainsi qu’aux articles L 455-2 et suivants du même code qu’il faut se référer. Alors qu’il y a encore quelques années, les caisses d’assurance-maladie et autres « tiers payeurs » se remboursaient sur la somme allouée à la victime en réparation de l’ensemble des préjudices soumis à recours, y compris si cette somme correspondait à des préjudices pour lesquels les tiers payeurs n’avaient versé aucune prestation, la loi a évolué afin de réformer ce système qui « aboutissait à un paiement préférentiel des tiers payeurs ». Des mécanismes ont été mis en place pour que le recours de la Sécurité sociale intervienne plus tôt et qu’en cas de procédure et d’indemnisation d’un dommage corporel, il y ait une indemnisation poste de préjudice par poste de préjudice et un paiement préférentiel de la victime par rapport aux caisses de Sécurité sociale et autres tiers payeurs.

La loi prévoit que « la personne victime, les établissements de santé, le tiers responsable et son assureur sont tenus d’informer la caisse de la survenue des lésions causées par un tiers […] » : il n’est donc pas question de penser que l’on peut se soustraire à ces dispositions. Mieux vaut d’ailleurs ne pas s’y risquer, car l’article L 376-1 du code de la Sécurité sociale précise aussi que « l’intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d’assuré social de la victime de l’accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. À défaut du respect de l’une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt. »

À l’amiable ou devant les tribunaux

Depuis la loi nº 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 et son article 120, le législateur a même prévu des sanctions à l’encontre des assureurs qui arriveraient à un accord à l’amiable avec une victime sans en avoir informé la caisse d’assurance-maladie dont elle dépend, qu’il s’agisse d’un problème privé ou d’un accident du travail.

En matière de prescription et d’extinction des droits, la Sécurité sociale ou les autres tiers payeurs ont les mêmes droits que ceux de la victime. Dans le cas des dommages corporels, le plus souvent et hors accident du travail, les tiers payeurs disposent de 10 ans à compter de la consolidation du dommage pour exercer leur action subrogatoire à l’encontre du responsable du dommage concernant les chefs de préjudices pour lesquels ils ont eu à verser des prestations.

Selon les assureurs en responsabilité civile des professionnels de santé, les indemnités versées à l’assurance-maladie et aux autres tiers payeurs dans le cadre du recours subrogatoire seraient en nette augmentation ces dernières années. Les mesures législatives visant à systématiser l’implication de l’assurance-maladie dans chacun des dossiers traités par les compagnies d’assurance, y compris lors des règlements à l’amiable, dans le but de lui faire réaliser des économies semblent donc porter leurs fruits. Pour les assureurs, il s’agit là d’un nouvel élément justifiant l’augmentation des primes d’assurance en RCP des professionnels de santé, alors même que la sinistralité de ces derniers est en baisse depuis 1997 et que les montants d’indemnisation n’ont pas tendance à « exploser » comme on l’entend trop souvent.

Les professionnels de santé ont une autre raison d’être sensibilisés à cette notion d’« accident causé par un tiers » puisque sur les feuilles de soins qui leur sont remises par l’assurance-maladie ou dans leur logiciel de télétransmission, il existe une case à cocher à cet effet pour les patients qu’ils sont amenés à prendre en charge pour une lésion imputable à un tiers.

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Commentaires (2)

  • victime51

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    le chirurgien qui m’a opérée est parti en vacances dès le lendemain de l’intervention et est revenu 12 jours plus tard,j’ai attendu qu’il revienne pour sortir puisqu’il n’avait pas de remplaçant ,la durée moyenne de séjour pour l’ intervention que j’ai subi est de 5 à 7 jours,il y a eu 4 jours supplémentaires et un dimanche de facturer à la sécurité sociale et à la mutuelle pour payer non pas des soins mais les vacances de ce chirurgien…

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  • APMP

    |

    Il est plus facile de s’en prendre à un chirurgien ou un médecin en général qu’à un employeur, à fortiori lorsqu’il s’agit d’un « gros » employeur.
    Si sur le fond, une telle réaction des Caisses primaires d’Assurance maladie n’est pas illogique, sur la forme pourquoi n’agissent-elles pas à l’identique s’agissant des employeurs?
    Dans les faits, force est de constater que lesdites Caisses font régulièrement preuve d’inattention et/ou d’incompétence voire même de malhonnêteté dans les dossiers où elles sont en droit d’intervenir contre les employeurs ainsi qu’elles le font contre le corps médical.
    Il faut savoir que dans le cas d’un dossier visant à la reconnaissance d’une maladie professionnelle par exemple, si la Caisse reconnaît la notion de maladie professionnelle (cas rarissime) elle doit informer l’employeur de sa décision dans un délai maximal de 10 jours.
    Etrangement, les Caisses passent outre une telle obligation. Elles oublient d’informer l’employeur, s’autorisant à soutenir qu’elles l’ont informé mais par courrier simple ou alors elles notifient leurs décisions à des adresses postales qui correspondent à des filiales ou des succursales.
    Dès lors, la conséquence est immédiate. La décision de la reconnaissance de la maladie professionnelle prise par la Caisse est inopposable à l’employeur qui sera donc dispensé de subir les coûts financiers entrainés par une telle maladie. Ces coûts resteront alors à la charge de la Caisse, pour être plus clair à la charge des cotisants à la Sécurité sociale que nous sommes tous.
    Non seulement, elles ne se retournent pas contre les employeurs, qui plus est, elles interviennent au soutien des intérêts financiers desdits employeurs.
    Souvenons-nous, les médias il y a quelques semaines encore évoquaient ces agissement de la Sécu dans les dossiers Michelin et Sanofi.
    De toute évidence, il y a deux poids deux mesures, ce que le droit français interdit tout particulièrement.
    Sachez amis médecins que notre association peut vous apporter des armes de choix dans de tels combats.

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