Le régime juridique de la vente en ligne des médicaments (presque) achevé

Écrit par Jean-Christophe André, Gwendoline Cattier — Avocats à la Cour le . Dans la rubrique Le fond, Perspectives

Le Ministère des affaires sociales et de santé vient de publier, le 20 juin 2013, l’arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique (ci-après, l’ « Arrêté ») .

Cet arrêté ministériel dépasse la seule dispensation des médicaments par voie électronique pour encadrer également les modalités de la vente à distance et de l’approvisionnement des officines de pharmacie, ce qui avait provoqué les critiques de l’Autorité de la concurrence considérant que le Ministère chargé de la santé avait outrepassé les limites de son habilitation.

Divers médicamentsCe n’était d’ailleurs pas les seules critiques formulées par l’Autorité de la concurrence dans son avis n°13-A-12 du 10 avril 2013 relatif au projet d’Arrêté .

De nombreuses restrictions de concurrence avaient été identifiées par le gardien de l’ordre public économique qui n’avait pas hésité à déclarer que ce projet d’Arrêté privait « tout intérêt à la commercialisation de médicaments par Internet, tant pour le patient-consommateur que pour les pharmaciens ».

Suivant la quasi-totalité des recommandations de l’Autorité de la concurrence, le Ministère de la santé a adopté un Arrêté dont les dispositions sont assez éloignées de la version initiale.

Considérant le site internet de la pharmacie comme le prolongement virtuel de l’officine, le Ministère de la santé a concilié l’exigence de ne pas faire obstacle au développement de ce nouveau mode de commercialisation tout en garantissant la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments par un contrôle du pharmacien sur toutes les prestations afférentes à la vente à distance des médicaments.

 

Des modalités de vente ne faisant pas obstacle au développement de la vente en ligne des médicaments non soumis à prescription

 

Tous les médicaments non soumis à prescription peuvent être vendus en ligne

L’Arrêté maintient la référence à l’article L 5125-34 du code de la santé publique1 pour définir les médicaments susceptibles d’être vendus en ligne.

Si cette disposition limite la vente en ligne aux médicaments de médication officinale présentés en accès libre, elle a été suspendue par le Conseil d’État par une ordonnance du 14 février 2013 en raison de sa non-conformité avec le droit communautaire et notamment la Directive 2011/62/UE du 8 juin 20112.

Dès lors et dans l’attente de la décision au fond du Conseil d’État, tous les médicaments non soumis à prescription peuvent être vendus en ligne sans distinction.

En revanche, l’obligation prévue par le projet d’arrêté de proposer les mêmes médicaments, que ce soit au comptoir de l’officine ou par voie électronique, a été supprimée. Le pharmacien peut donc vendre en ligne des médicaments non soumis à prescription qu’il ne vend pas dans son officine.

 

La présentation des médicaments offerts à la vente en ligne doit être isolée dans un onglet spécifique

Le projet d’Arrêté imposait aux pharmaciens de créer un site internet pour la vente en ligne des médicaments distinct des sites internet relatifs à la vente des autres produits vendus habituellement dans une pharmacie. Cette obligation était très contraignante et couteuse tant pour les pharmaciens (financement de plusieurs sites internet) que pour les consommateurs (multiplication des frais de livraison). Elle risquait d’ailleurs, selon l’Autorité de la concurrence, de dissuader les pharmaciens et les consommateurs de recourir à la vente à distance de médicaments.

Afin de ne pas nuire au développement de la vente en ligne des médicaments, l’Autorité de la concurrence avait recommandé — et cette proposition a été suivie par le Ministère chargé de la santé — d’isoler la vente en ligne des médicaments dans un onglet spécifique.

 

Le pharmacien est libre de sa politique tarifaire

Le projet d’Arrêté introduisait deux restrictions tarifaires majeures relevées par l’Autorité de la concurrence en obligeant les pharmaciens à fixer un prix identique que le médicament soit vendu en officine ou par voie électronique et à facturer au consommateur les frais de transport « au prix réel ».

Le Ministère de la santé a abandonné le contrôle des prix des médicaments vendus en ligne puisque l’Arrêté dispose désormais que « le pharmacien fixe le prix des médicaments dans le respect des dispositions du code de la santé publique et du code de commerce. »

 

Les pratiques publicitaires relatives aux sites internet de vente de médicaments sont encadrées

En matière de publicité, l’Arrêté précise que la publicité des médicaments est soumise « à la règlementation en vigueur » et qu’elle ne doit pas « être trompeuse ni porter atteinte à la protection de la santé publique. Elle doit présenter le médicament de façon objective et favoriser son bon usage. »

En ce qui concerne les promotions, l’Arrêté se contente de renvoyer aux règles déontologiques actuellement en vigueur.

En revanche, l’Arrêté n’autorise pas les pharmaciens à recourir à des services de référencement ou des sites comparateurs de prix contre rémunération. Le Ministère de la santé n’a donc pas suivi l’avis de l’Autorité de la concurrence qui avait souligné le caractère excessif de cette interdiction en ce qu’elle privait les opérateurs français d’un moyen de publicité utilisé par les opérateurs étrangers.

Toutefois, il s’agit quasiment de la seule recommandation de l’Autorité de la concurrence qui n’a pas été reprise par le Ministère chargé de la santé. Si les pharmaciens français pourraient se plaindre d’être victimes d’une forme de « discrimination à rebours » par rapport à leurs homologues européens, cette interdiction de recourir à des services de référencement et comparateurs de prix payants devrait pouvoir se justifier au regard des règles de déontologie de la profession actuellement en vigueur.

 

La chaîne d’approvisionnement des médicaments vendus sur Internet soumise aux mêmes contrôles que les médicaments vendus en officine

 

Les prestations « en amont » de la vente à distance des médicaments sont soumises au droit commun

L’Autorité de la concurrence a recommandé de limiter l’interdiction de la sous-traitance aux seules prestations « aval » de préparation des commandes et des livraisons au client qui ne peuvent être assurées, en vertu de la législation actuelle, que par les pharmaciens .

Dans le sens de cette recommandation, l’Arrêté interdit la « sous-traitance a un tiers de tout ou partie de l’activité de vente par internet […], à l’exception de la conception et de la maintenance technique du site internet ».

Ainsi, l’approvisionnement des pharmacies en médicaments destinés à la vente par internet est soumis aux conditions du droit commun.

S’agissant de la conception et de la maintenance du site internet de la pharmacie, l’Arrêté prévoit que ces prestations peuvent être sous traitées à un tiers sous réserve toutefois que ce ne soit pas une entreprise produisant ou commercialisant des produits de santé mentionnés à l’article L 5311-1 du code de la santé publique4.

Là encore, la recommandation de l’Autorité de la concurrence a été suivie puisque les groupements de pharmaciens, sous réserve qu’ils ne commercialisent pas des produits de santé sous leurs marques propres, devraient être autorisés à se voir confier la conception et la gestion des sites internet des pharmaciens.

 

Les prestations « aval » de la vente à distance des médicaments sont exécutées sous la responsabilité du pharmacien

Si la préparation des commandes de médicaments vendus en ligne doit avoir lieu au sein même de l’officine dans un espace adapté à cet effet, les médicaments devraient pouvoir être stockés sous la responsabilité du pharmacien mais dans des lieux spécifiques à proximité de l’officine.

Suivant les recommandations de l’Autorité de la concurrence, l’Arrêté prévoit en effet que le stockage des médicaments destinés à la vente en ligne devait être réalisé « dans le respect des conditions générales d’installation de l’officine prévues par la règlementation, notamment l’article R 5125-9 du code de la santé publique ». Cette disposition précise en effet que des lieux de stockage peuvent se trouver à proximité immédiate de l’officine de pharmacie à condition de ne pas être ouverts au public, de ne comporter aucune signalisation, ni vitrine extérieure.

De même, en ce qui concerne la livraison, l’Arrêté renvoie aux dispositions du code de la santé publique applicables à la livraison à domicile. Les articles R 5125-47 CSP à R 5125-49 CSP posent ainsi le principe de la responsabilité du pharmacien pour le transport des médicaments au domicile des patients, étant précisé que cette prestation peut être sous-traitée à un transporteur « dans des conditions garantissant leur parfaite conservation », sans pour autant inclure un service de stockage.

Enfin, le consommateur ne dispose d’aucun droit de rétractation suite à une commande passée sur internet.

Cette exception au droit de rétractation, qui doit être mentionnée de manière claire et lisible avant la validation de la commande et figurer expressément dans les conditions générales de vente, est justifiée dans l’Arrêté par des impératifs de sécurité de la chaine d’approvisionnement. Elle devrait d’ailleurs être confirmée par l’adoption du projet de loi consommation actuellement en cours de discussion à l’Assemblée Nationale qui exclut du régime général de la vente à distance les contrats concernant la prescription et la délivrance de médicaments (article 5 du projet de loi).

 

Cet Arrêté a le mérite de préciser le régime juridique de la vente à distance des médicaments non soumis à prescription offrant ainsi aux pharmaciens désireux de développer cette activité de bénéficier d’une sécurité juridique suffisante.

Si la question du champ d’application des médicaments susceptibles d’être vendus en ligne reste encore en suspens dans l’attente de la décision au fond du Conseil d’État, il est toutefois très probable que ce dernier confirme son ordonnance du 14 février 2013 et que tous les médicaments non soumis à prescription puissent continuer à être vendus par Internet.

 

Jean-Christophe ANDRE

Gwendoline CATTIER

Avocats à la Cour

Cabinet DDG

 


1— Article L 5125-34 du code de la santé publique : « Seuls peuvent faire l’objet de l’activité de commerce électronique les médicaments de médication officinale qui peuvent être présentés en accès direct au public en officine, ayant obtenu l’autorisation de mise sur le marché mentionnée à l’article L 5121-8 ou un des enregistrements mentionnés aux articles L 5121-13 et L 5121-14-1. »
2— Voir notre précédent article : André, Cattier et Dantec — Le régime juridique de la vente de médicaments sur internet inachevé, mais déjà contesté
3— Articles L 5125-1 et L 5125-20 du code de la santé publique
4— Les produits de santé visés à l’article L 5311-1 du code de la santé publique sont : 1° Les médicaments, y compris les insecticides, acaricides et antiparasitaires à usage humain, les préparations magistrales, hospitalières et officinales, les substances stupéfiantes, psychotropes ou autres substances vénéneuses utilisées en médecine, les huiles essentielles et plantes médicinales, les matières premières à usage pharmaceutique ; 2° Les produits contraceptifs et contragestifs ; 3° Les biomatériaux et les dispositifs médicaux ; 4° Les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro ; 5° Les produits sanguins labiles ; 6° Les organes, tissus, cellules et produits d’origine humaine ou animale, y compris lorsqu’ils sont prélevés à l’occasion d’une intervention chirurgicale ; 7° Les produits cellulaires à finalité thérapeutique ; 8° Le lait maternel collecté, qualifié, préparé et conservé par les lactariums ; 9° Les produits destinés à l’entretien ou à l’application des lentilles de contact ; 10° (Abrogé) 11° Les procédés et appareils destinés à la désinfection des locaux et des véhicules dans les cas prévus à l’article L 3114-1 ; 12° Les produits thérapeutiques annexes ; 13° (Abrogé) 14° Les lentilles oculaires non correctrices ; 15° Les produits cosmétiques ; 16° Les micro-organismes et toxines mentionnés à l’article L 5139-1 ; 17° Les produits de tatouage ; 18° Les logiciels qui ne sont pas des dispositifs médicaux et qui sont utilisés par les laboratoires de biologie médicale, pour la gestion des examens de biologie médicale et lors de la validation, de l’interprétation, de la communication appropriée en application du 3° de l’article L 6211-2 et de l’archivage des résultats.

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