Sinistres et responsabilité civile professionnelle médicale

Écrit par Bertrand Hue, Jérôme Monet le . Dans la rubrique Variations

Les ophtalmologistes, en particulier nos confrères chirurgicaux ainsi que bon nombre d’autres spécialités, sont-ils à mettre sur le même plan que les chauffards ?
Pourquoi se poser cette question ? Simplement parce que depuis le 1er janvier 2004, c’est la même instance, le Bureau central de tarification (BCT), qui fixe les primes d’assurance pour les chauffards et les médecins qui ne trouvent plus à s’assurer.


Que les choses soient claires, nous ne parlons pas de médecins malchanceux, incompétents ou faisant preuve d’un manque de sérieux qui leur feraient avoir plus d’ « accidents » ; nous parlons de médecins et de chirurgiens qui font leur travail consciencieusement, avec dévouement et sérieux mais qui ont le simple tort d’appartenir à une profession considérée comme à risque par les assureurs… Vous et moi en quelque sorte !

Comment a-t-on pu en arriver là ?

– Tordons tout d’abord le cou à une idée reçue : le nombre de plaintes et de sinistres ne cesserait d’augmenter ! La fameuse « dérive américaine » qui nous fait si peur !
En étudiant les chiffres des rapports du conseil médical du Groupe des assurances mutuelles médicales (GAMM) entre 1997 et 2001, on s’aperçoit sur les graphiques (a,b,c) que le nombre de déclarations faites par les ophtalmologistes, comme par tous les médecins confondus, a diminué entre 2000 et 2001 alors que le nombre de médecins assurés augmentait sur cette même période !

 

 

 

Pour les ophtalmologistes, si l’on étudie le type des déclarations effectuées (d), on se rend compte que le nombre de plaintes pénales est stable depuis 1997 (compris entre 3 et 5) et que le nombre d’assignations en référé est plus faible en 2001 qu’en 1998 ou qu’en 2000 !

 

Tous médecins confondus, les plaintes pénales étaient au plus bas en 2000 et ce depuis 1995 ! Les assignations en référé au plus bas en 2001, toujours depuis 1995 !

– Pour comprendre, il nous faut revenir à notre parallèle avec les chauffards ! Le 05/07/1985 voyait le jour la Loi n°85-677 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation dite loi « Badinter ». Tout est dit dans le titre de la loi ! Améliorer l’indemnisation des victimes, ce qui est une bonne chose ! L’automobiliste qui après des sinistres répétés dans lesquels sa responsabilité est engagée, se voit résilier son contrat et qui, soumis à l’obligation légale d’assurance pour rouler, se voit opposer un refus de souscription d’un contrat par une société d’assurance agréée par les autorités administratives françaises doit s’en remettre au BCT.
Le principe de fonctionnement de ce bureau est le suivant : le BCT a le pouvoir d’imposer à un assureur de prendre en charge la garantie d’un risque pour un montant de prime défini. Bien entendu, cette prime s’adressant à des « chauffards », elle est très élevée !

– Quid des médecins ?  La Loi n°2002-303 du 04/03/2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé oblige le médecin à prendre un contrat de responsabilité civile professionnelle (RCP)! Créant cette nouvelle obligation légale, le législateur, pour pouvoir mettre en oeuvre une réparation intégrale et systématique des préjudices de la victime d’un acte de soins, de diagnostic ou de prévention, a fait rentrer la RCP médicale dans la compétence du Bureau Central de Tarification. Le praticien fait appel à celui-ci s’il se voit refuser à deux reprises une souscription ! Rien de choquant pour les « chauffards » de la médecine de se voir imposer des primes très élevées suivant le principe vu plus haut pour les « mauvais » automobilistes !
Malheureusement, c’est là que commence un dérapage incontrôlé : c’est la très grande majorité des médecins de certaines disciplines, souvent chirurgicales, qui ont reçu une lettre leur signifiant la résiliation de leur contrat de RCP alors même qu’ils exercent leur métier sérieusement, consciencieusement et sans problème particulier ! Ces médecins se voyant refuser un nouveau contrat par les compagnies d’assurance qui fuient le secteur médical sont contraints de faire appel au BCT ! Ce Bureau impose alors aux compagnies d’assurer les praticiens, comme la loi le prévoit, mais avec des primes très élevées. Le tour de passe-passe est effectué… Les compagnies d’assurances ont récupéré le client mais avec une augmentation substantielle des primes (qui peuvent atteindre 15000 euros/an)

Preuve est faite que cela est intéressant, les assureurs reviennent. Un des inconvénients majeurs du BCT est sa lenteur de prise de décision. Le temps nécessaire pour enjoindre un assureur à garantir un risque peut varier de deux à trois mois. Pour pallier à cette inertie, le GTAM a été prolongé de six mois (jusqu’en juin 2004).

Les vraies questions sont les suivantes.

Depuis la loi du 04/03/2002, l’affirmation de la couverture totale du risque médical permet à la victime de rechercher l’indemnisation de son préjudice sans être inquiétée par une hypothétique insolvabilité du praticien.
Nous ne sommes plus dans un système à proprement parler de responsabilité mais  dans un système d’indemnisation.

Les primes mises à la charge des souscripteurs sont excessives. Si l’on peut justifier qu’un chauffard subisse les conséquences de sa conduite par une majoration plus qu’importante de sa prime, est-il acceptable que le même sort attende un praticien consciencieux qui a choisi d’exercer une médecine de pointe en pratiquant des actes délicats mais si importants pour nos patients ?

Nous avons vu que le nombre de déclarations des médecins n’augmentait pas, voire même diminuait. On pourrait nous rétorquer que, certes leur nombre diminue mais que leur coût est en augmentation (dommages et intérêts majorés au fil du temps par les tribunaux…) Le coût de la sinistralité est une information gardée secrète pas les assureurs ! Imaginons que l’on étudie toutes les décisions de Justice sur une année (ce qui est actuellement irréalisable) encore faudrait-il avoir accès aux accords amiables !
Supposons que ce coût ait augmenté, ce qui est loin d’être évident si l’on étudie les plus grandes décisions jurisprudentielles, les compagnies d’assurance n’ont plus à supporter l’indemnisation des cas les plus lourds dés lors qu’aucune faute de leur assuré n’est prouvée.
La constitution de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) prend en charge l’indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes les plus graves. C’est la solidarité nationale qui jouera désormais.

Les sociétés garantissant la RCP des praticiens jouent donc un rôle de plus en plus résiduel dans la couverture des risques médicaux graves. Cette situation devrait en toute logique accentuer la baisse des primes pour les praticiens souscripteurs d’assurance.

Les difficultés actuelles (les catastrophes naturelles à répétition, les catastrophes industrielles, les attentats terroristes) ont touché de plein fouet les grandes compagnies d’assurance. Mais faut-il pour autant que les médecins, proies faciles au prétexte d’une bonne solvabilité aux yeux de l’opinion publique, fassent les frais de ces aléas ?

A défaut de prendre en compte la qualité des praticiens, l’indemnisation des victimes est donc devenue l’épicentre des assurances RCP. Noble cause en apparence…

Mais « Non », nous ne sommes pas des chauffards de la médecine !

Tags :,

Trackback depuis votre site.



Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.