Médecins et paiement à la performance

Écrit par Thomas Rollin le . Dans la rubrique Variations

Jusqu’à ces dernières années, l’éthique et le simple bon sens ne permettaient pas d’envisager le paiement du médecin à la performance. Le praticien était payé à l’acte et la notion de forfait était bannie. Les syndicats médicaux, ne réussissant pas à faire valoir la nécessité d’augmenter les tarifs des actes, ont fait évolué ces notions pensant avoir trouvé là un moyen de corréler augmention tarifaire et gestion des dépenses de santé. L’assurance-maladie et les pouvoirs publics ont compris quant à eux qu’il s’agissait d’un formidable moyen pour exiger davantage en matière de soins à un coût plus faible. Ces réformes vont être expérimentées dès cette année. La qualité des soins est soi-disant le moteur de ce changement. Mais est-ce bien le cas ?

« Le paiement à la performance ne doit pas être conçu comme une simple « récompense » pour inciter le médecin à adopter de meilleures pratiques ; meilleures pratiques qu’il n’adopterait pas spontanément par manque de motivation ou d’attention. Les motivations propres aux médecins (éthique, souci du patient…) sont certainement en elles-mêmes, dans la majorité des cas, suffisantes pour induire une pratique de qualité.Argent et performance Aussi, il paraît plus pertinent de considérer que le paiement à la performance agit comme une incitation à investir adressée aux médecins. Le médecin, du fait de la perspective de gains que constitue le paiement à la performance, pourrait soit travailler plus, soit investir dans sa pratique (recrutement de personnels auxiliaires, acquisition  d’outils relevant des NTI) pour améliorer ses résultats ».

Voilà ce que pense l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) si l’on en croît le rapport intitulé « Rémunérer les médecins selon leurs performances : les enseignements des expériences étrangères » qu’elle a remis à la ministre de la santé ces jours derniers. Le journal La Tribune a rendu ce travail disponible sur Internet en exclusivité.

Un point de vue exceptionnel

Il s’agit-là d’une approche inhabituel qu’il convient de souligner. Les revenus des médecins sont plus souvent considérés comme anormaux au prétexte qu’ils leur servent à acheter de grosses cylindrées, plutôt que comme un moyen d’investir dans du matériel performant de plus en plus onéreux ou de s’entourer d’un personnel paramédical compétent afin d’améliorer la qualité des soins grâce au travail aidé.
C’est avant tout sur le plan des économies de santé que se placent les observateurs des revenus des praticiens. Or, permettre aux médecins n’est appréhendé que comme une éventuelle source de dépenses supplémentaires. Mieux vaut moins payer un praticien, pour qu’il investisse moins dans du matériel qu’il sera à même d’utiliser et qui engendrera de nouveaux remboursements pour l’assurance-maladie. Lorsqu’un établissement de santé public s’achète un appareil dernier cri, il est systématiquement présenté comme un facteur de progrès pour la prise en charge des patients. Les économies potentielles engendrées par son arrivée au sein d’un hôpital grâce à un dépistage plus précoce de certaines pathologies sont très souventmises en avant au sein des articles de la presse locale. Lorsqu’il s’agit d’un médecin libéral qui acquier, au prix d’un endettement élevé, un matériel de dernière génération, c’est plutôt la suspicion qui règne au sein des organismes sociaux. La prise en charge des actes est source de conflits, très rarement à l’avantage des médecins. Le praticien n’est pas autorisé à faire appel à la presse locale, utilisée par l’assurance-maladie pour clouer au pilori les médecins qui auraient effectué des dépassements d’honoraires abusifs, pour qu’elle relate du progrès que représente l’arrivée d’un nouveau matériel au sein de son cabinet libéral. Un article de ce type est considéré comme de la publicité et comme un comportement non confraternel.

D’autres passages de ce rapport apportent des éléments qui montrent que c’est plutôt la performance économique du médecin qui est actuellement recherchée sous couvert de bonnes pratiques.

« Les expériences étrangères montrent que la notion de performance peut être comprise dans une acception plus ou moins large. Elle inclue naturellement la qualité clinique mais y intégrer l’efficience est plus
problématique. Une rémunération en fonction de l’efficience suscite immanquablement, à tort ou à raison, des questionnements éthiques : le médecin n’est-il pas « acheté » pour réduire les soins ? Ces questionnements éthiques rejaillissent sur la légitimité du dispositif. Aussi il parait préférable d’exclure des indicateurs d’efficience d’un éventuel dispositif de paiement à la performance quitte, comme les Britanniques, à développer par ailleurs, si nécessaire, des dispositifs d’incitation à l’efficience.
Si l’on s’en tient à la qualité clinique, il faut être conscient que le paiement à la performance ne peut en tout état de cause concerner que certains aspects de la pratique médicale. Il peut difficilement valoriser la qualité de la prise en charge des épisodes aigus ou des motifs banals de consultation (grippe, fièvre…). Par ailleurs, il ne peut appréhender ce qui, dans une représentation commune, relève du cœur de l’art médical : l’habileté à poser le bon diagnostic ou à détecter le cas rare sous des signes banals, l’aptitude à agir dans l’urgence ou à prendre la bonne décision thérapeutique dans les situations complexes (poly pathologies…). Autant d’éléments de qualité qui ne peuvent être traduits en indicateurs mesurables.
Le paiement à la performance récompense d’autres facettes de l’exercice clinique : la gestion moyenne d’une population, le respect des standards,Economies de santé l’accompagnement des patients. Il valorise essentiellement
l’aptitude des médecins à proposer ou prescrire les traitements conformes aux recommandations de bonnes pratiques et à assurer un accompagnement du patient (rappel, éducation thérapeutique, soutien à la
motivation) pour favoriser son observance. Aussi les dimensions privilégiées du paiement à la performance sont le développement des pratiques préventives et la prise en charge de malades chroniques ».

Une critique des modèles pris pour exemple

Il est intéressant que les deux systèmes de santé pris comme référence pour le paiement à la performance soient celui du Royaume-Uni et celui des États-Unis d’Amérique. Le système anglais, déjà pris comme modèle pour la mise en place du médecin traitant, est un système qui est loin d’avoir fait ses preuves. Mauvaise qualité de prise en charge des patients, délai pour réussir à être opéré excessivement long en fonction de la pathologie, développement d’un secteur privé important face à l’échec du système public, les exemples sont nombreux pour ne pas avoir envie de prendre exemple sur ce pays. Et pourtant… Quant au système américain, il est régulièrement pris en exemple pour montrer aux Français la chance qu’ils ont d’avoir une Sécurité sociale toute puissante. Pourquoi donc vouloir s’inspirer d’un tel système ?
Dans les deux cas la réponse est simple : économies de santé !
En Angleterre, même si les dépenses du Royaume ont augmenté ces dernières années, face au mécontentement de la population, elles restent bien inférieures à celles de la France, ce qui explique que l’on s’en inspire au plus haut sommet de l’État hexagonal. Le paiement à la performance n’a pas permis d’obtenir l’effet escompté outre-Manche sur la qualité des soins. Peu importe ! L’expérimentation va commencer sur notre territoire de par la loi de financement de la Sécurité sociale de 2008.
Aux USA, c’est principalement à l’initaitive des assureurs privés que le paiement à la performance a été mis en pratique. Ces mêmes assureurs qui sont si souvent critiqués pour plus penser à la rentabilité qu’à l’amélioration de la qualité de prise en charge du patient. À tord ou à raison ?

S’intéresser à ce que pense le médecin « de base »

Ce rapport insiste sur la place centrale qui doit être donnée aux médecins et à la prise en compte de leurs avis lorsqu’un tel système est mis en place. Là encore, ce travail s’éloigne des positions politiques et administratives actuelles qui mettent la Sécurité sociale au centre de toutes les décisions concernant le système de santé. L’autre élément qui pourrait freiner un tel dispositif est lié au problème de représentativité des instances censées parler pour les praticiens. Beaucoup de médecins semblent ne pas toujours comprendre les décisions syndicales ou ordinales. Pour parodier une phrase devenue célèbre, il y a les médecins d’en haut et les médecins d’en bas.

Pour l’Igas, « L’analyse du paiement à la performance montre toutefois que les conditions sont loin d’être réunies en France pour l’introduction d’un dispositif de ce type. […] Ce constat n’interdit pas d’envisager une introduction de la rémunération à la performance comme le législateur l’a souhaité en inscrivant dans la loi de financement pour 2008, la perspective de contrats individuels ou l’expérimentation de nouvelles formes de rémunération. Il met  en exergue les limites de la démarche et doit inciter à une grande vigilance sur les autres dimensions de la réussite de ce type de démarche : la pertinence des objectifs et des indicateurs sélectionnés ainsi que la construction d’un consensus autour de ces indicateurs ».

Le paiement à la performance : une fausse bonne idée ?

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