Les fondements de la responsabilité médicale

Écrit par Claire Maignan le . Dans la rubrique Le fond

La balance de la justice met du temps à trouver une position d’équilibre dans le domaine du droit médical. La loi du 4 mars 2002 va-t-elle lui permettre de se stabiliser ?

Avant l’intervention du législateur et la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, la jurisprudence tant civile qu’administrative a tenté de créer des régimes de responsabilité médicale favorables aux victimes de dommages survenus sans faute du médecin. Elle a remis en cause cette jurisprudence et a créé un régime de responsabilité médicale fondée sur la faute du praticien.

Des victimes mal indemnisées

Avec les progrès spectaculaires effectués dans le domaine médical, la médecine est devenue extrêmement invasive et la notion de risque médical est apparue.
Pourtant, et pendant très longtemps, le domaine de la responsabilité médicale est resté l’un des derniers où les victimes de dommages corporels étaient tributaires d’une responsabilité pour faute du médecin. En effet, le médecin était tenu d’une obligation de moyens et la mise en jeu de sa responsabilité dépendait de la preuve qu’il avait commis une faute.

 Cour de cassation, 20 mai 1936, arrêt Mercier.

« L’obligation de soins découlant du contrat médical et mise à la charge du médecin est une obligation de moyens ; le médecin ne pouvant s’engager à guérir, il s’engage seulement à donner des soins non pas quelconque mais consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science ».

Or très souvent, ces victimes n’étaient pas indemnisées car elles ne parvenaient pas à établir l’existence d’une faute du médecin.

L’intervention de la jurisprudence

Dans l’attente de l’intervention du législateur, la jurisprudence administrative s’est emparée du problème et a créé des cas de responsabilité sans faute.

 Cour administrative d’appel de Lyon, 20 décembre 1990, arrêt Gomez.

Un adolescent de 15 ans atteint d’une cyphose est hospitalisé afin de subir une intervention chirurgicale. Les médecins utilisent alors une nouvelle technique chirurgicale. Quelques heures après son réveil, le jeune homme souffre de paraplégie.
Les parents saisissent le Tribunal administratif aux fins de voir condamner l’hôpital et d’obtenir une indemnisation. Mais les deux experts vont conclure qu’aucune faute n’a été commise au sein de l’hôpital. Le Tribunal administratif va alors débouter les parents de leur demande. Ils vont donc saisir la Cour administrative d’appel qui va créer un régime de responsabilité sans faute du service hospitalier en déclarant « l’utilisation d’une thérapeutique nouvelle crée, lorsque ses conséquences ne sont pas encore entièrement connues, un risque spécial pour les malades qui en sont l’objet ; que lorsque le recours à une telle thérapeutique ne s’impose pas pour des raisons vitales, les complications exceptionnelles et anormalement graves qui en sont la conséquence directe engagent même en l’absence de faute, la responsabilité du service public hospitalier. »

Malgré cette avancée, la mise en oeuvre de cette jurisprudence était difficile puisqu’elle restait cantonnée à des situations très particulières nécessitant la réunion de trois conditions :

– la thérapeutique choisie devait être une thérapeutique nouvelle aux conséquences non encore entièrement connues ;
– le recours à cette thérapeutique ne devait pas s’imposer pour des raisons vitales ;
– l’utilisation de cette thérapeutique devait entraîner des complications exceptionnelles et anormalement graves.

Quelques années plus tard, le Conseil d’Etat ira encore plus loin en créant un régime de responsabilité sans faute du médecin beaucoup moins strict pour le patient.

 Conseil d’Etat, 9 avril 1993, arrêt Bianchi.

Après avoir subi une artériographie vertébrale, le patient se réveille avec une tétraplégie et souffre de très importantes douleurs. L’expert judiciaire retient comme cause vraisemblable de cet accident une occlusion secondaire à l’artériographie, au niveau de l’artère vascularisant la moelle cervicale, provoquée par une petite bulle ou un petit caillot libéré au moment de l’exploration, constituant un risque inhérent à ce genre d’examen. L’expert conclu en disant que l’hôpital n’a commis aucune faute dans l’exécution de l’artériographie.

Nous sommes donc bien dans le cadre de l’aléa thérapeutique. Pourtant, le Conseil d’Etat va engager la responsabilité de l’hôpital en statuant que « lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente  un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité ».

La jurisprudence Bianchi constitue une avancée majeure dans l’indemnisation des victimes puisque le Conseil d’Etat a très clairement choisi d’autoriser l’indemnisation de l’aléa thérapeutique.

Cette jurisprudence sera confirmée ultérieurement par un autre arrêt du Conseil d’Etat du 3 novembre 1997, Hôpital Joseph Imbert d’Arles.
En l’espèce, un jeune enfant de cinq ans est hospitalisé en vue de subir une circoncision rituelle. Pendant l’intervention qui se déroule sous anesthésie générale, l’enfant se retrouve plongé dans un coma profond. Après être resté un an dans ce coma, le jeune garçon décède.
Sur l’action des parents contre l’hôpital, le Conseil d’Etat va rendre une décision très proche de celle de l’arrêt Bianchi. En réalité, il reprend les termes de l’arrêt Bianchi en remplaçant simplement le terme « malade » par celui de « patient ».

La conséquence est très importante puisque le régime de responsabilité peut alors s’appliquer tant à une intervention à finalité thérapeutique qu’à une intervention à finalité non thérapeutique.

Ainsi, pour pallier l’inertie du législateur en la matière, la jurisprudence administrative a tenté de trouver une solution pour indemniser les victimes de dommages survenus sans faute du médecin ou de l’hôpital. La jurisprudence civile a, quant à elle, toujours refusé de consacrer une responsabilité sans faute des professionnels de santé.
Si elle a accepté de créer des obligations accessoires de sécurité résultat c’est dans des cas très limités.

La Cour de cassation a d’abord posé un principe de présomption de responsabilité.

 Arrêt Bonicci du 21 mai 1996 décidant qu’« une clinique est présumée responsable d’une infection (nosocomiale) contractée dans une salle d’opération (…) à moins de prouver l’absence de faute de sa part ».

Ainsi, la faute de la clinique est présumée en cas d’infection nosocomiale. Pour s’exonérer, elle devra prouver qu’elle n’a commis aucune faute.

Nous ne sommes donc pas encore dans un régime de responsabilité sans faute, mais dans un régime de présomption de responsabilité dont le professionnel de santé peut s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis de faute.

Cet arrêt sera confirmé par un autre arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 1998, dit arrêt Belledone. La Cour de cassation va ensuite aller beaucoup plus loin en rendant trois arrêts du 29 juin 1999, les arrêts « Staphylocoques dorés » édictant que « les établissements de santé privés et les médecins ont une obligation « de sécurité de résultat » dont ils ne peuvent se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère ».

Ainsi, la simple preuve de l’absence de faute ne suffit pas. Pour s’exonérer, le médecin ou l’établissement de santé doit prouver l’existence d’une cause étrangère (force majeure, fait de la victime, fait du tiers). Cette jurisprudence les autorise également à s’exonérer en prouvant qu’ils ont respecté scrupuleusement les règles d’hygiène et d’asepsie.

Cette jurisprudence sera étendue aux cabinets médicaux, par un arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2001.

 Dans un autre cas très précis, la Cour de cassation a rendu un arrêt, le 9 novembre 1999, selon lequel : « s’il est exact que le contrat formé entre le patient et le médecin met à la charge de ce dernier, sans préjudice de son recours en garantie contre le fabriquant, une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne le matériel qu’il utilise, pour l’exécution d’un acte médical, d’investigations ou de soins, encore faut-il que le patient démontre que ce matériel est à l’origine du dommage ».

Le médecin a donc une obligation de résultat concernant le matériel utilisé. Il ne pourra s’exonérer de toute responsabilité, non pas en prouvant son absence de faute mais en prouvant l’existence de la cause étrangère.

En revanche, la jurisprudence civile a refusé de manière expresse de mettre à la charge des praticiens l’indemnisation de l’aléa thérapeutique.

 Cour de cassation, 8 novembre 2000, « la réparation des conséquences de l’aléa thérapeutique n’entre pas dans le champ des obligations dont le médecin est contractuellement tenu à l’égard de son patient ».

En l’espèce, à la suite d’une intervention de neurochirurgie, un patient se retrouve atteint d’un paralysie irréversible. Les experts concluent que cette paralysie est due à un infarctus spontané certes imputable à l’intervention mais sans faute du médecin. La Cour de cassation décide donc, en l’absence de faute du médecin, de ne pas indemniser cet aléa thérapeutique.

Cette jurisprudence a été entérinée par la loi n°2002-303 du 4 mars 2002.

La loi du 4 mars 2002

Malgré la circonspection de la jurisprudence civile par rapport à la jurisprudence administrative, médecins, établissements de santé et assureurs ont craint une remise en cause irréversible de leur célèbre obligation de moyens.

Une crise majeure est intervenue puisque dans cette crainte, les assureurs ont commencé à résilier les contrats d’assurance les liant aux médecins et les ont renégociés en y introduisant des primes très élevées. Les médecins ont alors protesté et affirmé qu’ils allaient se désengager en ne traitant que les cas sans risque.

C’est dans ces conditions et notamment pour régler ce conflit que le législateur est intervenu avec la loi du 4 mars 2002. Sans préciser plus avant, il s’agit seulement d’évoquer ici les principes fondamentaux de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui a réalisé une véritable réforme du droit de la responsabilité médicale. Elle a posé des principes de responsabilité médicale qui remettent en cause les jurisprudences administratives et civiles élaborées en cette matière.

– 1er principe, l’article L 1142-I et II du Code de la santé publique, les professionnels de santé, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont pratiqués des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de leurs actes qu’en cas de faute.

La loi exclut donc l’application des jurisprudences Bianchi ou Gomez.

Pour pouvoir engager la responsabilité d’un professionnel de santé, il faut prouver l’existence d’une faute.

– 2e principe : Pour les établissement de santé (hôpitaux et cliniques), il existe une responsabilité sans faute en cas d’infections nosocomiales. Ils ne pourront se dégager qu’en prouvant l’existence d’une cause étrangère. Ainsi, sur ce point, la loi confirme les arrêts du 29 juin 1999, sauf qu’à présent, les établissements ne pourront s’exonérer de leur responsabilité que par la preuve d’une cause étrangère, et non plus par la preuve du respect des normes d’asepsie et d’hygiène.

Mais une grande différence existe par rapport aux arrêts du 29 juin 1999 : les professionnels de santé libéraux ne sont plus concernés. Pour pouvoir engager leur responsabilité en cas d’infection nosocomiales, il faudra prouver l’existence d’une faute.

– 3e principe : un cas de responsabilité sans faute des médecins et des établissements de santé est créé. C’est a responsabilité sans faute en cas de dommages causés par un produit de santé défectueux.

– 4e principe : pour les accidents médicaux, les affections iatrogènes et les infections nosocomiales (celles pour lesquelles un cause étrangère a été prouvée), c’est la solidarité nationale qui permet d’indemniser les victimes.

Trois conditions doivent être remplies.
* L’accident médical, l’affection iatrogène ou l’infection nosocomiale doit être directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins.

* L’évènement doit avoir pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé et de l’évolution prévisible de celui-ci.

* L’évènement doit présenter un caractère de gravité. Il faut une incapacité permanente partielle (IPP) de plus de 24 %, selon le décret du 24 avril 2003.

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, les cas de mise en jeu de la responsabilité médicale se multiplient, même si la loi du 4 mars 2002 a permis de limiter le nombre de procédures devant les tribunaux.

Alors que la jurisprudence antérieure avait mis en place un système d’indemnisation systématique des victimes par la création d’obligations de sécurité résultat, la loi du 4 mars 2002 a posé le principe fondamental de responsabilité du médecin ou de l’établissement de santé, uniquement en cas de faute. Certes la loi a maintenu l’existence d’une responsabilité sans faute, mais dans des cas extrêmement restreints : infections nosocomiales et produits de santé.

Beaucoup se sont plaints du fait que grand nombre de victimes se retrouvent désormais sans possibilité de voir indemniser leur préjudice. Cela dit, cette loi a aussi permis de limiter une dérive à l’américaine consistant à considérer que la médecine devait être dénuée de tout risque. Désormais, il faut considérer que le risque médical existe et doit être, en l’absence de faute du médecin ou de l’établissement de santé, supporté par le patient.

Claire Maignan
Avocat, CJA Beucher-Debetz, Angers

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